Skip to main content

Full text of "Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des 13e, 14e, et 15e siècles, pour faire suite aux collections legrand d'Aussy, Barbazan et Méon, mis au jour pour la première fois"

See other formats


¥à-.\^. 


*-  M 


'^r^.m 


■^^^^^ 


^*#«^-;^ 


-^ 


là. 


CONTES,  DITS,  FABLIAUX. 


IMI'RIMEIUES  DE  l'ECQUEREAU  ET  C- 

88,  ni'i;  Di:  la  harpi:. 


"910  l'r** 


NOUVEAU  BECUEIL 


CONTES,  DITS,  FABLIAUX 

ET  AUTRES  PIÈCES  INÉDITES 

DES  XIII ,  XIV'  ET  XV^  SIÈCLES 


POtr,  FAIRE  SlITE  AUX 


COLLECTIONS  DE  LEGRA^D  D'AUSSY,  BARBAZAN  ET  lÉON 

jyiJS  AU  JOUR  POUR  LA  PREMIÈRE  FOIS 

PAR 

2lcl)tUe  îubinal 

D'après  les  Mss.  de  la  Bibliothèque  du  Roi. 


H 


PARIS 

CHEZ  CHALLAMEL,  ÉDlTEUli, 

RLE   DE   l'abbaye,    A. 

1842 


.1 


«! 


v.\ 


'jr-jfip^ 


\ 


'0;     'V 


'V 


Mon  iiiteutioii ,  on  publiant  ce  Nouveau  recueil  de 
Contes,  Dits,  Fabliaux,  etc.,  que  je  travaillais  de- 
puis plusieurs  années  à  recueillir,  était,  comme  je 
l'ai  dit  en  commençant  son  tome  premier,  de  pousser 
cette  collection  jusqu'à  une  série  de  quatre  volumes, 
c'est-à-dire  d'épuiser,  ou  à  peu  près ,  pom*  ce  genre 
d'anciennes  compositions ,  la  matière  restée  manu- 
scrite ;  mais  des  devoirs  nouveaux  imposés  par  des 
fonctions  qui,  en  m'éloignant  de  Paris,  absorbent 
tout  mon  temps ,  s'opposent  à  la  réalisation  du  pro- 
jet que  j'avais  formé  et  m'obligent  à  rétrécir  mon 
plan.  Ce  volume  sem  donc,  à  mon  grand  regret,  le 
deuxième  et  dernier. 

Mes  lecteurs  verront  que  je  n'y  ai  pas  apj)orté 
moins  de  soin  ni  de  conscience  qu'à  mes  autres  pu- 
blications. Toutes  les  pièces  qu'il  contient,  en  effet. 


VI 


ont  été  scrupuleusement  revues  sur  les  manuscrits  in- 
diqués en  tête  de  chacune  d'elles,  et  j'ai  fait  exprès 
un  voyage  à  Londres  afin  de  coUationner  sur  les 
textes  originaux  les  petits  poëmes  que  mon  ami , 
M.  Wright,  m'avait  envoyés.  Ce  voyage  m'ayant 
permis  de  recueillir  moi-même,  au  Musée  britan- 
nique, d'autres  pièces  que  nos  manuscrits  français 
ne  contiennent  pas ,  je  me  suis  empressé ,  à  mon  re- 
tour, de  les  comprendre  dans  mon  recueil  ;  on  les 
trouvera  vers  la  fin  de  ce  volume. 

Un  mot  encore  sur  mon  travail.  Dans  le  tome 
premier,  je  m'étais  attaché  à  donner  autant  que  pos- 
sible des  pièces  intéressantes  par  quelques  traits  de 
mœurs ,  par  des  souvenirs  légendaires  ou  des  tradi- 
tions religieuses.  Mon  but  a  été  le  même  encore  dans 
ce  volume,  seulement  j'ai  tâché  d'y  répandre  un  peii 
plus  de  variété  en  choisissant  des  poëmes  de  rhythme 
différent  ou  curieux  :  tels  sont,  par  exemple,  un  Lay 
d'amour,  p.  190,  le  dit  de  Martin  Hapart,  p.  202, 
Fatrasies,  p.  208,  etc.  J'y  ai  réuni  également  un 
assez  bon  nombre  de  pièces  empruntées  à  un  manu- 
scrit que  personne  n'avait  encore  mentionné ,  et  qui 
sont  relatives  à  des  métiers,  à  des  jeux,  etc.,  du 
moyen  âge;  ce  sont  le  dit  des  Paintres,  le  dit  des 
Choses  qui  faillent  en  ménage,  le  dit  des  Dez,  etc. 
On  trouvera  aussi ,  avec  ces  poëmes,  des  pièces  tirées 
de  la  même  source  et  remarquables  à  d'autres  titres  : 
telles  sont,  par  exemple,  le  dit  desMoustiers  de  Paris, 


VII 

dont  l'auteur  ne  nomme  pas  moins  de  quatre-vingt- 
huit  églises  ;  le  dit  de  Vérité,  qui  est  une  violente  cri- 
tique de  l'esprit  politique  et  religieux  de  saint  Louis; 
le  dit  de  la  Qiieue  deRenart,  qui  compose  une  des  der- 
nières pièces  que  nous  ait  laissées  le  moyen  âge  sur 
le  héros  de  notre  vieille  épopée  allégorique  ;  plusieurs 
satires  contre  les  femmes  ;  une  pièce  sur  le  roy  Ar- 
thur et  sur  saint  Louis,  des  Sakits, des  dictons,  des 
proverbes,  des  chai:fi5ons,  etc. 

Comme  pour  le  premier  volume  de  ce  recueil, 
mon  ami  M.  Chabaille  a  bien  voulu ,  pour  celui-ci , 
m'aider  de  sa  science  typographique  et  philologique 
dans  la  révision  des  épreuves.  C'est  un  service 
dont  je  me  plais  à  lui  rendre  hommage.  Je  ne  doute 
pas  que  les  bibliophiles  n'y  voient  une  preuve  de 
plus  de  la  correction  et  de  la  fidélité  des  textes  que 
je  leur  présente. 

Achille  Jlbl>al. 


CONTES, 

DITS,  FABLIAUX,  MORALITÉS 

ET  AUTRES  PIÈCES  INÉDITES 

DES  Xlir,  \IT  ET  XV'  SIÈCLES. 


ICI  SE  COMENCE 

£t  ïlomans  îïfs  iFratireis, 

PAR  ANDRÉ  DE  COUTANCES. 
Ms.  additionnel  du  Musée  Britannique,  n°  10,289  '. 


Heis  Arflct  de  Noliundrelande  ' 
As  boens  bevéors  saliiz  mande, 
Les  autres  à  maufez  commande, 
Quer  il  ne's  prise  une  alemande. 

Le  viel  Arflel  fu  son  ancestre 
Qui  des  Guides  fu  sire  et  mestre  ; 

■  Ce  Ms.  esl  du  13«  siècle;  le  Romanz  des  Franceis  y  orcupe  le  folio 
129  v.  —  Sur  André  de  Coulances,  qui  se  nomme  plus  Las,  p.  16,  voir 
l'abbé  De  la  Rue,  Essais  historiques  sur  les  Bardes,  les  Jongleurs  et  les 
Trouvères,  t.  II,  p.  806-308. 

2  ArHet  de  Noliundrelande ;  peul-être,  comme  nous  dirions  aujour- 
d'hui ,  Alfred  de  Norlhumberland. 

H.  1 


2  LI  ROMANZ 

Cil  si  enbat  destre  et  senestre 

Tant  qu'il  en  set  quanqu'en  puet  estre. 

Meslre  est  des  cerveises  estales, 
Bien  les  conoisl  bones  et  maies, 
Bien  est  sire  des  escales, 
Des  gestinges  et  des  eruales. 

De  lui  vos  di  en  dreite  fei 
Que  sevent  a  béu  sanz  sei, 
Et  bien  est  dreit  '  que  endreit  sei 
Ne  veut  que  dcchie  guersei  \ 

Rimé  ont  de  lui  li  Franceis 
Lez  le  pot  où  bollent  sis  peis, 
Par  icestes  méismes  leis 
S'en  volent  vengier  li  Engleis. 

il  ont  dit  que  riens  n'a  valu, 
Et  donc  à  Ârflet  n'a  chalu 
Que  bote  fu  par  Capalu 
Li  reis  Artur  en  la  palu  j 

Et  que  le  chat  l'ocist  de  guerre, 
Puis  passa  outre  en  Englelorre, 
Et  ne  fu  pas  lenz  de  conquerre, 
Ainz  porta  corone  en  la  terre; 

Et  fu  sire  de  la  contrée 

1  Le  scribe  a  écrit  veir  sur  ce  mol,  el  veir  est  la  bonne  leçon. 

2  J'ai  donné  une  petite  pièce  sous  le  titre  de  Guersay  dans  les  Additions 
aux  OKuvrcs  de  Rutcbcuf,  l.  Il ,  p.  ^<35. 


DES  FRANCEIS.  3 

Où  ont  ilel  fable  trovée; 
Mençonge  est,  Dex  le  sot,  provée  : 
One  greignor  ne  fu  encontrée. 

Mes  li  cliailif,  li  espové, 
Li  mal  peu,  li  larl  cové, 
Li  patarin,  li  endové, 
Où  ont-il  d'autre  conlrové? 

Trop  ont  dit  d'Artur  granl  enfance, 
Quer  Artii  fu  de  tel  puissance 
Que  Franceis  conquist  o  sa  lance: 
Mau  éritage  raist  en  France. 

Bien  savon  que  Bien  et  Delin, 
Maximien  et  Gostentin  ' 
Furent  à  Franceis  mal  veisin, 
Et  France  orent,  c'est  la  iin. 

D'Engleterre  furent  tuit  rei, 
Chescun  conquist  France  endroit  sei, 
Chescun  en  pleis  a  le  bofei, 
Le  gorgéir  et  le  desrei. 

Au  rei  Artur  le  deraain, 
De  celui  sommes-nos  certain  , 
Voudrent  fère  plet,  mes  en  vain; 
Quer  il  les  out  bien  sor  sa  main. 

Quant  de  lor  orguil  s'averti, 

'  Brenne  et  Belin,  flls  de  Donvalo,  roi  de  la  Grande-Bretagne.  Voir 
Roman  de  Brut,  t.  I,  p.  HO.  Maximien  et  ConstantiH  sont  aussi  de^  per- 
sonnages de  ce  roman. 


Ll  ROMANZ 

Maugré  eus  toz  les  converti , 
Et  le  pais  acoverti  : 
Dites  se  ce  est  veir  parti? 

ïïamès  n'iert  jor  que  il  n'i  père; 
Douce  ert  France,  or  est  amère; 
Moiit  eurent  en  Ârtur  dur  père, 
Sa  sorvenue  mont  compère. 


Moul  fu  Artur  proz  et  corteis; 
Quant  out  conquis  Chartres  et  Bleis, 
Et  Orliens  et  tôt  Estampeis, 
A  Paris  vint  o  ses  Engleis. 

La  vile  asist,  n'en  dotez  tnie; 
Moût  out  bone  chevalerie 
El  bien  eslruite  et  bien  garnie, 
Si  l'a  fièrement  asallie. 

Engleis  fièrement  asallirent, 
Franceis  merdemenl  défendirent; 
An  premier  assaut  se  rendirent, 
Et  hontosement  s'en  partirent. 

A  cel  partir  fu  a  pelée 

Paris,  ci  n'a  nul  celée, 

Qui  primes  fu  Termes  nommée. 

Et  moût  ert  de  grant  renommée. 

Frolles  ert  apelé  le  reis  ' 

>  Frolles  roi  de  France  sous  les  Romains.  Voirau  Roman  de Brul,  (.  1 1, 
p.  82  et  suiv.,  les  déiaiîs  du  combat  de  ce  prince  contre  Arthur. 


DES  FRAiNCEIS. 

Qu'Artur  conquist  o  ses  Engleis, 
El  de  FroUes  sont  dit  Franceis 
Qui  primes  eurent  non  Bailleis. 

Frolles,  qui  de  France  fu  sire, 
ÎNe  sout  que  faire  ne  que  dire; 
Grant  maniaient  oui  cl  granl  ire 
Franceis  manda  à  un  concire. 

Li  baron  l'orH  à  ce  amis 
Qui  sesL  messages  a  tramis 
A  Arlur,  si  li  a  pramis 
Qu'encor  porroient  eslre  amis, 

Se  de  sa  terre  s'en  issist 
Que  à  moul  grant  torl  saisséisl, 
Et  s'il  ne  la  guerpisséist 
De  balai  le  le  aasléist 

Par  eus  dous,  (jue  plus  n'i  éusl, 
Eissi  le  voleit,  ce  séust; 
Cous  rendist  qui  cous  recéust, 
•El  plus  féisl  qui  plus  péusl. 

Arlur  respondi  :  •  Dex  i  va  Ile; 
Défendre  mei,  s'est  qui  m'asali 
A  Paris  en  i'isie  sanz  l'aile 
Seit  à  demein  cesle  balalle.  » 

De  çà  et  de  là  sunt  certain 
De  la  balalle  à  lendemain  : 
Qui  veinera  loi,  eit  en  sa  main 


6  LI  ROMANZ 

Les  bois,  les  viles  et  le  plain. 

Frolles  durement  menaça, 
De  jurer  ne  s'apereça, 
Dex  lot  par  menbres  dépeça, 
Que  Artur  mal  s*i  aproça. 

Artur,  qui  n'out  pas  cuer  de  glace, 
Preisa  moût  petit  sa  menace; 
Mieux  l'amast  à  tenir  en  place 
Que  voer  Dieu  en  mi  la  face.  * 

Artur,  qui  out  granl  desierrer, 
Se  fist  matin  aparellier. 
Lui  et  Labagu  son  destrier. 
Et  se  fist  en  l'isle  nagier. 

Frolles  jusqu'à  tierce  dormi, 
Et  lors  quant  il  se  desdormi 
Endeseéles  s'eslormi 
Corn  se  l'eussent  point  formi. 

Franceis,  qui  moroient  d'ennui, 
Li  distrent  :  «  Lèverez-vos  liui?  » 
11  dist  aol,  et  de  nuliui 
jN'ont  Franceis  aol  fors  de  lui. 

Tôt  en  gesaunt,  sanz  sei  drecicr, 
Se  fist  Frolles  aparellier; 
D'ilonc  sunt  Franceis  costumier, 
Que  en  gesant  se  font  chaucier. 


DES  FRANCEIS. 

Ainz  que  Frolles  se  fust  armez 
S'est  tierce  fiée  pasmez  ; 
Lors  fu  des  Franceis  moût  blasmct, 
Mes  il  lor  dist:«Ne  vos  tamez; 

Ce  me  vient  de  grant  hardement  : 
Mort  est  Artur  veraemeut.  » 
Lors  les  prist  loz  par  serement, 
Qu'il  tendront  son.commandement^ 

«Cornent,  dist-il,  que  il  m'avienge, 
De  mes  bones  mors  vos  sovienge; 
Mar  i  aura  cil  qui  Diu  crienge 
Se  léauté  à  homme  lienge. 

Cruel  séiez  à  desmesurc, 
Cruel,  fei-mentie,  perjure; 
El  vostrc  garder  metez  cure, 
De  l'autrui  prenez  à  droiture. 

Artur  vos  voudra  del  suen  tendre,. 
Prenez-le  sanz  guerredon  rendre, 
Ainz  vos  lessiez  ardeir  ou  pendre 
Que  le  vostre  veiez  despendre. 

De  dez  séiez  boens  joeors 
Et  de  Deu  bons  perjureors, 
En  autri  cort  richeeors, 
Poi  fesanz  et  boens  vanteors. 

Acreez,  si  ne  rendes  rien, 
Haez  ccus  qui  vos  ferunt  bien, 


Lï  ROWANZ 

Plus  orclement  vivez  que  chien, 
Et  séiez  luit  armeneisien.  » 

Frolles  en  France  misl  ces  leis; 
Bien  le  retincirent  li  François, 
Et  encor  i  out-il  sordeis; 
Mes  je  n'en  dire  or  ampleis. 

Quant  arme  fu  à  quelque  paine, 
Son  mestre  chambellenc  aceine  : 
•'Va  tost,  dist-il,  et  si  le  paine 
Que  aie  pullente  aleine.  •> 

Cil  conut  bien  sa  volenlé, 
Que  d'allié  s'est  démente, 
Plain  vessel  l'en  a  présenté 
Et  il  en  menja  à  plenlé. 

Ne  se  poul  Frolles  atenir 
Quo.  des  auz  ne  teist  venir, 
Tant  por  usage  maintenir. 
Tant  por  Artur  en  sus  tenir. 

Franceis  qui  devant  lui  estèrent 
D'aler  en  l'isle  le  haslèrent, 
A  quelque  paine  l'i  menèrent  : 
Laissièrent  le,  si  retornèrcnt. 

Frolles  reniest  sor  son  destrier, 
Artur  vit  venir  fort  et  lier; 
Lors  n'out  en  lui  que  corrocier 
Quant  vers  lui  le  vit  aprochier. 


DES  i-  RANCEIS. 

Audui  es  esliius  s'aficliiùrenl, 
Si  que  quant  il  s'entr'aprochèrent 
Amedous  lor  lances  bruisérent 
Ll  lor  chevaus  s'agenoiilèrent. 

FroUes  acuit  à  menacier 
Et  Arliir  trait  le  branc  d'acier; 
Quant  Frolles  vit  le  cop  haucier, 
A  terre  se  lessa  cachier 

Et  dist:  «  Merci,  Ârtur,  beau  sire; 
Je  sui  recréant,  ne  m'ocire.  » 
Artur  ne  pout  atremper  s'ire, 
Frolles  ocist,  n'en  puis  el  dire. 

François  furent  espoenlé 
Quant  lor  rei  virent  gravenlé, 
A  Artur  se  sont  présenté 
Que  d'eus  face  sa  volenlé. 

Et  il  qui  loz  les  voleit  pendre, 
Quant  si  humblement  les  vit  rendre. 
Ne  veut  envers  Deu  tant  mesprendre; 
Par  lote  France  fist  défendre 

Que  nul  ne  ni  éust  pendu: 
Vie  et  menbre  lor  a  rendu. 
En  autre  sens  lor  a  vendu 
Que  vers  lui  se  sont  défendu; 

Quer  il  les  niist  loz  en  servage 
Où  encor  est  toi  lor  lignage; 


10  LI  ROWANZ 

Hoc  donna  en  érilage 

Artur,  as  Franceis,  cuvcrtage. 

Franceis  en  l'isle  s'en  passèrent, 
Lor  rei  qui  mort  ert  enporlèrent, 
En  un  grant  feu  le  cors  botèrent 
Que  por  lui  ardre  aluraèrent. 

Déables  furent  en  agait 
Qui  d'enfer  eurent  le  feu  Irait 
Dont  il  alumèrent  l'atrait 
Qui  por  Frolles  ardeir  fut  fait. 

Moût  out  cel  feu  malç  ensuiance, 
Que  d'iloc  avient  sanz  dolance 
Qu'encor  en  art  en  remcnbrance 
Del  feu  d'enfer  la  gent  de  France. 

De  Franceis  prist  Artur  bornage, 
Et  il  establi  par  vitage 
Quatre  deners  de  cuvertage 
Por  raaindre  lor  cbevetage. 

Assez  trovent  qui  lor  reconte 
Cest  bonlage,  mes  rien  ne  monte^ 
De  ce  ne  tienent  plé  ne  conte, 
Car  il  ne  sevent  aveir  honte. 

Jà  Franceis  celui  n'amera 
Qui  bien  et  ennor  li  fera, 
Mes  corn  il  plus  boni  sera 
,  Et  il  deus  lanz  gorgeiera; 


DES  FRÀNCEIS.  ii 


Quer  savez  que  liu  ùesrez, 
Jà  mar  Franceis  de  rien  crerrez  ; 
Se  r  querez,  jà  ne  1'  Iroverez; 
Se  r  trovez,  jà  prou  n'i  aurez. 

Quant  li  Franceis  veut  cort  tenir, 
Et  il  se  veut  bel  contenir, 
Deu  pain  de  segle  fet  venir 
Por  sei  richement  contenir; 

Et  chescun  en  est  parpartie 
Sa  dreite  livreison  partie, 
La  crosle  se  jurent  de  la  mie, 
Puis  font  entre  els  une  aramie, 

De  sopes  faire  en  la  paele, 
Qu'il  n'i  covent  autre  escuele; 
A  trère  les  jà  de  berele, 
Tel  ore  est  qui  n'est  mie  bêle. 

Mes  il  font  une  autre  veisdie, 
INe  m'est  or  lai  que  ne  1'  vos  die, 
Qu'à  traire  les  n'i  ait  bondie, 
Chescun  d'un  fil  s'asopelie. 

Un  fil  tient  chescun  en  sa  main 
Tant  que  il  a  trempé  son  pain; 
Si  est  de  sa  sope  certain 
Tant  comme  il  veit  son  fil  sain; 

Mes  quant  il  ront  ou  il  desnoe, 
Que  la  soupe  deu  fil  descroe, 


't 


^ 


J2  U  ROlVlA^Z 

Donc  va  la  chose  à  mal  iioe, 
Quer  chescun  dit  que  ele  est  soc. 

Donc  orriez  Dex  desmenribrer, 
Ventre,  langue,  gorge,  anienbrer  ; 
Dieu  ne  porreit  longues  durer. 
S'il  en  peroul  por  son  jurer. 

Sovent  a  là  meinte  aalie 
Et  mainte  colée  partie; 
Mes  il  font  une  autre  establie 
Qui  fet  remaindre  la  folie  : 

Et  il  jugent  que  cil  qui  a 
Icel  lit  greignor  dreil  i  a; 
Sor  sainz  jure  qui  en  li  a 
Celé  sope  qui  deslia. 

L'estrif  remaint  et  la  mesiée 
Quant  il  l'a  à  soe  provéc, 
Mes  moût  est  sovent  csgardée 
Et  envizée  et  golosée. 

Et  quant  il  metent  pot  à  fou, 
Lez  le  pot  asiecnt  un  (|ueu  ; 
Lors  n'i  aureil  ne  ris  ne  geu 
Se  il  se  parleit  de  cel  leu  ; 

Trop  i  poreit  mésavenir. 
Sagement  l'estuet  contenir, 
Que  por  le  boUon  retenir 
Li  estuel  la  cullicr  tenir. 


DES  FRÂNCEIS.  13 

Se  H  bollon  n'alout  à  droit, 
A  la  char  qui  cuit  mescharroit, 
0"or  lost  fors  (Ici  pot  s'en  saudroit 
Dès  que  11  bollon  l'asaudroit; 

Si  Taveient  perdue  enfin, 
Quer  le  chat  enlrereit  à  fin , 
Ou  la  sori  ou  le  poucin 
Enportereit  tôt  le  bocin. 

A  traire  la  deu  pot  s'esmaient; 
Et  quant  ce  est  qu'il  s'i  essaient, 
Ce  ne  puet  eslre  que  il  l'aient 
Se  tôle  l'eue  anceis  ne  traient. 

El  quant  l'eue  en  est  purée, 
Chescun  aguèle,  chescun  bée, 
Chescun  fet  oreison  privée 
Que  Dex  dont  qn'ele  seit  trouvée. 

Et  quant  il  irovent  ccl  merel, 
Lors  sachiez  que  moût  lor  est  bel; 
Gragnor  joie  en  a  eu  Hamel 
Que  ou  Ire  mer  deu  feu  novel. 

Donc  est  aporté  li  coleaus, 
Si  est  détrenchié  par  morseaus 
Petit,  mes  de  tel  granz  seuiaus 
Com  cels  dont  l'en  giue  as  mériaus. 

S'il  avient  que  non  per  i  ait , 
Hoc  n'a  mie  grant  déhait, 


U  Ll  ROMÂNZ 

Quer  donc  sont  li  dé  avant  tret  : 
Qui  Dieu  donna  plus  poinz,  si  l'ait. 

Lor  dobliers  volent  nez  tenir, 
Et  c'est  légier  à  avenir, 
Quer  qui  lor  mengier  veil  fenir 
De  laslé  li  puet  sovenir. 

Arflet  tesmoigne  en  son  brief 
Qu'il  menjuent  tôt  lor  relief; 
Ce  est  as  poures  grant  meschief , 
Et  si  apelent  de  cest  grief. 

Li  chien  se  plaignent  d'autre  part 
Que  quant  l'os  de  la  table  part, 
Tant  lor  vient  mègre  et  tant  à  tar^ 
Que  de  tôt  le  trovent  baslarl; 

Ou  li  Franceis  l'a  tôt  mengié, 
Ou  il  l'aura  si  près  rungié 
Que  quant  il  li  donc  congié 
De  néent  a  le  chien  paie. 

D'iluec  vient,  nient  d'autre  nature, 
Que  il  ont  blanche  endentéure, 
Quer  le  rore  de  l'os  lor  cure 
Les  denz  et  blanchist  et  escure. 

Quant  li  Franceis  se  fel  seignier, 
Si  fet  alorner  un  mengier 
Dont  nus  hoin  ne  doit  jà  pleidier. 
Ne  s'en  sareit  fors  els  aidier, 


DES  FRÀNCEIS.  #5 

S'il  ne  la  vel  de  lor  doulrine  : 
Vivée  en  gorge  de  gel i ne, 
Si  n'est  pas  deu  lot  orfeline, 
Quer  sel  i  metcnt  et  ferine, 

Et  porriez  et  oignons  et  alz, 
Et  de  lorer  fère  granz  salz, 
Et  de  l'escost  estorcer  chauz 


Qui  0  les  Franceis  raengera, 
A  quei  que  seit,  escotera  ; 
Quer  ou  al  noiz  enlenciera 
Ou  des  escaloignes  fera 

Franceis  à  lot  le  mains  venir 
Por  sei  richement  contenir; 
Quer  icel  ne  puet  avenir 
Que  d'escot  se  sachent  tenir 

Tant  com  en  lor  contrées  scient; 

Mes  quant  fors  en  sont,  moul  gorgeient. 

Et  à  autri  table  richéent 

Et  blasment  quanque  il  i  véent; 

Et  quant  il  sont  en  lors  ostex, 
Si  conoisson  Franceis  à  tex, 
A  tant  merdes,  à  tant  avex, 
Qu'en  les  devreit  tuer  o  pex. 


Une  ligne  érasée  dans  le  Ms. 


j 


10  Ll  nOMANZ 

André  '  sa  charlrc  fine  ù  tant, 

A  Paris  l'envoie  ha  tant; 

Qui  la  lira  seit  en  estant, 

Qiier  Franceis  s'iront  mont  cresçanl  ; 

S'ele  est  sus  Petit  Pont  retraite, 
On  de  colée  ou  de  retraite 
Ara  celui  la  teste  frai  te 
Qui  la  lira,  s'il  ne  se  gaile. 

Moût  sera  isnel,  de  prinsaut, 
Se  en  Sienc  ne  fet  un  saut. 
André  prent  congié,  Dex  vos  sauf, 
Mes  savez  qu'en  sa  chartre  faut. 


Et  qu'il  a  oblié  à  dire, 

Por  ce  que  il  n'en  veut  mesdire 

^■e  Franceis  del  tôt  desconfire. 

Tirenlire  est  pain  en  allié 

Et  o  la  doussc  d'à!  freié, 

Jà  Franceis  ne  sera  hétié 

Le  jor  qu'il  n'en  seit  commencié. 

Ce  est  un  légier  companage 
Qui  toi  le  cors  lors  asoage; 
Mes  jà  0  Dieu  n'ait  héritage 
Qui  primes  fist  tel  mariage. 


André  de  Coulances,  nom  de  l'auteur. 
Une  liffnc  a  été  oubliée  ici  par  le  scribe. 


I 


rJES  FRANCEIS.  47 

Andreu  a  sa  chartre  ûnée, 
Bien  l'ont  li  Engleis  graantée, 
Que  rien  nule  n'i  ont  trovée 
Qui  ne  seit  vérité  provéej 

Bien  l'ont  graanté  li  Flamenc, 
Et  Borgueignon  et  Loherenc,>b  .sK 
Que  prendreige  tôt  à  renc, 
Mes  en  vérité  vos  aprenc 

Que  Engleis,  Breton ,  Angevin ,  ^^  gj^^j^ 
Mansel,  Gascoign,  et  Peitevin  ,^^^«1  ^j^^ 
Tienent  Andreu  à  bon  devin ,  ^p^^^  ^^^ 
Quer  partot  dit  veir.  C'est  la  fin  'g-^j^oi;! 

T   tîiix.  J?inpno3 
ExpUdt  Arjiel.^^  ^^^  ^j^^q^ 

>  c'est  à  l'obligeance  de  M.  Thomas  Writh,  de  Londres,  professeur  au 
Trinity  Collège,  que  nous  devons  la  copie  de  celte  pièce,  ainsi  que  celle  de 
la  Chronique  des  Rois  de  France,  de  Gilote  et  Jehane ,  de  V  Yver  et  de 
l'Esté,  insérées  un  peu  plus  bas. 

i  ^a^^  vi 

■)  IJOl  'fOg 

\^  \a\:>o  10 
Ah  eop  3 

:^who\3  aieM 

'V  .  ^.  iiovAahqA  ■ 

il.  o 


;'i^  ^\Ji^iid,  it  jfio'f  (i^lil 
,,    ii  Jffo  iV'    •  '^^  (loi'i  onO 

'  i  Uyië 
Ms.  de  la  Bibl.  harléienne  ^♦333.^'io[i  JS 

— 0— —  '  ^fJhèv  «9  8àM 

Honis  soit  li  rois  d'Ingleterre  !  •  ^^o-'-^  J"*'' 

Rois  François  ont  fait  mainte  get^e  ''^«^^ftW 

As  Sarrasins  per  lor  vertu.  jnonoil 

Clodoïs,  que  premiers  rois  fu,^*^**^^  i^ii*J. 

Gonquist  .xiiij.  rois  païens 

(Drois  est  qu'en  remenbrance  aiens 

Les  faiz  de  nos  boins  ancessors), 
""  ""    Car  les  sains  e  les  confessors    • '«^3-''^'^  '  •  »«»''>  ' 
.4,  V    Servi  chascuns  tant  cum  fu  vis,,,,.^  ,a,  ./^.«o-^aj  ..» 

Icil  premiers  rois  Clodoïs  'X} ««»  »-f>*)V>««i  .suii 

Fu  sens  malice  e  sens  losange, 

Si  le  mislrent  à  Reins  li  aingle 

Sor  lou  chief  corone  roial, 

Quant  Cherussin  le  desloial 

Ot  ocis,  que  France  tenoit 

E  que  chascuns  jor  se  penoit 

De  la  crestienté  jus  mettre  ; 

Mais  Clodoïs,  ce  dit  la  lelre, 

I  Après  avoir  vu  tout  à  l'heure  une  satire  contre  les  Français,  tirée  d'un 
Ms.  anglais,  il  est  curieux  de  lire  l'éloge  de  nos  rois  venant  d'une 
source  analogue.  Cette  pièce  se  trouve  également  dans  un  Ms.  fonds  de  Sor- 
bonne  n»  1422  R.  381,  fol.  263  et  suiv.  Voyer  page  22  pour  sa  date. 


CHRONIQUE  DES  ROIS  DE  FRANCE.       i9 

Qui  commença  la  bone  geslCjurl  na  mq  ouQ 
A  icelui  trencha  la  teste  i9?cq  au  A 

Que  tôt  lou  pais  essilloit.  ; j  t;iq  jioèa  qA 
Icil  Clodoïs  un  fil  oit  j  ?,ij|q  jj  ol  aO 

Que  après  lui  la  terre  tint,  lo)  no?,  h  ouCj 
Saigement  et  bien  se  conlintjurr  jioaael  9'^ 
Si  ot  à  non  li  rois  Cloteires,  >)  ouQ 

Mais  à  son  tens  n'ot  clers  ne  notaires, ;(j  J3 
Plus  de  lui  clergie  ne  sot;  _  j  ouQ 

Onques  n'ama  musart  ne  sot^  ^iiosG-içiiag 
Car  saiges  fu,  de  grant  renon.  i^  jgioi  J3 
Li  tiers  rois  Chillebers  ot  non  ;  ./sb  ^gavi 
Ne  larrai  que  ne  vus  en  die  :  .  .^.bticq  n3 
Cil  conquist  tôle  Normendie.  >od  ho  aàiqA 
Et  le  premier  duc  i  assislftifit  «fl^a  Jb  eo7 
Onques  à  son  pooir  ne  fist  D  ^oijuc  au'3 
Ne  malvestié  ne  dyablie  :  •  n»  jjutn  auQ 
Per  lui  fu  la  lois  estaublie,  g  'w\  aèiqe  JS 
xMult  assausa  crestienté,:  aioi  non  é^Jo  iiiQ 
Se  trueve  l'en  per  vérité  >f{  r  a']  aomijiu  iJ 
En  lettres  qu'il  ne  vesqui  gaifes:  \\um  suQ 
Après  lui  vint  ses  fils  Loteires;  rnivon  iJ 
La  terre  tint,  rois  fu  li  quars;  m  Jnti/aO 
Mais  onques  Tioiz  ne  PicarSjlamJ-jnieg  A 
Ne  gent  Sarrasine  enraurée  ;  ^«ni/  HdJ 
N'oient  per  lui  point  de  duré%,, ,^li11a^.  2A 
Que  à  force  ne  lou  conquist,  )  ob  u)  auiï  lO 
Quelque  poinneque  il  méist;jo  zeaimb  iJ 
As  Sarrasins  fist  mainte  honte  :  ilum  luQ 
De  lui  l'istoire  nos  raconte  ririrsno  Ll 

Que  mains  leus  fu  ces  brans  offera.iii8  io8 
Li  quins  rois  ot  non  Dagobers,   ..ûv  ^èiqA 


io     /rjAAHn:  chronique    omonwj 

Que  par  sa  force  mult  conquist  ;  «oo  luQ 
Aus  païens  mainte  gerre  fisl  :  lait  iijfoDi  A 
Ne  séoit  pas  toz  jors  en  chambres.  Jo)  ouQ 
Ce  fu  li  plus  fors  hom  de  membresolO  liiï 
Que  à  son  tens  fust  et  de  cors  ;  (qè  out> 
Ne  lassoit  nul  Sarrasin  lors  j  Jj»fMn^>gie8 
Que  loz  ne  's  alast  gravenlant.:  aéh  h  lo  î8 
Et  Dame-Deus  li  dona  tant,  î  tio/.  h  ?Àf\U 
Que  toz  ses  biens  li  abonda.  i«l  ob  8ol*l- 
Seint-Denis  en  France  funda  lo'a  aanpaO 
Et  mist  et  moinnes  et  abé  )1  aegijîa  ifi3 
Ives,  de  cui  il  n'at  pas  gabé  :  :  :J 

En  paradis  s'aimrae  herbert.  j  . .  -î  a/. 
Après  cel  boen  roi  Dagobert  aiupiioa  \Vj 
Vus  di,  sens  faire  lonc  riot,  iaioiq  al  \A 
C'un  autre,  Chelebert,  i  ot  f  é  aoypnO 
Que  mult  en  pas  la  terre  tint,  'Jaoyfcm  0/ 
Et  après  lui  ses  fils  revint  I  ul  \n[  iù'l 

<}ui  ot  à  non  rois  Jeonaires;  ufi«2C  îîoW 
Li  uilimes  fu  Théodaires  ;  08 

Que  mult  fu  biaus  et  bien  apers  ;  •  ful 
Li  novimes  ot  non  Aubers,  ..  .^iqA 

Devant  mainte  cité  mist  siège  j  u'î  oiiaJ  bJ 
A  Saint-Lambert  dona,  ço  liège,  io  sieM 
Les  vins,  les  rentes  et  les  terres,  no^  oî^ 
As  Sarrasins  fist  maintes  gerres  :  Jnoio'/l 
Grans  fu  de  cors,  le  poil  ot  rous.  '^  «  ^wQ 
Li  disimes  ot  non  Ernous,  naioq  oopIdoQ 
Qui  mult  en  pas  tint  lou  pais,  lisfincfî  aA 
Li  onzismes  fu  Auchèis,  •J'^^i'l  iwfr  "^ 

Sor  Sarrasins  feri  mains  cols,  «"ifiiii  diiO 
Après  vint  Phelippes  ii  Gros,      'i  aaicip  iJ 


:4  M/  DES  ROIS  DE  FRANCE.  21 

Qui  de  cors  fu  et  gens  et  bias;  iq  liï  li;  » 
Et  après  vint  Charles-Martias,  tni?  siu^ï 
Qui  clers  haï  et  Sarrasins;  ?«» ni  on  iuQ 
Après  lui  vint  ces  fils  Pépins,  mjc  jS)   t" 

Que  tant  fu  de  petit  corsage  :  ,  d  itvQ 
Il  n'ot  de  lonc  en  son  estage  od<I  aiu*! 
Au  plus  que  trois  piez  et  demi  ;  iucn  quQ 
le  il  rois  Pépins  escremi  !<1  aêiqA 

Miez  que  nus  hom  de  tôt  lo  mont,  î 

Par  force  conquist  Justamont; 
Mult  honora  et  clers  et  moines,  on  el  o(j 
Après  vint  li  boins  Charlemainnes,         i 
Que  prodom  fu  et  sens  envie,  > 

Miracles  por  lui  à  sa  vie  d 

Fist  nostres  Sires  Deus  apertesjs  jj^îA  ôï^ 

Por  voir  vus  di  et  tôt  à  certes,  j!gc8 

Bien  se  prova  tant  com  fu  vis.      iijid  J3 

Après  vint  ces  fils  Lowéis,      .  .^.'ndùiqk 

Que  mult  en  ben  s'esvertuap?^  ;';  iîrp  ffH 

Gormont  lou  Sarrasin  tua, 

Ysambarl  amena  en  France  : 

Parmi  le  cors  li  mist  la  lance 

Qu'onques  n'i  ot  point  de  deffoiz.. 

Après  vint  Phelippes  uns  rois,  > 

Puiz  Phelippes,  puiz  Lowéis,  ) 

Après  Hues,  après  Hanris, 

Que  mult  fu  valans  et  cortoiz, 

Et  après  fu  Sains-Clos  li  rois 

Que  Deus  ama  dès  qu'il  nasqui  : 

.1.  jor  et  une  nuit  vesqui. 

Après  Robers,  après  Loteires,  ,    ^ 

Puis  Oedes  que  ne  vesqui  gairesj  n7T  ni. 


22      CHRONIQUE  DES  ROIS  DE  FRANCE. 

Cil  fu  prodons  et  de  grant  pris}  .  af>  iuQ 
Puiz  vint  uns  autres  Loéis  -m  »'Jif]c  ÏA 
Qui  ne  fu  envieus  ne  faus;  i^h  iijO 

Et  après  vint  Charles  li  Chais,  ^  d  eihqA 
Que  biaus  fu  de  cors  et  de  vis  jil  Uini  ùuQ 
Puis  Phelippes,  puis  Lowéis,  )(  ob  JoVi  ii 
Que  maint  don  fist,  meinte  promesce.u/ 
Après  Phelippes  de  Gonesce  *,  .  ii  j  :  îi*i 
Li  saiges,  li  bien  ensegniez;  )ijp  xjiM 
Pluis  de  cent  fois  me  sui  segniez  vio'}  tr'I 
De  la  science  qu'il  avoit  :  J*)  inonoif  îluW 
Per  Sun  cors  plus  de  bien  sàvôil  '  r  g'VsqA 
Que  tut  li  baron  de  sa  terre  ;  iq  msQ 

S'il  fust  vis,  li  rois  d'Engleterre  .jlofniWl 
Ne  fust  pas  se  contre  arrivez.. -iMjgoa  Jgi  i 
Sages  hom  estoit  et  privez,  kyr  lo^l 

Et  bien  prodom,  bien  en  sui  fiz.  )^  ntila 
Après  vint  Loéis  ces  filz ,  ,'  ?.6  u|A 

Cil  qui  à  Monpenceir  morut  ';  im  a»Q 
S'onques  Deu  arme  secorrut,  >i  jjioaîioO 
A  s'arme  li  face  merci.  ^ii;  J'ir.dnir,?/ 

Toz  les  rois  ai  nomez  ici  î  ^  ?ôo  el  im-ia^ 
Qui  de  France  trespassé  sont.aoupno'oQ 
Or  prions  Deu  qui  fist  lou  mont  '  ?M(\h 
Que  as  armes  merci  lor  face,  ,i:jii<l  siu^l 
Et  à  cestui  se  doint  sa  graice  oull  aj ujA 
Qu'el  reaime  de  France  a  mis!  iluai  otiO 
Et  confonde  ces  enemis.  iiiB<!î  v'I  ztm\Àmen. 

»  Philippe-Auguste,  ainsi  nommé  en  effet  par  les  historiens  du  moyen  âge. 

a  Louis  VIII,  mort  le  8  novembre  lïi26,  au  retour  de  son  expédition  contre 
les  Albigeois.  Ce  vers  et  ceux  qui  le  suivent  font  donc  remonter  noire  pièce 
au  premier  tiers  du  13e  siècle. 


Bu  })lait  ïlenart  Ire  lammûtrtin   coittre 
,^^,    iJairon  «an  rancin.,  ,,vg„o.  ig  ja 

;;  (unèb  «<)o<  »«fttK  io|>  'llo'ib  JeoD  aéM 

;^'-     •        •      Ms.  7218. 

Oiez  une  tençon  qui  fu  fête  pieçà;  ^ 

Mise  fu  en  escrit  du  tens  de  lors  ençà.  .,    n 

Renart  de  Dant  Martin  à  son  roncin  tènça , 

Et  son  roncin  à  lui ,  mes  Renars  commença. 

Vairon  avoit  à  non  cel  roncin  que  je  di ,    ^  ,  X 

Quant  à  lui  ramposner  son  seignor  entend! , 

Et  Yairon  aulressi  ramposne  li  rendi, 

Que  débonéreté  nule  ne  respondi.    ,         ,       .r. 

Ne  Vairon  ne  li  sires,  nus  de  ces  deus  n'ert  sains. ' 

Vairon  fu  foible  es  jambes,  de  ce  valoit-il  mains, ^^ 

Et  li  sires  croUoit  de  la  teste  et  des  rains  ; 

Toutes  eures  parla  li  sires  premerains. 

9d  ,n<Hiu/  - 


«Vairon,  que  ferai-je  puisque  vous  mébaigniez? 
Bien  voi  que  mult  par  tens  serons  desconpaigniez  : 
Crollant  vois  de  la  teste  et  vous  devers  les  piez  ; 
Quatre  en  soliez  avoir,  or  estes  à  trois  piez. 


0 


no'iiB/  — 
«  Sire,  ne  me  devez  mon  méhaing  reprochier, 


*   Il 

Quar  onques  nule  beste  ne  poez  chevauchier  ; 


24       DU  PLAIT  RENART  DE  DAMMARTIN 

Qui  puisse  desor  vous  amender  ne  frouchier  : 
C'est  tout  par  vostre  crolle  et  par  vostre  hochier. 

—  Onques  por  mon  croller  n'éustes  greignor  paine  ; 
Encore  avez  bon  dos,  eschine  entière  et  saine, 

Et  si  vous  faz  sainier  en  chascune  quinsaine, 
Mes  c'est  droite  foiblèce  qui  ainsi  vous  démaine. 

—  Sire,  c'est  par  voz  coupes  certes  que  foibles  sui, 
Quar  je  ne  goust  d'avaine  se  n'estes  à  autrui , 
N'onques  mon  escient  en  vostre  ostel  ne  gui , 
Qu'eusse  jor  et  nuit  de  vèce  c'un  seul  glui. 


fi  t/nr. 


—  Sui-je  en  vo  dangier,  orguillex  plains  de  boce? 
Ce  est  redoterie  oui  ainsi  vous  déhoche, 

Et  les  jambes  devant  vous  ploient  comme  croche, 
Ne  gart  l'eure  que  chiens  facent  de  vous  lor  noce. 

—  Sire,  vous  n'amez  pas,  ce  m'est  avis,  mon  vivre. 
Qui  à  chiens  par  parole  si  fetement  me  livre; 

Mes  ainz  que  mi  costé  soient  de  char  délivre,  ^ 

Serez-vous  mainte  foiz,  je  croi ,  tenuz  por  yvre. 

-       ,    -    -         -   -  -    -     .  .^f» 

—  Vairon,  ce  croi-je  bien.  Que  vous  a-il  couslé? 

—  Sire,  tant  que  e'i  ai  durement  escoté. 
Tel  loiz  avez  beu  que  je  n  en  ai  gouslc  : 


.îf 


Après  si  s'en  sentoient  durement  mi  costé. 

—  Vairon,  vous  ne  vivez  fors  por  moi  domagier, 
Quar  onques  ne  vous  poi  ne  vendre  n'engagier; 
Il  n'est  nus  qui  vous  voit  ces  jambes  souglacier, 
Qui  puis  vous  achatast,  s'en  dévoie  enragier. 


CONTRE  VAIRON  SON  RONCIN.  25 

—  Sire,  pensez  de  vous,  si  ferez  miilt  que  sage; 
Se  je  sui  afolez ,  c'est  vostre  grant  domage. 
Mors  estes  se  n'estoit  de  Nantuel  le  lingnagc, 
Que  por  autre  achater  n'avez  argent  ne  gage. 

i  oup  Jncd  II  JneT 

—  Ahî!  mauves  roncin,  de  tout  bien  decéu,  ''>0  «^ 
Ainz  que  je  vous  eusse  en  oi-Je  maint  eu. 

—  Je  croi  bien ,  vous  avez  par  tant  biau  jor  véu 
Cor  sont  li  donéor  et  mort  et  recréu. 

oqniBi  gfiy  am  luU 

—Tu  mens  voir;  ainz  ne  fui  de  si  grant  acoînlance 
Cora  je  sui  orendroit;  et  saches  sanz  doutance, 
Conques  tant  ne  vausis  en  ta  greignor  poissance 
Com  fet  ce  que  me  donc  par  an  le  roi  de  France. 

—Vous  donc  dont  li  rois?  —  Oïl,bîausdonsetbuénîî, 
L'évesque  de  Biauvais  et  de  Saint-Pol  li  quens, 
Li  sires  de  Nantueil,  qui  est  miens  et  je  suens, 
Et  li  sires  des  Barres,  dont  li  maugrez  soit  tuens. 

—  Onques  por  Dieu  n*en  aies  maugrez  ne  maie  grâce; 
Soit  de  moi  ou  de  vous,  qui  miex  porra,  si  face; 
Se  je  ne  vous  guerpis  prochainement  la  place. 

Si  la  me  lerez-vous,  quar  la  mort  vous  menace. 


18 


—  Oiez,  ce  dist  le  mestre,  quel  ramposne  ci  a! 
Que  penduz  soit-il  ore  quant  la  mort  m'envoia! 
N'a  encor  pas  granment  à  terre  me  rua  : 
Malement  le  démâinc  flectamus  jenua. 

—  Sire,  puisque  vous  dites  que  foiijlement  vous  port» 
Por  quoi  n'achatez-vous  et  meillor  et  plus  fort? 


26       DU  PLAIT  RENART  DE  DAMMARTIN 

—  Je  ne  puis.  Tu  m'as  dit  que  donéor  sont  mort  l. 
Je  sui  cil  qui  par  force  à  sa  vielle  se  dort.;  .^  j^^  ^j  ^ 

—  Bien  voi  que  mon  service  mauvèsement  emploi r(> 
Tant  m'alez  ramposnant  que  je  les  jambes  ploi. 

Jà  n'en  perdrez  jornée  por  ce  se  j'afebloi , 

Que  porter  ne  vous  puisse  chascun  jor  à  Trambloi. 

— Vairon, nem'aimésgaires,ainsicommeilmesamble> 
Qui  me  vas  ramposnant  que  la  teste  me  tramble; 
Mes  se  je  por  denier  demain  ne  te  dessamble, 
N'auras .p,9s  Ipnguemenl  et  cuir  et  char  ensamble»,;j 

—  Et  que  ferez-vous  donques, dites-le-moi  se  viaus? 

—  Yolentiers;  mes  li  dires  ne  te  sera  pas  biaus  : 
Je  te  ferai  venir  un  ouvrier  de  coutiaus, 

A  trenchier  les  ataches  à  qoi  tient  tes  mantiaus.    ., 

.aiiiiU?:  tf{  Jo  an-iiu'i  Jeo  ion  JiauJnc'/I  ob  èoiia  iJ 

—  Sire,  vous  soliiez  fère  de  moi  tel  feste.      .\^  [[  j^ 

—  Voirs  est.  Or  en  ferai  com  d'afolée  beste. 

Ton  cuir  ferai  oster  des  piez  et  de  la  teste,    ;»nO  -— 
Si  c'on  porra  veoir  à  descouvert  le  feste.v^,j,  .^  jJq^, 

—  Sire,  dont  vendra  ce  que  li  vilains  retret^^^^  ^j  jg 
Quar  li  vilains  seut  dire  de  bien  fère  cou  fret. 

Se  preniiez  bien  garde  aus  biens  que  vous  ai  fet^ 
Si  me  devriiez-vous  un  an  garder  contret.  ^         ^^^^^ 

— Honis  soit,distle  mestre,  qui  vous  tendra  en  mueî 
Puisque  derrier  devez  corner  la  recréue, 
Yostre  char  ert  aus  chiens,  moi  ne  chaut  qui  li  rue. 
J'aurai  argent  du  cuir,  la  paume  me  menjue.     ^^^,, 


CONTRE  VAIRON  SON  RONCIN.  27 

—  Or  vous  courouciez-vous,  sire;  bien  voi  l'afère, 
Mes  puisqu'il  est  ainsi  que  je  ne  vous  puis  plère, 
Tuer  pas  ne  me  fêtes,  ainz  me  vendez  por  trère 

A  aucun  charretier,  où  mon  miex  puisse  fère. 

—  Vairon,  c'est  à  bon  droit  que  de  blasrae  te  rete. 
Fols  est  qui  de  l'eslable  por  nule  rien  te  gete  : 

Tu  n'es  bons  en  charrue,  ne  por  trère  en  charrete. 
Je  ne  truis  qui  de  toi  barguingnier  s'entreraete. 

—  Sire,  mult  estes  dur,  s'en  vous  merci  ne  truis; 
Por  Dieu,  ne  m'escondites  de  vostre  estable  l'uis. 
Lessiez-raoi  d'une  part  :  si  vivrai  se  je  puis; 

Quar  trop  redoul  la  mort,  chiens  ne  coutiaus  ne  ruis. 
i  fo  ^uq  $(té>aw^Hit\ii5i^^iÈ  oa  lalevaiia  yJ 

—  Et  comment  te  leroie  lez  mon  roncin  Fauvel,; 
Qui  menjue  s'avaine  et  son  fain  tout  novel?  ^  ..  i 
Se  jeunes  lez  lui,  ne  t'en  sera  pas  bel.  -fiO 

—  Ne  me  chaut  :  trop  redout  les  chiens  et  le  coutel. 

c  TOV»  >  ?îofrrj  jio  gsmi'i*! 

—  Respit  as  de  ta  vie,  encor  vivre  te  lais.  'A  » 
A  mengier  avéras  ;  or  sueffre,  et  si  te  lais;  /"H 
Mes  c'en  par  un  covent  :  ne  me  ramposne  mais. 

—  Mult  volentiers,  braus  sire.— Lors  fu  faite  la  pais. 

rj,  ^  -  ■ 
La  pais  fu  créantée  si  com  Renart  voloit  ;  ■  -  -iin'A 
Se  Vairon  l'otria,  nus  blasmer  ne  l'en  doit  :  h  î 
Les  chiens  et  les  coutiaus  durement  redoutoit, 
Por  ce  est  bien  réson  qu'au  los  son  seignor  soit^ 

ExplicU  de  Renart  de  Dont  Martin. 


1;> 


(&i[oU  et  Soljtttte» 

■  ''  Ms.  de  la  Bibl.  harléienne  2253. 


En  may,  par  une  matyné,  s'en  ala  juer 

En  un  vert  bois  ramé  un  jeuene  chivaler,        -oJ 

Si  oyd  deus  femmes  entremedler.  î  rdiiO 

Ly  chevaler  se  areslut  privément  pur  oyer, 

Les  damoyseles  ne  le  aparsurenl  mie; 

Et  si  lur  nouns  voletz  qe  je  les  vus  die,  uO 

Gilote  e  Johane  nomer  se  feseyent,       «irntMi  •^?. 

E  de  lur  vies  entreparleyent. 

Primes  dit  Gilote  de  jolyf  cuer  : 

«  Je  ay  un  amy  que  fet  à  preyser, 

Coynte  e  sage  e  beal  bachiler,  ;  A 

E  lot  me  treove  quanqe  j'ay  mester.  )'a  gèll 


/  JluM 


—  «  Veyre,  dit  Johene,  je  su  pucele, 

Entre  la  gent  tenu  pur  bêle 

E  de  mon  cors  tenue  pur  tele,  floiic/  38 

De  ce  meint  prodhome  parle  novele.  T 

E  uncore  outre  plus  qe  je  vus  die, 

Ne  su  mie  apaye  de  tote  vostre  vie  ; 

Vus  vivez  malement  en  vileynie, 

En  manèrc  de  pecchié  et  de  lécheric, 


GILOÏE  ET  JOHANE.  ^ 

Pur  ce  je  vus  lou  qe  vus  lessez  i^'\  ^.y  ^.^J^^J 
Geste  maie  vie  e  vus  amendez,  yf  „^  ^ 

E  fetez-vus  tost  bien  marier,  ^^\iy(\  nyo/; 

Pur  doute  de  pecché  e  d'encombrer.         :..  ^q 

—  «Yeyre,  dit  Gilote,  vous  estez  desçue 
E  de  un  ben  nyent  estes-vus  mue;    ^ti  ^  mozi^Cl 
Je  estoie  puceie,  mes  ore  ne  su  mie,      ,1  ^ovc  3 
Ne  jamès  serroi  pur  perdre  la  vie;  ^^  ^j^  3 

Par  là  oià  vus  deites  je  su  en  pecché,  çi  epnlJ 
Certes  c'est  voirs,  si  su-je  née;  j^inuo  j«ol  oO 
Pus  qe  je  primes  fu  engendré  '  au(m  A 

Je  ne  me  poey  garder  de  pecché.  ,  .  iîf.;i 

Unqe  ne  fust  femme  ne  jà  serra  ^  ^ 

Pus  qe  Deus  Adam  primes  créa ,  jtl#i>fi^ 

Damoisele  ne  dame  de  sa  ne  de  là,  ^i^oifo  ^l 
Qe  à  la  foyz  ne  pecché,  coment  qe  il  ^.a,  ©lyjv  3 
Vus  qe  vus  tenez  digne  en  virginité,  i;  n^aib  A 
Plus  qe  je  ne  ay  si  avez -vus  pecché,  oJ  ob  3 
Tes  parens  e  tes  amys  sovent  corocé,  >o7  »_ 
E  de  jours  e  de  nuytz  malement  templéi^^j  -^^q 
E  si  vus  purrez  privément  à  leysyr,  .ji  ^buQ 
Sauntz  aparteynaunce,  à  pleysyr  ^j^  qq  jjm^ 
Tôt  parfere  vostre  voler  ;  momlq  i&^ 

A  peyne  si  vus  vodrez  le  jeu  lesser.  ,  ^o 

Vus  estes  al  hosteil  tôt  demoraunt,  .,  ^j 

Mesdit  e  repris  cum  un  enfaunt,  !  ^h  Jaji 

E  ne  avez  qe  vus  troeve  kerchief  ne  gant,  ^o/r 
Creaunt  serez  puceie  e  tenez-vus  à  taunl.  t^q 
Je  su  en  joie  e  en  jolyveté,  ■•^'■é'^i''^ 

Près  de  mon  cher  ami,  qe  me  fet  lée  -^jaigiiV 
De  fere  ce  qe  me  plest  à  ma  volenté,       ^joi  c^ 


Qui  qe  l'en  corouce,  uyl-il  maugrée,  o[  90  iu/! 
Là  où  vus  parlez  endreit  de  mariage,  ^tuu  oJa^O 
Noun  frai-je,  Johane,  ce  serreit  outrage  >i^'l  3 
De  vivre  en  peyne  e  en  damage,  »  ="  ' 

Qe  malement  se  marie,  ne  fet  pas  qe  sage. 
Je  serroi  pris  de  su  en  ma  mesoun,     oi^o/»  -- 
Désolé  e  batu  pur  poi  d'enchesoun,     1  no  ^U  3 
E  aver  les  enfauntz  à  trop  de  foysoun^oiola^  si 
E  jà  ne  déparlyrai  de  tel  laroun.  ^*>fnci  ofi 

Unqe  ne  savoy  femme  que  prist  mary,ûo  éi  la^l 
Qe  tost  ou  tart  ne  se  repenty .  «^  «io/  i-'/j'o  aol-iôO 
A  noun  Dieu,  Johane,  ne  est  pas  issi'  'j»[op  au<4 
Entre  moi-meismes  e  mon  aray;  .  mn  on  al 
Je  pus  quaunt  je  vueil  partyr  de  ly  i  on  fjpn'J 
Sauntz  congié  de  prestre  ou  de  autruy,  o  eo'l 
E  choyser  un  autre  tauntost  après,  i^cLouiaG 
E  vivre  en  joie  e  tous  jours  en  pès;  0I  «!'«  oQ 
A  dreyn  de  mes  pecchiésestre  confès:/  op  go/ 
E  de  touz  meffétz  aver  relès.^^  ^c  an  9[  ap  80W 
—  «Vus  avelz  molt  parlé  à  desresounyioiuq  80T 
Par  maveise  créaunce  e  abusioun,  -  /îooj,£)b  3 
Quar  tele  pucelage  e  virginité  riMq  gjjv  iè  3 
Sunt  en  ciel  e  terre  sovereyn  digneté,  i«  sJnucg 
Par  plusours  en  ensamples  puet  estre  provc  T 
Qe  ce  est  la  fyn  de  tote  bountéj  m  .  kj  A 

L^  premère  ensample  qe  tôt  conclud  e^riJao  «u/ 
Est  de  la  dame  qe  primes  consul  iiqsi  9  ûbëoU 
Nostre  douz  Salveour,  si  come  ly  plust^wc  an  a 
Pure  virgine  de  jour  e  de  nuyt,  j  n  JiM«  JnuBOiO 
Virgine  estoit  devant  e  après,  i  >  '>  oiot  n*)  ug  ol 
Virgine  e  dame  demorant  en  pès,'  noai  ab  aéil 
De  totes  virgines  porta  le  fès,!  ^m  9p  w  otoI  ^yQ 


;      #- 


ETJOHANE.  31 

Douce  virgine  nus  grauntez  relès^^^'^y  '  •<•  -  - 
E  autres  ensamples  de  meintes  virginei^^  f^'^  ^'^ 
Que  ore  sunt  en  ciel  pures  meschines,"  x^ii'jid 
E  pur  ce  vus  di-je  par  ceste  resoun  '  '>'> 

Pucele  su  e  de  ce  ay  le  noun , 
Corne  les  \irgines  de  salvacioun , 
Et  je  de  virginale  su  condicioun ,  ^  JasuO 

E  vus  estes  de  un  degré  descendi  plus  bas  j  ^î- 
E  si  estes  del  tôt  passé  le  pas.  •■  '  '^  3 

Jà  en  ta  vie  ne  le  recoveras  «'^id  i8 

Le  pucelage  qe  tu  perdu  as.  *^  fi^  ^<I 

v'iî?ii4X>t>q  sO 

—  «Vos  paroles,  dit  Gilote,  sunt  à  enteridrê," 
Mes  e  moltz  des  pointz  vus  vueil-je  reprendre; 
De  nostre  douce  Dame  vus  estes  molt  meyndre, 
Entre  vus  e  ly  ne  poez  ensample  feyndre.  \  t'»-^ 
Vus  estes  molt  foie,  e  bien  le  savom ,  'Jii  (î>I*1 
De  fere  nulle  ensample  ou  comparisourf>  awq  ^ 
Entre  vus  e  la  Dame  de  salvacioun ,  «oiJuA 
De  qui  nostre  joie  nus  tous  avom,  ^q  easiCI  aO 
Ou  de  fere  ensample  de  seinte  virgines  ^^C^ 
Qe  sunt  en  ciel  divine  meschynes;  "'^ 

Vus  estes  terrene  e  si  ne  savez 
Cornent  à  drein  vus-meismes  chevercz.J9q  iwU 
Vostre  virginité  ne  vus  valt  rien',  ■i>  "9  ^^^  'Y 
Si  de  mal  penser  le  cuer  ne  gardez  bieW;'»'^  i<^ 
E  Dieu  dist  meismes  par  comandemept'  ♦  .0  — 
Multiplier  e  crestre  la  genf'JoJGOio  noo«  ai'j/ 
E  rendre  les  aimes  à  ly  omnipotent  i^^tx^i  «'''>  3 
Celi  qe  me  dédit,  sei-meismes  démeiht,  ^  1' 
Et  tant  corne  en  terre  soûle  viverez  ^  JwT 

Une  aime  à  Dieu  rendre  ne  poez.     /oiJ>fl  «» / 


4%  GILOTE 

—  J.  «Vus  me  ditez  tro  bien  en  vérilez ,  >f)ffoO 
Si  en  esposailles  fuissent  engendrez  :  noe  3 
Dreite  engendrure  est  naturele  chose,  :>  ^uQ 
Ce  est  la  somme  de  ce  e  la  parclose.         {oq  3 

—  «  Bien  de  exepté  par  nulle  escripture  »jooijq 
Nulle  cristene  gent  par  engendrure.  g^f  9moO 
Quant  mon  ami  de  rien  ne  meffet,  iy  ^b  <^\  13 
Je  prendroi  un  autre  saunlz  fere  plet|}ao  î>ijv  3 
E  tendroi  à  ly  à  ma  volenté;  7')u^  ï?.  d 
Si  bien  ne  se  porte,  tost  serra  chaungé.  q^  él 
De  la  Magdaleyne  vus  avez  oy  retrere  «q  aj 
Qe  peccheresse  fust  quant  fust  en  terre, 

Ore  est  en  ciel  gloriouse  mère 

Par  sa  repenlance  e  sa  prière;    h  xifnrn  aaéM 

Si  avez  oï  dire  qe  ele  fust  lors 

La  plus  orde  femme  qe  unque  fust  de  cors,  j 

Pleyne  de  pecchié  dedenz  e  dehors,  .;f> 

E  pus  de  ces  pecchez  Dieu  fist  devers.     ^^  t^(\ 

Autres  ensamples  dient  plusour         >ijy  m\n^{ 

Qe  Dieus  plus  ayme  un  peccheour    an  iirp  »! 

Qe  se  converte  à  chief  de  tour,        ,  ^^1 6>b  «O 

Qe  nulle  virgine  par  escriptour.  »">  «>*>  îf!ffs*>0 

Johane  respount  santz  nulle  destaunce, 

Qui  pecchie  de  grée  en  opéraunce,  O 

Yl  vel  en  doute  e  en  balaunce,  >/ 

Si  Dieu  ne  ly  face  de  ce  aleggaunce.  \?. 

—  G.  «  Chescun  cristien  qe  se  conust  de  gré,  .^î 
Vers  soun  créateur  aver  pecchié,  M 
E  cri  merci  de  bone  volenté,  3 
Yl  serra  bien  oy  e  serra  salve.  ^  ;  )D 
Turnez  le  Byble  de  sus  e  de  jus,  )o  jncl  13 
Yus  ne  troverez  frère  qe  vus  dirra  plus  ;!6  ^nU 


ET  JOHANE.  33 

A fey lez-vus,  file,  afeitez-vus,  foie, 
Vus  estes  mynz  sage,  venez  à  l'escolej 
Fêtez  corne  je  face,  Dieu  vus  avaunce; 
Aydez  al  siècle  pur  fere  créaunce. 

— J.  «  Vus  me  avetz  conclud,  mes  ore  vueil  aprendre 
Cornent  je  me  purroi  donque  défendre. 
Si  de  mes  parentz  soie  reprové. 

—  «De  ce  je  vusdirroi  la  fyne  vérité  : 
Vus  avérez  un  bachiler  jeouene  e  vaillant, 
E  à  matin  e  à  seir  vus  serra  joyant, 
E  quant  le  gu  d'amour  arez  asayée 
Sys  foiht  ou  seet  à  vostre  volenlée, 
Vus  à  vostre  mère  vendrez  arère, 
E  la  mère  pur  vus  priera  le  pèrcj 
Quar  naturele  chose  est  à  la  mère 
Eyder  sa  fille  en  tote  manère. 
E  si  vostre  père  après  vus  reprent 
E  vus  lédenge  à  soun  talent. 
Que  vus  avez  fet  noun  pas  sagement, 
Lessez-le  passer,  ce  n'est  rien  qe  vent, 
E  si  devez  dire  :  «  Sire,  si  vus  plet, 
Meinle  pucele  ad  issi  fet; 
Ne  su  pas  la  dreine  ne  la  premère, 
E  pur  quoi  serroi-je  lessé  derère! 
Si  vus  m'eussez  bel  part  avant  mariée, 
Ne  fuissé-je  ore  de  cest  arettée. 
Fête  vos  files  tost  marier, 
Quar  nulle  pucele  se  puet  garder; 
La  pensée  lur  dampne  e  le  voler. 
Tant  ad  de  joie  en  le  mestier.  » 
II. 


34      '  GILOTE 

Donqe  ceste  Johane  un  amy  piist, 
Plus  bel  bachiler  unqe  ne  vist; 
E  come  Gilote  la  out  eynz  dit, 
En  totes  choses  issi  le  fit. 
Johane  se  cocha  ou  cel  bachiler 
Come  pucele  prest  à  soun  voler, 
E  il  se  entremisl  de  vson  mester; 
Là  gist  un  hoho  e  un  teyser. 

Donqe  dit  Gilote,  à  chief  de  tour, 

«  Cornent  vus  resemble  de  le  gu  d'amour? 

—  «  Certes,  Gilote,  c'est  dreit  gu  ; 
Unqe  en  terre  meilour  ne  fu 

A  reigne  ne  dame  ne  autre  vivant; 
Par  mon  ami  ai-je  trové  taunt , 
Tant  juay  ou  ly  ou  seine  plat, 
Qe  par  un  simple  eschek  si  ly  di  mat.  » 

Donqe  dit  Gilote,  e  parla  à  Jone  : 
«Coment  vus  resemble,  est  la  vie  bone? 

—  e.  La  beneson  Dieu  e  sa  douce  mère 
Puissez-vus  aver,  come  bone  counsilère! 
Car  je  su  en  joye,  en  jolyf  chère, 

E  su  molt  amendé  en  meinte  manère  ; 

Si  fu  bien  foie  et  mal  avysée, 

Qe  j'ay  pucele  tant  demorée 

E  perdu  mon  temps  en  viduelé. 

Mes  si  ne  fray-je  mes,  en  ma  léauté!  » 

Tant  ad  Johane  aie  par  Wynceslre 


ET  JOHANE.  35 

E  Gilole  sa  compaigne,  qe  fust  chef  mestre 

De  dire  ceste  aventure  c  de  prêcher, 

Qe  à  peyne  une  puet-um  trover 

Que  ne  s'entremettra  de  tiel  mestier  ; 

Si  ele  soit  requise  de  jeouene  bachiler, 

A  peyne  si  ele  savera  son  amour  déneyer. 

Si  com  il  alèrent  un  matyn  déduant , 

Une  jeuene  espose  lur  vient  aconlrant, 

E  quant  vist  Gilole,  si  la  salua , 

E  counsail  e  aye  ly  demaunda , 

Et  dit  qe  un  chivaler  ly  aveit  counté 

Qe  Gilote  fust  femme  bien  enloquyné, 

«  E  dit  qe  il  out  oy  la  despuleysoun 

Qe  vus  venquistes  l'autr'er  à  grant  resoun , 

E  que  vus  avez  Jehane  ensi  consiliée 

Qe  c'est  grant  joie  e  grant  dentée.  » 

Gilole  assez  bien  la  entendist, 

E  taunlost  après  la  demaundist 

Quei  fust  la  chose  qe  ele  coveytoit, 

Sur  totes  choses,  qe  rien  ne  celeroit. 

«Moût  y  ad  à  dyre,  c'est  vérité, 

Mes  à  vus,  Gilole,  ne  serra  rien  celéj 

E  molt  est  à  dire  e  à  mostrer, 

Mes  bosoigne  fet  la  voie  deforcer  : 

Je  su  jeouene  espouse,  si  ay  un  baroun  , 

Mes  trop  est-il  fieble  en  sa  mesoun  ; 

Ce  est  la  vérité,  il  ad  un  vit 

Trop  est-il  plyant  e  trop  petit, 

E  je  su  molt  près,  si  me  tient  clos, 

E  son  vit  est  touz  jours  derère  mon  dors, 

E  pur  fin  anguisse  me  toud  mon  repos, 

E  me  fet  palyr  e  frémyr  le  cors  5 


36  GILOÏE 

Me  covient  moryr  pur  anguisse  fyn , 
Si  je  n'eie  l'amour  de  jolif  Hokekyn. 

—  «Veyre,  dilGilole,  vus  estes  Irahy, 
E  de  ce  ne  serrez  rien  abay, 

Je  mettroi  consail,  vus  avérez  aye, 

Vus  avérez  médicine,  si  serrez  garye. 

Trop  est  femme  desçu  malement 

E  forement  trahy  qe  tiel  homme  prent, 

Yl  ne  puet  foutre  ne  fere  talent. 

Alas!  alas!  for  Godes  deth,  such  coomoun,  ysy-sheent! 

Demayn  quant  vostre  mary  vet  de  mesoun,    • 

Je  vus  froy  venyr  un  geouene  clersoun 

Qe  de  geu  vus  trovera  granl  foissoun , 

De  meyne  e  de  tresble  e  de  bordoun.  » 

—  «Si  ussé-je  fet  graunt  temps  passé, 
Mes  je  me  dotay  molt  de  pecché, 

E  pur  ce  le  ai-je  uncore  lessé 
Tant  qe  je  seie  mieux  avysé; 
Car  preslres  nus  dient  en  lur  sermoun, 
E  si  fount  les  frères  en  prédicatioun  , 
Qe  ce  est  la  mort  et  confusioun 
Femme  de  prendre  autre  qe  son  baron  j 
E  ce  ne  serroit  pur  moy  de  aver  amour 
E  perdre  ma  aime  santz  nul  retour. 

— G.«]N'est-il  pas  baroun  tenuz  en  terre 
Qe  ne  puet  ou  sa  femme  engendrure  fere, 
Ne  il  ne  puet  foutre,  ne  il  ne  puet  trere, 
A  force  covent  médicine  quere. 
Prestres  ne  frères,  pur  lur  sermoun, 


ET  JOHAISE.  37 

Ne  devez  raie  doter  pur  ceste  résoun. 
Pus  qe  le  frère  qe  lisl  de  son  art , 
Prêche  al  pueple  e  foute  de  sa  part , 
Nus,  jeouene  femmes,  n'averom  regart 
Qe  unqe  ne  veymes  lettre  ne  art.  » 

— Ux.  «  Mes  uncore  vus  vueil  prier  de  plus, 

Qe  n'est  avant  dit  ne  mostré  desus, 

Le  roi  ad  fet  fere  fortz  estaïus 

Qe  font  granlz  mais  en  plusours  lyuus; 

Si  femme  espousé  ad  guerpi 

Par  soun  eyn  de  gré  son  propre  mari 

E  un  autre  homme  ad  choysy, 

En  manére  de  avoutre  ou  de  amy, 

E  se  fet  demorer  ou  son  avoter 

Un  demi-an  ou  un  an  enter, 

E  son  baron  seit  mis  en  cymeter, 

Mort  e  enterré  santzrevenyr... 

—  «Certes,  dit  Gilote,  je  vus  dy  véir; 

La  femme  en  cel  cas  perl  son  doweyr, 

Mes  là  où  le  baroun  ou  bone  volentéc 

Ad  sa  compaigne  à  ly  recounsilée, 

Rien  n'i  est  perdu,  mes  tôt  est  gaygné, 

E  accion  par  bref  si  serra  graunté, 

E  quei  si  le  baron  reprendre  ne  la  voleil, 

Play  de  seinte  église  quei  ly  valdreit? 

Par  pley  de  seinte  église,  la  femme  esposé 

Serra  reprise  son  baroun  malgré; 

Mes  vus  frez  autre  coyntise, 

Par  quei  qe  vus  serrez  arère  reprise  : 

devant  vostre  baroun  vendrez  humblement,^ 


38  GILOTK 

Vus  li  crierez  merci  molt  dulcement, 

E  prierez  qe  il  eit  pur  l'amour  de  Dée 

Merci  de  vus  e  pietée  : 

«  Je  vus  ay  meffel  en  ma  vyleynye, 

Si  ne  frai-je  jamès  tant  corne  je  ay  la  vie. 

Beau  sire  baroun ,  pernez  bone  cure 

Quey  me  promistes  par  premesse  dure; 

Regardez  à  Dieu  e  à  dreyture, 

Vus  ne  me  poez  refuser  pur  nulle  aventure. 

Quant  nus  venimes  le  preslre  devant, 

Cornent  vus  me  deytes,  avisez-vus  à  tant  : 

Veiez  si  la  femme,  veiez  si  l'enfant; 

Douz  sire  baroun ,  tenez  covonant.  » 

Prestres  e  frères  e  autre  bone  gent 

Vendront  e  dirront  communément  : 

«  Recevez  ta  femme  par  digne  talent, 

Pur  salver  vostre  aime  hors  de  torment.  » 

Quant  ceste  chose  serra  mostré. 

Vus  vendrez  devant  ly  bien  atyré, 

Le  cuer  li  changera,  si  avéra  pieté, 

E  vus  serrez  dame  bien  recounsilé, 

E  serrez  mestresse  si  come  devant , 

E  serrez  riche  dame  e  plus  puissant.  » 

E  si  come  Gilole  cestes  choses  dist, 
Ceste  jeouene  espouse  issi  le  fist, 
E  de  lotes  choses  qe  Gilote  la  aprist^ 
Unqe  en  nul  point  rien  ne  faylist. 
Cestes  bones  femmes  s'en  alèrent  juer; 
Gilote  e  Johane  ensemble  à  mostrer, 
Ceste  matère  la  comencèrent , 
Le  lixt  e  la  glose  desputèrenl , 


ET  JOHANE.  3Î^ 

.  Apertement  distrent  lur  argument  ; 
Les  femmes  respondyrent  comunément  : 
«Vus  avez  bien  dit  et  clergialraent, 
Unqe  ne  oymes  tiel  prèchement.  » 
E  totes  bone  femmes  ai  liostel  alérent, 
Quar  hastive  bosoignes  lur  cliacèrent  ; 
E  solum  cet  aprise  tous  feseient: 
Si  fount-il  uneore,  où  qu'il  seient. 

Tant  sunt  celés  damoiseles  aie  avant 
Que  il  n'y  a  femme  ore  vivant, 
En  quel  lu  que  ele  soit  demorant, 
Que  bien  ne  siet  juer  à  talevas  devant. 
En  Engleterre  e  Yrlaund  yl  prêchèrent, 
Meynle  bone  terre  si  envyronèrent, 
A  la  vile  de  Pount-Freint  demorèrent, 
E  à  lur  aprise  plusours  tornèrent. 
C'est  une  bourde  de  reheyter  la  gent, 
A  Wynceslre  fet  verroiement, 
Le  mois  de  septembre  le  jour  quinsymo, 
Le  an  roy  Edward  vyntennesyme, 
Le  fitz  roi  Henry  qe  ama  seinte  Eglise', 
E  quant  vus  avez  lu  tôle  ceste  aprise, 
Priez  à  Dieu  de  ciel ,  roy  glorious, 
Qe  il  eit  merci,  pieté  de  nous. 

>  Ces  trois  vers  prouvent  que  celle  pièce,  dont  les  vers  sont  d'une  mesuro 
singulière,  fut  écrite  vers  la  lin  du  13«  siècle  ou  au  commencement  du  14e. 
En  effet,  le  roi  Edouard  dont  il  est  ici  question  est  Edouard  IV,  fils  de 
Henri  III,  qui,  ayant  appris  en  Terre-Sainte  la  mort  de  son  père,  revint 
prendre  possession  de  ses  Étals,  fut  sacré  en  1275  et  mourut  en  1307.  Si 
par  l'an  vyn(ennesime  le  trouvère  entend  la  vingtième  année  du  rè^ne 
d'Edouard,  cela  placerait  la  date  de  notre  composition  à  l'année  1295; 
s'il  entend  au  contraire  l'année  vingt-neuvième,  celA  nous  rejetterait  à  l'an- 
née 130i. 


Bf  rgt)fr  ci  h  M&ié  \ 

Ms.  de  la  Bibliothèque  harléienne  2253. 


Un  grant  estrif  oy  l'aulr'er 

Entre  Esté  e  sire  Yver, 

Ly  quieux  avérait  la  seignuriej 

Yver  ad  dit  onckes  oye  : 

«  Je  su,  fet-il,  seignur  e  mestre 

E  à  bon  dreit  le  dey  estre, 

Quant  de  la  bowe  face  caucé 

Par  un  petit  de  geelé, 

E  quant  je  vueil  yl  vente  e  pluel, 

E  negge  après,  qe  l'em  ne  puet 

Par  mei  guères  bosoigne  fere; 

Ne  jà  n'entera  charue  en  terre. 

Pur  roi  ne  duc,  si  je  ne  l'  voil. 

Tiel  vodreit  aver  remoil 

«  Cette  pièce  ou  disputoison,  dans  le  genre  de  celles  de  Chariot  et  du 
Barbier  (voyez  mon  premier  volume  des  G^uvres  de  Rutebeuf,  p.  212), 
du  Plaît  Renart  de  Dnmmartin  cl  de  Gilotc  et  Jehane,  est  écrite  en  deux 
rhythmes  différents ,  dont  l'un  est  employé  par  Yver  et  l'autre  par  Esté.  Le 
second  de  ces  rhythmes,  qui  semble  oublié  par  les  poètes  modernes,  était 
souvent  employé  par  ceux  du  moyen  âge.  (Voyez,  dans  mes  Jongleurs  et 
Trouvères,  la  satire  intitulée  le  Dit  dcsCornetes;  dans  Rutebeuf,  le  Dit 
de  VHerberie;  dans  ce  volume,  h  Dit  de  Vérité,  etc.  ) 


DE  L'YVER  ET  DE  L'ESTÉ.  41 

A  cui  je  doins  grysil  e  glace, 

Et  quant  me  plest  si  lur  faz  grâce 

De  coliner  un  jour  ou  deus, 

E  pus  après  reposer  trois  ; 

E  n'est-ce  donqe  grant  seignorie 

D'aver  touz  tant  en  ma  ba^flye, 

Que  nul  ne  passera  le  soyl 

Santz  anuy,  si  je  ne  l'  voil? 

Et  qui  purreit  donque  desdyre 

Que  Yver  ne  fust  mestre  e  syre?  » 

Esté  respound:  «Je  ne  l'grant  mye, 
Ne  jà  ne  le  froy  en  ma  vie  5 

De  moie  part, 
La  chose  serra  plus  oye, 
Et  quant  ele  ert  mieux  asye, 

Seit  sur  esgart. 
Ce  n'est  pas  honour  ne  corteisie 
Ne  guères  le  tienk  à  mestrie 

De  vassal, 
Pur  une  petite  bailie, 
De  prendre  à  nulle  rien  atye 

De  fere  mal; 
Mes  pus  qe  dire  le  vus  dey, 
Avauntez  estes  de  grant  effrey 

Apertement. 
Uncore  frez-vus  plus  mal ,  ce  crey, 
Qe  dit  n'avez,  ne  fust  pur  mey, 

Qe  vus  déf'ent. 
Tant  estes  de  grant  démesure 
Qe  de  belle  n'avez  cure, 

A  voslre  vueiJ: 


42  DE  L'YVER 

Mes  tant  come  vostre  sesone  dure, 
Vus  avez  de  ma  nature 

Le  chaut  soleyl. 
Ore  avez  mostré  ta  mestrie, 
Qe  ne  vall  pas  un  alye, 

Qui  bien  l'entent. 
Vus  n'avez  cure  d'autre  vie, 
Fors  fere  mal  e  freyterye 

A  tote  gent; 
Mes  si  je  pus  rien  oyr 
Qe  de  vus  pust  chose  venir 

Si  mal  noun , 
Je  vus  dirroi  saunlz  mentir 
De  ma  mesure  mon  pleysir 

E  la  résoun.  » 

Yver  respounl  santz  nul  respit  : 
«  Merveille,  fet-il,  avez  dit, 
Que  de  moi  ne  vient  nul  bien; 
Donque  n'est-ce  pas  treslot  myen 
Et  pur  ma  très  grant  largesse, 
Tous  les  conquer,  nient  par  peresse; 
Nuls  um  est  qe  ou  vus  tienge. 
Jà  Dieu  ne  place  que  me  avyenge 
Que  ne  face  plus  honour 
E  plus  despenz  en  un  souI  jour 
Que  vus  en  lole  vostre  vie; 
Si  je  ne  vus  faz  aye, 
Cheytif ,  jà  morrez-vus  de  fcym. 
E  dont  vus  vient  de  mettre  cleym 
Encountre  moi,  qe  lot  pus  fere? 
Vus  n'estez  mie  déboncyrc, 


ET  DE  L'ESTÉ.  43 

Vus  estes  fel  e  froit  e  feynt; 

A  mensungier  serrez  aleynl 

De  cesle  vostre  foie  emprise. 

Bien  est  droit  qe  l'em  vus  prise 

Pur  vostre  grant  noreture: 

Muselles  e  mal  aventure, 

Lésards  e  colures  grauntz, 

Crapots  e  serpenz  puauntz, 

Sunt  reignes  de  ta  meynée; 

Mes  quant  je  vienke  par  lur  countrée, 

IN'ad  si  hardy  qe  m'atent, 

Que  je  mort  ou  mat  ne  rend; 

E  pur  ce  vus  lou  je  bien 

Qu'enconlre  moy  ne  diez  rien.  » 

Esté  respound  e  dit  après  : 
«Yver,  vus  estes  molt  parvers 

A  tote  gent. 
e  mesdire  es  molt  en  grées; 
Maie  bouche  ne  puet  mèes 

Si  ele  mesprent. 
Je  su  ,  fet-il ,  des  Fraunceis, 
De  nul  guerrer  ne  nul  maveis 

N'ay  talent, 
For  soûl  Yver  qu'est  engrées, 
Féloun,  pulent  e  maveis 

Apertement; 
Mes  pur  ce  qe  bien  vivre  ne  volez, 
A  nul  jour  mes  me  amerez 

Parfitement. 
Je  vus  noris  les  vins  fraunceis, 
Qe  vus  vont  fere  les  gabeis 


44  DE  L'YVER 

Moltsovent, 
Feynz,  formenlz,  févez,  peys, 
Touz  sunt  norys  en  me  treis  meys, 

Ce  sevent  lote  gent; 
Mes  quant  vus  avez  la  plentc 
Que  je  ay  à  tous  abaundoné 

Communément, 
Quant  vus  !e  avez  gasté, 
Que  jà  ne  avérez  honour  ne  grée 

De  nulle  gent; 
Quar  en  vus  n'est  point  de  mesure 
Tant  come  vyn  ou  cervoise  dure, 

En  vérité. 
Par  vos  tempestes,  grésils,  plues,  venlz, 
Vous  anuyez  totes  gentz, 

Sauntz  fauceté. 
Tous  bestes  vodrez  anuyer 
E  totes  choses  vodrez  gastier. 

Si  vus  puissez; 
E  trestous  pur  mey  grever, 
Eynz  puissez-vous  crever 

Qe  vus  le  facez  ! 
Et  dites  que  vus  me  peesez , 
Peyse-vus  que  rien  lessez 

Al  moun  venyr  ; 
Mes  quant  je  vienk,  je  porte  assez 
Chars  noveles  e  deintez, 

Pur  mei  servyr  : 
Le  buef  freyshe  e  veneyson, 
Dount  jà  ne  enundrés  ton  gernoun , 

Si  n'est  salée. 
Je  ne  su  pas  frère  à  gloloun , 


ET  DE  L'ESTE.  45 

Pur  eslrangler  le  viel  motoun 

En  fumée. 
Pur  ce  vus  lou ,  en  vérité, 
Qe  n'estes  pas  molt  bien  amé 

De  tôle  gent; 
De  seignurie  qe  vus  avez  clamé, 
Bien  vus  lou  facez  mon  grée 

Sauntz  jugement.  » 

Yver  respound:  «  Ore  eit  deshée 

Que  cure  ad  de  vostre  grée  ; 

Aynz  lerroy  seignurie 

Que  j'ay  clamé,  par  vostre  vie, 

Quar  vus  n'i  avetz  point  de  dreit, 

Que  cel  vus  dit,  vus  deceit; 

Qui  vus  tendroit  à  seignour? 

Certes  nul  que  seit  de  valour 

Fors  danz  Poydras,  Maymont,  Swyn; 

Cyl  vivent  bien  de  poy  de  peyn , 

E  autres  tiels  avetz  assez  ; 

Mes  ceus  sunl  vos  plus  privez , 

Les  autres  sunt  molt  bien  scytées, 

De  Loundres  e  d'autres  cytés, 

As  hospilals  e  as  abbéyes; 

En  vostre  temps  sount  lur  veyes, 

E  dorment  longe  matynée; 

Le  solail  chaut  molt  lur  agrée; 

Mes  par  un  petit  de  freydour, 

Ge  les  chace  le  feu  entour. 

Un  tiel  serjaunt  à  son  seignour 

En  bosoigne  freit  grant  socour, 

De  fere  bone  saulée 


<46  DE  L'YVER 

Où  il  trovassent  sa  guyréc. 

Ycele  n'est  pas  ma  meynée, 

Tôt  autrement  l'ay  afeyté; 

Ne  sevent  vivre  de  francboyses 

Dont  les  vos  font  grant  noyses; 

Les  miens  sunt  péus  corne  li  baroun 

De  volatyl  e  bon  braoun. 

Quant  les  vos  muèrent  de  freit, 

N'est  nul  de  myenz  qe  poynt  en  eit; 

De  le  freit  se  puet  molt  bien  défendre, 

Mes  nul  de  vos  ne  puet  attendre 

Ne  robes  ne  sourneyl  doner, 

Quant  il  ne  poent  laborer. 

Ne  je  ne  vueil  nul  tiel  noryr 

Que  nul  bien  puet  déservyr. 

Tous  avez-vus  aquillis 

Les  malveis  e  les  faylis, 

E  se  fount  coyntes  d'amours, 

E  sunt  larouns  e  murdrysours; 

Pur  ce  vus  lou-je  en  bone  fey 

Que  vus  acordez  ovesque  mey; 

Quar  si  jugement  volez  atendre, 

Par  dreit  agard  um  vus  deit  pendre.  » 

Quant  Esté  le  oy  taunt  dyre, 
Yl  respount  e  dit  sauntz  ire 

Son  talent  : 
«  Si  vostre  mal  vus  empyre, 
Soffrez  un  petit,  bel  syre, 

Que  vusament; 
De  mesdyre  es  trop  délyvre 
E  de  mal  fere  estes  plus  guyvre 


ET  DE  L'ESTÉ.  m 


Que  serpent. 
Vus  estes  de  her  seir  yvre, 
E  quanque  dit  vostre  lyvre, 

Si  vus  ment. 
Je  norisse  molt  bone  gent , 
Chivalers,  clerks  ensement, 

A  grant  plenté, 
Que  me  servent  bonement. 
Quantque  lur  vient  à  talent 

Liir  ay  doné. 
De  ce  que  vus  m'avez  repris, 
De  la  vermine  qe  je  noris 

E  d'autre  rien , 
Si  faz-je  vus  donqe  je  faz  pis; 
Mes  ne  sunt  pas  trestous  amis 

A  qui  l'em  fet  bien. 
Quanqe  je  faz  de  noreture, 
Tôt  est  pur  Dieu  créature, 

Petit  e  grant; 
Mes  vus  mêlez  tote  vostre  cure 
De  tuer  à  démesure 

Quanque  est  vivant. 
Si  vus  estes  de  hait  parage, 
Bien  savom  de  quel  lignage 

Estes  issaunt. , 
Dreitz  est  que  facez  utrage, 
Bien  savoms  que  fûtes  page, 

Parfound  à  val , 
Lucifer  e  son  neveu; 
De  li  estes  meyntenu 

De  fere  mal  : 
Vus  estes  son  parent  e  son  dru 


48  DE  L'Y  VER 

E  de  mal  fere  tenez  son  lu 

Espécial. 
Je  ne  su  pas  de  ly  apris; 
Quar  lot  le  mal  nus  ad  conquis 

Daunz  Lucifer; 
Je  su  de  parais  transmys 
Pur  vus  remuer  del  pays 

E  gent  amender. 
Je  faz  russinole  chaunter, 
Arbres  floryr,  fruit  porter, 

Sauntz  countredit; 
Je  faz  floryr  le  verger, 
Fueil  e  flur  novel  porter, 

A  grant  délit. 
Les  blées,  qe  par  vus  sunt  pérys. 
Les  met  avant  e  les  norys 

A  moun  poer; 
Les  bestes  qu'avez  près  ocys, 
Je  les  ay  en  vertu  mys 

A  moun  voler. 
Je  ne  vus  vueil  mie  déceveyr, 
Ceus  qe  sachent  mon  poeir 

La  vostre  gent. 
Ore  entendez ,  si  je  dy  veyr  : 
Vivre  ne  porrez  matyn  ne  seyr 

Seurement; 
Si  ne  nasquit  greyn  de  forment 
Et  autre  fruitz  communément, 

Que  frez-vous? 
Vyn  ne  claré  ne  piement 
Jà  ne  bevera  vostre  gent 

Si  noun  par  nous. 


ET  DE  L'ESTÉ.  49 

Mes  taunt  je  vueil  dyre 
Que  saunlz  Yvei'  poez  vyvre 

A  graunl  honoiirj 
Mes  ne  puet  nul  contredire  : 
Yver  ne  puet  aver  que  fruyre 

Si  d'Esté  n'eil  socour. 
Seigneurs  e  dames,  ore  empariez, 
Que,  nos  paroles  oy  avez 

Apertement: 
Evus,  puceles,  que  tant  amez, 
Je  vus  requer  que  vus  rendez 

Le  jugement  '. 

■  On  peut  faire  un  rapprochement  qui  n'est  pas  sans  intérêt  entre  cette 
pièce  et  celle  intitulée  le  Débat  de  VIver  et  de  l'Esté,  insérée  dans  le  re- 
cueil de  Poésies  gothiques  françaises,  in-S",  1830.  Paris,  Silveslre,  rue 
des  Bons-Enfants ,  30. 


£t  Bit  bf  (Èentillfce. 

Mss.  7218  et  248,  supplément  français,  Bibliothèque  royale. 


Se  chascuns  qui  volentiers  m'ot 
Quant  je  li  di  aucun  biau  mot 
M'entendoit  bien,  je  le  vaudroie, 
Quar  avis  m'est  miex  en  vaudroie; 
Mes  ainsi  n'est  pas  la  besoingne, 
Peu  d'avis,  qui  por  aus  besoingne, 
Leur  fel  oïr  et  nient  entendre 
Réson ,  où  chascuns  bons  doit  tendre; 
Et  qui  réson  het  et  desprise, 
Il  n'aime  Dieu  ne  sainte  Yglise, 
Ne  lui-mesme,  c'on  doit  avoir 
Assez  plus  chier  que  nul  avoir; 
Quar  cil  qui  ne  se  veut  amer, 
Il  het  amor  et  s'aime  amer, 
Ne  d'oneur  n'ot  onques  enienle. 
Cil  qui  tels  est  aprent  entente, 
Se  tu  m'os,3à  t'aurai  apris 
Un  sens  dont  toi  tendra  à  pris. 
Que  tu  sez  pou  se  ne  l'aprens 
D'autrui;  se  tu  garde  là  prens, 
Tu  pues  mult  bon  conseil  là  prendre, 


LE  DIT  DE  GENTILLECE.  ëi 

Et  s'anieras  trop  plus  l'aprendre; 
Si  sauras  c'oneur  senefie 
Mile  tans  miex  c'ore  une  fie  : 
Honeurs,  c'est  bêle  chose  au  monde, 
Mes  l'uevre  n'est  pas  toute  monde 
Dont  il  i  a  maint  honoré; 
Quar  je  di ,  par  saint  Honoré, 
Que  tels  le  cuide  avoir  arée 
Qui  n'en  a  mie  une  denrée, 
Non  par  Dieu,  s'il  vivoit  cent  anz, 
Et  si  méist  encor  cent  tans 
Qu'il  n'i  ait  mis,  quar  il  li  faut 
Et  bone  grâce  li  défaut. 
Nonporquant  ne  soit  esperduz  : 
Biens  fez  ne  puet  cstre  perduz , 
Mes  cist  siècles  est  si  divers 
€'on  ne  voil  d'cslez  ne  d'y  vers 
Se  mult  poi  non  genz  bien  loiaus. 
C'est  par  fausseté  qui  loie  aus 
Qui  vers  li  les  fet  aloier; 
S'en  recevront  mauves  loier. 
Peu  prennent  garde  aus  bones  genz 
Lor  ancisseurs,  dont  si  très  genz 
Est  li  recors  por  mètre  à  voie 
Les  oirs  des  bons  qui  Diex  avoie, 
Mes  mult  vaut  peu  ce  c'on  leur  conte  j 
Quar  mes  ne  truis  nului  qui  conte 
Ne  qui  plus  vueillent  riens  conter 
A  chose  c'on  li  puist  conter, 
Et  por  ce  je  vif  en  tendant 
Que  mes  ne  truis  nul  entendant 
Qui  ausi  volenliers  ne  truffe 


52  LE  DIT 

D'un  bien  bon  dit  corn  d'une  truffe. 

Si  me  covendra  por  mon  vivre, 

Se  je  vueil  entre  tel  gent  vivre, 

Que  les  miens  dis  arrière  laisse; 

Mes  encor  dirai  une  laisse 

De  cestui  conte  por  estruire 

Cil  qui  se  meslent  d'aulrui  nuire 

Par  covoitise  et  par  envie, 

Qui  pas  n'est  morte,  ainz  est  en  vie, 

Et  de  mesdit  font  enviaus, 

Par  envie  qui  envie  aus; 

Mes  de  tant  sui-je  bien  perclus 

Qui  ainsi  muert,  l'âme  en  pert  cius 

D'autres  doleurs  et  de  si  fêtes. 

Entre  vous  qui  peu  de  bien  fêtes, 

Se  volez  cesl  example  oïr 

Et  entendre  sanz  sort  oïr, 

Jà  porrez  oïr  sanz  mesdis, 

A  mespresures  ne  mes  dis, 

Dont  primes  si  porrez  savoir 

S'il  a  enz  folie  ou  savoir; 

Et  s'uns  mauves  d'un  bien  me  blasme, 

Li  bons  me  loe  de  tel  blasme  ; 

Et  se  j'ai  los  des  bones  genz , 

Li  blasmes  des  mauves  m'est  genz. 

Des  bons  et  des  mauves  ensamble 

N'ert  jà  nus  loez,  ce  me  samble; 

Mes  por  les  bons  sont  fet  mi  conte  •; 

Por  ce  les  faz-je  que  je's  conte 

Aus  chevaliers  et  aus  preudommes, 

I  La  version  du  Ms.  'Vi8  Supp.  fr.  commence  par  ce  vers. 


DEGEÎNTILLEGE.  53 

Ausqueis  biens  nous  nous  atendomuies, 

Quar  nous  vivons  de  lor  biens  fais; 

Por  ce  qu'il  soustienent  le  fais 

De  ce  qu'il  a  d'oneur  au  monde, 

Est  bien  résons  que  vous  '  desponde 

Chascun  selonc  sa  genlillece, 

Qu'il  ait  \igor  et  arlillece  ' 

De  vivre  au  siècle  honeslemenl, 

Dont  je  faz  amonestement, 

Selonc  ce  que  réson  descuevre, 

De  gentil  cuer  la  gentil  oevre  ^ 

Se  de  nature  ne  forlingne  ; 

Selonc  réson  qui  lient  sa  lingne 

Por  lor  vies  à  droit  lingnier, 

Se  li  hom  ne  veut  forlingnior. 

Gentiz  cuers  ''  de  père  et  de  mère, 

Trop  liest  vilonnie  amère 

Et  trop  li  est  au  cuer  grevaine 

Au  gentil  cuer,  voire  vilaine  *, 

•  Ms.  248.  Vab.  De  bien. 

■'  Ms.  248.  Var.  Qu'il  ail  le  sens  el  la  prouece. 

1  Ms.  248.  Var. 

Et  pour  ce  doit  li  hom  gentiox 

A  gentillece  estre  ententiex. 

4  Ms.  248.  Var.  Hom. 

5  Ms.  248.  Var. 

Qui  gentis  est  de  nascion, 
Pour  ce  vous  di-je  que  li  hom 
Doit  mult  garder  à  son  al'aire 
Qu'il  puist  tés  oevres  contrefaire 
Qui  allèrent  à  gentil  homme, 
Selonc  ce  c^om  gentil  le  nomme  ; 
Car  s'il  ne  fait  selonc  le  non, 
Il  en  aquiert  mauvais  renon  , 
Car  consaus  l'en  desloc  et  blasmc, 


LE  DIT 

Dont  j'aurai  mult  tost  escesté. 

De  tant  com  li  hom  a  esté 

Plus  hauz  hom  et  de  granz  vailfance, 

Plus  plains  de  bien  et  d'onorance, 

Plus  preus  et  de  loz  biens  estruis, 

De  tant  est  li  hom  plus  destruis, 

Et  au  siècle  plus  assaillis. 

Quant  il  est  coars  '  et  faillis 

Et  aquiert  los  de  meneur  '  homme; 

Quar  l'avarisce  ^  de  preudomme 

C^est  li  droiz  mireoirs  à  l'air 

Por  lui  enseignier  à  valoir, 

Quar  s'il  ne  ranalure  au  père 

D'aucun  bien  qui  en  lui  repère^ 

Dont  au  père  soit  comparez, 

De  gentillece  ert  mal  parez  ^ 

Ne  jà  de  lui  ne  se  parra 

Quant  ^  aucuns  biens  n'i  aparra, 

Ainçois  l'en  doubleront  ses  hontes^ 


Et  plus  keurt  de  Tui  malc  famé. 
Si  vous  dirai  raison  comment  : 
De  tant  com  li  hom  vraiement 
Est  plus  haus  hom  et  plus  poissaiis 
Plus  sont  ses  oevres  connoissans, 
Soient  mauvaises,  soient  bonnes  ; 
Car  plus  le  sevent  de  personnes 
Pour  le  renon  de  sa  hautecc, 
Dont  li  fuet  blasme  gentillece 
Quant  il  ne  se  maintient  selonc, 
Car  li  blasmes  en  keurt  plus  lonc. 

Ms.  248.VA-R.  Mauvais. 

2  Ms.  248.  Vaii.  Mauvais. 

3  Ms.  248.  V*R.  La  vaillance. 

4  Ms.  248.  Vxn.  A  lui  s'apèrc. 

5  Ms,  248.  Vah.  Puis  k'aucuns. 


DE  GENTILLECE.  55 

Quar  il  l'emprunle  à  doubles  montes  ', 
Dont  vaut  miex,  qui  voir  en  retrel, 
C'en  soit  d'un  petit  lieu  estret, 
Si  soit-on  preu  et  de  bon  estre, 
Que  de  bon  lieu  et  mauves  eslre; 
El  bien  vous  en  tenez  por  lit 
Qu'en  gentillece  n'a  porfit 
S'on  n'est  encontre  ce  vaillant  ; 
Quar  gentillece  vait  faillant 
En  gentil  homme  qui  se  paine 
De  maintenir  oevre  vilaine; 
Dont  est  vilains,  je  n'en  dout  mie, 
Li  hom  qui  fet  la  vilenie. 
Puisque  li  cuers  s'i  abandone  ; 
Savez-vous  quel  cuer  ^  je  l'en  donc, 
Soit  rois  ou  dus  ou  chaslelains. 
Plus  est  hauz  hom ,  plus  est  vilains. 

■  Ms.  248,  Var. 

Que  plus  est  haus  et  gentilz  hom^ 

Plus  y  a  de  honte  foison, 

Et  plus  Pen  doit-on  ahonter 

Et  à  droite  raison  conter  : 

Poiu-quoi  sera  genticx  clamez 

Qui  de  nus  biens  n'est  diffamez .' 

C'est  à  tort  s'il  en  a  le  non , 

Car  puis  qu'il  est  de  bien  se  non, 

Jà  n'aura  part  en  gentillece 

Li  hom,  tant  soit  de  grant  hautece^ 

Â.ins  di  qu'il  en  est  fors  passez, 

Et  j'ameroie  miex  assez 

A  estre  fiex  au  pior  home 

Qui  soit  en  l'empire  de  Rome, 

Si  fusse  aussi  preus  k'Alixandre, 

Qu'estre  fiex  au  roi  d'Alixandrc 

Et  je  fusse  pour  voir  li  hom 

Plus  mauvais  d'uuc  région . 
'  Ms.  248.  Var.  Los. 


LE  DIT 

Qui  qu'il  soit  gentiz  de  ciier, 

C'est  bonc  genlillece  n  cuer, 

S'il  erl  niz  au  phis  vilain  homme 

Qui  soit  en  l'empire  de  Romme, 

Jà  por  ce  ne  l'en  desprison , 

Quar  il  est  à  droit  gentiz  hom, 

Et  miex  doit  eslre  ramentiex  • 

Uns  hom  vilains  de  cuer  gentiex 

C'uns  hom  gentiex  de  cuer  vilains. 

Et  miex  avient  c'en  avilie  ains 

Le  gentil  qui  vilains  devient 

Que  le  vilain  homme  qui  vient 

A  genlillece  par  bien  Tel, 

Quar  d'un  vilain  un  gentil  fel; 

Mes  qui  d'un  gentil  fet  vilain, 

11  se  poile  d'un  mal  pelai n, 

Quant  de  gentillece  est  pelez 

Et  il  est  vilains  "  apelez, 

Vilains  de  cuer,  quar  à  droit  non 

Nus  n'est  vilains  se  de  cuer  non, 

Ne  nus  gentiz  hom  ensement 

S'il  n'uevre  ^  de  cuer  gentilment  '^; 

Quar  tu  hauz  hom  qui  mal  te  prueves. 

Qui  ta  hautece  ne  remprueves, 

Qui  por  ce  m'as  a)is  en  despit, 

Je  te  dirai  sanz  nul  respit: 

<'  Hauz  hom  qui  m'as  vilain  nommé, 

Puis  c'on  ne  te  voit  renommé 


>  '  Ms.  248.  V*n.  Nommez  tiex. 
'  Ms.  2/18.  VAn.  Genlilz. 

3  Ms.  248.  Var.  Naimc. 

4  1,0  Ms.  2'i8  s'ariôlo  aprôs  oe  vers. 


Dr:  GENTILLECE.  57 

En  nul  bien,  en  fet  ne  en  dit, 
Qui  franc  l'apele,  il  a  niesdit. 
Por  ce  s'en  haut  nis  fuz  couvez 
Et  de  toz  biens  es  escouvez. 
Guides  por  ce  gentiz  hom  eslre? 
Encor  le  fussent  ti  ancestre, 
Je  ne  di  pas  que  tu  le  soies, 
Et  si  le  cuides  toutes  voies; 
Mes  en  cuidier  ne  gist  granz  sens. 
Tu  fez  outrage  et  grant  forsens, 
Et  mult  peu  de  ton  avantage 
Qui  moi  reprueves  ton  hontage, 
Quar  li  hontes  en  est  toz  tiens, 
Quant  por  gentil  homme  le  tiens 
El  tu  n'es  ne  gentiz  ne  preus; 
C'est  plus  tes  domages  que  preus , 
Se  lu  fus  niz  d'un  gentil  homme 
Et  lu  désers  tant  c'on  te  nomme 
Vilain  de  cuer,  se  de  cuer  l'iés, 
Dont  n'en  pues  eslre  guères  liez.  » 


Explicita 


Ms.  7218,  Bibliothèque  royale. 


Contre  le  temps  que  ces  fïoreles 
Yndes  et  jaunes  et  blanchetes 
Et  autres  assez  s'aparissent, 
Bois  et  jardins  et  prés  verdissent 
Por  la  douçor  du  tens  novel, 
D'un  Dit  fère  me  rénove! 
Où  talent  m'est  pris  que  repraingne 
Le  monde  qui  adès  s'enpraingne 
De  trop  le  mal  mouteploier. 
Or  me  doinst  Diex  si  emploier 
La  cure  que  g'i  voudrai  mètre, 
Que  qui  l'orra  vueille  jus  mètre 
De  soi  le  mal ,  si  que  bien  face, 
Que  par  bien  oïr  maint  esface 
De  son  cors  le  mauves  usage. 

Le  plus  du  mont  n'est  mie  sage 
De  ce  qu'il  maint  en  une  teche 
Qui  est  a  pelée  perece, 
Qui  maint  mal  norrist  et  abonde. 
Le  cors  Jhésu-Crisl  me  confonde 


LE  DIT  DE  PEUECE.  59 

Se  il  n'est  bien  dcus  lans  de  cels 
Qui  sont  laidement  pereceiT*= 
Que  des  autres  qui  ne  font  tnic, 
Qui  font  que  fols,  vez  la  folie  ; 
Se  de  ce  ne  se  désaerdent, 
Le  los  du  monde  et  Dieu  en  perdent, 
Que  c'est  un  lait  mortel  péchic. 
Au  monde  a  maint  cors  entechié 
Qui  ne  veut  partir  de  son  aise 
Por  fère  ce  qui  à  Dieu  plaise, 
Ainz  norrist  sa  char  en  tel  guise 
Qu'au  déable  en  fet  tel  servise 
Que  s'ûme  est  laidement  soillie, 
Et  d'âme  en  viuté  tooillie 
IN'a  Diex  cure  q'o  soi  la  mêle, 
Quar  il  ne  veut  fors  chose  nelc  : 
Com  cil  qui  est  tout  sanz  ordure, 
De  chose  soillie  n'a  cure. 

Cil  qui  par  perece  issi  oevre 
Come  j'ai  dit,  bien  li  descuevre, 
Se  il  ne  s'en  est  confessé 
Ainz  qu'il  soit  do  mort  aprcssé, 
S'âme  s'en  ira  au  déable, 
El  qui  fet  à  service  avable; 
Mes  cil  qui  en  péchié  demeure 
Ne  voit  onques  ne  lieu  ne  eurc 
De  geler  s'en  par  confès  estre, 
Miex  li  venist  qu'il  fusl  à  nestre; 
Si  ne  doit  l'en  tenir  nul  conte 
Fors  de  la  dolcreuse  honte 
Que  par  perece  a  déservic. 


00  LE  Dir 

Une  geiil  voi  (|ui  sont  en  vie 

El  de  lor  cuers  ne  vuelenl  Irère, 

Qu'en  cest  momie  vueillenl  bien  fère 

Et  sevent  bien  qu'il  se  mesfont; 

Ce  fet  perece,  qui  se  fonl 

En  lor  cuers,  si  que  ne  le  iessc 

A  1er  qu'el  puisl  fors  en  la  lesse, 

Se  ce  est  à  corre  péchier; 

Mes  la  ver  veut  aperecier, 

De  la  lesse  tost  les  deslie 

A  aler  fére  la  folie 

Et  au  bien  fère  les  encorde. 

Fols  est  cil  qui  ne  s'en  descorde 

Quant  il  se  sent  si  encorde 

Que  de  bien  fère  est  descordé. 

Qui  perece  voiidroit  corrompre, 
En  sa  lesse  n'auroit  que  rompre; 
Cil  qui  se  voudroit  atirer 
A  bien  fère,  par  bien  tirer 
Auroit  lost  la  lesse  rompue 
Par  qoi  valor  est  corrompue. 
H  n'est  nul  si  pereceus  homme, 
Ce  croi,  par  saint  Piere  de  Rommc, 
Qui  aucune  foiz  n'ait  coragc 
De  lessier  son  mauves  usage  ; 
Si  tost  com  l'en  vient  volenlé, 
Ainçois  que  ce  fust  talenté, 
Por  perece  rompre  et  desfèrc, 
Devroit  emprendre  le  bien  fère. 

De  ce  repraing  mains  chevaliers 


DE  PERECE.  M 

Qui  bien  connoisseiU  les  aliers 

De  bien  tenir  bachelerie 

Ou  la  bêle  vavassorie. 

J'ai  véu  aucun  bacheler, 

Ce  ne  vous  vueil-je  pas  celer, 

Qui  esloit  preus  et  large  assez  : 

Quant  un  petit  estoit  lassez 

De  mètre  le  sien  et  despendre, 

Si  penssoit  un  petit  alendre 

En  son  païs  tant  qu'il  éust 

Mueble  de  qoi  r'aler  péust; 

El  quant  de  mueble  estoit  refet, 

Enprendre  ne  voloit  le  fès 

De  r'aler  comme  fel  avoil, 

Que  par  péchié  qui  en  avoit 

Est  de  tout  prendre  et  ralentir 

L'avoil  si  pris,  que  consentir 

Ne  se  pooit  à  ce  reprendre 

Dont  non  de  preudom  péusl  prendre. 

Lors  le  saisissoil  avarisce 

Par  perece,  qui  à  ce  visce 

L'avoit  de  sa  lesse  eslessié  : 

Comme  failli  s'estoit  lessié 

Prendre  à  la  honteuse  mauvaise. 

Honi  soit  de  séjorner  l'aise 

De  qoi  l'en  est  mauves  tenu! 

Qui  en  armes  s'est  contenu 

Ou  se  contient,  comment  e!e  oevre. 

Plus  qu'il  n'i  a  mis  i  recuevre. 

El  monde  n'a  si  haute  vie 
Com  de  maindre  en  bachelerie 


62  LE  DIT 

Qui  à  droit  la  sel  maintenir  ; 
Mes  pou  s'i  sevent  contenir; 
Si  lor  pri  que  î'estre  en  apraingnent, 
Sanz  perece,  larguece  empraingnent, 
Et  sanz  orgueil  toute  cointise; 
Cels  qui  bien  iront  en  tel  guise 
Ne  pueent  faillir  à  valoir. 
Fols  est  qui  met  en  nonclialoir 
Ce  dont  il  puet  à  bon  chief  trère. 

Chevaliers  qui  ne  se  veut  fère 
Droit  bacheler,  tost  doit  entendre 
A  tel  vavassorie  emprendre 
Dont  son  pais  H  sache  gré. 
Vavassorie  a  un  degré 
Où  pereceus  ne  puet  monter, 
Que  trois  pas  n'i  a  aconter; 
Le  vavassor  qui  ces  trois  monte 
Est  si  haut  mis  que  nule  honte 
Ne  puet  à  son  cors  aprochier, 
S'il  n'en  chiet  par  aperecier  : 
Or  se  gart  qu'il  ne  s'aperece, 
Si  ert  toz  jors  en  grant  hautece. 

Loiautez  est  le  premier  pas, 
Le  secont  celer  ne  vueil  pas, 
Fet  est  de  débonéreté  ; 
Le  tiers  si  est  de  largeté  : 
Cest  degré  est  fet  de  riche  oevre. 
Quant  par  monter  cil  i  recuevre, 
Qui  que  veut,  si  très  grant  renon 
Qu'il  a  de  preudomme  le  non. 


DE  PERECE.  03 

Se  loz  (lenioranz  \  montaissent 
Et  bachelers  à  droi»  alaissent , 
A  mes  compaignons  faz  savoir 
Qu'encor  fussent  toz  plains  d'avoir 
Et  honorez  par  grant  noblece, 
Dont  sommes  toz  hors  de  perece, 
Qui  maint  cors  a  desacenssé. 

Aucuns  ont  eu  en  penssé, 
Selonc  lor  dit ,  de  nous  bien  fère 
Que  nous  n'en  poion  retrère. 
Quant  du  doner  lor  souvenoit, 
Perece  en  tel  point  les  menoit 
Que  la  promesse  regardoient 
Et  en  peteçant  la  gardoient, 
Que  le  don  estoit  avorté 
Ausi  com  perece  amorté , 
Si  qu'el  les  a  trop  miex  bonis 
Que  el  n'a  nous  bien  demonis, 
Qu'el  lor  a  tolu,  ce  me  samble, 
L'onor  du  monde  et  Dieu  ensamblej 
S'en  sui  dolent  et  coroucié. 

Cil  qui  trueve  chemin  forchié 
Dont  chascun  for  à  droit  l'avoie, 
Moult  est  fols  quant  il  se  desvoie 
Par  aler  une  fausse  sente, 
Dont  chascun  forvoié  le  sente. 
L'un  for,  si  est  bachelerie. 
L'autre  si  est  vavassorie; 
Qui  à  droit  l'un  des  chemins  oirre, 
Preudom  est ,  bien  le  devez  croire. 


64  LE  DIT  DE  PERECE. 

Or  pri  Dieu,  (|ui  est  droite  voie, 
Que  les  forvoianz  i  ravoie, 
El  lor  doinst  si  rade  isneiece 
Que  destruire  puissent  perece. 


E.vpUcil  le  Dit  de  Perece. 


Bfs  Sis  Manitvt^  ht  £0X9, 

Ms.  7218,  Bibliothèque  royale. 


Por  le  monde  qui  est  nuît  et  jôr  en  descorde 
Cis  contes  nous  raconte,  et  je  bien  m'i  acorde, 
Qu'entre  frère  et  sereur  a  sovent  grant  descorde 
Por  ce  que  lor  sciences  ne  sont  pas  d'une  acorde. 

Se  descordance  i  a,  je  ne  m'en  merveil  mie; 
Mes  li  preudom  est  sages  qui  garantist  sa  vie, 
Et  li  fols  est  mauves  qui  a  sor  lui  envie, 
Si  en  est  avenu  mainte  grant  musardie, 

El  por  ce  que  li  mondes  n'est  pas  d^une  matière, 
Me  sui-je  trais  avant,  qui  que  se  traie  arrière. 
Or  vous  tesiez  un  pou,  et  fêles  bêle  chière, 
Et  je  vous  dirai  jà  des  sis  fols  la  manière. 

Li  premiers  des  sis  fols  si  est  fols  natureus, 
Et  li  secons  est  fols  et  mélancolieus, 
Et  le  tiers  apele-on  fol  qui  est  orguilleus, 
Li  quars  si  a  non  fol  qui  est  fol  desvieus; 

Li  cinquièmes  si  est  par  négligence  fous. 
Et  li  sisièmes  est  cil  qui  le  fet  par  cous, 

ir.  5 


66  DES  SïS  MANIÈRES 

Devant  les  riches  genz  menjul  frommage  mous, 
Mes  es  chambres  ans  dames  est  ses  désirs  saouls. 

Or  est-il  bien  réson  que  je  vous  praingne  à  dire, 
Selonc  mon  escient,  des  sis  fols  la  matire; 
Et  s'il  esloit  nus  hom  qui  m'en  vousist  desdirc, 
Je  le  voudroie  endroit  de  ces  sis  fols  eslire. 

Del  droit  fol  naturel  ferai  premier  mon  conte; 
S'il  avoit  la  grant  rente  d'un  roiaume  par  conte, 
Qui  que  le  despendist,  n'en  feroit-il  jà  conte, 
Mes  qu'il  éust  assez  du  frommage  sanz  conte. 

De  ce  fol  poez  bien  et  entendre  et  savoir 
Que  il  ne  conte  rien  à  grant  honor  avoir  : 
Quant  a  assez  mengié,  tout  met  en  nonchaloir, 
De  sa  folie  cuide  que  ce  soit  grant  savoir. 

Fols  est  qui  à  tel  fol  met  son  entendement, 
Ainz  se  doit-on  de  lui  délivrer  vistement; 
Fols  est  qui  à  lui  tence,  ne  monstre  entendement 
Quar  li  hom  qui  n'a  sens  si  vit  en  grant  torment. 

Du  droit  fol  naturel  vous  ai  dit  l'aventure. 
Or  vous  lerai  de  lui,  quar  il  est  sanz  mesure; 
Du  secont  fol  dirai,  où  j'ai  mise  ma  cure. 
Et  lerai  de  celui  qui  est  fols  par  nature. 

Du  mélancoliex  ne  lerai  ne  vous  die  : 
Ce  sont  et  roi  et  conte  et  gent  de  seignorie 
En  qui  sens  et  proece  doit  eslre  herbregie, 
Qui  plus  tost  sont  entré  en  grant  mélancolie. 


DE  FOLS.  67 

A  cels  qui  tels  genz  servent,  je  lor  faz  asavoir, 
S'il  ^uelent  estre  en  pris  et  lor  amor  avoir, 
Ne  lor  respondent  mie  dedenz  lor  mal  voloir. 
Mes  se  lèsent  luit  coi,  si  feront  grant  savoir. 

J'ai  oï  piéçà  dire  un  mot  en  reprovier  : 
Nus  ne  puet  gaaignier  à  son  seignor  pledier, 
Ainz  doit-on  à  la  foiz  à  son  bon  obligier, 
Si  en  porra  bien  croistre  s'onor  et  son  loier. 

Du  mélancoliex  vous  ai  dit  mon  corage; 
Sachiez  qui  trop  le  blasme  il  ne  fet  pas  que  sage. 
Du  tiers  fol  vous  dirai  en  qui  il  a  grant  rage  : 
C'est  li  fol  orguillex  où  il  a  grant  outrage. 

Fol  qui  est  orguillex,  sachiez  tout  sanz  doutance. 
C'est  un  fol  anuiex  et  plains  d'outrecuidance  ; 
Sachiez  qu'il  met  sovent  cors  et  âme  en  balance. 
De  qoi  tout  son  lingnage  a  honte  et  reprovance. 

Moult  a  mauvèse  tèche  hom  qui  a  tel  corage  : 
S'il  est  et  biaus  et  fors  et  plains  de  vasselage 
Et  il  sent  entor  lui  qu'il  soit  fors  par  lingnage. 
Tant  doit-il  avoir  mains  dedenz  son  cors  outrage. 

Des  riches  et  des  povres  a  assez  par  le  monde, 
Por  ce  que  on  lor  sueffre  et  lor  folie  abonde. 
Qui  les  chastieroit,  j'otroi  que  l'en  me  tonde 
S'il  ne  se  chastioient  de  fère  honte  au  monde. 

Se  uns  fols  orguillex  fet  et  honte  et  anoi, 
El  il  bat  un  preudomme  et  il  li  fet  desroi. 


68  DES  SIS  MANIÈRES 

H  avienl  bien  sovent  que  on  s'en  test  tout  qoi; 
Ne  paie  nient  d'amende,  por  ce  qu'il  n'a  de  qoi. 

Mes  s' uns  fols  orguillex  ,  sachiez  sans  délaier, 
Fet  une  grant  folie  et  n'a  de  qoi  paier, 
Si  l'en  face-on  soufrir  en  prison  le  dangier, 
Si  monsterra  example  ùus  autres  chastier. 

Or  avez-vous  oï  du  droit  fol  orguillex, 
Et  lui  et  son  afère  comment  est  aniex. 
Du  quart  fol  vous  dirai,  moult  en  i  a  de  cels 
Qui  font  le  fol  mcismes  au  regart  de  lor  iex. 

N'est  hom  ne  famé  el  monde, espoir, qui  bien  nesache. 
Aucun  en  ai  vcu  qui  fesoit  par  haussage. 
Au  regart  de  ses  iex ,  dont  puis  avoit  domage 
De  ce  que  fet  avoit  de  lui  fol  par  outrage. 

Je  di  que  hom  et  famé  fet  bien  de  lui  le  fol 
Quant  il  pert  tout  le  sien,  foi  que  je  doi  saint  Pol, 
Et  dont  ne  li  remaint  d'avoir  vaillant  un  chol  : 
Je  di  c'en  doit  tel  homme  huer  à  chapefol. 

Homme  et  famé  est  bien  fol,  et  je  m'i  sui  pris  garde, 
Quant  il  pert  tout  le  sien  et  ne  s'i  done  garde, 
Et  en  petit  de  tens  povretez  le  resgarde. 
Et  dist-on  :  Par  ci  passe  et  musars  et  musarde. 

Homme  et  famé  est  clamez  por  fol  aval  la  vile 
Quant  il  a  esté  riches,  foi  que  je  doi  saint  Gile, 
Et  il  a  tout  perdu  et  en  geu  et  en  guile  : 
La  compaignie  faut  et  d'Ami  et  d'Amile! 


DE  FOLS.  G9 

Or  poez-vous  entendre,  et  il  m'est  bien  avis, 
Quiconques  pert  le  sien,  il  trueve  poi  d'amis. 
Nus  honi  ne  se  puet  miex  fère  clamer  cliélis 
Com  cil  qui  lest  le  bien  à  ses  iex  et  prent  pis. 

Or  avez-vous  oï  et  mon  bon  et  mon  voel 
D'omme  et  famé  qui  fet  de  lui  fol  par  son  œil; 
Du  cinquième  dirai ,  dont  je  pas  ne  me  dueil , 
C'est  le  fol  négligenz,  qui  gemme  sus  le  sueiJ. 

Homme  et  famé  est  bien  fol  quant  se  lesse  morir 
De  fain  por  que  il  ait  santé  du  déservir, 
Mes  li  fol  négligenz  se  veut  toz  tens  dormir, 
Et  quant  il  se  resveille  de  niengier  a  désir. 

Si  est  trop  granz  domages  quant  uns  biaus  bachelier 

A  et  force  et  pooir  por  aler  laborer. 

Qui  le  semont  d'ouvrer  et  il  n'i  veut  aler  : 

S'il  a  fain  et  mésaise,  je  ne  le  puis  plorer. 

Et  por  ce  est-il  tant  de  chétis  réclamez, 
Des  hommes  et  des  famés  par  lor  granz  laschetez 
Que  le  cuer  de  lor  ventre  de  bien  fère  est  pasmez  : 
Qui  d'uevre  les  apele,  de  petit  sont  lassez. 

De  tels  genz  vous  dirai  toute  m'entencion  : 

Au  mengier  et  au  boivre  resamblent  champion, 

A  la  besoingne  fère  sont  petit  enfançon; 

Par  couslume  devienent  tels  genz  mauves  glouton. 

Et  savez-vous  por  qoi  ne  vuelent  gaaingnier? 
A  la  besoingne  fère  sont  coart  et  lanier. 


70  DES  SIS  MANIÈRES 

Si  covient  qu'il  deviegnent  ou  larron  ou  hourier  : 
Comment  que  soit,  covient  qu'il  aient  à  mengier. 

Je  vous  retrai  por  droit,  ne  le  mescréez  mie, 
Que  ce  sont  une  gent  qui  ont  tost  fet  sotie. 
Que  li  fol  négligent  ne  s'en  garderont  mie  : 
Tost  se  sont  acordé  à  maie  compaignie. 

Or  avez-vous  oï  l'estoire  des  cinq  fous; 
Aucuns  de  vous  set  bien  li  quels  vaut  pis  de  tous. 
Du  sisième  dirai,  dont  on  n'est  pas  jalons  : 
S'ôrrez  en  quel  manière  il  fet  son  seignor  cous. 

De  celui  vous  dirai  toute  la  contenance  : 
H  n'est  pas  esbahis  de  bouter  en  sa  pance; 
Quant  l'en  sert  du  frommage,lorscortfèreladansse; 
Et  la  dame  s'en  rist,  qui  connoist  s'acointance. 

Et  li  sires  esgarde  son  cors  et  sa  feture, 
Puis  a  dit  à  la  dame  un  bon  mot  par  mesure  : 
«Vez  que  cil  fols  menjue  du  frommage  à  droiture; 
Je  ne  cuit  pas  qu'il  soit  qu'il  n'ait  grande  nature. 

— Voire,  ce  dist  la  dame,  je  1'  regardai  l'autr'ier 
Quant  moi  et  vous  nous  fûmes  départiz  du  mengier; 
Je  le  vi  trestout  seul  eschaufer  au  fouier, 
A  poi  qu'il  ne  me  fist  de  mon  sens  enragier. 

— Voire,  ce  dist  li  sires,  ce  volez-vous  or  dire; 
Mes  se  Jhésus  me  gart  et  de  hontage  et  d'ire. 
Il  sont  assez  de  famés,  qui  les  voudroit  eslire, 
Qui  moult  tost  sont  saillies  du  roiaume  en  l'empire. 


DE  FOLS.  71 

—  Sire,  ce  dist  la  dame  qui  fu  malicieuse, 
Parole  m'avez  dite  qui  me  torne  à  huiseuse; 
Qui  se  metroit  soz  lui,  moult  seroit  soufreteuse  : 
Sa  très-laide  figure  me  fet  espoenteuse. 

—  Dame,  ce  dist  H  sires,  je  ne  1'  di  pas  por  vous. 
Vous  avez  oï  dire  quant  leus  va  en  amors. 

Que  la  leuvesse  enchace  le  plus  joli  de  tous 
Et  si  fierl  de  sa  keue  tout  le  plus  soufretous.  » 

La  dame  en  a  juré,  qui  bien  set  décevoir. 
Que  miex  voudroit  sa  vie  fièvre  quartaine  avoirj 
Et  li  sires  s'apensse  qu'il  le  voudra  savoir  : 
11  s'est  apercéuz  qu'à  gas  dist-on  bien  voir. 

En  grant  paine  se  mist  comment  il  le  sauroit  : 
Un  jor  dist  à  la  dame  que  jouer  en  iroit 
A  une  table  ronde,  où  trois  jors  demorroit; 
En  riant  dist  la  dame  de  l'argent  li  donroit. 

Isnelement  a  fet  son  garçon  apeler, 
Et  grant  samblant  a  fet  qu'il  s'en  vousist  alor  ; 
Il  n'ala  pas  trop  loing,  jà  ne  1'  vous  quier  celer  ; 
Celé  nuit  vit  sa  famé  à  son  fol  acoler. 

Mes  li  sires  fu  plains  de  bon  entendement, 
Quar  il  voloit  sa  honte  celer  couvertement; 
Au  fol  dist  :  «  Levez  sus,  trop  vous  va  malement; 
Vous  prenez  de  vo  dame  un  poi  trop  largement.  » 

Li  fols  est  sailliz  sus,  forment  espoenteusj 
Li  sires  ne  loucha  l'un  ne  l'autre  des  deus: 


72  DES  SIS  MANIÈRES  DE  FOLS. 

Mes  il  dist  à  la  dame  un  mot  qui  fu  honteus  : 
Qu'ele  sambloit  la  leuve  qui  prent  le  soufreteus. 

Encor  di-je  tel  fol  ne  fu  mie  moult  sage 
Quant  il  perdi  la  cort  par  son  fol  vasselage 
Et  fistà  son  seignor,  ce  me  samble,  hontage. 
L'en  fet  tel  norreture  où  l'en  a  bien  domage. 

Or  avez-vous  oï  des  sis  fols  tout  le  conte; 
Pou  en  est  qui  n'en  soit  de  genz  parmi  le  monde. 
Or  jugiez  entre  vous,  je  define  mon  conte, 
Qui  miex  saura  jugier  et  puis  le  me  raconte. 

Li  premerains  si  fet  par  nature  folie, 

Et  li  secons  le  fet  par  sa  mélancolie. 

Et  li  tiers  par  orgueil  qu'à  maint  homme  se  lie, 

Li  quars  par  fol  regart  qui  cntor  lui  colie,     ^ 

Li  cinquièmes  si  l'est  par  sa  grant  négligence. 
Et  li  sisième  après  par  foie  contenance  ; 
Adès  ne  rist-on  pas  de  ce  qu'il  fet  la  dansse, 
A  la  foiz  est-il  fols  par  foie  contenance. 

Cis  contes  nous  raconte  et  nous  fet  asavoir 
Qui  de  ces  sis  folies  cuideroit  nulc  avoir, 
S'il  les  pooit  lessier  il  feroil  grant  savoir; 
Quar  de  folie  fère  ne  puet  nus  miex  valoir. 


Nous  avions  l'intention  de  publier  dans  ce  volume  le  roman  d'Ami  et 
Amile,  auquel  le  dernier  vers  de  la  page  68  fait  allusion  ;  mais  la  longueur 
de  ce  poëme  nous  a  détourné  de  ce  projet.  Toutefois  on  peut  voir,  pour  ce 
qui  le  concerne ,  la  note  A  ,  à  la  fin  du  volume. 


Be  la  £olt  et  ht  la  Sage. 

Ms.  7218 ,  Bibliothèque  royale. 


Iver  li  pereceus,  qui  toz  jors  frit  et  trambîe, 
Qui  despent  lez  le  feu  quant  qu'autre  lens  assanible, 
Aus  bois  toit  lor  verdir,  aus  oisiax  lor  chant  embie, 
Néis  les  bêles  genz  lédist-il,  ce  me  samble. 

Tant  par  est  aniex  qu'à  tout  le  mont  anuie; 
N'est  larges  fors  de  noif ,  de  grésil  et  de  pluie, 
Et  de  boe  et  de  tai  qu'il  norrist  et  esluie  : 
A  povre  muison  tout  autre  chose  muie. 

Cil  qui  tout  le  mont  het  avoit  sa  soson  faite, 
Et  ver  estoit  entré,  qui  toute  chose  enhaile  : 
Aus  besles,  aus  oisiaus,  lor  nature  a  ratraite. 
Dames  et  chevaliers  duist  d'amors  et  afaite. 

Li  tens  qui  novel  ert  et  tout  reconforloit, 
Pour  moi  reconforter  en  un  lieu  me  portoit: 
Ce  fu  en  un  vergier  où  l'en  se  déportoit; 
Tant  com  g'i  demorai  mon  cuer  grant  déport  oit. 

Je  m'estoic  acoutcz  el  vergier  lez  la  sente. 
Là  m'aloit  confortant  le  vent  qui  soef  ventej 


74  DE  LA  FOLE 

L'odorece  des  flors  que  le  leu  me  présente, 
Li  délit  me  refet  et  je  m'endorm  soz  l'ente. 

Tout  fussé-je  dolenz  et  fust  la  terre  dure, 
Encor  me  poise-il  que  cest  songe  ne  dure; 
Quar  s'onques  en  sonjant  vit  nus  bêle  aventure, 
La  plus  bêle  del  mont  i  vi  tout  à  droiture. 

Encor  m'est-il  avis  que  je  doie  veoir 
Deus  dames  delez  moi,  desus  l'erbe  seoir; 
Esgarder  les  deust  toz  li  mons  et  veoir, 
Quar  Diex  ne  volt  en  eles  plus  beauté  asseoir. 

Chascune  des  deus  dames  ert  bêle  créature  : 
D'un  estre  et  d'un  samblant  les  avoit  fet  nature, 
Neporquant  ne  sont  pas  d'un  pris  lor  vesléure, 
N'eles  ne  sont  d'un  sens  ne  d'une  menéure. 

L'une  ot  robe  muière  et  l'autre  l'ot  ramage; 
L'une  ert  o  tout  le  poil,  l'autre  ot  de  fil  domagc; 
L'une  ot  le  cuer  estable,  et  l'autre  l'ot  volage; 
L'une  estoit  de  soi  foie,  et  l'autre  en  esloit  sage. 

Celé  qui  foie  estoit  l'autre  à  reprendre  a  prise  : 
Primes  l'a  de  sa  robe,  qui  vielle  estoit,  reprise, 
Et  puis  de  son  mari,  qu'el  li  blasme  et  desprise; 
Ele  mar  fu,  ce  dist,  quant  d'amors  n'est  esprisc. 

Quant  la  bone  dame  ot  son  seignor  encuser 
De  qui  il  li  loisoit  toute  la  robe  user, 
Et  por  ce  qu'el  ne  veut  à  foie  amor  muser, 
Et  li  et  son  seignor  voudra  jà  escuser. 


ET  DE  LA  SAGE.  75 

«  Dame,  fet-ele,  à  vous  qu'apenl  de  cest  afère? 
Tant  com  je  me  tendrai  de  mon  seignor  meffère, 
Mesire  à  son  talent  me  fera  robe  fére, 
Et  se  ii  ne  li  plest,  d  soit  tout  à  réfère. 

—  Por  ce  di-je  que  dame  ne  puet  avoir  greignor 
Desroi  que  tenir  soi  del  tout  à  son  seignor; 

Mes  s'ele  avoit  soz  Ii  un  cortois  améor, 
Bien  porroit  consentir  foible  maintenéor. 

— Yostre  sens  soit  tout  vostre,  dame,  je  n'en  ai  cure; 
A  honir  mon  seignor  ne  metrai-je  jà  cure, 
Et  vous  aurez  assez  mésestance  et  laidure, 
Quar  bien  la  doit  avoir  qui  de  son  gré  l'endure. 

—  Lédure  doit  avoir  qui  la  veut  maintenir, 
Mes  je  maintendrai  ce  dont  honor  puet  venir  : 
Dont  ne  me  vient-il  miex  à  mon  seignor  tenir 
Que  partir  moi  de  Dieu  por  foie  devenir. 

—  De  Dieu  ne  se  part  mie  qui  à  amer  s'aprouche,. 
Quar  en  conroi  se  tient  et  en  délit  se  couche. 

Jà  dame  n'ert  loée  à  droit  par  une  bouche, 
Et  qui  te  loera  fors  quant  un  ne  te  touche? 

—  Se  plusors  gens  me  voient,  ma  biauté  ert  loée; 
Mes  se  plusors  m'atouchent,  j'en  serai  emboée  : 
En  dame  est  malement  la  biauté  aloée 

Qui  désert  que  ele  est  de  son  los  descroée. 

— En  non  Dieu,  tu  me  mens,  ains  croistle  los  et  monte 
Aus  dames  dont  parolent  li  baron  et  li  conte; 


76  DE  LA  1  OLE 

Bêle  la  disl  chascuns  et  cortoise  en  son  conte: 
A  toz  la  fet  amer  ice  que  vous  en  conte. 

—  Bien  olroi  que  bien  soit  cortoisie  o  biau  té, 
Mes  cortoisie  n'a  nul  lieu  sanz  léauté  : 

S'un  desléaus  te  loe  par  sa  desléauté, 
Tu  es  celé  c'en  lient  sage  por  foleté. 

—  Tiens-rae-tu  doncques  si  de  folie  agruière,, 
Por  ce  que  je  ne  lais  le  pré  por  la  bruière? 
Quant  je  sui  chascun  jor  de  trois  robes  muière, 
Tu  t'estrains  nuit  et  jor  en  une  viez  suière. 

—  De  ma  robe  le  tais,  quar  ele  fu  nueve  moie; 
Mes  la  teue  est  ainçois  à  cil  qui  la  l'envoie. 
Soz  une  vielle  robe  vueil  miex  que  nete  soie 
Que  je  fusse  soillie  desoz  une  de  soie. 

—  Dame,  s' ele  est  soillie  garra  s' ele  se  lève, 
Mes  ta  color  resamble  pomme  cuite  sanz  sève  : 
Que  vaut  la  blanche  char  plus  que  s' ele  fust  blève 
Quant  ne  lesses  sentir  s' ele  est  aspre  o  souève? 

—  Diex  vueil  que  on  le  cuit,  ainz  qu'il  soit  esprovée 
Que  ele  soit  souève  puis  fust  aspre  trovée. 

Tel  dame  est,  tele  evre  est  à  l'essai  esprovée, 
Qui  si  bas  en  respont  qu'ele  en  est  mains  rovée. 

—  A  voir,  n'ert  jà  loezdont  chascuns  di  :  «  Nesai.  » 
Moult  vaut  miex  quel'en  die:  «  Moult  est  bon,  bien  lésai. 
Por  c' es-tu  en  y  ver  en  la  robe  d'essai, 

Que  ne  lesses  c'un  seul  loucher  à  ton  essai. 


ET  DE  LA  SAGE.  77 

—  Moult  est  riche  la  robe  qui  d'onor  est  venue, 
Mes  celé  est  povre  et  vil  qui  de  honte  est  créue. 
Que  te  richics-lu  de  la  desconvenue? 

A  chascune  perra  comme  el  s'ert  maintenue. 

—  En  non  Dieu,  tu  dis  voir;  il  i  pert  orendroit  : 
Je  sui  en  riche  point ,  tu  es  en  povre  endroit  ; 
J'ai  robes  et  joiaus  dont  l'en  cent  mars  auroit: 
N'auroies  pas  cinq  sols  qui  pendre  te  devroit. 

—  Par  foi ,  or  as-tu  bien  esploitié  la  besoingne, 
Quipor  conquerreavoirne  quiersvershonleessoingne, 
Je  ne  pris  ton  gaaing  le  vol  d'une  cigoingne  : 
Miexvautplain  poing  d'onorqueplain val  devergoingne. 

—  Or  esgarde  l'onor  que  loz  jors  as  eue  : 
Laquele  de  nos  est  miex  chaucie  et  vestne? 
Laquele  de  nos  est  miex  amée  et  créue? 

Jà  n'en  parolé-je,  si  1'  monstre  la  véue. 

.. —  A  tort  t'ameroit  l'en,  quant  d'amour  t'es  partie; 
Dès  que  tu  as  t'amor  en  tantes  pars  partie: 
L'amor  qui  en  seroit  en  cent  pars  départie 
Covendroit  petite  estre  la  plus  bele  partie. 

—  Je  ne  part  pas  m'amor,  ainz  l'a  mon  ami  toule. 
Je  n'aim  pas  mon  mari  del  cuer  plus  que  del  coule, 
Si  me  conlieng  vers  lui  que  nule  rien  ne  1'  doute; 
Asséur  me  dédui ,  quar  le  cop  ne  voit  goûte. 

—  Comment  te  conliens-tu  quant  il  le  tient  en  aise, 
El  il  fet  tant  de  loi  qu'il  t'acole  et  te  baise? 


78  DE  LA  FOLE 

De  toi  fet  loul  son  bon ,  comment  que  il  te  plaise, 
Et  se  il  ne  te  plest ,  fains-tu  que  il  te  plaise? 

—  Jà  ne  m'entremetrai  de  tel  faintise  faindre, 
Ainz  faz  comme  l'ymage  que  le  paintordoitpaindre: 
S'il  veut  ilpuet  sachier,  s'il  veut  il  puet  empaindre; 
Jà  de  suor  qu'il  gete  ne  verrez  feu  destaindre. 

—  S'en  oevre  es  autretant  comme  en  parole  osée, 
De  trop  grant  hardement  dois  donc  estre  chosée. 
L'ymage  que  tu  dis,  dont  n'ist  point  de  rousée, 
Covendroit  à  suer  s'ele  estoit  arousée. 

—  Autre  chose  que  voir  t'est  issue  des  denz  ; 
Jà  riens  ne  suera  s'il  n'eschaufe  dedenz  : 
Torner  me  puet  mesire  ou  enverse  ou  adenz, 
Jà  n'en  eschaufera  tant  ne  set  estre  ardanz. 

—  De  mauvèse  loi  es;  ne  te  sai  plus  que  dire, 
De  mesfère  te  soilles  ausi  comme  de  dire. 

Jà  dame  ne  se  doit  à  deus  hommes  déduire, 
Se  bordelière  n'est,  quar  son  los  en  empire. 

—  Par  foi,  or  me  veus-tu  à  rebors  preeschier, 
Qui  le  tort  mon  seignor  me  veus  aderesnier? 
Dont  ne  soufferras-tu  la  vingne  à  vendengier 
Quant  celui  cui  ele  est  ne  la  veut  chalengier? 

—  Saches,  por  ton  seignor  ne  t'en  mis  pas  en  conte, 
Mes  le  blasme  de  toi  jusqu'à  nos  autres  monte. 
Feras-tu  por  ce  pis,  se  il  à  toz  ne  ï  conte  : 

11  ne  r  lest  pas  por  toi,  ainz  le  lest  por  sa  honte. 


ET  DE  LA  SAGE.  79 

—  Bien  soit  la  honteseiie,  jenel' vousquier  maschier; 
Por  ce  que  mon  mari  voi  de  toz  biens  laschier, 

J'ai  usé  mon  jovent  tant  comme  liomme  l'a  chier, 
Quar  poi  a  de  poissons,  qui  n'a  dont  taaschier. 

—  Tu  uses  tout  ton  tens  et  tout  ton  bien  en  perte, 
Tu  pers  ce  dont  tu  vis,  c'est  véritez  aperte  : 

Qui  à  Dieu  de  ses  dons  ne  veut  fère  déserte, 
Diex  de  toz  ses  amis  le  départ  et  déserte. 

—  Diex  done  si  ses  dons,  ce  est  véritez  pure, 
Qu'il  veut  que  on  les  ust  tant  comme  li  dons  dure. 
El  tens  de  mon  jovent,  à  mon  délit  met  cure; 
Mes  tu  atendras  tant  c'on  n'aura  de  toi  cure. 

—  Se  Diex  m'a  doné  don,  bien  m'en  doi  recorder, 
Qu'à  Dieu  dont  li  dons  vient  me  doi  si  acorder. 
Que  ses  dons  et  m'onor  face  ensamble  acorder; 
Por  ce  ne  me  doi  pas  en  péchié  enorder. 

—  Or  te  tien  bien ,  quar  jà  de  toi  bon  fruit  n'istra  : 
Terre  s'el  n'est  méue,  jà  bon  blé  n'i  croistra. 

Par  tens  le  pas  de  jai  desoz  l'ueil  te  neslra  ; 
Saches  que  ta  biauté  la  siute  descroitra. 

—  Siute  n'aurai-je  jà  fors  de  bien  et  d'onor. 
Jà  n'orras  de  moi  dire  au  grant  ne  au  menor, 
Fors  que  léal  dame  est  et  bien  sert  son  seignor; 
Se  de  tant  ai  bon  los,  encor  l'aurai  greignor. 

—  Los  dont  preu  ne  me  vient  ne  quier-je  jà  avoir. 
On  ne  doit  pas  tenir  longuement  un  avoir; 


80  DE  LA  FOLE 

Bon  remuer  le  fet,  qiiar  dont  puet-on  savoir 
Qu'il  valut  quant  on  l'ol.  Or  t'ai-je  dit  savoir. 

—  C'est  sens  à  rnarchéant,  que  sovent  renovele 
Son  avoir,  mes  n'est  pas  à  cointe  dame  et  bêle. 
Fin  cuer  et  enlerin  art  dame  et  damoisele  : 

Ne  doit  pas  resambler  espervier  qui  oisele. 

—  Por  le  mcstier  aprendre  et  por  moult  miex  valoir 
Doit-on  mestier  changier;  mes  il  ne  puet  chaloir 
Aus  dames  d'acomplir  à  chascun  son  voloir  : 
Quar  qui  plus  en  fera,  plus  s'en  porra  doloir. 

—  Ne  me  dueil  pas  de  chose  qu'ai  eu  en  coustume, 
La  mer  s'en  va  et  vient  et  toz  jors  gète  escume, 
Bestes  gèlent  lor  poil  et  ces  oisiaus  lor  plume  : 

De  changier  mon  talent  lor  example  m'alume. 

—  Par  foi ,  de  cesle  chose  ne  te  tieng  mie  à  sage, 
Ainz  m'est  avis  que  as  dedenz  le  cuer  la  rage; 
Por  ce,  se  lor  poil  gètent  bestes,  oisiaus  sauvage, 
Géteras-tu  ton  cuer?  Nenil  sans  ton  domage. 

—  Esgarde  :  ne  s'enfuit  tens  ausi  com  l'onde 
Qui  toz  jors  corl  aval,  n'arriére  ne  soronde? 
La  beauté  s'en  refuil;  Dame-Diex  me  confonde 
Se  je  n'empli  mon  tens  ainz  que  ma  color  fonde. 

—  Mètre  ton  tens  en  mal ,  ce  n'est  mie  emploier, 
Ainçois  est  ton  honor  en  honle  desploier. 

Un  arbre  luert  el  fraint  de  trop  sovent  ploier  : 
De  trop  sovent  cheir  se  doit  dame  esmaier. 


ET  DE  LA  SAGE.  81 

—  Ne  m'esmai  pas  de  fais  que  bien  puis  soustenir  : 
Or  lai  jovenle  aler  et  viellece  venir, 

Si  verras  à  quel  fin  tu  porras  parvenir 
De  ce  que  tu  ne  veus  c'une  sente  tenir. 

—  El  quant  jovente  aura  et  moi  et  toi  lessie, 
Et  chascune  sera  de  viellece  plessie, 

Vielle  dame  aurai  non,  de  tant  ère  abessie, 
Mes  l'en  t'apelera  vieil  putain  relessie. 

—  Or  m'as-tu  moult  raesdit,  si  as  pris  de  réson  ; 
Bien  sai  que  quant  vendra  en  icele  séson , 

Con  nous  reprochera  ce  que  ore  feson  ; 
Mes  je  le  cri  merci  que  nous  nous  en  téson. 

— En  non  Dieu,  non  ferai,  je  ne  m'en  vueil  pas  tère; 
Quar  tu  seule  fez  tant  dont  autres  ont  contrère; 
Se  il  te  doit  bien  mètre  devant  enz  el  viaire, 
Désormès  te  déusses  de  folie  retrère. 

— Dame,  à  voslre  conseil  me  voudrai  contenir  : 
Jà  n'amerai  fors  là  dont  honor  puet  venir; 
Foie  amor  guerpirai  se  m'en  puis  astenir, 
Quar  bien  sai  que  grant  mal  m'en  porroit  avenir. 

—  S'ainsi  le  fesiiez,  vous  feriiez  que  sage; 

Mes  moult  dout  qu'à  folie  ne  vous  ramaint  l'usage. 
Jà  ne  vous  en  croirai ,  tant  avez  cuer  volage, 
Se  vous  ne  1'  me  jurez  sor  ceste  florestage.  » 

La  dame  li  créante  le  serement  à  faire  : 
Sor  la  flor  li  jura  qui  moult  souef  li  flaire, 

II.  6 


82  DE  LA  I  OLE  ET  DE  LA  SAGE. 

Sor  l'erbe  veri  el  pré,  sor  le  tens  débonaire  : 
N'i  sorent  aporter  plus  riche  saintuaire. 

A  cest  acordement  sont  li  oisel  venu  : 
De  partout  i  avolent  li  grant  et  li  menu; 
Quant  il  orent  ensamble  lor  concile  tenu, 
De  cest  acordement  sont  joiant  devenu. 

Bien  parut  à  lor  chant  que  grant  joie  i  feri  : 
Un  chant  ont  commencié  qu'à  lor  joie  aféri 
Hautement  à  cler  ton ,  et  puis  bas  et  seri  ; 
De  la  joie  qu'il  font  en  chantant  m'esperi. 

Iceste  avision  me  volt  Diex  fère  aprendre 
Por  foies  dames  fère  de  folie  reprendre; 
Celés  qui  foies  sont  ne  doivent  terme  atendre, 
Quant  ce  auront  oï,  d'els-meismes  reprendre'. 

Explicit  de  la  Foie  et  de  la  Sage. 


«  U  est  bon  de  remarquer  que  le  sujet  de  cette  pièce  est  exactement  le 
même  que  celui  de  Gilote  et  Johane  que  nous  avons  donnée  plus  haut  ; 
seulement  la  pièce  française  l'emporte  de  beaucoup  sur  celle  qui  est  écrite 
en  dialecte  anglo-normand. 


In  Btté  îre  iJmtf  \ 

Ms.  1132,  supplément  franc.,  Bibliothèque  royale. 


«Vérité,  qui  ne  tout  '  ne  pince, 
Mande  salus  à  noble  prince 

Le  roy  de  France! 
Roy,  je  t'ay  servi  dès  t'enfance, 
Mes  cilz  qui  tiennent  ta  balance 

M'ont  desposée. 
Fauseté  si  fu  trop  osée 
Qui  contre  nioy  s'est  oposée. 

Ne  scey  que  face. 
Ne  puis  ester  en  une  place  ; 
Chascuns  me  fuit ,  chascuns  me  chace, 

Ghascuns  m'assomme. 

I  Cette  pièce ,  dans  le  genre  de  celle  du  Pharisien ,  du  Renart  le  Bes- 
toume',  etc. ,  par  Rutebeuf,  est  évidemment,  comme  elles,  une  satire  di- 
rigée contre  la  politique  de  saint  Louis.  Vérité  c'est  le  parti  libéral,  le  parti 
universitaire,  c'est-àKlire  celui  de  Guillaume  de  Saint-Amour  et  des  rimeurs 
de  son  époque.  Je  ne  serais  même  pas  étonné  que  quelques  uns  des  vers 
qu'on  va  lire  Gssent  allusion  à  l'exil  qu'eut  à  subir  l'auteur  du  traité  Des 
Périls  des  derniers  temps  et  à  son  voyage  à  Rome  ;  mais  aucune  des  ex- 
pressions du  trouvère  anonyme  n'est  assez  positive  pour  que  je  me  permette 
d'avancer  ce  fait  autrement  que  comme  une  hypothèse.  Voyez ,  du  reste,  pour 
plus  de  détails  sur  cette  pièce  et  sur  le  Ms.  d'où  je  la  tire,  la  note  B,  à  la 
tin  du  volume. 

5  Tout  pour  toit. 


«4  UN  DITE 

Je  m'en  fiiy  jusques  à  Roume, 
Mes  on  ne  prisa  une  pomme 

Riens  que  je  sache. 
Chascuns  me  détire  et  désache  : 
Roys,  tous  cilz  t'ont  fait  grant  domache 

Qui  ce  ont  bracié. 
Mon  non  ont  de  ta  court  chacié, 
Qu'il  te  souloit  avoir  lacié 

Parmi  les  flans. 
Princes  nobles,  bons  rois  des  Frans, 
Ne  me  fay  plus  croupir  sous  bans 

Ne  dessous  huches  ; 
Quar  se  tu  briément  ne  me  huches, 
Fausetés,  qu'entour  toy  aluches, 

Te  grèvera. 
Hé,  Diex!  qui  me  relèvera? 
Où  est  celui  qui  me  fera 

Tant  de  bonté 
Que  mon  non  fust  en  haut  monté? 
Tant  que  t'eusse  raconté 

La  desraison 
Pour  coy  je  sui  de  ta  meson 
Banie,  où  si  longue  seizon 

Demourer  sueil. 
Aine  n'i  ot  si  hardi  pour  i'ueil 
Qui  m'osast  mener  sus  ton  sueil 

Devant  ton  huis  : 
Nennil  voir,  un  tout  seul  n'en  truis. 
Nule  voie  trouver  ne  puis 

Par  où  g'y  aille. 
Mes  se  je  y  vois,  comment  qu'il  aille, 
J'ouverray  maugré  qui  qu'en  chaille 


DE  VÉRITÉ.  85 

De  mon  office. 
Hé,  Roys  !  bien  te  tiennent  por  niée 
Cilz  qui  m'ont  mis  hors  du  service; 

Mes  vraiement 
Il  scevent  bien  certainnement 
Se  plus  i  fusse  qu'autrement 

Alast  l'afaire, 
Et  pour  ce  ne  leur  puis-je  plaire 

C'en  est  la  somme. 
Onques  mauvais  n'ama  preudomme; 
Mais  tele  gent  que  je  ne  nomme, 

Qui  tant  sont  faus, 
Malicieus  et  desloiaus 
Et  mesfesant,  cruex  et  maus, 

jNe  fussent  mie 
Monté  en  si  grant  seignorie 
Se  je  fusse  de  ta  mesnie  : 

Mais  ne  puet  estre 
Pour  quoy  que  ne  vueullent  ti  maistre. 
Tu  crois  tel  gent  qui  te  font  peistre: 

C'est  grant  meschief. 
Se  g'y  mainzisse,  par  mon  cliief, 
Tel  gent  ne  fussent  mie  chief 

De  ton  royaume 
Qui  si  se  font  oindre  la  paume. 
Cil  qui  à  l'escu  et  au  hyaume 

Et  à  l'espée 
Ont  recéu  mainte  colée 
En  combatant  par  ta  contrée 

En  fussent  maistre. 
Tiex  gent  dussent  savoir  Ion  estre 


80  tJN  DITE 

Et  bien  est  voir  qu'il  souloit  eslre 

En  tel  manière  ; 
Mais  tout  va  ce  devant  derrière. 
Quant  je  portoie  ta  banière 

Parmi  ta  terre, 
Lors  n'avoies-tu  nule  guerre 
Es  eles  d'environ  ta  terre 

IS'autre  partie; 
Mais  sitost  corn  j'en  fu  bannie, 
Tantost  fu  toute  replennie 

De  coupe-bourses  : 
Par  eulz  te  sont  les  guerres  sourses 
Qui  sont  vilainnes  et  rebourses. 

Ha!  gentilz  sires, 
S'envers  moy  as  courons  ne  ire, 
L'a  fait  Fausseté,  qui  voir  dire 

Ne  puet  souffrir  r 
C'est  ce  qui  m'en  a  fait  fuir. 
Frans  Roys,  se  tu  en  vueulz  joir. 

Si  me  rapele 
Et  je  trairai  tele  merele 
Que  tu  saras  la  nouvele 

Des  desloiaus 
Qui  par  présens  et  par  jouiaus 
Ont  contre  les  frans  lions  roiaus 

Tant  méserré  ; 
A  descouvert  tous  les  ferré, 
Quar  je  tantost  descouverré 

Le  pot  a  us  roses. 
Roys,  rapele-moy  se  tu  oses  : 
Si  te  conteray  de  ces  choses 

L'encloéure  ; 


DE  VÉRITÉ.  8T 

Mais  tu  n'oses  par  aventure  ; 

Tes  mestres  qui  t'ont  pris  en  cure 

Ne  vueulent  mie, 
Qu'il  ont  paour  que  je  ne  die 
Leur  fausseté,  leur  félonnie, 

Leur  maie  tèche  : 
Chaz  scet  trop  bien  quel  barbe  il  leiche. 
Que  s'il  te  tiennent  en  leur  creiche 

N'ont  mie  doute 
Que  fortune  à  court  les  déboute; 
Maiz  folz  devant  qu'il  prent,  ne  doute. 

Hay,  Hay! 
Par  poy  que  je  ne  di  trahy. 
Tu  aimes  cens  qui  t'ont  hay  : 

Péril  y  a. 
Celuy  qui  forma  Maria 
Confunde  qui  ce  te  mena> 

Et  il  te  doint 
Mener  ton  païs  si  à  point 
Que  de  maie  mort  soient  point 

Ti  anemy 
Avant  que  soit  la  Saint-Remy, 
Et  qu'il  te  souviengne  de  my 

Arrière  mettre. 
Ici  vueil  definer  ma  laitre 
Si  com  je  m'en  say  entremettre. 

A  ma  requeste, 
Roy,  fai  sus  ceste  chose  enqueste  : 
Lors  trouveras  Vérité  preste.  » 

ËxpUcit. 


£t  Bit  k  la  amumc  îre  tenart  '♦ 

Ms.  1132,  supplément  français,  Bibliothèque  royale. 


Pouf  ce  que  j'ai  fet  mencion 

De  renardie  et  fiction 

A  ce  que  chascun  droit  regart 

Aist,  et  miex  de  péchié  se  gart  ^ 

Quar  fiction  ne  renardie 

A  Dieu  ne  plaisent  n'a  Marie, 

Un  dite  diray  de  Renart  : 

Chascun  de  vous  en  a  sa  part. 

Très-douce  gent,  entendez, 

Que  Dieu  vous  gart  de  contrauvez! 

Par  moy  seront  recordez 

Biaus  mos,  s'il  vous  plaist  atendez. 

Aucuns  me  vont  demandant 

Quant  par  Paris  vois  chantant, 

Se  say  parler  par  nule  art 

De  la  queue  de  Renart. 

I  Le  Ms.  1132  indique  encore,  à  la  table,  un  autre  dit  de  Renart.  Mal- 
heureusement ce  dit  a  été  enlevé  du  Ms. ,  qui  est  en  fort  mauvais  état. 
(Voyez  la  note  B,  à  fa  fin  du  volume.  ) 


LE  DIT  DE  LA  QUEUE  DE  RENART.       89 

De  Regnart  scey  bien  parler  : 
J'ay  mis  ma  mélancolie 
En  gracieus  mos  rimer; 
Raison  est  que  je  les  die; 

ne  chevalier 

Qui  ne  se  porte  mult  fier 
Qant  puet  avoir  à  sa  part 
De  la  queue  de  Regnart. 

Regnart  se  doit  miex  prisier 
Au  jour  d'ui  que  nule  beste  : 
IN'est  duc  ne  si  haut  princier 
Qui  de  sa  queue  n'ait  feste. 
Chascun  la  porte  sur  li  : 
Gay  s'en  portent  et  joli; 
Entendez,  que  Dieu  vous  gart, 
Au  jour  d'ui  règne  Regnart. 


En  chapiaus,  par  grant  revel, 
Est  la  queue  Regnart  mise  : 
Il  ne  vaut  pas  un  porel 
Qui  n'a  chapel  en  tel  guise; 
Cil  qui  premier  le  trouva , 
Nescé  de  quoy  s'apensa. 
Chascun  se  porte  gaillart 
De  la  queue  de  Regnart. 

En  haut  dessus  leur  cheveus 
La  portent  tuit  cilz  jone  homme, 
Menu  vair  ni  escureus 
Ne  prisent  pas  une  pomme; 
Ermine  ne  blans  aigniaus, 


90  LEDIT 

INe  gros  vair  ne  les  chevriaus 
Ne  valent  pas  un  hasart 
Vers  la  queue  de  Regnart. 

Regnart  est  en  haut  montez  : 
Chascun  au  jour  d'uy  l'onneure  y 
Prélas ,  évesques ,  abbez , 
Chascun  au  jour  d'ui  lâbeure  ; 
Prestres,  moingnes,  jacobins, 
Cordeliers  et  H  béguins 
Qui  font  bien  le  papelart, 
Sous  leur  chapes  ont  Regnart. 

Regnart  est  quant  vueut  abbé 
Et  quant  il  veut  il  est  moingne, 
Doien ,  prestre  coronné, 
Et  quant  vueut  il  est  chainoingne; 
Quant  il  veut  l'aumuce  prent  : 
Tout  à  son  commandement 
Fait  par  tretout  par  son  art  : 
Nul  n'a  povoir  à  Regnart. 

Regnart  est  fisicien  ; 
Quant  il  veut  houce  a  fourrée. 
Quant  il  veut  logicien 
N'a  meilleur  en  la  contrée  ; 
Quant  il  veut  sire  est  de  lois  : 
Regnart  a  toutes  ses  lois. 
Ne  li  chaut,  soit  tost  ou  lart, 
Sous  sa  main  a  tout  Regnart. 

Regnart  va  à  court  plaidier  : 


DE  LA  QUEUE  DE  RENART.  9i 

De  tous  est  tenu  pour  sages. 
En  esglises  va  preschier; 
Regnarl  va  par  les  vilages. 
Regnart  fait  sa  main  blanchir, 
Regnart  fait  tout  son  plaisir  j 
Chascun  atrait  à  sa  part  : 
Trop  grant  queue  a  le  Regnart. 

Béguines  et  ces  nonnains 
Et  Files-Dieu,  nul  n'en  doute, 
De  Regnart  sont  souverains  : 
Chascune  vers  soy  le  boute. 
Regnart  par  son  grant  derroy 
Se  fait  sur  tous  prince  et  roy  j 
Fauvel  atrait  à  sa  part 
Par  son  engin  le  Regnart. 

A  sa  court  le  vont  servir 
Roy  et  prince,  duc  et  conte  r 
Tout  fait  vers  lui  obéir  : 
A  li  n'en  est  pas  la  honte. 
Fauvel  le  sert  au  mengier, 
Au  lever  et  au  couchier  : 
Restes  de  diverses  part 
Obéissent  à  Regnart. 

A  toutes  gens  de  mestier 
Loe-je,  conseil  et  prie 
Qu'il  voisent  sans  atargier 
Querre  du  Regnart  partie. 
Orfèvres,  esmailléeurs, 
Chasublicrs  et  changéeurs, 


92  LE  DIT 

Alez  quérir  vostre  part 
De  la  queue  de  Regnart. 

Mareschaus  et  cherpentiers, 
Sauniers,  gens  de  tannerie, 
Et  marchéans  et  bouchiers, 
Derreniers  ne  soiez  mie; 
Et  tailleurs  de  robe  aussi, 
Peletiers  sans  nul  détri. 
Gardez  ne  soiez  couart 
De  traire  vers  vous  Regnart. 

Procureurs  et  avocas, 
Escrivain,  gent  de  clergie. 
Qui  de  rien  faire  estes  cras, 
Regnart  vers  vous  s' u  mi  lie. 
Poissonniers  et  harengiers, 
Espiciers  et  regratiers, 
On  vous  tendra  pour  musart 
Se  vers  vous  n'avez  Regnart. 

Drapiers  et  cordouenniers 
Doivent  estre  de  la  feste  : 
Boulengiers  et  espiciers 
Seront  aussi  de  la  geste; 
Armuriers  et  fourbisseurs, 
Gainiers,  tabletiers,  broudeurs, 
Alez  quérir  vostre  part 
De  la  queue  de  Regnart. 

Lormiers,  seliers,  baudroiez, 
Or  baleurs  ne  targiez  mie  ; 


DE  LA  QUEUE  DE  RENART.  93 

Couraiers,  mesgeyciers 
El  gens  de  messagerie, 
Et  cherbonniers  et  bûchiers, 
Taverniers  et  chandeliers, 
Courez  tost  comme  gaillart 
Prendre  vo  part  de  Regnart. 

Auquetonniers  et  merciers 
Et  laboureur  de  terre, 
Foulons,  laniers,  lainturiers, 
Courez  tantost  Regnart  querre; 
Marchans  de  vin ,  courratiers, 
Vendeurs  d'oublées,  huilliers, 
Alez  quérir  vostre  part 
De  la  queue  de  Regnart. 

Cervoisiers  et  bufetiers. 
Vous  arez  de  vo  partie 
Cote  sercot ,  lanterniers, 
Estoliers,  je  n'en  dout  mie, 
Porte-platiaus,  savetiers, 
Pour  ce  que  le  vin  est  chiers; 
Vous  les  avez  prins  au  lart  ; 
Fourrez  serez  de  Regnart. 

Il  n'est  au  jour  d'ui  meslier 

Ne  nule  marchéandise, 

Excepté  le  poullailier, 

Qui  le  Regnart  n'aime  et  prise; 

Mes  poullailiers  ont  juré. 

Se  Regnart  est  si  osé 

Qu'il  leur  vigne  faire  esgart. 


94  LE  DIT 

La  queue  aronl  de  Regnart. 

Vous  qui  oï  nous  avez, 
Ne  vous  doit  mie  desplaire, 
Quar  on  dit,  bien  le  savez  , 
Que  Regnart  ce  qu'il  vueut  faire 
Fait  en  tous  lieus  vraiement; 
Mes  ordonnez  liéement, 
Que  Diex  d'encombrier  vous  gart 
Malicieus  est  Regnart. 

Regnart  si  fait  guerroier 
Quant  il  vueut,  ce  oï  dire; 
Quant  il  veut  fait  apaisier  ; 
Mes  le  Lion,  qui  est  sire 
Des  bestes,  l'en  paiera, 
Le  Regnart  trébuchera  : 
Trop  haut  monte  com  quoquarl, 
Chéoir  faudra  jus  Regnart. 

Et  pour  ce  vous  lo  et  pri 
Que  vous  le  traiez  arrière 
De  vous,  quar  li  anemi 
Par  sa  très-fausse  manière 
Fait  Regnart  ainsi  régner 
Pour  cens  en  enfer  mener 
Qui  se  traient  à  sa  part  : 
Il  est  trop  mal  le  Regnart. 

De  Regnart  vous  vueil  laissier, 
Mes  prion  d'une  acordance 
Dieu  qui  est  roy  droiturier 


DE  LA  QUEUE  DE  RENART.  05 

Qu'il  ligne  en  ferme  puissance 
Nostre  roy  et  ses  amis. 
Le  dous  père  Jhésu-Cris, 
D'annui  et  de  mal  nous  gart! 
Cy  fineray  de  Regnart. 

Eœplicit. 


Voyez,  plus  haul,  p.  23  et  suiv.,  la  pièce  intitulée  Du  Plait  Renart  de 
Dammartin.  Cette  pièce  et  La  Queue  de  Renart ,  jointes  à  celles  qui  se 
trouvent  dans  le  remarquable  volume  de  mon  ami  M.  Chabaille  (  Supplé- 
ment au  Roman  du  Renart,  publié  par  Silvestre),  complètent  la  série 
des  petits  poëmes  français  connus  jusqu'ici  dans  notre  ancienne  littérature 
relativement  au  héros  de  vieille  épopée  satirique  de  Perrot  de  Saint-Cloud. 


£t  Bit  ks  |Jttmtres\ 

Ms.  1132,  supplément  français,  Bibliothèque  royale. 


Bonnes  gens,  je  puis  tesmoignier 
Qu'il  n'est  ne  roy,  ne  duc,  ne  conte. 
S'il  veut  aus  paintres  guerroier, 
Qu'il  ne  leur  viegne  honte. 

Bourdes  ne  vous  vueil  pas  conter, 
Quar  pas  n'est  sézon  de  trufer, 

Mes  forment  me  merveille 
Comment  paintres  puéent  trouver 
Leur  vies,  quar  à  painturer 

Trop  de  gent  s'apareillent. 
Plus  sont  de  gent,  au  mien  penser, 

Que  d'autre  gent  sans  faille  : 
jN'est  nul  mestier  qui  puist  lever 

Contre  paintres  bataille. 

Il  n'est  orfèvres  ne  lormiers, 
Esmailleurs,  broudeurs  ne  seliers, 

Cilz  qui  argent  espure, 
Armuriers,  guéniers,  chapeliers, 

>  Voyez  la  note  G,  à  la  fin  du  volume. 


LE  DIT  DES  PAIiSTRES. 

Les  rostiers  et  les^laWetiers, 
Metent  en  paindre  cure. 

Je  croi  qu'il  ne  soit  nul  raestiers 
Où  ne  convigne  paindre 

Sur  tous  sont  meslres  les  mestiers 
De  leur  parole  faindre. 

Se  H  rois  en  Flandres  menoit 
Tous  les  paintres,  pas  ne  durroil 

Flandres  une  jornée'. 
Tous  ferpiers  aler  i  faudroit 
Et  les  peletiers  convenroit 

Estre  à  celé  assemblée. 
Tailleurs  de  robes  que  l'en  voit 

Qui  font  euvre  jolie, 
Chascun  d'eus  par  droit  porleroit 

As  paintres  compaignie. 

A  paindre  aprennent  païsant 
Quant  à  vile  vont  aportant 

Yerjus,  bûche  ou  fruitage: 
Le  plus  bel  vont  dehors  mêlant-, 
Aussi  font  ceus  qui  vont  vendant 

Chaume,  fein  ou  fourrage. 
Il  semble  quant  il  vont  criant 

Que  des  fés  chargiez  soient  : 
l\  paingnent,  car  tout  en  courant 


>  Ce  vers  nous  prouve  que  cette  pièce  est  certainement  du  même  temps 
que  le  Dit  de  la  Rébellion  d'Engleterre  et  de  Flandres  { voyez  le  pre- 
mier volume,  page  73),  c'est-à-dire  qu'elle  fut  écrite  probablement  sous 
Philippe-le-Bel,  à  l'époque  où  commencèrent  avec  la  Flandre  ces  longues 
guerres  qui  menacèrent  de  n'avoir  en  quelque  sorte  pas  de  fin. 


98  LE  DIT 

Tel  dens  fais  porleroienl. 

Moût  d'escri vains,  je  n'en  dont  pas, 
Sont  painlres,  et  tous  avocas 

Paingnent  en  leur  parole. 
Ceuz  qui  samblent  forment... 
Et  ceus  qui  vestent  les  gris  dras, 

Ce  n'est  mie  frivole, 
Peingnent,  quar  quant  sont  à  privé, 

Jà  n'en  aies  doutance, 
11  s'esbatent  tout  à  segré, 

Et  recréent  leur  pance. 

Paintres  sont  de  trop  grant  valeur  : 
11  n'est  tisserrent  ne  laveur, 

Ne  gent  de  teinturerie, 
Cotonneur,  folon,  arçonneur, 
Qui  il  ne  leur  doivent  faire  honneur 

Et  porter  seigneurie. 
Tl  n'est  nul  telier  vraiement 

Qui  puist  sa  toile  faire 
S'il  ne  la  peint  d'un  parement  : 

Painture  doit  moult  plaire. 

S'en  me  demandoit  sus  ou  jus 
Des  quiex  menestriex  est  le  plus, 

Les  paintres  nomnieroie. 
Tous  marcheans  s'i  sont  embatus  : 
Escuser  ne  s'en  pourroit  nus, 

Bien  prouver  le  pourroie. 
La  famé  qui  file  au  louret, 

Quant  pour  vendre  desvuide. 


DES  PAINTRES.  99 


Du  meilleur  filé  dessus  met, 
Qu'el  n'est  pas  de  mal  vuide. 

Je  croi  qu'il  n'est  nul  boulengier., 
Ne  pâticier,  ne  oublaier, 

Se  bêle  oevre  vieut  faire. 
Que  couleur  ne  leur  ait  mestier. 
Il  n'est  espicier  ne  celier, 

Ne  nul  apoticaire, 
Ne  mires,  ne  fuisiciens, 

A  qui  couleur  ne  vaille. 
Barbiers  et  arracheurs  de  dens 

Doivent  à  paintres  taille. 

N'est  cordouennier  ne  sueur^ 
Ne  savetier  ne  conréeur, 

Ne  gent  de  ganterie, 
Ne  parcheminier,  ne  taneur, 
Où  ne  faille  aucune  coleur. 

Gent  de  cherpenterie, 
Massons  et  couvreurs  et  plastriers 

Font  euvre  moult  polie  5 
Celi  qui  miex  paint  son  mestier 

Scet  plus  de  tricherie. 


Ou  de  cuivre  ou  chauderonnier, 
<}ui  au  paintres  ne  doie  aidier 

Il  y  a  ici  une  lacune  de  trois  yers  dans  le  Ms. 


100  LE  DIT 

Se  niili  leur  fait  guerre. 
Il  n'est  verrier  ne  regratier, 

Dorlotiers  ou  lingerères 
Qui  ne  peingnent  en  leur  mestiers 

Et  chanvriers  et  linières. 

Famés  qui  gaingnent  à  leur  corps 
Metent  le  plus  biau  par  dehors 

Pour  estre  regardées; 
Quar  tel  leur  porte  un  tornois  gros 
Oui  jà  n'i  metroit  ses  effors 

S'il  n'estoient  parées. 
Au  jour  d'ui  est  trop  pou  de  genl 

Qui  de  peinture  n'uevre; 
Par  biau  parler  ou  autrement 

Chascun  qui  puet  se  cuevre, 

Se  ce  ne  sont  aucun  truant; 

Tel  gent  vont  leur  mehaing  monstrant 

Pour  plus  avoir  monnoie; 
11  n'est  jugleur,  tant  soit  sachant, 
S'en  habit  ne  se  va  tenant, 

C'on  ne  le  chace  en  voie. 
Il  n'est  flabeur,  ne  batelleur, 

Ne  joueur  d'apertize, 
S'il  n'i  met  aucune  couleur, 
Nul  n'aime  ne  ne  prise. 

Il  n'est  bouchier  ne  poissonnier. 
Qui  sont  gent  qu'on  doit  bien  prisier, 
Nis  cens  qui  vin  affetent, 
Dont  il  est  maint  grant  tavernier, 


DESPAIîSTRES.  dOl 


Qui  aus  peintres  ne  doie  aidier, 
Mes  trop  fort  me  deshaite 

Un  faus  peintre  qu'est  losengier 
Souvent  par  flaterie  : 

Il  ressamble  à  l'ymagier 
Qui  paint  busche  porrie. 

Yous  savez  qui  sont  une  gens 
Qui  samblent  estre  dous  et  gens 

Et  de  bonne  nature, 
Mes  les  cuers  ont  faus  et  puans  : 
Biau  sont  dehors  et  lez  dedens, 

C'est  trop  fausse  peinture. 
Tel  paintre  cuide  baréter 

Jhésu-Crist  et  le  monde  ; 
Mez  il  charront  ou  puis  d'enfer 

Qui  de  douleur  suronde. 


Explkit. 


£t  Bit  ko  Mm^Xxtx^  \ 

Ms.  1132,  supplément  français,  Bibliothèque  royale. 


Pour  ce  que  j'ai  fel  mencion 
Des  églises  où  dévocion 
Est  plus  monslrée  qu'en  autre  lieu, 
Quar  là  repose  li  cors  Dieu , 
Des  moustiers  qui  à  Paris  sont 
Et  de  quiex  sains  il  feste  font, 
Les  lieus  vous  dirai  et  le  nombre, 
S'a  nombrer  Sathan  ne  m'encombre. 

Un  gentil  homme  m'olroia 
Son  hostel ,  et  si  me  proia 
Que  je  pour  s'amour  tant  féisse 
Que  trestous  les  moustiers  méisse 
De  Paris  en  rime  et  en  dit. 
Isnelement,  sans  contredit, 

>  Il  ne  faut  pas  confondre  celte  pièce  avec  un  DU  des  Moustiers  ni  avec 
te  Dit  des  Crieries  de  Paris  publiés  par  Méon.  Celui  qu'on  va  lire  n'avait 
jamais  été  imprimé  ni  cité  jusqu'à  nous.  On  peut  le  rapprocher  du  Dit  et 
de  la  Chanson  des  Ordres,  de  Rutebeuf  (  premier  volume  de  mon  édition 
de  ce  poëte,  p.  158)  ;  de  la  Description  et  delà  Plaisance  des  Religions, 
par  Rois  de  Cambray  (ib.,  p.  441);  enfin  de  la  Requeste  des  Frères 
mineurs  à  Clément  le  Quint  (ib.,  p.  448).  Pour  ce  qui  précède  et  ce  qui 
soit  ce  DU  dans  le  Ms.  1132,  voir  la  note  D,  à  la  fin  du  volume. 


LE  DIT  DES  MOUSTIERS.  d03 

Pour  l'amour  de  lui  m'entremis  : 
Si  les  ai  tous  en  rime  mis. 

J'ay  commencié  à  Noslre-Dame, 
Qui  nous  sauve  et  gart  cors  et  âme, 
Pour  ce  que  c'est  la  mère  esglise 
De  Paris;  après,  de  ma  guise, 
Près  le  moustier  Saint-Johan  le  Ronl  : 
Entre  euz  deuz  n'a  ne  val  ne  mont  ; 
Et  après  Saint-Denis  du  Pas 
NeSaint-Aignien  n'oubliie  pas, 
Et  puis  la  chapele  as  Noctaires, 
Où  il  repaire  mains  vicaires; 
Et  puis  après  la  Maison-Dieu 
De  Paris,  où  a  digne  lieu  ; 
En  Rue  Noive,  pas  ne  griève. 
Le  moustier  Sainte-Geneviève 
La  Petite,  que  je  ne  taille  : 
Devant  celle  esglise,  sans  faille , 
Vent-on  chapons,  gelines,  cos, 
Perdris,  plouviers  cl  vuidecos  '. 
Après  le  moustier  Saint-Christolle, 
Qui  de  l'amour  Dieu  fist  son  coffre 
Quant  le  porta  outre  la  mer  : 
Servir  le  devons  et  amer  : 
Entour  vent-on  fourmages,  oefs. 
Près  d'ilec  siet  Saint-Pierre  as  Buefz 
Et  le  moustier  Sainte-Marine 
Qui  ne  siet  pas  sur  la  marine. 

'  Ceci  nous  donne  la  signitication  de  ce  nom ,  rue  des  Poules,  qui  se 
trouve  encore  près  de  la  rue  Neuve-Sainte-Geneviève,  derrière  l'esplanade 
du  collège  Henri  IV. 


104         *  LE  DIT 

C'est  véritez  que  je  vous  di. 

Et  puis  après  la  Magdalainne 
Qui  vers  Dieu  ne  fu  pas  vilainne: 
.      De  ses  larmes  ses  piez  lava; 
De  ses  péchiez  Dieu  la  lava. 
Aussi  nous  veille-il  pardonner 
Les  nos  et  sa  grâce  donner! 
Folz  est  qui  sa  grâce  n'achate. 
Après  Saint-Denis  de  la  Chartre, 
Après  est  Saint-Symphorien 
En  une  place  séant  bien 
Ou  bout  de  la  Peleterie  : 
Devant  fait-on  boulengerie. 
Et  ou  bout  de  la  rue  aus  Fèvres 
Où  il  demeure  pou  d'orfèvres 
Qui  facent  calices  ne  crois  : 
Là  siet  le  moustier  Sainte-Crois, 
Après  Saint-Pierre  des  Arsis, 
Entre  les  Drapiers  est  assiz  ; 
Et  Saint-Mathyas  siet  après 
Qui  des  Savetiers  est  bien  près; 
Plusieurs  sont  si  paroissien, 
Que  c'est  un  moustier  ancien. 
Et  Saint-Germain ,  que  que  nus  die, 
Le  Yiel  siet  près  de  l'Orberie, 
Et  puis  le  moustier  Saint-Michiel , 
Qui  nous  conduise  tous  ou  ciel. 
Puis  le  moustier  à  un  cors  saint, 
Saint-Eloy,  où  malade  et  sain 
Vont  souvent  nus  piez  et  deschaus, 
Qu'il  est  mires  et  mareschaus 


DES  MOIJSTIERS.  i05 

De  mainte  cruel  maladie  : 

Ne  croy  que  nus  nul  mal  en  die. 

Prés  d'ilec  siel  une  chapele 

Qui  moult  est  digne  et  riche  et  bêle  : 

C'est  la  chapele  nostre  roy  ', 

Où  de  biauté  a  grant  arroy 

Et  de  richesse;  y  a  grant  masse 

De  reliques  en  une  châsse 

As  quiex  l'en  doit  porter  honneur 

Pour  l'amour  de  nostre  Seignieur; 

Sa  crois,  sa  coronne  et  li  cleu 

Laiens  sont  mis  en  noble  lieu  , 

Et  si  i  sert-on  noblement  Dieu 

Qui  siet  devant  le  grant  Palais; 
Mes  chéus'est,  donc  est  plus  lais  '. 
C'est  véritez  que  vous  despont. 
Or  m'en  iray  outre  le  pont 
Pour  des  autres  moustiers  trouver 
Que  l'en  ne  puisse  réprouver; 
Quar  s'en  mon  dit  faille  de  rien , 
Premiers  trouverez  Saint-Julien 
Le  Povre,  et  bien  ai  regardé 
Que  maint  compaignon  a  gardé 
De  mort,  ce  n'est  pas  mesprison , 
Et  d'estre  en  vilainne  prison; 
Il  les  herberge  et  si  les  tence  : 
De  herbergier  a  la  poissance. 
El  puis  la  chapele  Saint-Blaivc, 
Qui  pour  Dieu  morut  à  grant  glaive. 

•  La  Sainle-Chapelle,  tomme  le  prouve  de  reste  l'énumération  des  reli- 
ques qui  j  étaient  déposées.  Voyez,  à  ce  sujet,  Dubreuil  et  Sauvai. 


i06  LE  DIT 

Après  oublier  ne  doy  mie 
Sainl-Sevrin,  pour  la  ferperic 
Qui  est  achetée  et  vendue, 
En  son  quarrefour  est  tenue 
De  plusieurs  manières  de  gent 
Qui  s'en  chevissent  bel  et  gent. 
Après  est  Saint-Andrieu-des-Ars, 
Où  mainte  dame  de  leur  ars 
Ont  maintes  fois  lancié  et  trait , 
Et  maint  homme  à  eulz  alrait. 
Après  i  r'est  Saint-Augustin , 
Où  l'en  parole  bien  latin. 
'  A  Saint-Germain-des-Prés  m'en  vois. 
Où  l'en  sert  Dieu  à  haute  vois. 
Après  est  Saint-Martin-des-Orges, 
Et  puis  après  i  est  Saint-Georges; 
Après  Saint-Père  du  Sablon 
Et  Saint-Soupplis  y  asamblon  ; 
Et  puis  après  les  Cordeliers; 
De  bon  vin  boivent  volentiers. 
Saint-Gosme  et  Saint-Damien  : 
Cy  duy  furent  sirurgien 
Et  mires  à  Dieu  nostre  père  ; 
Qui  ce  ne  croit,  il  le  compère  : 
Et  puis  après  Saint-Matelin; 
Sus  coûtes  et  en  draps  de  lin 
Ghainoigne  nuit  maint  povre  couche 

De  Dieu  soient  tel  gent  benoit  ! 
Après  le  moustier  Saint-Benoît 
G'on  apele  le  Beslourné. 
D'ilec  lantost  m'en  retourné 


DES  MOUSTIERS.  i07 


Au  moustier  des  Hôpilaliers, 
Que  n'oublie  pas  volentiers. 
Saint-Hylaire  est  un  pou  avant  : 
Sainte-Geneviève  la  grant 
Y  est,  où  a  riche  abbaye; 
Puis  ay  ma  voie  envaïe, 
S'ay  trouvé  un  moustier  noblet 
Que  fist  le  cardounar  Cholet  '  : 
Saint-Symphorien  le  Petit, 
Si  siet  au-dessous  un  petit, 
En  la  terre  Saint-Pierre  ou  Mont. 
Li  Navarrois  nuef  moustier  ont  ' 
Carmélite  logié  se  sont 
Un  pou  aval;  là  moustier  font  \ 
Après  Saint-Estienne  des  Grez  ; 
Qui  de  Dieu  servir  fu  engrez. 
Devant  siéent  li  Jacobin , 


>  Ce  cardinal  mourut  en  1292,  fondant  par  testament  le  collège  qui 
porta  son  nom  et  qui  ne  put  être  établi  que  quelques  années  plus  lard  dans- 
un  local  situé  rue  des  Grès,  qu'achetèrent  en  1295  ses  exécuteurs  testa- 
mentaires. 

a  Ce  passage  nous  prouve  que  ce  Dit  des  Moustiers  fut  écrit  dans  les^ 
premières  années  du  14=  siècle,  puisque  le  collège  de  Navarre  ne  fut  fondé 
qu'en  1304  (la  première  pierre  de  sa  chapelle  fut  posée  en  1309)  et  qu& 
l'auteur  dit  que  ce  moustier  était  encore  neuf. 

3  Ce  vers  conGrme  encore  l'hypothèse  précédente  et  nous  donne  même 
la  date  précise  de  notre  pièce.  En  eflet,  les  Carmes,  ou  JBarres^  établis  en 
France  par  saint  Louis  au  retour  de  sa  première  expédition ,  après  avoir 
démontré  à  Philippe-le-Long  qu'ils  étaient  trop  loin  de  1" Université  et  que 
la  Seine  les  assiégeait  chaque  hiver  dans  leur  couvent,  obtinrent  de  ce 
prince,  en  1317,  la  permission  de  bâtir  un  autre  couvent  à  la  place  Mau- 
bert.  Ce  nouvel  établissement  dut  être  terminé  fort  proniplement ,  car  on 
célébra  la  messe  dans  son  église  le  25  octobre  1818.  Or  notre  poëte  écri- 
vait avant  que  le  second  monastère  des  Carmes  fût  achevé.  On  peut  donc 
placer,  avec  quelque  apparence  de  raison ,  la  composition  de  noire  DU  rfe* 
Mousliers  entre  1317  et  1318. 


i08  LE  DIT 

Qui  par  païs  vont  bin  et  bin; 
Chapele  y  a  de  Saint -Andrieu  , 
Qui  fu  mult  grant  ami  de  Dieu. 
D'ilec  alay  à  Nostre-Dame 
Des  Champs,  moignes  {sic)  par  m'âme. 
D'ilec  au  moustier  Saint-Marciau^ 
Qui  siet  près  d'un  petit  ruissiau  \ 
Saint-iMartin  et  Saint-Ypolite  : 
Ceus  ai-je  bien  pris  à  eslite. 
D'ilec  ving  au  moustier  Saint-Marc  j 
Puis,  à  la  traitie  d'un  arc, 
Est  Saint-Victor  mult  bien  séans. 
Puis  li  moustiers  des  Bons-Enfans; 
Puis  la  chapele  au  Moinnios  : 
Demourer  là  plus  je  n'i  os. 
Saint-Bernart  oublier  ne  doy  : 
Saint-Nicholas  du  Chardonnay; 
Puis  après  la  Sourbonnerie, 
Que  je  ne  doy  oublier  mie. 
Puis  m'en  reving  tout  sans  effroy 
Droit  au  moustier  de  Saint-Lieffroy 
Et  à  Saint-Gerniain-l'Aucerrois. 

D'ileques  à  Saint-ÎSicholas 
Du  Louvre  et  à  Saint -Thomas, 
Et  puis  après  je  m'en  revins 
Parle  moustier  des  Quinze-Vins, 
Et  au  moustier  Saint-Honnouré, 
Où  de  bon  cuer  Dieu  ai  ouré. 
D'ilec  m'en  ving  à  Saint-Huitasse, 

«  La  Bièvre. 


DES  MOUSTIERS.  109 

Près  des  Haies,  en  digne  place, 

Et  d'ilec  à  Saint-Innocent, 

Où  gist  maint  cors  d'omme  innocent. 

Et  après  à  Sainte-Oportune, 

De  clous  guérit  et  d'apostume, 

Et  puis  à  Sainte-Katherine, 

Qui  vierge  fu  pure  entérine; 

Puis  le  moustier  de  Saint-Magloire 

Qui  ama  Dieu  le  roy  de  gloire. 

Et  assez  près  de  icel  lieu 

Est  le  Sépulcre  Dame-Dieu. 

Puis  à  Saint-Leu  et  à  Saint-Gile, 

Aussi  voirs  est  com  évangile. 

Et  si  vous  di  qu'à  l'oposite 

L'esglise  de  Saint-Jacques  est  ditte 

Que  les  confrères  ont  fondée 

Par  grant  dévocion  jurée; 

Sus  la  Grant  Rue  fondé  l'ont. 

Certes  mult  biau  séant  resont 

Li  moustiers  de  la  Trinité 

Où  le  Seignieur  de  majesté 

Est  bien  servi  à  grant  honneur. 

Devant  lui  r'est  Saint-Sauvéeur 

Et  les  Filles-Dieu  sont  après  : 

Saint-Ladres  en  est  assez  près. 

Puis  m'en  reving  à  Saint-Lorens  : 

De  cheminer  ne  fui  pas  lens. 

Puis  à  Saint-Nicholas  des  Chans, 

Puis  à  Saint-Martin ,  où  de  chans 

Servent  li  moigne  Jhésu-Cris. 

Au  Temple  ving,  pas  ne  mespris, 

Et  puis  après  as  Blans-Mantiaus, 


ilO  LEDIT 

Où  l'en  essuie  à  grans  monciaus 

Laine,  et  en  la  Brelonnerie 

A  une  petite  abbaïe 

Que  l'en  apele  Sainle-Crois, 

Dont  les  frères  metent  les  crois 

Partie  à  blanc  et  à  vermeil; 

De  ce  pas  mult  ne  me  merveil  : 

Puis  siet  après  une  chapele 

Dédiée  par  miracle  bêle 

D'un  juif  qui  en  son  ostel 

Bouilli  le  sacrement  d'autel , 

Dont  trouvez  fu  vermaus  entiers. 

Puis  est  li  Vaus  des  Escoliers, 

Puis  est  Saint-Pol,  puis  Nostre-Dame 

Du  Carme;  bien  scevent  leur  game. 

Il  ont  pris  leur  lieu  et  leur  estre 

Où  li  Barré  souloient  estre, 

Et  d'ileques  r'alez  s'en  sont 

Sous  Sainte-Geneviève  ou  Mont  '. 

Après  a,  joingnant  de  la  porte 

De  Barbel,  à  une  grant  porte, 

A  un  ostel  de  bonne  gent 

Où  il  a  moustier  bel  et  gent  : 

Béguines  et  preudefames 

Le  los  eschivent  des  diffames 

Et  les  péchiez  ors  et  mauves. 

D'ileuc  m'en  ving  à  Saint-Gervais, 

Où  il  a  gracieus  moustier 

Près  de  la  porte  Baudoier. 

Dessous  est  Saint-Jehan  de  Grève  : 

»  Voyez  la  note  3,  p.  107. 


DES  MOUSTIERS.  111 

Li  uns  à  l'autre  rien  ne  grève. 
Un  pou  après  icelle  esglise 
Une  chapele  y  est  assize 
Que  lîst  faire  uns  riches  hom  ; 
Estienne  Baudris  ot  à  non. 
Prestres  et  clers  il  y  a  mis, 
Qui  pour  lui  et  pour  ses  amis 
Sont  ordenez  à  Dieu  servir, 
Qu'il  puissent  s'amour  desservir  : 
Preudons  fu  cil,  avoir  ot  bon. 
D'ileuc  ving  au  moustier  Saint-Bon 
Et  de  Saint-Bon  à  Saint-Marri, 
Là  n'oi-je  pas  le  cuer  marri  ; 
Saint  Père  et  saint  Lénart  ensamble 
Y  sont  aouré,  ce  me  samble. 
En  la  rue  Aubri-le-Bouchier 
A  un  moustier  que  mult  ai  chier  : 
Saint-Josse  oublier  ne  vueil. 
....  nommer  vous  \ueil 
Avant  ce  que  ma  bouche  lie 
Saint-Jaques  de  la  Boucherie. 
Tous  les  moustiers  vous  ai  nommé 
De  Paris,  sans  nul  raesnommé; 
Plus  n'en  y  say,  ce  m'est  avis, 
Que  bien  y  ay  mis  mon  avis. 
Je  ne  vueil  pas  mettre  en  mon  conte 
Chapeles  aus  dus  et  aus  contes, 
Ne  à  bourgois  ne  aus  évesques, 
N'a  abbez  ne  à  archevesques  ; 
Je  n'i  mes  que  cens  proprement 
Où  toute  gent  communément 
Puet  le  digne  service  oïr 


il2  LE  DIT  DESJVIOUSTIERS. 

Dieu,  dont  on  se  doit  esjoïr 
Et  Dieu  et  sa  mère  proier, 
Chascun  pour  son  cuer  supploier 
Vers  Jhésu-Crist  de  leur  tors  fais 
Et  des  péchiez  que  il  ont  fais. 
Touz  les  autres  ai  arrière  mis; 
Mes  ceuls-ci  ai-je  en  rime  mis 
Dont  tous  ensamble  les  vous  nonbre 
Quatre-vins  et  huit  par  droit  nonbre. 
11  n'en  y  a  ne  mains  ne  plus, 
Se  ce  ne  sont  moustiers  repus. 
Fors  le  Saint-Jaques  moustier 
Qui  de  nouvel  fu  fait  l'austr'ier', 
Où  nul  ne  va  ne  ne  repaire 
Fors  que  cilz  qui  lez  ont  fait  faire; 
Mes  li  autre  sont  de  autre  guise 
Qui  sont  commun  au  Dieu  servise. 

I  L'austr'ier  ne  veut  pas  dire  ici  hier  ou  l'année  passée,  mais  récem- 
ment, il  y  a  peu  de  temps.  C'est  une  allusion  à  la  piété  toute  royale,  et 
dont  le  souvenir  était  resté  populaire,  de  saint  Louis,  qui  avait  fait  bâtir 
l'église  et  le  couvent  des  Jacobins,  rue  Saint-Jacques.  Avant  que  ces  re- 
ligieux obtinssent  du  roi  cet  acte  de  munificence,  ils  occupaient  une 
maison  sur  ce  même  emplacement.  Cette  maison,  lorsqu'ils  demeuraient 
près  de  l'Évêché,  avait  servi  de  parlouer  aux  bourgeois. 


Be  mnicovnt  et  H  Serpent. 

Ms.  7218,  Bibliothèque  Royale. 


Moult  par  est  fols  cil  qui  s'entem, 
Qui  le  bien  voit  et  le  mal  prent  j 
Trestout  avant  doit  au  bien  tendre 
Et  puis  aus  autres  fére  entendre 
Aucun  bien,  se  ses  cuers  li  laisse. 
Or  vous  ai  mis  tel  oevre  en  laisse 
Que  je  lerai  corre  par  tans. 
Il  n'est  nus  hom  tant  fors  ne  granz, 
S'il  ceste  oevre  veut  escouter, 
Que  moult  ne  doie  redouter' 
Le  déable,  qui  nous  justice 
Par  le  péchié  de  covoitise. 
Or  vous  vueil  commencier  un  conte 
De  covoitise  qui  sormonte 
Trestout  le  mont  à  un  seul  mot,- 
Ele  est  par  tout  si  à  havot 
Qu'ele  a  tout  le  mont  awuglé, 
Tant  par  est  de  grant  poesté.' 

Jadis  fu  c'uns  preudom  esloit 
En  un  chemin  et  si  erroitj 
Devant  lui  choisi  une  beste 
II. 


114  DE  L'UNICORNE 

Hideuse  de  cors  et  de  teste, 

Et  seur  toute  rien  félonesse; 

Et  si  esloit  si  larronesse 

Qu'il  n'est  nus  hom  qui  tant  séusl, 

Qui  de  li  garder  se  péust. 

En  mi  le  front  estoit  cornue 

D'une  corne  si  très-aguë 

Qu'il  n'est  âme  qui  l'atendist , 

Por  que  à  pin  in  cop  le  ferist , 

Qui  péust  vivre  longuement 

Qu'il  ne  fust  au  definement. 

Et  quant  li  hom  la  vit  venir 

En  fuie  torne  par  air, 

Quar  paor  a  que  ne  l'ataingne; 

Fuiant  vient  à  une  montaingne 

Dont  trop  ert  haute  la  falise. 

Or  ne  set-il  en  quele  guise 

Il  se  puisse  garir  ou  monde, 

Quar  la  valée  est  si  parfonde 

Et  si  hideuse  entre  deus  mons, 

Que  nus  ne  puet  véir  au  fons. 

En  cel  leu  qui  si  est  hideus 

A  un  serpent  si  nierveilleus, 

Qui  veut  tout  le  mont  engloutir 

Et  la  gent  destruire  et  honir  ,• 

Toz  jors  a  la  goule  baée, 

Si  gete  une  si  grant  fumée, 

Si  très-orible  et  si  pusnaise, 

Et  si  puant  et  si  mauvaise. 

Qu'il  n'est  nus  hons,  por  qu'il  la  voie, 

Qui  de  paor  morir  ne  doie. 

Or  est  cil  en  moult  grant  péril, 


ET  DU  SERPENT.  H5 

Quar  de  deus  pars  voit  son  escil  : 

II  voit  enz  el  fons  contreval 

Le  serpent  hideus  et  raortal  ; 

La  beste  point  ne  le  rapaie 

Qui  avant  aler  ne  le  laie, 

Qui  por  ocire  adès  le  chace. 

Or  ne  set  cil  qu'il  onques  face  : 

S'il  atent  la  beste,  il  est  mors; 

Et  se  li  serpens  l'avoit  mors, 

James  jors  garis  ne  seroit. 

Ez-voz  celui  forment  destroit  : 

Ne  sel  lequel  prendre  à  son  chois, 

Il  est  mors  s'il  i  remaint  cois. 

11  vit  devant  lui  el  pendant 

De  la  falise  haute  et  grant 

Un  arbre  grant  et  bien  ramu, 

Et  quant  li  preudons  l'a  véu , 

Lors  pense  que  sus  montera 

Et  sa  vie  respitera. 

A  l'arbre  vint  isnelement  ; 

A  ses  deus  mains  l'aert  et  prent , 

Puis  vait  amont  parmi  les  rains. 

Tant  que  il  vint  au  daarrains; 

Si  s'assist  là  sor  une  branche. 

Or  est  sa  vie  en  grant  balance; 

Car  la  beste  moult  la  deshaite 

Qui  sor  la  faUse  l'agaite; 

Vers  lui  a  sa  corne  tornée 

Plus  trenchant  et  plus  afUée 

Conques  nus  hom  ne  vit  rasoir;  .^ 

Ce  dist  l'escripture  por  voir 

Qu'ainz  ne  fu  faus  plus  esmolue 


ne  DE  L'UNICORNE 

Ne  nule  alesne  plus  aguë. 
Il  voit  là  desouz  le  serpent 
Qui  veut  mengier  toute  la  gent, 
Et  de  feu  et  de  flambe  espris 
Dont  ses  cuers  est  moult  entrepris. 
De  paor  a  le  cuer  esmabre; 
Lors  a  gardé  au  pié  de  l'arbre, 
Si  a  véu  deus  besteletes 
Qui  menjucnt  les  racinetes. 
De  l'arbre,  et  rompent  à  grant  force 
Le  cuer  et  le  fust  et  l'escorce  ; 
Si  ne  sont  pas  d'une  samblance, 
Que  l'une  est  noire  et  l'autre  blanche. 
Ne  nuit  ne  jor  onques  ne  finent, 
L'arbre  menjuent  et  afinent^ 
Eles  ne  fment  nuit  ne  jor. 
Ez-vous  celui  en  tele  error: 
«  Las!  fet-il,  que  porrai-je  fère? 
Or  ne  sai-je  de  quel  part  trère, 
Car  ne  cuic  pas  que  de  cuer  m'aint 
Cil  sathanas  qui  là  jus  maint  ; 
Celé  beste  me  veut  deslruire 
Que  je  voi  là  crier  et  muire; 
Ces  deus  besteletes  m'afolent, 
Que  ce  que  j'ai  de  bien  me  tolent  ; 
Quar  cis  arbre  par  tens  charra 
Et  cil  serpent  m'engloutira; 
«  Et  se  je  chié  devers  le  mont , 
Celé  beste  cornue  el  front 
M'ocirra ,  je  1'  sai  tout  por  voir, 
Autre  garant  n'en  puis  avoir  : 
Quel  part  que  voise,  perdu  sui  ; 


ET  DU  SERPENT.  4i7 

Ainz  mes  nus  hons  n'ot  tanl  d'anui.  » 

A  ce  qu'il  ert  en  tel  balance, 
Vit  devant  lui  en  une  branche 
Trois  gouleletesde  miel  pendre; 
Il  les  aert  et  les  va  prendre. 
Les  trois  goûtes  de  miel  menja 
Et  puis  la  branche  regarda , 
Si  en  vit  six  goûtes  noveles 
Qui  estoient  assez  plus  bêles 
Que  celés  n'estoient  devant; 
Lors  en  vit  par  tout  l'arbre  tant 
Que  ce  n'est  se  merveille  non  : 
Du  miel  i  ot  à  grant  foison. 
Par  le  miel  qu'il  a  engoulé 
A  tout  son  lorment  oublié, 
Ne  li  sovint  mes  de  malaise, 
Tout  a  entr'oublié  por  l'aise 
La  destruction  qui  l'atent  ; 
De  l'unicorne  et  del  serpent 
Ne  de  nul  mal  ne  li  sovient: 
A  la  douceur  du  miel  se  tient. 
Hé  las!  dolenz ,  por  quoi  le  fet 
Quant  à  si  grant  dolor  s'en  tret? 
Quar  les  deus  bestes  ne  séjornent 
Qui  son  arbre  à  noient  li  tornent  ; 
Tant  l'ont  mengié,  tant  l'ont  rongié 
Que  l'arbre  ont  moult  adomagié, 
Qui  nuit  ne  jor  onques  ne  finent  : 
L'arbre  menjuent  et  afinent. 
La  beste  cornue  voit  bien 
Queli  arbres  ne  vaut  mes  rien., 


il8  DE  L'UMCORNE 

Ainz  va  mes  tout  amenuisant 


Celé  part  vient  abondissant , 
De  plain  eslais  si  s'abandone, 
De  sa  corne  tel  cop  li  done 
Que  l'arbre  fet  aval  chéir. 
Or  ne  se  puet  plus  cil  tenir 
Que  il  ne  soit  chéus  au  fons 
Du  val,  qu'est  hideus  et  parfons; 
Or  est  chéus  aval  el  gouffre 
Où  il  toutes  les  dolors  souffre. 

Or  est-il  droiz  que  je  vous  die 

Que  celé  beste  sénefie 

Qui  est  cornue  en  mi  le  front  : 

Ce  est  la  mort  qui  nous  confont, 

Qui  nuit  et  jor  nous  est  moult  près, 

Et  si  nous  gaite  tout  adès 

Qu'il  n'est  nus  bons  qui  tant  séust 

Qui  de  li  garder  se  péust. 

Félonesse  est  et  mal  queranz; 

Ele  prent  loz  vilains  et  franz; 

Si  vient  ausi  comme  li  1ère  : 

Ele  emble  la  fille  à  la  mère. 

Le  père  an  fil,  le  fil  à  l'omme  : 

Ele  prent  tout,  ce  est  la  somme. 

Ele  fet  si  plenier  son  conte 

Qu'ele  n'espargne  roi  ne  conte, 

Archevesque  ne  clerc  ne  prestre. 

El  monde  n'a  plus  félon  mestre, 

El  cil  qui  plus  la  beste  fuit 

Ce  sont  hommes  et  famés  tuit, 

Nous,  genz  qui  en  cest  siècle  sommes. 


ET  DU  SERPENT.  H9 

Oui  volentiers  la  mort  fuiommes; 
Se  nous  la  saviiens  de  çà 
Moult  volentiers  fuiriens  de  là. 
11  n'est  nus  hom  qui  la  véist 
Qui  volentiers  ne  la  fuist. 
El  de  l'arbre  et  de  la  falise 
Vous  dirai  toute  la  devise 
Où  li  preudom  à  garant  vient  : 
C'est  la  vie  qui  nous  soustient  ; 
Chascun  s'i  tient  tant  comme  il  puet, 
Et  quant  partir  nous  en  estuet, 
Voirs  est  que  moult  envis  lessons 
Et  noz  avoirs  et  noz  mésons, 
Et  quant  ce  vient  au  départir 
Que  l'âme  doit  du  cors  partir, 
Si  samble  à  chascun  sanz  délu 
Qu'il  n'ait  c'un  petitet  vescu. 

Or  vous  vueil-je  la  réson  rendre 
Et  par  example  fère  entendre 
Que  les  deus  bestes  sénefient 
Qui  l'arbre  rungent  et  afment. 
Hé  Diex!  qui  bien  i  penseroit, 
Com  peu  d'orgueil  il  averoit! 
Ce  est  la  nuit  et  s'est  li  jors 
Qui  nos  vies  met  en  décors  : 
1er  fu  plus  longue  nostre  vie 
Qu'ele  n'est  hui,  n'en  doutez  mie, 
Et  hui  plus  longue  que  demain  : 
Ainsi  traions  au  daarrain. 
L'autr'ier  désirrames  Noël, 
Quaresmes,  Pasques  autretel , 


120  DE  L'UNICORNE 

Après  Pentecouste  en  esté, 
Et  après  c'on  ait  moissoné, 
Feste  Toz-Sainz  et  Saint-Martin  : 
Ainsi  tret  chascuns  à  sa  fin. 
Li  jors  et  les  nuis  nous  acorce 
Nostre  vie,  et  no  fin  aproche; 
Quant  li  jor  et  la  nuit  oscure 
Ont  tant  esté  en  lor  pasture 
Qu'il  ont  nos  vies  pasturées 
Et  à  noient  les  ont  menées, 
Lors  vient  la  mort  qui  ne  se  faint , 
De  sa  corne  si  nous  empaint, 
Si  roidement  vers  nous  s'acointe 
Qu'ele  gete  mort  le  plus  cointe. 

Or  vous  vueil  dire  sans  meslée 
I  Que  sénefie  la  valée 
Qui  tant  est  laide  et  anieuse, 
Orde,  puanz  et  périlleuse, 
Et  li  serpens  à  la  grant  geule  : 
Ce  est  Enfers  où  li  maus  queule 
Qui  toz  jors  bée  à  nous  déçoivre; 
Si  nous  devommes  aperçoivre 
Tant  corn  nous  avons  poesté, 
De  nous  conduire  à  sauveté. 
Doit  chascuns  fère  son  aguet , 
Quar  se  nous  sommes  là  jus  tret, 
James  jor  issir  n'en  perrons, 
Mes  toz  jors  en  vivant  morrons; 
Ausi  com  cil  qui  gist  el  fu 
Qui  desus  l'arbre  montez  fu. 


ET  DU  SERPENT.  i21 


Or  est-il  droiz  que  vous  sachiez 
Du  miel  dont  l'arbre  fu  carchiez; 
Or  vous  en  vueil  le  sens  descrire 
*  Qu'il  sénefie  et  qu'il  veut  dire  : 
Le  miel  qui  enz  en  l'arbre  abonde, 
Ce  sont  li  faus  délit  du  monde, 
Li  biau  boivre,  li  biau  mengier, 
Li  biau  vestir,  li  biau  chaucier, 
Les  granz  robes  et  li  orfroi, 
Li  cheval  et  li  palefroi , 
Et  li  tornoi  et  li  cembel, 
Et  li  lévrier  et  li  oisel. 
Les  granz  dames  et  li  borgois, 
Et  li  vilain  et  li  cortois, 
Sont  si  à  cel  délit  torné 
Que  tout  en  ont  Dieu  adossé. 
Nus  ne  quiert  mes  que  ses  solaz , 
Et  s'aucuns  tient  entre  ses  braz 
S'amie,  soit  pucele  ou  dame, 
Por  cel  délit  oubHe  s'âme. 

Hélas!  com  povre  covoitise 
Qui  si  tost  est  à  noient  mise! 
Or  esgardez  par  tout  le  mont 
Toz  les  plus  sages  qui  i  sont, 
Comme  lor  joie  tost  lor  faut 
Si  tost  com  la  mort  les  assaut. 
Vers  la  mort  n'a  mestier  proece, 
Biautez ,  ne  force,  ne  larguece, 
Sens  de  provoire  ne  d'abé 
Ne  de  nul  sage  clerc  letré, 
Qui  tout  ne  voist  parmi  la  mort, 


122  DE  L'UNICORNE 

Si  tost  comme  la  mort  l'amort. 
Vers  li  ne  vaut  escu  ne  lance, 
Draz  couez  ne  ridée  manche. 
Que  feront  donc  cil  bacheler 
Oui  ne  finent  de  porpensser 
D'aus  cointement  appareillier? 
Lor  dras  font  creter  et  taillier 
Et  lor  soleriaus  détrenchier, 
Dras  filetez  et  envoisiez  : 
Cil  ont  du  fol  miel  tant  mengié 
Que  jà  en  sont  tuit  engingnié  ; 
Et  les  dames  et  les  puceles 
Qui  or  sont  si  sor  lor  gaveles, 
Qui  sovent  sont  encolorées, 
Appareillies  et  mirées, 
Et  affublées  au  rouet  : 
Chascune  tout  son  pooir  met 
En  li  acesmer  cointement, 
Non  pas  por  Dieu,  mes  por  la  gent. 
Quant  eles  sont  appareillies, 
Estroit  veslues  et  chaucies , 
Si  vont  devant  lor  huis  seoir 
Por  ce  c'on  les  puist  miex  véoir  ; 
Celé  qui  plus  est  bêle  et  blanche 
Fet  volenliers  de  li  moustrance. 
Tele  samble  es  dras  savoreuse, 
Qui  la  char  a  laide  et  roingneuse  : 
Qui  toute  nue  la  verroit , 
Sachiez  que  petit  l'ameroit; 
Les  robes  les  font  avenanz, 
Lors  ont  les  gresles  si  tendanz 
Qu'à  paines  puéent  lor  braz  tendre; 


ET  DU  SERPENT.  i23 

Toz  lor  orgueils  devendra  cendre  : 

Cesle  vie  trespassera , 

Ele  ne  vaut,  rien  ne  vaudra, 

Quar  se  ceste  vie  durast 

Bien  fust  résons  que  on  l'amast; 

Mes  por  ce  qu'ele  peut  faillir 

La  doit  toz  li  mondes  haïr 

Et  la  vie  du  ciel  amer, 

Où  il  n'ot  onques  point  d'amer, 

Qui  toz  jors  sanz  fin  durera 

Tant  comme  Dame-Diex  sera. 

Qui  sanz  fin ,  sanz  commencement , 

Fu  et  sera  tout  vraiement. 

Et  cil  qui  por  les  faus  délis 

Seront  el  puis  d'enfer  galis, 

James  jor  issir  n'en  porront; 

Mes  adès  en  vivant  morront 

Ausi  com  cil  qui  le  miel  prist 

Qui  en  la  grant  dolor  en  gist. 

Or  prions  Dieu  le  glorious 
Que  il  mete  tel  sens  en  nous 
Que  nous  puissommes  adosser 
Les  fols  délis  et  oublier, 
Qu'en  enfer  ne  nous  vueille  trère, 
Et  Diex  nous  lest  teus  oevres  fére 
Que  toz  nos  mete  à  garison 
Et  doint  vraie  confession. 

Amen. 
Explicit  de  l'Vnicorne  et  du  Serpent. 


£tQ   Uers  in  Monht. 

Ms.  7218,  Bibliothèque  Royale. 


Du  monde  qui  fel  à  reprendre 

Me  dueil,  quar  ainçois  me  vint  prendre 

Conques  eusse  entendement, 

N'ainc  puis  ne  me  vout  mon  cuer  rendre, 

Ainz  m'a  fet  entor  lui  despendre 

Tens,  aage,  senset  jouvenl, 

Dont  en  grant  dolor  sui  sovent, 

Quar  je  remir  con  fetement 

Me  sui  lessiez  à  lui  sorprendre, 

Por  ce  qu'il  m'avoit  en  couvent  : 

En  ses  promesses  n'a  que  vent, 

Et  s'il  paie,  n'est-ce  fors  cendre. 

Mondes,  de  toi  plaindre  me  doi, 
Quar  par  toi  engané  me  voi, 
Por  ce  que  je  t'ai  trop  créu  ; 
Tes  promesses  de  pute  foi 
M'ont  si  converti  en  ta  loi, 
Mondes  ,  qu'eles  m'ont  décéu. 
Mondes,  tu  m'as  si  desvestu, 
Qu'il  n'a  en  moi  nule  vertu  ; 


LES  VERS  DU  MONDE.  125 

Mondes  mauves,  nous  sommes  doi, 
Cors  et  âme,  cui  t'as  féru 
A  mort  et  de  venin  peu  : 
Fols  est  qui  a  fiance  en  toi. 

Mondes,  li  venins  que  je  bui 
A  ton  hanap,  quant  à  toi  fui, 
Dont  tout  me  truis  envenimé, 
Samble  chascun  plésant  en  lui 
Dusqu'à  donc  qu'il  connoist  l'anui, 
Le  domage  et  la  povreté. 
Que  l'âme  i  prent  et  l'enferté; 
Mes  quant  connoist  ta  fausseté, 
Adonc  te  het  et  aime  autrui  : 
Cil  qui  plus  se  sont  délité 
En  toi  servir,  plus  ont  musé, 
Quar  servi  ont  ne  sèvent  qui. 

Mondes,  cil  par  a  trop  perdue 
La  connoissance  et  la  véue 
Qui  en  toi  se  fie  de  riens  ; 
T'es  une  voie  sanz  issue; 
L'entrée  est  parée  et  veslue 
De  délices  plaine  de  fiens, 
D'orgueil,  de  beuban,  c'est  li  biens 
Que  tu  fez  savorer  les  tiens. 
Covoitise  i  est  maintenue, 
Et  toute  chose  qui  est  niens. 
Mondes ,  lu  pais  cels  que  lu  tiens 
D'une  viande  qui  les  tue. 

Mondes ,  cil  qui  à  toi  s'avoie 


120  LES  VERS 

Quant  connoissance  le  ravoie 
D'aler  au  chemin  de  salu, 
11  n'en  puet  issir,  ainz  forvoie, 
Quar  il  ne  puel  trover  la  voie  : 
Tu  es  la  méson  Dédalu; 
Puis  c'on  ert  en  toi  embatu , 
A  paines  en  ert-on  issu  : 
Les  tiens  paies  fausse  monoie. 
Hé  Diex!  tant  en  ai  recéu, 
Je  criem  que  je  n'en  arde  ou  fu 
Avoeques  cels  que  Diex  renoie. 

Mondes,  qui  bien  te  connistroit 
Et  qui  très-bien  t'esgarderoit, 
Tes  oevres  et  tes  paiemenz, 
Nule  fiance  en  toi  n'auroit; 
Quar  qui  te  sert,  il  se  déçoit, 
Ausi  trespasses  comme  venz. 
Si  est  uns  hom  de  si  grant  sens. 
Si  plains  d'avoir  et  de  parenz 
Que  nelui  riens  ne  priseroit, 
Ci  est  si  viex  et  si  puUenz 
Que  chascuns  li  vuide  les  renz, 
Nis  uns  chiens  ne  l'aprocheroit. 

Mondes,  je  di  que  tu  trespasses 
Et  que  cortes  sont  tes  espasses 
C'on  a  en  toi  de  joie  avoir. 
Tu  es  uns  viviers  plains  de  nasses 
Por  prendre  les  chétives  lasses 
D'âmes  qui  n'ont  mestier  d'avoir; 
Mes  amors  les  fet  enchéoir 


DU  MONDE.  12? 

Maugré  réson  à  recevoir 

Ce  que  parmi  les  cors  leur  brasse. 

Mondes,  tu  les  fez  entonoir 

De  longue  vie  par  espoir, 

Nis  croire  ne  \uelent  leur  faces. 

Mondes,  en  toi  n'a  fors  paintureSj 

Duriez,  tribulacions  sures, 

Mes  de  ce  es  plains  jusqu'en  l'ueil; 

Les  tienz  fez  prester  à  usures, 

Por  avoir  les  envoiséures 

En  qui  l'en  envelope  orgueil . 

Tels  a  pou  de  pain  de  mestueil 

Et  mendie  sus  autrui  sueil 

En  mauves  dras,  plains  de  coustures, 

Qui  plus  lisi  de  joie  en  droit  fueil 

Que  cil  qui  ont  par  ton  acueil 

Robes ,  chevaus  et  couvertures. 

Mondes,  je  voi  que  li  plus  sage 

Devienent  tuit  fol  par  l'usage 

Que  tu  leur  fez  acoustumer; 

11  ne  t'en  chaut  de  lor  domage, 

Tu  leur  fez  paier  le  musage; 

Tant  les  fez  après  toi  aler 

Qu'el  mont  d'orgueil  les  fez  monter. 

Et  là  lor  fez  les  iex  crever 

A  covoitise  et  à  outrage. 

Si  qu'il  n'en  sèvent  ravaler; 

Mes  qui  la  mort  i  puet  trover, 
11  en  paie  cruels  ostage. 


12g  LES  VERS 

Mondes,  tu  taus  nostre  Seigneur 
Ce  qu'il  racheta  de  la  fleur 
Et  du  fruit  de  virginité. 
Hélaz!  com  vez  ci  grant  doleur 
Quant  l'en  voit  vaincre  le  meneur, 
Et  celui  qui  tout  a  crié 
A  l'en  ore  si  adossé, 
Si  en  despit,  si  en  viuté 
C'on  ne  li  veut  porter  honeur. 
11  samble  c'on  ne  li  fet  gré 
De  ce  qu'il  ouvri  son  costé 
Por  nous  toz  remetre  en  valeur. 

Mondes ,  com  ce  est  granz  meschiez 
De  ce  que  tu  as  tant  de  chiez 
De  sainte  yglise  qui  bien  voient 
Qu'il  n'a  en  toi  fors  que  péchiez, 
Et  s'est  chascuns  si  atachiez 
A  toi,  qu'il  n'aiment  ne  ne  croient 
Fors  toi,  dont  maint  example  envoient 
A  cels  qui  bien  se  garderoient; 
Mes  quant  l'en  voit  de  toi  tachiez 
Cels  qui  enseignier  nous  devroient. 
Je  sai  bien  que  tels  te  fuiroient 
Qui  atent  ore  tes  marchiez. 

Mondes,  hardiement  me  vaut 
Que  cil  qui  le  voient  devant 
Sanz  toi  par  derrière  esgarder 
Ne  se  vont  nient  apercevant 
Comment  tu  les  vas  décevant 
Si  qu'il  ne  s'en  sèvent  garder. 


DU  MONDE.  429 

Mondes,  tu  les  fez  arester 
En  tes  délices  désirrer  ; 
Mes  qui  voudroit  aler  avant 
Et  espresséement  garder 
Quel  on  te  puet  en  fin  trover, 
Tels  chiet  qui  se  relèveroit. 

Mondes,  nus  ne  puet  en  milisme 
De  tes  faussetez  mètre  en  rime, 
En  romanz,  n'en  latin,  n'en  griu. 
Tu  es  serpenz  qui  envenime, 
Tu  es  li  cyffres  d'augorisme 
Qui  ne  fet  fors  tolir  le  lieu 
D'autre  figure,  c'est  de  Dieu. 
N'a  père  Jhésu-Crist  le  pieu 
Qui  troveroit  maint  cuer  benime 
En  lieu  amoreus  et  soutiu, 
Qui  ore  en  sont  rude  et  eschieu , 
Com  s'il  fussent  de  paienime. 

Mondes,  l'en  seul  dire  en  apert 
Que  qui  à  chétif  seigneur  sert, 
Il  en  atent  chétif  loier. 
Mondes,  cil  qui  à  toi  s'ahert. 
J'ose  bien  dire  qu'il  se  pert; 
Quar  de  quanque  toz  pues  paier, 
Ne  porroies  mie  apaîer 
Un  cuer  par  qoi  son  désirrier 
N'éust  à  convoilier  ouvert. 
Fol  se  fet  en  toi  herbregier, 
Cuers  ne  s'i  puet  rassasier 
Ne  c'uns  gloutons  en  vuit  désert. 
II. 


130  LES  VERS 

Mondes,  la  mort,  qui  son  repère 
A  partout,  me  fet  ton  afère 
Remirer  plus  diligaument 
Que  jamès  ne  cuidoie  fère; 
Mes  toute  rien  voi  à  fin  trère 
A  toi  plain  de  mauves  couvent, 
A  maint  homme  dones  sovent 
Espoir  de  vivre  longuement 
En  joie  sanz  avoir  contrère 
A  oui  la  mort  est  en  présent 
Par  viellece  ou  par  sentement. 
Ne  por  ce  ne  s'en  veut  retrère  '. 

Mondes,  plain  de  corruption 
Te  voi,  d'abominacion; 

«  On  lit  dans  le  Ms.  1132,  supplément  français,  les  vers  suivants  sur  la 
mort,  qu'on  nous  permettra  de  citer  : 
Il  n'i  a  nul  si  biau  pignié 
Que  la  mort  n''ait  tost  despignié  ; 
Adonc  la  bêle  Emmelot 
Desdolera  son  dorenlot  ; 
Et  tu,  qui  portes  si  grant  hure, 
N'iras  pas  à  la  hure  hure  ; 
Et  tu ,  à  ces  longues  manchotes 
Qui  par  sa  par  là  les  dégètes, 
Et  acréu  as  les  grans  debtes, 
Or  vient  la  mort  qui  jus  les  mctes  ; 
Çhevauchié  as  les  grans  chcvaus 
Et  dévouré  les  cras  morsiaus, 
Or  est  venu  le  temps  driver 
Que  ton  cors  rungeront  li  ver, 
Et  l'ame  que  devendra  quoy  ; 
Chascun  respondera  pour  soy  : 
Prisié  n'i  seront  avocat 
Ne  plus  que  la  queue  d'un  chat. 

Le  même  manuscrit  contient  aussi  une  version  des  vers  $ur  la  mort,  pu- 
bliée par  Méon. 


DU  MONDE.  ^31 

Trop  est  faus  qui  en  toi  se  fie. 
Les  tiens  jues  de  trahison 
Par  ta  vaine  promecion, 
Dont  âme  n'est  fors  esvuidie. 
Mondes,  cil  qui  plus  estudie 
En  toi  et  plus  fet  grant  folie; 
L'en  n'i  aquert  se  paine  non , 
Et  s'est  par  tant  l'âme  périe  : 
Por  ce  istrai  de  t'abéie, 
Tant  qu'aie  fet  profeclion. 

Mondes,  je  praing  à  toi  congié- 

Se  piéçà  t'eusse  estrangié 

J  eusse  fet  mon  avantage. 

Nés  que  se  j'eusse  songié, 

Mes  désirs  que  tu  m'as  paie 

N'en  truis  en  moi  fors  qu'arriérage 

Famine,  acroissement  de  rage. 

Or  voi,  quant  connois  mon  domage, 

Comment  tu  m'as  le  dé  cliangiéj 

Or  vueil  issir  de  ton  servage, 

Et  corre  à  mon  droit  héritage, 

Oue  Diex  m'a  fet  et  esligié. 


Explichinl  les  Vers  du  Monde. 


"fif^J)  \ù'\  'j?. 


Bes  Brcis  an  Clerc  h  tïauîrat» 

Mss.  7218  et  1132,  supplément  français,  Bibliothèque  Royale. 


Or,  entendez  une  complainte 
Dont  la  réson  est  si  bien  jointe, 
A  paines  orrez  mes  plus  bêle  : 
Li  clers  de  Youdai  nous  acointe, 
De  son  bordon  use  la  pointe 
Ne  n'a  mes  que  la  manuele  ; 
De  la  pointe  orrez  la  novele  : 
Trente-sept  anz  en  s'escuele 
A  conversé  raingnos  et  cointe, 
Or  est  tornée  la  roele, 
Si  s'en  veut  partir  comme  celé 
Qui  désormès  s'en  désacointe. 

De  la  pointe  dirai  m'entenle  : 
La  pointe  si  est  ma  jovente 
Qui  de  moi  se  veut  départir; 
Se  j'ai  quarante  anz  ou  cinquante, 
Bien  est  droiz  que  je  me  repante 
Et  de  jurer  et  de  mentir. 
Puisque  je  me  vueii  repentir, 


DES  DROIZ  AU  CLERC  DE  VOUDAI.     133 

Si  me  covient  à  consentir 
Et  la  dolor  et  la  tormente 
Qu'il  covient  à  la  char  sentir  : 
Ainsi  puis  m'âme  garantir 
De  la  dolor  d'enfer  pullente. 

Je  vieng  dès  ore  en  granl  eage, 
Si  doi  changer  mon  fol  usage 
Se  devant  m'i  sui  maintenuz, 
Que  por  biauté  ne  por  parage, 
Por  terre  ne  por  héritage 
N'est  hom  ne  famé  chier  tenuz, 
S'il  pert  ses  dras  et  il  est  nuz; 
Et  s'il  les  a,  s'est  retenuz 
Partout  à  moult  grant  avantage; 
Qui  ce  ne  fet,  li  pains  menuz, 
Quant  il  est  et  viex  et  chenuz, 
A  tart  li  monstre  son  outrage. 


'6' 


Je  vous  ai  mains  mos  fabloiez, 
Diz  et  contez  et  rimoiez; 
Mes  or  m'en  vueil  du  tout  retrére. 
J'ai  esté  lonc  tens  desvoiez, 
Or  si  doi  estre  toz  proiez 
Del  mal  lessier  et  du  bien  fére; 
Quar  qui  veut  à  Dame-Dieu  plére^ 
S'il  ne  fet  l'anemi  contrère, 
Il  est  et  fols  et  desvoiez. 
Dame-Diex  est  plu&  débonère 
Que  ne  soit  ne  provos  ne  mère  : 
Tost  a  péchéors  ravoiez. 


i34  DES  DROIZ 

Por  ce  vueil  dire  une  chosete  ' 
Petite,  qui  est  novelete, 

'  Dans  le  Ms.  îiS'H,  supplément  français,  la  pièce  commence  à  celte 
strophe;  elle  ne  contient  que  dix-sept  stances,  et  se  termine  par  les  sui- 
vantes, que  n'offre  pas  le  Ms.  7218: 

Droit  dit,  et  ce  n'est  pas  frivole, 
Quar  le  maintieng  de  famé  foie 
Vaut  pis  que  serpent  ne  que  uivre  *, 
Quar  quanqu'il  a  tout  partout  voie. 
Pour  li  despenl  et  se  rigole 
De  son  avoir  tant  qu'est  délivre. 
Droit  dit  que  l'omme  ne  doit  vivre 
Qui  par  famé  est  fol  et  yvre. 
Quant  de  son  or  vieut  faire  estain. 
Un  proverbe  avons  en  no  livre 
Que  droit  nous  aprent  à  descrire  : 
«Tant  as,  tant  vaus  et  autant  faim.  » 

Droit  dit  et  vieut  que  père  et  mère, 
Se  sont  de  naturel  affaire, 
Qu'apreignent  leur  enfans  à  bien  faire, 
Et  eus  de  folie  retraire. 
Pères  qui  n'en  fait  son  devoir 
Ou  à  tout  le  mains  son  povoir, 
Et  li  filz  son  mauves  vouloir 
Acomplit,  sachent-il  pour  voir 
Que  il  leur  sera  chier  vendu. 
Maint  filz  en  a  esté  pendu. 
Maint  père  trahi  et  vendu  : 
Tort  as,  se  ne  m'as  entendu. 

Droit  dit  que  devons  Dieu  servii' 
Et  en  tout  temps  li  obéir, 
Quar  cil  qui  bien  le  serviront 
En  Paradis  après  iront. 
Servons  aussi  dame  Marie  ; 
Li  oublier  est  graut  folie  : 
Souvent  soit  en  nostre  mémoire, 
Quar  elle  est  mère  au  Roi  de  gloiic, 
Et  li  prions  que  par  sa  grâce 
Nous  face  voir  de  Dieu  la  face 
Et  empestrcr  la  joie  sans  fin  ; 
S'en  dison  amen  de  cuer  fin. 

*  l'ivre  pour  uiivre  ,  vipi-rc. 


AU  CLERC  DE  VOUDAI.  135 

Que  je  vueil  de  droiture  dire  : 
S'est  bien  droiz  que  je  m'entremete 
De  dire  chose  si  très-nete 
C'on  ne  puisse  par  droit  desdire; 
Droiz  en  ert  jugement  et  sire: 
Droiz  dit  c'on  ne  doit  pas  mesdire 
De  la  chose  qui  est  bien  fête  ; 
Quar  qui  est  en  bone  matire, 
Droiz  dit  c'on  ne  1'  doit  contredire  : 
Ci  auroit  vilaine  retrete. 

Droiz  monstre  toute  cortoisie, 
Droiz  desfent  toute  vilonie 
Et  enseigne  toz  biens  à  fère; 
Droiz  dit  c'on  soit  de  bone  vie, 
Droiz  dit  c'on  n'ait  en  lui  envie 
Par  c'on  puisse  l'autrui  fortrère; 
Droiz  dit  que  l'en  soit  débonère, 
Droiz  dit  que  l'en  se  doit  bien  tère 
De  chose  qu'à  lui  n'afiert  mie; 
Droiz  dit  c'on  soit  de  tel  afère 
Que  l'en  puisse  à  toz  iceus  plére 
Lez  qui  on  est  en  compaignie. 

Droiz  dit,  et  je  1'  ferai  estable, 
Que  puis  c'on  est  assis  à  table 
C'on  ne  doit  mie  trop  parler; 
S'on  dit  chose  qui  n'est  metable 
L'en  li  torne  ses  diz  à  fable. 
Si  le  vendroit  mieux  reposer, 
C'on  puet  tel  chose  révéler 
Que  s'on  le  voloit  rapeler 


136  DES  DROIZ 

Qui  ne  seroit  pas  honorable. 
Droiz  dit  c'on  doit  trois  foiz  pensser 
La  chose  c'on  veut  recorder 
Ainz  c'on  s'en  face  connestable. 

Droiz  dit,  se  je  voi  conseillier, 
Que  je  ne  m'en  doi  aprochier 
Se  l'en  ne  m'i  apele  avant  ; 
Quant  je  voi  la  gent  trère  arrier, 
Droiz  dit  je  ne  doi  encerchier 
Ce  qu'il  vont  entr'eus  reponant  ; 
Mes  losengier  se  va  muçant 
Et  fet  à  son  seignor  samblant 
Que  il  l'aime  de  cuer  entier, 
Droiz  dit  que  qui  aime  tel  gent. 
Il  se  fet  fols  à  escient 
Et  si  se  bée  à  avillier. 

Droiz  dit  que  mesdisant  sont  tel 
Qu'il  cuident  honir  un  ostel 
Et  cuident  bien  tout  trère  à  aus; 
Il  dient  :  Cil  sont  tel  et  quel. 
Cil  qui  servent  de  tel  chalel, 
ïl  lor  devroit  bien  venir  maus; 
Se  chascuns  estoit  Perchevaus 
Ou  que  il  fust  ausi  loiaus 
Corn  preslres  qui  chante  à  autel, 
Si  diroient  :  Cist  est  faus; 
Mes  Droiz  fet  jugement  de  ciaus, 
Que  ce  sont  anemi  mortel. 

Droiz  dit  c'uns  mesdisanz  vaut  pis 


AU  CLERC  DE  VOUDAI.  137 

Qu'avoir  deus  niorlex  anemis, 
C'on  en  het  la  gent  sanz  réson  ; 
Uns  mesdisanz  dit  son  avis, 
Celui  qui  bien  est  mes  amis 
Je  r  banirai  de  ma  meson. 
Droiz  dit  c'est  mortel  trahison 
Que  d'alever  mauves  renon, 
Tost  ait-on  le  mesfet  apris; 
Droiz  dit  et  nous  fet  mension , 
Jugement  par  élection, 
Trère  la  langue  à  tels  chélis. 

Droiz  dit  c'uns  mesdisanz  dira 
Et  à  son  seignor  contera 
Itel  mesdit,  itel  losange. 
Et  sor  tel  son  mesdit  metra 
Que  li  sires  celui  harra 
Et  le  fera  de  lui  estrange. 
Or  se  puet  cil  froter  au  lange, 
Vez  son  afère  qu'il  li  change; 
James  véoir  ne  le  querra. 
Droiz  dit  que  qui  ainsi  losange, 
C'on  devroit  celui  en  la  fange 
Geter  qui  de  rien  le  croira. 

Droiz  dit  :  S'on  voit  aucune  gent 
Mouteploier  et  bel  et  gent 
C'on  ne  's  doi  mie  destorber, 
Ainz  doit-on  avoir  cuer  joiant 
Quant  Diex  lor  done  avancement 
Par  qu'il  se  puissent  amender; 
Droiz  fet  le  povre  haut  monter 


438  DES  DROIZ 

El  Ton  fet  le  riche  avaler, 
Ce  voit-on  avenir  sovenl. 
Droiz  dit  c'on  doit  ses  gas  celer, 
Si  ne  doit-on  nului  gaber  : 
Chascuns  ne  set  qu'à  l'ueil  li  pent. 

Droiz  dit  que  cil  trop  se  mesfet 
Qui  son  père  et  sa  mère  let, 
Dont  il  doit  vivre  et  en  vit  pou  ; 
Bien  doit  avoir  et  honte  et  let 
Quant  il  pert  si  tout  entreset 
Ne  li  remaint  vaillant  un  clou  : 
Sages  qui  le  voit  nice  et  fou 
Se  pensse  :  Lez  cestui  m'agrou , 
A  cestui  ferai-je  mon  plet. 
Entendez  qui  je  blasnie  et  lou^ 
Je  di  grant  besoing  a  de  fou 
Qui  de  lui-méismes  le  fet. 

Droiz  dit  un  mot  aperlement, 
Que  qui  est  fols  nalurelment 
Qu'à  son  preu  n'a  s'onor  ne  béej 
Que  s'il  fet  sens  à  escient, 
En  sa  folie  se  desment; 
Folie  est  toz  jors  forsenée. 
Fols  qui  a  la  rage  dervée 
Et  cort  toz  nus  aval  la  prée, 
N'en  lui  veslir  ne  met  content, 
Droiz  en  dit  la  réson  senée  : 
Ne  te  pren  à  lui  por  rien  née, 
Quar  fols  est  qui  à  fol  se  prent. 


AU  CLERC  DE  VOUDAl.  439 

Droiz  dit  que  cil  fet  à  reprendre 
Qui  ne  set  ne  ne  veut  entendre 
Et  veut  contrefère  le  sage; 
C'est  grant  folie  d'entreprendre. 
Droiz  dit  c'on  ne  s'i  doit  atendre 
Ne  qu'en  la  beste  du  boschage 
Qui  toz  jors  veut  estre  sauvage 
Sanz  aprendre  nul  bon  usage 
Et  ne  veut  à  réson  entendre. 
Droiz  dit  que  gent  de  tel  usage, 
S'il  n'eussent  forme  et  yniage 
De  Dieu ,  que  on  les  déust  pendre. 

Droiz  dit,  et  en  ce  droit  me  fi, 
Que  on  ait  pité  et  merci 
D'omme  qui  pert  par  meschéance; 
S'il  pert  parce  qu'il  a  pievi. 
Par  feu,  par  mal,  par  guerre  ausi , 
Ne  r  doit  nus  avoir  en  viutance  : 
Droiz  dit,  qui  en  a  la  puissance. 
Un  poi  li  face  soustenance 
Selonc  ce  qu'il  a  déservi. 
Droiz  dit  c'un  poi  de  soustenance 
Gete  homme  de  désespérance  : 
Au  besoing  voit-on  son  ami. 

Droiz  dit  et  retret  par  le  sage, 
S'il  a  homme  en  vostre  lingnagc 
C'on  vueille  à  tort  le  sien  tolir, 
Si  comme  mueble  en  héritage, 
Ou  fére  de  son  cors  domage, 
Vous  ne  le  devez  pas  souffrir. 


140  DES  DROIZ 

Droiz  dit  r  Celui  devez  offrir 
Et  moustrer  trestout  par  loisir 
Por  qu'il  li  fet  honte  et  domage; 
Droiz  dit,  s'il  ne  s'en  veut  souffrir, 
Que  vous  devez  celui  laidir 
Et  abessier  son  fol  corage. 

Droiz  dit  que  ce  est  double  envie 

Qui  à  escouler  s'umelie 

Le  bien  quant  l'ot  et  bien  l'entent, 

Et  quant  la  réson  est  faillie 

il  n'en  set  vaillant  une  aillie, 

Ne  ne  vait  à  œvre  metant. 

Droiz  dit  :  Ci  a  folie  grant , 

Bien  oïr  ne  fère  semblant  ; 

Ici  a  péreilleuse  oïe. 

Droiz  dit  qu'au  jor  del  jugement 

Sera  Diex  sourt  contre  tel  gent 

Qui  bien  oent  et  ne  1'  font  mie. 

Droiz  dit  un  mol  qui  est  de  pris  : 
C'on  honeurt  ses  povres  amis, 
Non  pas  sanz  plus  del  sien  doner. 
Mes  saluer  en  mi  le  vis  ; 
Si  en  seront  plus  avant  mis, 
S'on  les  vous  voit  arésoner. 
Lui  chastier  et  lui  blasmer, 
Lui  bêlement  amonester. 
Desfendre  qu'il  ne  soit  meslis, 
Les  genz  bêlement  aparler, 
Non  pas  avoec  les  fols  aler 
Où  l'en  a  tost  le  mal  apris. 


AU  CLERC  DE  VOUDAI.  141 

Droiz  dit  des  bons  et  dire  seut 
Que  cil  qui  mauvestié  conqueut, 
Qu'en  ce  doit-il  estre  repris; 
Qui  bone  doctrine  requeut, 
Tout  adès  maintenir  la  veut 
S'il  est  sages  et  bien  apris. 
Sages  ne  doit  estre  entrepris 
Qu'avoec  les  mauves  soit  repris, 
N'est  pas  sages  qui  les  aqueut  ; 
Mes  enluminez  et  espris 
De  bien  fère  soit  hom  de  pris  ; 
Quar  qui  de  bons  est,  souef  eut. 

Droiz  monstre  que  chevalerie 
A  sor  toute  gent  seignorie, 
Et  par  hautece  et  par  valor. 
Philosophe  n'en  mentent  mie, 
Ainz  que  latin  fust  ne  clergie 
Estoient  chevalier  seignor; 
Toz  li  nions  lor  portoit  honor, 
Et  encor  sont-ce  li  greignor 
Du  monde,  que  je  n'en  dont  mie; 
Et  puisqu'il  en  ont  le  meillor, 
Droiz  dit  que  nule  déshonor 
N'en  doit  issir  ne  vilenie. 

Droiz  dit ,  et  j'en  sui  amparliers, 
Que  quiconques  soit  chevaliers. 
Qu'il  ne  doit  de  nului  mesdire  : 
Droiz  dit  qu'il  soit  droiz  justiciers, 
Droiz  dit  qu'il  soit  droiz  conseilliers, 
Si  c'en  ne  le  puisse  desdire. 


lia  DES  DROÏZ 

Droiz  dit  que  trop  son  non  empire 
Chevaliers  là  où  il  est  sire, 
Qui  por  avoir  est  lorçoniers  ; 
Ainz  doit  à  son  pooir  eslire 
Le  droit  et  le  tort  desconfire, 
Que  c'apartient  à  toz  princiers. 

Droiz  dit,  por  les  seignors  du  mont 
Qui  desoz  aus  maintes  genz  ont, 
Qu'à  droit  les  doivent  conseillier, 
Et  se  folie  les  confont 
Et  vers  lor  seignor  se  mesfont , 
Il  ne  lor  doit  de  riens  aidier. 
Droiz  dit  que  l'en  doit  espargnier 
Ceus  qui  béent  à  espargnier 
Selonc  ce  que  desoz  aus  sont, 
Que  Droiz  retret  en  reprovier  : 
Qui  une  foiz  veut  escorcier. 
Qu'après  ne  deus  ne  trois  ne  tont. 

Droiz  dit  qu'il  afiert  à  baron, 
S'on  prent  en  sa  terre  un  larron, 
C'en  en  face  tantost  justice  : 
Que  plus  tost  justice  en  fet-on. 
Plus  tost  nomme  son  compaignon 
Quant  devant  lui  voit  son  juise. 
Se  c'est  lerres  qui  fet  murdrisse, 
Ou  robe  gent  ou  robe  église, 
On  ne  l'  doit  pas  mètre  en  prison; 
Droiz  dit  que  cil  s'âme  poi  prise 
Qui  en  fet  nule  autre  devise 
Fors  que  pendre  sanz  raençon. 


AU  CLERC  DE  VOUDAI.  143 

Droiz  dit,  et  je  l'  retrai  por  droit, 
Qu'en  quelque  leu  que  li  home  soit, 
Que  il  port  aus  famés  honor; 
Et  se  porter  ne  lor  voloit , 
Droiz  dit  que  trop  se  mesferoii 
Et  qu'il  querroil  sa  déshonor  : 
Por  la  mère  Nostre-Seignor 
En  ont  les  famés  le  meillor, 
Et  qui  ainsi  ne  le  feroit, 
Droiz  dit  qu'il  auroit  le  pior, 
Ne  jà  de  cort  à  jugéor 
Bon  jugement  n'enporleroit. 

Droiz  dit  c'on  doit  famé  honorer; 
Si  dirai,  ne  vous  quier  celer, 
En  quel  manière  et  en  quel  guise, 
Sanz  li  pincier,  sans  li  taster, 
Sanz  li  folcment  aparler, 
Quant  ele  ert  delez  vous  assise; 
Droiz  dit,  s'en  son  cuer  a  franchise, 
Quant  el  verra  vostre  devise, 
Vostre  genlement  démener, 
Se  de  vostre  amor  est  esprise. 
Tant  li  pléra  vostre  servise 
Que  jà  ne  s'en  querra  lever. 

Droiz  dit  par  réson  escriée. 
Que  puisque  famé  est  mariée, 
C'on  ne  li  doit  querre  hontage; 
Puisqu'ele  est  par  bien  assenée 
A  celui  oui  on  l'a  donée, 
Qui  la  requiert,  il  fet  outrage, 


iAA  DES  DROIZ 

Que  ce  tesmoingnent  li  sept  sage, 
Que  puisque  famé  a  mariage 
Et  ele  est  o  autrui  trovée, 
Droiz  en  descuevre  son  corage, 
Ele  désert  par  son  outrage 
Que  l'en  l'apiaut  putain  provée. 

Droiz  dit,  et  s'en  sommes  certain. 
Que  le  maintenir  de  putain 
Vaut  pis  que  serpent  ne  que  guivre; 
Que  s'il  a  où  mètre  la  main. 
Il  despent  por  li  soir  et  main 
Tant  c'on  le  voit  d'avoir  délivre. 
Droiz  dit  que  tels  hon  ne  doit  vivre 
C'on  voit  por  famé  fol  et  yvre 
Tant  qu'il  fet  de  son  or  estain. 
11  a  un  proverbe  en  mon  livre. 
Que  droiz  nous  aprent  à  descrivre  : 
Tant  as,  tant  vaus  et  je  tant  t'aim. 

Droiz  dit,  et  en  ce  droit  m'acueil. 
Que  s'en  aucun  lieu  aler  vueil 
Aucune  foiz  privéement, 
Chascuns  ne  set  dont  je  me  dueil, 
Se  je  pens  folie  ou  orgueil , 
Je  me  doi  porvéoir  avant 
C'on  ne  s'en  voist  apercevant; 
Que  s'il  i  a  fol  ou  enfant 
Qui  se  regart  com  boz  soz  sueil, 
Droiz  dit  que  n'en  face  noient  ; 
Quar  Droiz  à  tout  le  mont  desfent 
Que  l'en  se  gart  du  petit  oeil. 


AU  CLERC  DE  VOUDAI.  i4^ 

Droiz  dit  que  cil  a  double  envie 
Qui  en  autrui  oeil  voit  poulie 
El  el  sien  ne  la  puet  veoir, 
Quar  ce  est  trop  foie  meslrie 
Que  de  retrère  autrui  folie 
Ne  que  del  fère  apercevoir; 
Quar  je  vous  faz  bien  asavoir 
Qu'en  lui  sont  li  mesfel  por  voir 
Dont  il  autrui  blasme  et  chaslie; 
Droiz  dit  c'on  li  face  asavoir 
Ceste  honte  doit  recevoir, 
Quar  qui  biau  veut  oïr,  biau  die. 

Droiz  dit  que  sages  est  qui  fuit 
Compaignie  de  mauves  fruit 
Qui  les  genz  bée  à  engingnicr; 
Il  est  bien  droiz  que  cil  anuit 
Qui  à  mal  bée  jor  et  nuit 
Et  dont  nus  ne  puet  avancier. 
Droiz  dit  c'on  n'i  doit  pas  tencier, 
Ainçois  doit-on  du  tout  lessier 
Sa  compaignie  et  son  déduit; 
S'on  ne  puet,  si  s'estuet  guétier, 
Que  droiz  retret  en  reprovier 
Encontre  vezié,  recuit. 

Droiz  dit,  et  por  droit  ert  retret, 
Que  cil  en  folie  se  met 
Qui  à  prometre  s'abandone 
S'il  ne  le  rent;  savez  qu'il  fet 
Quant  de  prometre  s'entremet: 
Il  est  baïz  s'il  ne  le  donc, 
r.  10 


i46  LES  DROIZ 

Droiz  dit  el  nous  en  arésone 

Que  cil  empire  sa  persone 

Qui  promesse  met  entreset; 

Si  en  dit  Droiz  réson  moult  bone  : 

Ce  n'est  pas  dons,  ainz  est  ramposne 

A  celui  cui  l'en  le  promet, 

Droiz  dit  un  mol  tout  abandon  , 
Que  cil  doit  Dieu  grant  guerredon 
Quant  il  maintient  marchéandise, 
S'il  la  maintient  comme  preudom^ 
Moult  li  a  Diex  doné  biau  don 
Quant  il  le  fet  en  bone  guise, 
Et  s'il  a  en  son  cuer  franchise 
Par  qu'il  en  face  la  devise 
Si  com  des  anciens  l'avon  ; 
Droiz  en  descuevre  la  justice 
Selonc  le  droit  de  sainte  ygliso 
C'en  dit  marchéant  ou  larron. 

Droiz  dit,  et  por  droit  m'en  sovienl , 

Que  s'uns  hom  en  richece  vient 

C'on  ail  devant  povre  véu, 

Se  léaument  ne  se  maintient 

En  trestoz  les  lieus  où  il  vient 

On  le  revoit  tost  décéu  : 

Maintes  genz  en  sont  décéu  j 

Or  n'ait  mie  son  sens  béu, 

Ainz  tiegne  bien  ce  que  il  tient 

Et  ait  por  plus  avoir  vertu 

Paor  de  ce  qu'il  a  eu  : 

C'on  dit  eschaudez  eue  crient. 


AU  CLERC  DE  VOUDAI.  i47 

Droiz  dit  por  clers  et  pour  gent  d'ordre 

Que  trop  sovent  font  remordre 

Et  d'envie  et  de  covoitise; 

Genz  laies  vuelent  si  près  mordre 

Qu'il  ne  lor  puet  néant  estordre 

Par  malisce  qui  les  atise  ; 

H  doivent  garder  la  devise 

Et  de  Dieu  et  de  sainte  yglise, 

Et  il  font  toz  les  maus  en  ordre. 

Puis  que  coupe  est  el  mestre  mise, 

Droiz  en  descuevre  la  justice, 

Il  méismes  doit  sa  hart  tordre. 

Droiz  monstre  de  papelardie 
Qui  désert  que  Diex  la  maudie 
Que  trop  par  est  chose  couverte, 
Par  dehors  monstre  sainte  vie 
Et  dedenz  a  mal  et  envie 
Qui  n'est  pas  au  mont  descouverte. 
Droiz  dit  que  cil  font  de  Dieu  perte 
Qui  sanz  réson  et  sanz  déserte 
Ont  tel  samblant  qu'il  ne  font  mie; 
Droiz  dit  :  Ce  n'est  pas  chose  aperle 
De  plaie  qui  n'est  aouverte 
C'on  n'i  connoist  la  maladie. 

Cordelier  se  font  gloriex 

Et  jacobin  trop  graciex 

Et  cuident  tout  le  sens  avoir; 

Vers  gent  d'ordre  son  covoitex 

Et  vers  provoires  enviex: 

Dient  qu'il  n'ont  point  de  savoir; 


^48  LES  DROIZ 

Ainsi  si  se  font  recevoir 

Aus  églises  por  décevoir 

Et  mètre  au  monde  déliteus  ; 

Mes  Droiz  nous  fet  apercevoir, 

Et  je  le  retrérai  por  voir, 

Conques  li  mons  n'amenda  d'eus. 

Droiz  dit,  et  j'en  sui  amparliers, 
Des  jacobins,  des  cordeliers. 
Que  il  ont  abessié  droiture  ; 
Il  seulenl  maudire  premiers 
Les  prestéors,  les  useriers, 
Ceus  qui  prestoient  à  usure  : 
Or  ont  lor  âmes  pris  en  cure, 
Exécutor  por  lor  ardure 
Sont  d'aus  por  avoir  lor  deniers; 
S'en  vient  orgueil  et  desmesure  '  : 
Quant  il  le  lor  ont  sanz  mesure, 
Cis  cors  est  au  monde  pleniers. 

Droiz  dit  :  Mar  fu  nez  qui  n'amende 
Et  qui  veut  fore  contremande 
En  droit  fère  c'on  doit  amer. 
Et  cil  doit  Dieu  crier  amende 
Qui  veut  que  droiz  ne  se  desfende 
Contre  tort  c'on  doit  diffamer. 


I  Rutebeuf,  dans  son  Dit  des  Jacobins  et  dans  celui  des  Cordeliers 
(voyez  le  premier  volume  de  mon  édition  de  ses  œuvres),  fait  exacte- 
ment à  ces  religieux  les  mêmes  reproches  que  le  clerc  de  Voudai.  Il  faut 
remarquer,  du  reste,  à  propos  de  la  pièce  de  ce  dernier,  que  le  Ms.  1132, 
composé  probablement  par  un  frère  prêcheur,  ne  contient  pas  les  strophes 
satiriques  qui  la  terminent  dans  le  721  S. 


AU  CLERC  DE  VOUDAI.  149 

Moult  par  a  son  cuer  plain  d'amer 
Cil  qui  le  tort  veut  enflamer 
Contre  droit  et  droit  ne  demande; 
Ausi  doit-on  celui  blasmer 
Qui  sa  semence  veut  semer 
En  autrui  terre  sanz  commande. 


Explicit  les  Droiz  au  Clerc  de  Voiidai. 


^' 


Ms.7218,  Bibliothèque  Royale. 


Or  escoulez,  seignour,  que  Diex  vous  bénéie, 
S'orrez  bons  moz  noviaus  qui  sont  sanz  vilonie. 
Ce  est  de  Doclrinal  qui  enseigne  et  chaslie 
Le  siècle  qu'il  se  garl  d'orgueil  et  de  folie. 

Certes,  bone  chose  est  de  bon  entendement  : 
Bons  enlendemenz  donc  cortois  enseignement,, 
Cortois  enseignemenz  fet  vivre  sagement, 
Et  sage  vie  donc  lionor  et  sauveraent. 

C'est  bons  entendemenz  de  Dieu  croire  et  amer 
El  des  péchiez  haïr  qui  sont  sur  et  amer; 
L'en  doit  bien  corte  paine  soufrir  et  endurer 
Por  avoir  longue  joie  qui  loz  jors  puet  durer. 

>  Sauvage  est  le  nom  de  l'auteur  de  cette  pièce. 

On  lisait  aussi  dans  les  écoles  le  Doctrinale  ptierorum  d'Ébrard  de 
Béthune,  publié  en  1112.  Il  en  est  question  dans  la  pièce  intitulée  la  Ba- 
taille des  VII  Arts,  que  j'ai  éditée  p.  il'iet  suiv.  de  mon  premier  volume 
des  Œuvres  de  Ruiebeuf : 

Danl  Agrccimc  et  Doctrinal 
Li  esclopèront  son  diPv.M. 


DOCTRINAL  LE  SAUVAGE.  451 

Après  vous  voudrai  dire  qu'est  bons  entendemenz  : 
Ce  est  se  li  hom  est  avoec  les  bones  genz, 
Qu'il  sache  bien  garder  sa  parole  et  son  senzi, 
Et  qu'il  sache  couvrir  toz  ses  mauves  talenz. 

Se  vous  véez  un  fol  foie  vie  mener, 

Jà  por  ce  ne  devez  vostre  bon  sens  muer, 

Ne  por  lor  grez  avoir  ne  's  devez  resambler 

Ne  d'elsà  conlrefére  ne  vous  devez  pener. 

Les  enuiex  devez  sagement  eschiver, 

Quar  foie  compaignie  fet  maint  homme  blasmer. 

Se  vous  estes  vaillanz  et  de  haute  poissance, 
Onques  por  ce  n'aiez  les  povres  en  viltance, 
Ne  jà  por  ce  ne  fêtes  foie  desmesurance, 
Ne  por  ce  ne  soiez  de  mauvèse  beubance; 
Mes  aiez  en  vo  cuer  toz  jors  en  remembrance 
Que  Diex  vous  a  donc  le  sens  et  la  poissance, 
Et  celui  qui  vous  donc  le  bien  et  l'abondance 
En  devez-vo^js  servir  sanz  mètre  en  oubliance. 

S'il  meschiet  aucun  homme,  ne  li  reprovez  jà, 
Quar  vous  ne  savez  mie  quanqu'il  vous  avendra  : 
Tels  est  ore  granz  sire  qui  moult  abessera, 
Ne  chascuns  ne  set  mie  comment  il  finera. 

Se  vous  véez  un  fol  plain  de  mélancolie, 
Onques  devant  la  gent  ne  le  tariez  mie, 
Quar  il  vous  diroit  tost  ou  feroit  vilonie; 
Et  s'il  fesoil  par  vous  une  grande  folie, 
Certes  vol^s  auriez  part  en  celé  vilonie. 


452  DOCTRINAL 

Se  vous  amez  un  homme  et  vous  foi  i  trovez, 
Gardez  ne  soit  à  vous  légièrement  meslez; 
S'on  vous  dit  mal  de  lui,  por  ce  ne  le  créez 
Jusqu'à  tant  que  li  droiz  en  soit  bien  esprovez, 
Que  mains  hom  est  à  tort  empiriez  et  grevez. 

Se  vous  véez  un  homme  aucune  foiz  mesprendre, 
Vous  ne  le  devez  mie  vilainement  reprendre, 
Mes  si  cortoisement  enseigner  et  aprendre 
Que  vous  à  bien  le  fêtes  revenir  et  entendre. 

Se  vous  estes  cortois  et  larges  et  métanz, 
Et  que  vous  herbregiez  sovent  les  repéranz, 
Vous  porrez  bien  avoir  en  tel  point  sorvenanz 
Que  vous  ne  serez  mie  bien  aaisiez  toz  tanz  : 
Selonc  ce  vous  co vient  adès  estre  sachan^z. 

S'a  vostre  mengier  estes  d'aucune  gent  sorpris, 
Qu'il  viegnent  sanz  viande  çà  cinc,  çà  sept,  çà  dis, 
Ne  devez  samblant  fère  que  soiez  esbahis; 
Mes  fêtes  bone  chiêre,  joie,  solas  et  riz, 
Etlor  prometez  miex  quant  vous  serez  garnis. 

Se  ce  sont  bones  genz,  vous  vous  en  passerez  : 
Li  uns  bons  c'en  croit,  l'autre  jà  mar  le  cuiderez; 
Et  se  ce  sont  mauves,  ne  vous  desconfortez, 
Que  plus  i  auriez  mis,  plus  seriez  enganez. 

Ne  devez  plus  en  cels  reprendre  ne  remetre 
Que  vous  véez  d'angoisse  et  d'envie  remetre, 
Ainz  les  devez  lessier,  et  aus  boncs  gens  mètre 
Qui  de  vous  avancier  se  vuelent  enlremetrc. 


LE  SAUVAGE.  153 

Se  vous  véez  un  homme  vilainement  mesdire, 
Ne  devez  pas  son  blasme  avancier  ne  redire  : 
Ainçois  le  devez  bien  sagement  escondire, 
Que  maintes  genz  mesdienl  par  envie  ou  par  ire 
Ou  par  desconnoissance  qu'il  ne  sevent  bien  dire. 
S'on  blasme  un  homme  à  tort,  jà  n'en  doit  estre  pire, 
Ainz  doit-on  assez  miex  le  mesdisant  despire. 

Se  vous  volez  un  homme  festoier  ne  joïr, 
Ne  fère  biau  semblant,  acoler  ne  chierir, 
Vous  ne  le  devez  mie  en  derrière  escharnir  : 
Genliz  cuers  ne  doit  mie  en  décevant  trahir. 

Se  vous  fêtes  semblant  d'amer  aucune  gent. 
Gardez  que  vostre  cuers  s'i  acort  bonement; 
Quar  qui  fet  bone  chière  avoec  mauves  semblant, 
C'est  reins  de  trehison  et  péchiez  ensenient. 

Gardez- vous  d'une  chose,  si  ferez  que  senez. 
Que  tout  vostre  couvine  à  la  gent  ne  contez. 
Se  ce  n'est  à  tel  gent  que  vous  moult  bien  créez. 
De  qui  vous  doiez  estre  aidiez  et  confortez. 

Se  vous  avez  richece,  moustrez-le  bêlement 
A  Dieu  et  à  ses  proismes  trestout  premièrement 
Et  puis  après  eu  siècle  si  débonèrement 
Que  l'en  n'en  puist  tenir  nul  vilein  parlement. 

Onques  devant  le  gent  ne  vous  cheut  de  tencier, 
Ne  à  vostre  mesnie  ne  à  vostre  moillier; 
Ainçois  les  devez  bien  sagement  chastoier 
Et  de  vostre  parole  durement  csmeier, 


454  DOCTRINAL 

S'il  vous  aiment  et  prisent,  ce  lor  fera  leirgier. 

Se  voz  sire  vous  baille  son  ch^tel  à  garder,. 
En  vo  cuer  vous  devez  sagement  aesmer 
Que  vous  soiez  hardiz  et  fier  comme  sengler^ 
S'en  son  chastel  entrez,  vous  li  devez  tensser  : 
Jà  por  roi  ne  por  conte  ne  11  devez  fausser. 

Et  se  voz  sire  n'a  ne  force  ne  pooir 
Du  chaste!  à  desfendre,  fère  vous  doit  savoir 
Que  du  chastel  issiez  par  engien  de  savoir  : 
Quar  qui  pert  bon  serjanl  à  tout  son  fort  manoir, 
Li  cuers  U  en  doit  moult  et  noircir  et  dolair. 

Ne  guerroiez  à  tort  plus  haut  homme  de  vous, 
Quantplusbasquevousn'eslesvouspuetmetreaudesouz 
Li  hom  qui  par  coustume  est  raesliz  et  estous, 
S'il  en  a  une  joie  il  en  a  sept  corouz. 

Se  vous  avez  meslée  à  foible  ne  à  fort, 
Gardez  que  par  vo  sens  le  metez  à  son  tort; 
Quar  quant  li  hom  a  droit,  por  voir  le  vous  acort. 
Assez  plus  de  gent  l'aiment  et  sont  à  son  acort. 

Et  se  vous  poissanz  estes,  bien  vous  devez  garder 
De  plus  povre  de  vous  lédengier  et  fouler. 
Et  se  aucuns  anuis  vous  i  fet  descorder. 
Gardez  que  l'en  n'cnpuistsor  vous  le  tort  torncr. 

Gardez-vous  bien  d'envie;  quar  sovent  fet  nuisance, 
Quar  li  enviex  dervé  quant  li  preudom  s'avance, 
Jà  volentiers  n'orra  ]>;Hler  de  sa  vaillance, 


LE  SAUVAGE.  155 

Ainz  le  voudra  blasmer  d'aucune  mésestance 
Por  itanl  que  le  puist  recorder  de  s'enfance. 

Certes,  j'ai  grant  merveille  d'une  chétive  gent 
Qui  blasraent  les  preudommes  à  conseil  coiement 
Et  il  méismes  sont  mauves  à  escient  : 
Bien  sachiez  que  il  font  lor  grant  avilleraenl. 

D'une  autre  gent  me  sui  merveilliez  mainte  foiz 
Qui  font  granz  aatines,  outrages  et  desroiz 
Et  si  ne  valent  riens  ans  guerres  n'aus  tornoiz  : 
Certes,  ce  poise-moi  qu'il  ne  sont  plus  corloiz; 
Ausi  puet  aus  peser  quant  si  bien  les  connois. 

Se  vous  estes  aus  armes  corageus  et  hardis , 
Gardez  par  maies  tèches  ne  perdez  vostre  pris; 
Soiez  cortois  et  sages,  léaus  et  bien  apris, 
Si  que  vous  ne  soiez  vilainement  repris. 

Cuidiez-vous  estre  sires  por  un  poi  de  proece? 
Puisque  il  n'a  en  vous  aucune  bonne  tèche, 
Droiz  est  que  voz  bons  pris  faille  tost  et  remecc  : 
Honiz  soit  hardemenz  où  il  n'a  gentillece. 

Ne  devez  jà  mesdire  por  talent  qui  vous  viegne. 
Mes  de  Dieu  et  d'onor  tout  adès  vous  soviegne, 
Et  s'il  a  en  vous  lèche  qui  trop  i  mésaviegne, 
Ostez-Ie  ensus  de  vous,  si  qu'ele  n'i  reviegne  : 
Nus  ne  maintient  folie  que  jà  biens  l'en  aviegne. 

El  quant  li  hom  est  plains  d'aucun  mauves  anui; 
Et  il  de  ce  méismes  veut  trop  blasmer  autrui, 


i56  .  DOCTRINAL 

N'est  pas  bien  apenssez,  irestoz  certains  en  sui^ 
Miex  li  venist  oster  sa  mauvestié  de  lui. 

S'aucuns  hom  vous  fet  bien,  sa  bonté  essauciez  ; 
S'il  a  rnauvèses  lèches,  toz  cois  vous  en  lésiez, 
Se  ce  n'est  à  conseil  que  vous  le  chastoièz; 
El  s'il  ne  vous  veut  croire,  tout  qoi  si  le  lessiez. 
Celui  qui  bien  vous  fet,  onques  ne  despisiez  : 
Ou  vous  foi  li  portez,  ou  vous  tost  l'eslongiez; 
Quar  li  hom  est  moult  fols  vilains  outrecuidiez 
Quant  il  blasme  celui  de  qui  il  est  aidiez. 

Ne  se  venge  pas  bien  qui  le  mauves  blastenge, 
Quar  s'il  vous  mesfet  rien,  sa  mauvestié  vous  venge; 
Ets'on  prise  preudomme,  jà  n'i  mêlez  calenge. 
Ne  devez  abessier  son  pris  ne  sa  loenge. 

Vous  ne  vous  devez  mie  par  mesdire  avancier, 
Ne  por  vous  aloser  autrui  désavancier, 
Ne  par  mauvèse  envie  nul  bien  fet  desprisier, 
Mes  fêtes  bones  oevres,  si  vous  ferez  prisier. 

Se  vous  mêlez  le  vostre  en  biaus  mengiers  doner, 

N'en  biaus  ostex  tenir,  n'en  la  gent  honorer, 

Por  Dieu  et  por  le  siècle  et  por  vous  aloser, 

Ne  devez  mie  après  vo  despens  dolouser  ; 

Mes  à  cels  qui  l'ont  pris  plus  biau  samblant  raostrer. 

El  s'il  avienl  ainsi  que  maies  genz  le  prenenl. 
Qui  le  vostre  bien  fet  vous  blasmenl  et  reprenenl, 
Vousn'en  valez  rien  pis,  mes  cil  vers  vous  mesprenenl, 
Et  à  gai'der  le  vostre  assez  miex  vous  aprenenl. 


LE  SAUVAGE.  J57 

S'il  esloit  aucuns  hom  et  riches  et  poissanz 
Qui  fust  fel  et  meslis,  au  siècle  mal  queranz, 
Dangereus  à  l'ostel,  borderes  et  jenglanz, 
En  la  fin  en  seroit  abatuz  ses  bobanz. 

Or  devons-nous  parler  de  la  bien  haute  gcnt, 
De  rois,  de  dus,  de  contes,  de  princes  ensement, 
D'évesques,  d'archevesques,  de  loz  prélas  briémenl, 
De  tresloz  cels  à  cui  grant  seignorie  apent, 
Comment  il  doivent  vivre  et  bien  et  saintement. 

Se  li  bons  a  grant  rente,  ou  terre  ou  chasement, 
Il  est  droiz  et  résons,  par  droit  enseignement, 
Qu'il  aint  Dieu  et  sa  Mère  et  honort  hautemenl, 
Sainte  Yglise  desfende  bien  viguereusement, 

Et  si  tiegne  justice  si  droiturièrement 
Que  amors  ne  haïne  n'i  ait  avancement. 
Ne  fausse  covoitise  n'i  puist  vaincre  noient, 
Ne  por  mauves  loier  n'i  ait  faus  jugement. 

Ne  lest  pas  ses  baillis  régner  vilainement, 
Mes  face  toz  jors  droit  bien  et  apertement, 
Et  si  voist  droite  voie  sanz  nul  détriement. 
Si  que  il  n'i  regart  ne  ami  ne  parent, 
Et  s'aucuns  bons  mesprenl  par  fol  entendement, 
Merci  en  doit  avoir  saus  toz  droiz  bonement. 

Vous  qui  poez  doner  les  biens  de  sainte  Yglise, 
Vous  les  devez  doner  léaument,  en  tel  guise 
Que  Diex  en  soit  servis  bien  et  bel  sanz  faintise; 


458  DOCTRINAL 

El  se  vous  les  vendez  par  coverte  devise, 
Moult  clîier  le  comparrez  ainz  le  jor  du  juise. 

Oiez  le  Doctrinal,  clerc  et  lai  ensement  : 
Quant  il  covient  à  l'omme  despendre  largement, 
Il  le  doit  si  bel  fère  et  si  avenanment 
Que  l'en  n'en  puist  tenir  nul  vilain  parlement. 

Après  son  granl  despens  se  doit  bien  porvéir 
En  quel  point  il  porra  son  afère  joïr, 
S'il  entreprent  la  chose  qu'il  ne  puisse  soufrir  ; 
Por  un  poi  motre  avant  ne  se  doit  repentir, 
Que  nus  hom  ne  l'en  puist  par  réson  escharnir, 
Quar  poi  de  chose  fet  un  despens  embelir 
Dont  li  espargnemenz  fet  grant  blasme  venir, 
Et  si  n'en  puet  l'en  pas  durement  enrichir. 

En  quel  point  que  il  soit  larges  et  despendanz, 
Des  povres  soufreteus  li  doit  membrer  toz  tanz, 
Et  s'il  trueve  les  povres  angoisseus  et  coustanz, 
Onques  por  ce  ne  soit  d'aumosne  repentanz. 

Cil  est  por  estre  au  siècle  devant  la  gent  joianz , 
Si  soit  toz  jors  vers  Dieu  de  cuer  humeHanz 
Et  vers  ses  bons  voisins  débonères  et  franz 
Et  vers  les  outrageus  ne  soit  pas  si  soufranz. 

Bien  retiegne  son  droit  s'on  à  tort  li  cort  seure; 
Et  si  soit  si  cortois  s'il  en  vient  au  deseure, 
S'on  li  crie  merci,  qu'il  pardoinst  en  pou  d'eure; 
Quar  qui  mesfet  pardone,  il  s'essauce  et  honeure, 


LE  SAUVAGE,  159 

Quanl  il  sauve  son  droit  et  s'onor  U  demeure. 

Puis  que  li  haus  hom  set  bien  par  son  sens  ouvrer 
Et  que  si  conseiliier  ne  1'  sevent  miex  loer, 
Ne  doit  son  bon  conseil  por  autrui  sens  muer^ 
Quar  autrui  sens  voit-on  moult  sovent  achaler. 

Ce  ne  vous  di-je  mie,  ne  ne  doi  tesraoingnier, 
C'on  ne  doie  bien  croire  son  mestre  conseiliier, 
Mes  cil  qui  par  son  sens  se  set  bien  avoier 
Ne  doit  son  bon  conseil  por  autrui  sens  lessier, 
Se  on  ne  le  puet  fère  à  meillor  apoier. 

Bien  doit  li  hauz  hom  eslre  jolis  devant  la  gent, 
Ceintes  et  acesmanz  se  il  est  de  jovent, 
Et  doit  son  cors  tenir  bel  et  apertement, 
Et  si  se  puet  veslir  et  bien  et  richement. 
Se  Diex  l'en  donc  grâce  par  son  avancement. 

Or  devons-nous  le  povre  monslrer  aucun  savoir, 
Li  povres  hom  doit  tant  aprendre  et  savoir 
Et  tant  de  bones  téches  et  tenir  et  avoir, 
Que  il  en  puist  aquerre  et  honor  et  avoir. 

Et  qui  n'a  en  cest  siècle  ne  avoir  ne  richece, 
Si  aint  tant  Dieu  et  croie  et  tout  son  cuer  i  mece 
Qu'il  voist  en  Paradis  en  la  très-grant  hautece 
Où  toz  jors  aura  joie  sanz  ire  et  sanz  tristrece. 

Se  li  povres  sert  Dieu,  si  riches  devendra 
Que  jamès  de  povreté  jor  ne  li  souvendra, 


160  DOCTRINAL 

Et  se  li  riches  l'aime  et  croit  à  ce  qu'il  a, 

Très-bien  li  doit  garder,  et  fère  çà  et  là 

Son  preu  en  toutes  choses  au  miex  que  il  saura. 

Et  li  riche  et  li  povre,  tuit  devons  Dieu  servir! 
Li  riches  bons  doit  bien  tant  fère  et  déservir 
Qu'il  puist  de  sa  richoise  en  plus  haut  leu  venir 
Et  en  la  haute  joie  de  là  sus  avenir 
Où  tempes  ne  orages  ne's  puet  espaorir. 

Or  i  a  une  gent  qui  par  fin  estovoir 

Les  covient-il  au  siècle  et  tenir  et  avoir 

Les  chevaus  et  les  armes  et  les  chasliaus  avoir  ; 

Por  bien  tenir  justice,  moult  i  pueent  valoir  : 

Ne  poons  pas  tuit  eslre  ne  blanc  moingne  ne  noir. 

Bien  pueent  li  riche  homme  bêle  robe  porter, 
Tenir  bêle  mesnie  et  riche  don  doner. 
Et  fère  fier  samblant  por  lui  fère  douter, 
Et  puis  après  si  puet  es  biaus  déduis  aler  ; 
Ne  doit  por  son  déduit  sainte  Yglise  oublier, 
Ainz  le  doit  essaucier  et  croistre  et  amonter, 
Et  loz  vilains  péchiez  ensus  de  lui  osier  ; 
Nul  vilain  mot  ne  doit  oïr  ne  escouler  : 
S'uns  hom  maine  tel  vie  et  ainsi  puet  finer, 
Par  le  mien  escient,  moult  bien  se  puet  sauver. 

Ce  dist  li  Doctrinaus  Sauvages  sanz  mesprendre  : 
Ainçoisc'ondoie  un  homme  trop  lédement  reprendre 
Doit  chascuns  soi-méisme  enseignier  et  aprendre  : 
L'en  doit  bons  nios  oïr  où  l'en  puet  bien  aprendre. 


LE  SAUVAGE.  ^61 

Cest  Doctrinal  doit  l'en  aprendre  et  retenir 

Et  les  biens  qu'il  enseigne  entendre  et  détenir: 

Des  bons  entendemenz  escouter  et  oïr 

Puet  l'en  tel  chose  aprendre  dont  l'en  puet  bien  joïr. 


Eûcplicit  le  Doctrinal  le  Sauvage. 


H. 


11 


£t  Hitté  ftes  CIjases  qui  fatUent  en  minage 
tX  en  mûriage, 

Ms.  1132%  supplément  français,  Bibliothèque  Royale. 


Je  scey  de  voir 
Ménage  fait  les  gens  doloir, 
Et  si  les  fait  riches  d'avoir 

S'il  y  entendent. 
Les  uns  empruntent,  les  autres  vendent  j 
Les  uns  achètent,  les  autres  rendent 

Aus  marchéans. 
Mult  en  y  a  de  meschéans 
Qui  empruntent  tretout  leur  temps 

Tant  comme  il  vivent. 
Cens  sont  sages  qui  les  eschivent 
Et  qui  ne  tencent  ne  n'estrivent 

A  ces  musars. 
Ménage  a  ces  temps  et  ces  ars 
Et  si  a  des  simples  couars 

>  Un  feuillet  du  Ms.  manque  ici  malheureusement.  Il  contenait  le  com^ 
mencement  de  ce  Dit,  dont  je  ne  connais  aucune  autre  leçon.  On  peut  le 
rapprocher  du  Dit  de  Ménage^  publié  par  M.  Trébutien,  et  de  L'Ouitittt- 
ment  au  Vilain,  par  M.  Francisque  Michel. 


LE  DITTÉ  DES  CHOSES,  etc.  163 

A  son  escole. 
Ménage  est  de  courte  parole  : 
L'un  assagist  et  l'autre  afole; 

C'est  la  manière. 
C'est  corn  le  gieu  de  la  civière  : 
L'un  va  devant,  l'autre  derrière, 

C'en  est  l'usage. 
11  n'i  a  si  fol  ne  si  sage, 
S'il  a  gueires  esté  en  ménage, 

Qu'il  ne  le  doute. 
Ménage  tient  les  gens  à  roule  : 
€e  n'est  mie  gieu  de  pelote; 

Oez  comment. 
Ménage  au  commencement 
Si  prent  les  gens  par  serement 

Et  par  fiance. 
Ménage  sueffre  que  on  dance 
Au  premier;  c'est  grant  décevancc 

Et  trahison. 
Ménage  ne  quiert  qu'achoison 
De  mettre  gens  en  sa  prison, 

Comment  qu'il  aille; 
C'y  ai  esté  sans  nule  faille  : 
Premier  oy  bonne  commensaille 

Dis  ans  entiers. 
Si  scey  les  voies  et  les  sentiers, 
Et  si  m'est  mull  très  bien  mestiers. 

Se  Dieu  me  saut. 
Tous  jors  i  faut,  tous  jors  i  faut, 
Sempres  en  bas,  demain  en  haut, 

A  dam  Ménage; 
Sempres  au  fol,  demain  au  sage, 


464  LE  DITTÉ  DES  CHOSES 

Sempres  au  plain,  or  au  boscage, 

Quant  i  fait  froit. 
Nul  n'est  prisiez  qui  ce  ne  croit. 
Ménage  lient  en  son  destroit 

Les  mariez. 
Par  Dieu  qui  fu  crucifiez, 
Ménage  les  defïiez 

Que  l'en  i  quière. 
Valet  y  faut  et  chamberière, 
Fourche  au  fiens  et  la  civière 

Et  le  ratiauj 
Or  i  faut  fourché  et  flaiau, 
Balay  de  bou  et  grant  et  biau , 

Ce  n'est  pas  pou. 
Par  la  foy  que  je  doy  saint  Pou, 
11  n'a  homme  jusqu'à  Poitou 

A  qui  il  ne  faille. 
Or  i  faut  tablier  et  touaille, 
Et  le  coutel  à  quoy  l'en  taille 

La  char  et  l'oint  j 
Mult  en  y  a  qui  n'en  ont  point , 
A  qui  nostres  Sires  en  doint 

Par  sa  poissance. 
En  ménage  a  trop  dure  dance  ; 
Qui  n'a  bien  en  Dieu  s' espérance,. 

N'aura  jà  bien. 
Or  i  faut  chat,  or  i  faut  chien  : 
A  chascun  convient  bien  le  sien 

En  sa  meson. 
Vache,  brebis,  c'est  bien  résoK, 
Et  mitainnes  en  la  sézon 

Pour  la  gelée. 


<}UI  FÂILLENT  EN  MÉNAGE,  etc.       465 

Qui  sa  charuc  a  alelée. 
La  congniée  est  prestée 

Pour  buchoier, 
Or  faut  la  queue  à  l'aguisier. 
Cuir  aus  souliers  appareillier 

Pour  la  mesgniée; 
Se  la  terre  n'est  bien  semée, 
Et  cultivée  et  gaegniée 

El  ne  vaut  gueire. 
Une  chose  est  qui  mult  doit  plaire  : 
Les  bues  à  la  charue  traire 

Et  au  chareitesj 
Or  faut  bouviés  et  clous  et  frettes, 
Herses  et  joins  et  courraietes, 

Et  soc  et  contre. 
Ainsi  esconvient  d'outre  en  outre 
Faire  ce  que  ménage  monstre 

A  chascun  homme. 
Ménage  fait  prendre  mal  somme; 
Ménage  het  celui  qui  chôme 

Et  rien  ne  fait. 
Ménage  a  non  Triche-Fichet  : 
C'est  la  flabe  du  bis  cochetj 

Mentir  n'en  quier. 
Or  est  tout  à  recommencier  : 
Parens  reviennent  en  jenvier, 

Or  faut  peccune; 
Ce  n'est  mie  chose  commune 
Comme  le  soleil  et  la  lune, 

Que  dan  denier  '. 

1  Voir  le  Fabliau  intitulé  Dan  Denier  dans  mes  Jongleurs  et  Trour- 
tères,  p.  93. 


466  LE  DITTÉ  DES  CHOSES 

L'un  faut  monter,  l'autre  abessier; 
Ménage  s'en  scet  bien  aidier. 

Or  escoulez  : 
Entre  vous  qui  famés  prenez, 
Courtoisement  les  démenés; 

Chascun  s'i  garl. 
Nul  n'i  enterra  jà  si  tart 
Qui  n'en  ait  mult  très  bien  sa  part. 

S'il  i  est  guères, 
Que  tant  i  a  tous  jours  à  faire 
U  lieu  où  Ménage  repaire 
Que  c'est  merveilles  : 
Or  i  faut  et  vans  et  corbeilles, 
Et  si  i  faut  boissiaus  et  seilles, 

Pos  et  pichiers. 
Or  i  faut  fisiaus  et  cuiller, 
Et  le  saas  pour  saacier 

Lebuletiau. 
Landier,  crémélie,  martiau, 
Et  la  truele  et  le  cisiau, 

Après  tenailles. 
Or  i  faut  et  dras  et  toailles, 
Coûtes  de  plume  grans  et  larges, 

Et  les  coissins . 
Or  i  faut  cuves  et  bassins. 
Le  coc,  gelines  et  poucins, 

Et  huches  maintes. 
Encor  i  faut-il  coutepointes, 
Barges,  oreilliers  biaus  et  ceintes 

Pour  lit  couvrir. 
Ménage  fait  les  iex  ouvrir, 
Ménage  fait  tout  desdormir 


QLI  FAILLENT  EN  MÉNAGE,  etc.       467 

Ne  nul  n'espergne. 
Or  reconvient  faire  taverne, 
Or  faut  chandeles  et  lanterne  5 

Ce  n'est  pas  gas. 
Or,  faut  mesures  et  hanas, 
Voirres,  godes,  se  tu  ne  les  as, 

Et  la  veille  j 
Broche  de  fer  et  la  gréille 
A  rôtir  la  tripe  morille 

Aus  buvéours; 
Mult  en  y  a  de  lécliéours, 
Les  uns  folz ,  les  autres  piours, 

C'est  sans  mesure. 

Or  faut à  la  mousture  : 

Leboissel  à  quoy  l'en  mesure; 

Par  saint  Germain, 
Or  faut  la  met  à  pestrir  pain 


La  ratoere, 
Au  saas  i  faut  la  sassouere 
Et  si  i  faut  la  tournoere 

Au  pain  tourner. 
Or  faut  le  four  à  l'enfourner 
Et  le  fourgon  pour  fourgonner. 

Or  faut  fournille, 
Or  faut  cerpe,  or  faut  faucille, 
Et  maint  autre  tille  badille, 

Rouable  et  pelé. 
Or  esconvient  querre  l'eschiele 
Par  où  l'en  monte  par  derrière 

devancier. 

Or  faut  plaliaus  et  escueles, 


168  LE  DITTÉ  DES  CHOSES 

Petis  sauciers  et  grans  jadeles 

Et  esculier  ; 
Or  faut  l'aguile  et  l'aguilîer, 
Or  faut  le  pigne  au  chef  pignier  ; 

Ce  n'est  pas  guile. 
Or  faut  roussin,  or  faut  estrille, 
Espée  à  porter  par  la  vile^ 

Ce  n'est  pas  fraude; 
Et  se  la  dame  est  foie  et  baude, 
Miex  vaut  qu'el  soit  froide  que  chaude 

Pour  chastier. 
Or  faut  paeles  et  trépier, 
Hanap  de  madré  et  henapier, 

Mortier,  pesleil, 
Lien  à  bers  et  le  berceil 
Faut  pour  l'enfant  et  le  malleil 

Et  la  bavete. 
La  nourrice  faut,  la  cornete 
Où  le  lait  est  que  l'enfant  tète  : 

Ainsi  convient 
Faire  ce  que  à  ménage  apartient. 
Mes  mult  en  y  a  seurement 

Qui  n'en  ont  mie 
De  ce  qu'ey  dit  une  partie. 
Or  i  faut-il  chaudière  et  sie, 

Havet,  tréfeu. 
Le  soufflet  à  souffler  le  feu. 
Pot  de  cuivre  tient  bien  son  lieu 

Et  tout  pour  voir. 
Aus  et  oignons  et  poriaus  voir 
1  faut-il  bien  et  charbon  noir, 

C'est  trop  de  painne. 


QUI  PAILLENT  EN  MÉNAGE,  etc.       409 

Prion  Marie-Magdalene 

Qu'en  cest  siècle  souffron  tel  painne 

Et  tel  outrage 
Qu'au  derrenier  soions  si  sage 
Qu'en  paradis  aions  ménage. 


Amen. 


Mss.  7615  et  1132,  supplément  français,  Bibliothèque  Royale 


S'uns  bons  conoissoit  l'avantage 
Que  Diex  qui  le  fit  à  s'image 
Li  dona,  ce  fu  connoissance, 
Mult  auroit  au  cuer  grant  pesance 
Quant  de  l'user  ne  sauroit  rien 
En  dessevrer  le  mal  do  bien. 
Cil  a  congnoissance  perdue 
Qui  de  bien  en  mal  se  remue  ^ 
Et  de  franchise  entre  en  servage, 

«  Cette  pièce  est  précédée,  dans  le  Ms.  1132,  des  vers  suivants: 
Pour  ce  que  promis  le  vous  ay, 
Des  mignotises  vous  dirai 
Et  des  contenances  des  dames, 
Combien  que  soient  preudefames; 
Il  y  a  trop  de  mignotise  : 
Uns  trubers  einsi  lé  devise. 

î  On  peut  rapprocher  cette  pièce  de  l'Épître  des  Femmes^  de  Y  Evan- 
gile des  Femmes,  du  Blastange  des  Femmes,  du  Blâme  des  Femmes, 
du  Bien  des  Femmes  que  j'ai  publiés  dans  mes  Jongleurs  et  Trouvères. 

3  Ms.  1132.  Vak. 

Et  met  son  cuer  et  son  avoir 
En  lieu  dont  ne  le  puet  r'avoir, 
Et  son  tans  gaste  en  fol  usage. 


LA  CONTENANCE  DES  FAMES.  171 

Et  son  tans  gaste  et  son  usage, 
Et  met  sa  pensée  et  sa  cure 
En  famé  qui  trop  petit  dure  ', 
Comment  que  nule  chose  avigne, 
Mais  qu'à  son  voloir  se  contigne. 
Si  vous  en  dirai  la  serablance, 
La  menière  et  la  contenance, 
Et  ne  le  tiegne  nul  à  fable. 
Mult  a  famé  le  cuer  muable, 
Et  tressaillant  et  dur  et  lenre, 
Si  que  poi  velt  à  riens  entendre 
Fors  tant  com  son  cuer  li  donc  ; 
Or  le  tient  et  or  l'abandone, 
Or  le  done  et  or  le  retrait  : 
Tôt  quanqu'elle  a  à  li  a  trait  '. 
Si  ne  puet  estre  en  un  estage, 
Or  a  trestot  par  éritage  ; 
Or  se  rit,  or  se  desconforie. 
Or  se  heit  et  or  se  conforte, 
Or  fait  samblant  que  soit  marrie, 
Or  est  pencive,  or  est  lie, 
Or  est  viguereuse,  or  est  vaine, 
Or  est  malade,  or  est  saine, 
Or  se  siet,  or  ne  veut  seoir, 
Or  ne  vueut  nul  home  véoir, 

»  Ms.  1132.  Var. 

En  famé  qui  petit  a  cure ,  etc. 

'  Ms.  1132.  Var. 

Si  le  tesmoingne  en  son  corage 
Le  rousignol  par  vaselage. 
Cuer  de  lame  a  tant  d'outrage 
Qu'U  ne  puet  cstre  en  un  estage. 


172  LA  CONTENANCE 

Or  le  yuet,  or  ne  le  vuet  mie, 
Or  se  loe,  or  s'esgramie, 
Or  fait  samblant  que  soit  establej 
Orendroit  sera  délitable, 
Or  s'esmuet,  or  ne  se  remue, 
Or  se  tient  com  oisel  en  mue; 
Or  est  douce,  or  est  amère, 
Or  est  marrastre,  or  est  mère,^ 
Or  se  contient  mult  sagement. 
Or  cointement,  or  baudement. 
Or  est  sauvage,  or  est  privée. 
Or  veut  pais,  et  or  veut  mellée,^ 
Or  ne  dit  mot  et  or  repalle; 
Or  veut  l'onbre,  et  veut  le  halle, 
Or  veut  repoz ,  or  veut  labor, 
Or  cort  au  molin ,  puis  au  for, 
Or  veut  le  froit,  or  veut  le  chaut, 
Or  conseille,  or  palle  haut. 
Orendroit  veut  estre  loée. 
De  riens  ne  veut  estre  blasmée. 
Orendroit  fera  belle  chière  ; 
Or  se  prent  à  sa  chamberière. 
Dont  aucune  foiz  est  jalouse. 
Orendroit  sera  envieuse 
De  sa  voisine,  qui  aura 
Plus  biax  joiaus  qu'elle  n'aura. 
Or  ne  fait  néant ,  or  ne  fine. 
Or  tencera  à  sa  voisine. 
Sovent  ira  chiez  sa  commère, 
Ore  la  heit  et  or  l'a  chère; 
Or  li  dira  celi  me  prie, 
El  est  à  celui  autre  amie. 


DES  FAMES.  473 

El  por  dire  plus  de  merveilles, 

Ira  à  dences  et  à  veilles  ', 

Au  sarmon,  en  pèlerinage. 

Or  fait  le  simple,  or  fait  le  sage; 

Qui  plus  l'aguete,  plus  est  fox. 

Or  monstrera  poitrine  et  cox  ', 

Or  si  fera  d'aucun  complainte, 

Or  est  mult  juste,  or  est  mult  sainte. 

L'une  veut  d'un,  l'autre  veut  d'autre  : 

Ce  que  fait  l'une  ne  fait  l'autre. 

Et  desdire  aucune  besoine 

Ne  li  convient  jà  querre  essoine. 

Jà  de  parler  ne  cessera, 

Se  que  pence  lantost  fera , 

Soit  bien ,  soit  mal,  si  elle  onques  puet; 

En  lui  chastoier  pas  n'estuet 

Soi  traviller,  qui  que  nous  die, 

Je  le  tenroie  à  grant  folie. 

Car  à  ce  fère  rien  ne  vaut. 

Or  a  le  cuer  coi ,  or  l'a  baut , 

Or  n'est  mie  bien  à  son  gré; 

Or  s'en  remonte  le  degré, 

Or  s'en  rêva  dedenz  sa  chambre; 

Ore  veut  mai ,  or  veut  septembre, 

Or  quiert  escrin,  ore  quiert  huche, 

Orendroit  poire  ou  pomme  suche. 

Ses  joiax  prent,  si  les  remire, 

Or  les  desploie,  or  les  ratire, 

»  Ms.  1132.  Va.r.  As  vespres. 
»  Ms.  1132.  Var. 

Or  est  coiflie,  or  est  cornue. 

Or  se  va  monstrer  en  la  rue. 


474  LA  CONTENANCE 

Or  s'estant,  or  sospire,  or  plaint , 

Or  s'esvertue  et  or  se  faint; 

Or  cort  à  destre  et  à  senestre. 

Or  s'en  rêva  à  la  fenestre, 

Or  chante,  or  pense,  or  rit,  or  plore. 

Mult  mue  son  cuer  en  petit  d'ore. 

Or  est  un  po  descolorée. 

Par  tens  sera  bien  colorée. 

Or  se  coife,  or  se  lie. 

Or  se  descoife,  or  se  deslie. 

Or  a  musel,  or  a  banière. 

Or  est  orguelle,  or  est  fière, 

Or  a  chapei ,  or  a  corone, 

Orendroit  sa  face  abandone 

A  resgarder,  et  puis  la  cuevre  : 

C'est  merveille  que  de  lor  evre; 

Or  est  lavée,  or  est  peigniée, 

Or  est  coifée,  or  est  treciée, 

Et  mult  le  tendroit  à  desdain 

S'elle  n'avoit  sovant  le  bain  "  ; 

Or  vait  avant,  or  ce  prent  garde 


I  Voici  quelques  autres  détails  sur  la  toilette  des  femmes  au  moyen  âge, 
d'après  le  Ms.  1132  : 

Se  je  Tosoie  dire  stms  des  coiirroucier, 
Leur  chaucier,  leur  vestir,  leur  lier,  leur  trechier, 
Leur  chaperons  trousser  et  leur  cornes  drecier 
Ne  sont  venus  avant  fors  pour  hommes  blécier. 

Je  ne  scey  s'en  apele  potences  ou  courbiaus 
Ce  qui  soustient  leur  cornes  que  si  tiennent  pour  biaus  ; 
Mes  tant  scey-Jc  bien  dire  que  sainte  Hélizabiaus 
N'est  pas  en  paradis  pour  porter  tel/,  labiaus. 

Encor  i  refont-elles  un  grant  haribourras 
Que  entre  la  toele  qui  n'est  pas  de  bourras 


DES  FAMES.  475 


Se  nul  ou  nule  la  regarde. 
Son  mantel  par  devant  desploie 
Por  ce  qu'en  voie  sa  corroie  5 
Se  n'a  mantel,  liève  les  bos, 
Por  ce  qu'en  voie  par  desoz 
S'elle  a  bone  cote  ou  police  ; 
Et  mult  se  tendroit  foie  et  nice 
Se  n'est  apareillie  à  droit , 
Et  se  ce  n'est  tôt  orendroit 
Refait  et  deffait  derechef; 
Et  lors  ratornera  son  chief 
De  guinple  et  de  chapelot. 
Mult  li  ennuie  quant  elle  ot 
Quant  autre  est  miex  apareilliée, 
Mais,  qui  la  vodroit  faire  liée. 
Si  li  die  que  on  la  tient 
Celle  qui  plus  bel  se  maintient. 
Or  se  mire,  or  se  colloie. 
Or  fait  le  mignot,  or  le  coie, 
Or  guigne,  or  redrece  l' uel , 
Or  resera  de  bel  acuel , 
Orendroit  sera  mult  estoute. 
Nus  ne  vous  porroit  dire  tote 
Lor  manière  ne  lor  afairej 
Tant  i  a  que  bien  se  set  taire 
De  ce  c'on  lor  dit  et  conselle. 
Or  metra  la  main  à  l'oreille, 


Et  la  temple  et  les  cornes  pourroit  passer  iius  ras 
Ou  la  gregnieur  moustele  qui  soit  jusques  Arras. 

Plus  font,  quar  sous  les  coiffes  entour  le  lianapel 
Cenglent  estroit  leur  testes  d'un  las  ou  d'un  chapel 
Poui-  leur  frons  defîroncier  et  pour  rédir  la  pel. 


176  LA  CONTENANCE 

Por  ces  corneles  redrecier  '. 
Or  veut  dormir,  or  veut  veillier, 
Or  se  refait  apareillier, 
Or  changera  surcot  et  cote. 
Chace  Halison,  huiche  Marote. 
Trop  sovent  mue  sa  contenance; 
Or  veut  joer,  or  ne  veut  dance, 
Or  est  avant ,  or  est  arrière  5 
En  tel  guise  et  en  tel  manière 
Sovent  les  dames  se  demainent 
Qui  d'elles  mult  cointir  se  poinent. 
D'autres  manières  a  en  eus  : 
Autre  foiz,  se  g'estoie  seus 
Et  je  ansenble  vous  trovoie, 
Cel  remant  vous  deviseroie; 
Mais  toz  voir  n'est  pas  bon  à  dire, 
L'un  en  vient  plorer  l'autre  rire. 
Aucune  foiz  je  l'ai  véu  ^; 


'  Voyez  le  Dit  des  Comètes  dans  mes  Jongleurs  et  Trouvères. 

a  Les  trouvères  ne  critiquaient  pas  seulement  les  femmes  ;  ils  attaquaient 
quelquefois  aussi  les  hommes.  Ainsi  le  Ms.  1132  dit  : 

Pou  refont  pour  leur  famés  les  maris,  c''est  cerUin  : 
Si  tost  corne  cle  est  morte,  veulent  avoir  Bertain  ; 
Lors  donroient  à  painnes  deus  feuilles  de  pladtain 
Pour  Cune  ne  pour  nièce,  pour  suer,  ne  pour  autain. 

3  Le  Ms.  1132,  qui  ne  contient  pas  ces  quatre  derniers  vers,  termine 
ainsi  : 

Mal  se  fait  vers  la  foie  traire, 
R'aler  en  lieu  où  el  repaire. 
Famé  prent  à  tort  et  à  droit 
Et  convoite  ce  qu'ele  voit. 
Je  vous  baille  tout  en  secré  : 
Qui  raicx  la  sert ,  mains  a  son  gré  ; 
Mes  vès  en  ci  toute  la  somme  : 


DES  FAMES,  117 


Mais  tant  vous  di  j^ai  connéu , 
Car  qui  ^ime  et  croit  foie  fam« 
Il  ^aste  avoir  et  cors  et  âme. 

La  famé  doit  vhTC  deromme; 
Celés  qui  ainsi  le  feront 
Trestoutes  sauvées  seront. 
Diex  doint  que  je  die  vrité  : 
Celés  aim  par  fine  amité, 
Quar  je  i  ai  trouvé  le  pourquoy. 
Biau  sires  Dieu,  pardonnés-m«y 
Se  j'ai  dit  aucune  folie. 
J'en  pri  aussi  sainte  Marie. 
Une  autre  fois  en  dirai  miex  : 
Deconvoitise»  nous  garl  Diex  ^ 
Amen, 


ExjAicxt  la  Contenance  des  famés. 


1  Au-dessus  de  ce  mca,  et  d'une  autre  main,  on  lit  au  manuscrit  :  Ire 
de  famé. 


IK  13 


£oi  £anh  hovét  que  le  ukamtc  h'^uitaj  ftst  '♦ 

Ms.  198N.-D. 


Au  temps  que  cil  oisiau  sauvage 
Chantent  doucement  maint  langage, 
Aloie  seulz  par  un  boscage 

Un  cerf  chaçant. 
Li  chien  aloicnl  glatisant, 
Si  escoutai  et  ou  hautement, 

Lès  un  destour 
Pucelle  vi  de  noble  atour 

Bien  atournée; 
Ne  c'estoit  pas  vers  moi  tornée, 
Mais  sa  teste  a  destournée 

De  sa  couronne  : 
Son  chief  blont  doré  desgalonne, 
Tout  le  brueil  et  le  gaut  résonne 

De  son  cler  ton  ; 
Maint  dous  verbelet  et  main  son 

1  Nos  lecteurs  remarqueront  sans  doute  que  cette  pièce  ainsi  que  celles 
qui  portent  le  titre  de  Un  Lay  d'amours  et  de  Martin  Hapart  sont  moins 
anciennes  que  la  plupart  des  précédentes.  Le  rhythme  a  moins  de  naïveté, 
et  si  le  langage  est  plus  clair  dans  l'expression ,  il  est  peut-ôtre  plus  obscur 
dans  la  pensée,  à  force  de  recherche.  Les  vers  ont  également  moins  de 
verve  et  d'entrain  qu'au  13»  siècle.  Nous  les  croyons  du  premier  tiers  du  14*. 


LA  LANDE  DORÉE,  etc.  479 

Faisoit  adont  en  sa  chanson  : 

Bien  l'entendi. 
Elle  chanta,  le  gaut  tanlî, 
El  je  cornai,  le  bois  bondi, 

Et  el  se  tome. 
Mais  n'ot  pas  vis,  pens-je,  morne, 
Car  onc  li  soulaus  quant  ajourne 

U  temps  d'esté 
N«  fu  si  clers  en  sa  clarté 
Comme  elle  est  en  sa  clarté, 

Dont  me  merveille. 
Chief  ot  blont  et  petite  oreille, 
Yeus  atraiens,  bouche  vermeille, 

Gorge  ot  plus  blanche 
Que  n'est  la  noif  desus  la  branche. 
Le  bras  estoit  desous  la  manche 

Gras  et  roont; 
Ne  doi  pas  oublier  le  front, 
Qui  esloit  le  plus  biau  du  mont 

Et  son  cler  vis 
Estoit  plus  biaus  que  fleur  de  lys; 

Nuez ,  polis. 
Por  estre  miex,  l'avoit  nature 
D'un  vermeil  rosé  à  droiture 
Ausi  com  d'une  portraiture 

Dessus  sa  face. 
Li  cous  estoit  plus  blans  que  glace. 
Ne  croi  que  Dieus  jamès  tel  face 

Que  sont  les  mains; 
Li  cors  est  Ions  et  gros  et  plains. 

Les  mameletes 
Sont  petites  et  rondeleles. 


dSO  LA  LANDE  DORÉE 

Un  pou  pîus  grosses  que  pommelés. 

Sous  la  colelle 
Peroit  le  pis  et  la  forcelle; 
Je  croi  que  de  nulle  si  belle 

N'a  nus  mémoire. 
Sa  cote  estoit  d'un  sa  mi  s,  noire; 
Trop  bien  li  sist ,  oe  poez  croire, 

A  grant  devize. 
La  char  estoit  sous  la  chemise 
Douce,  tandre,  blanche  et  alisse, 

S'a  droit  la  los-, 
Grasse  estoit  sus  déliez  os. 
Se  Diex  me  doint  pès  et  repos. 

Elle  chanloit 
Un  lay  si  bon  qu'il  convenoit, 
Et  si  doucement  le  noloit 

Que  oissillon 
Venoient  oïr  la  chançon. 
Elle  ot  haute  vois  et  cler  Ion  ; 

Si  est  a  pelée 
La  Blonde  de  Lande  dorée- 
Devant  moi  estoit  destrecée; 

Les  tresces  blondes 
Si  vont  sur  les  talons  à  ondes, 
Crespeletes,  c'est  tout  li  mondes. 

Ce  m'est  avis 
Qu'elle  avoit  gent  cors  et  cler  vis. 
Les  iex  rians,  le  nés  traitis, 
Et  la  bouche  petite,  vermeillele; 
One  ne  vi  si  savorousete, 

Se  Dieus  me  saut. 


QUE  LE  VICOMTE  D'AUNOY  FIST.      iSi 

Je  m'arestai  enmi  \e  gautj 
Le  euer  me  frémit  el  l résaut 

De  sa  biauté. 
Li  boisestoit  vert,  feuiiroléj^ 
Li  oissiau  por  le  temps  d'esté 

S'esjoïssoient, 
Et  sur  les  arbresiaus  chantoieiU  : 
Sons  et  lais  et  notes  dissoient; 

Trop  doucement , 
S'en  vont  çà  el  là  flagolent. 
Amours  loant  et  reloant 

En  leur  latin. 
Encore  estoit  assez  matin. 
La  belle  estoit  desous  un  pin. 

Si  escoutoit 
Les  oyssiaus,  puis  recommançoit 
Le  lai  que  ci  très-bien  disoit, 

Qu'en  ce  termine 
Relenlissoit  gaut  el  gaudine. 
Bois  el  prés  de  sa  vois  serine 

Fet  i^tentir. 
Je,  qu'à  li  regarder  tentir 
Me  tint  tous  quois  sans  mot  tentir. 

Et  el  m'avize, 
Mes  n'est  pas  pour  moy  entreprise. 
Leva  soi,  qu'elle  estoit  assisse, 

Moult  doucement 
M'a  dit  :  «  Poinsonnet  bien  veinant, 
«  Li  cers  s'en  va  par  ci  courant, 

*  Droit  vers  le  bos; 
«  Mais  vos  chevaus  vient  moult  repos,. 
«  Car  moult  est  aus  espérons  bos,. 


iSSÏ  LA  LANDE  DORÉE 

«  Si  comme  je  croi. 
«  Faites  que  sage,  créés-moi, 
«  Demourés-vous  avecques  moi, 

«  Si  me  dires 
«  Des  nouvelles  que  vous  savez  , 
«  Et  je,  se  oïr  en  volez , 

«  Vous  en  diray 
«  Ausi  de  celles  que  je  sai.  » 
Je  descens  sans  faire  délai , 

Si  la  salue. 
Celle,  qui  n'est  pas  esperdue. 
Me  ûst  seoir  sus  l'erbe  drue^ 

Lors  me  demande  i 

«  Sire,  (ist-elle,  j'é  engrande 
«  Moult  esté  de  ceste  demande, 

«  Que  c'est  amours? 
—  «  Ha  belle!  c'est  plésans  dolours^ 
«  Léesce  plaine  de  tristours, 

«  Dont  nus  ne  veult 
«  Guérir  des  maus  dont  il  se  deut , 
«  Mes  en  joie  et  en  gré  requeut 

«  Tout  le  vouloir 
«  De  celle  qui  le  fait  doloir. 
«  Amors  si  a  moult  grant  povoir 

«  Conme  esperites  : 
«  Les  uns  fait  liez ,  les  autres  tristres, 
«  Et  ne  rent  pas  touz  jors  méritez 

«  Selonc  désertes, 
«  Qu'Amours  se  rent  aus  uns  apertes, 
«  Aus  autres  cellée  couvertes 

«  Pour  sa  maistrie. 


QUE  LE  VICOMTE  D'AUNOY  FIST.       183 

«  A  mors  est  en  paour  hardie, 
«  Que  l'où  elle  est  plus  asaillie, 

«  Plus  entreprenl. 
«  Amours  s'engendre  en  regardant. 

—  «  Or  me  dites  raison  comment, 

«  Je  vous  empri. 
— «Madamoisselle,  vès  le  ci  : 
«  Tout  ausi  tost  com  je  vous  vi, 

«  Je  vous  amai , 
«  Porlabiauté  que  j'esgardai, 
«  Et  por  le  bien  qu'an  vous  trouvai; 

«  Car  par  nature 
«  Ainme-on  la  belle  créature 
«  Quant  on  voit  sa  douce  faiture; 

«  Et  par  raison 
«  Doit-on  amer  son  maintien  bon. 
«  Ces  deus  choses  en  vous  trouvon, 

«  Qui  vous  esgarde.» 
Dist  celle,  qui  n'est  pas  musarde  : 
«  Dieus,  fist-elle,  comme  il  me  larde 

«  De  biau  parler  ! 
«  Mais  or  lessons  se  ci  ester. 
«  Mes  puis  qu'A  mors  por  esgarder 

«  Est  engendrée, 
«  Conment  est-elle  u  cuer  gardée? 
«  On  n'est  pas  tousjors  à  la  bée 

«  En  regardant; 
«  Et  donques  n'aiment  li  amant 
«  Fors  tant  que  la  dame  est  devant 

«  Ou  damoisselle? 

—  «  Or  escoutez ,  très-douce  belle  : 
«  Souvenir  ou  cors  renouvelé 


184:  LA  LANDE  DORÉE 

«  Le  mail  qui  tient  j 
«  Qoar  quant  on  en  part,  il  souvient 
«  Du  grant  bien  que  celle  maintient 

«  Que  on  désire, 
«  Miex  qu'en  parchemin  ae  en  cire 
»  Le  fait  dedens  le  cuer  escrire 

«  Celle  sembtancef 
«  C'est  li  mirouers  de  plésance 
«  Qui  le  cuer  garde  en  remembrance, 

«  Et  loin  s  et  près. 

—  «  Biau  sire,,  or  me  dites  après  :: 
«  Je  seroie  envieuse  adès 

«  D'amour  d'amie, 
fr  Comment  elle  est  u  cuer  nourrie, 
«  Qu'il  convient  que  chose  qui  amie 

«  Ait  nourremenl. 

—  «  Madamoisselle,  en  espérant 
«  La  nourrissent  li  fin  amant  j, 

«  Qivar  Espérance 
«  La  nourrist  du  let  de  souffrance 
«  Qui  le  cner  garde  en  atendance 

«  Qu'ancor  aura 
«  Merci  quant  bien  servi  aura.. 

*  Ainsi,  dame,  ne  doutez  jà:. 

«  Li  (in  ami 
«  Qu'ont  espérance  de  merci 
<(  Si  sont  apert ,.  lié  et  joli , 

«  Net  et  loial. 

—  «  Sire,  ci  ne  voi-je  nul  mal 

*  De  quoi  se  plaingnent  ci  vassal 

«  Si  durement, 
«  Qu'aucuns  se  plaingnent  en  chantant 


QUli  LE  VICOMTE  D'AUNOY  FIST.       485. 

4  Qu'Amors  leur  fait  moult  de  torment 
«  Et  de  marlire  ; 

•  A  ce  que  je  vous  oi  retfaire. 

1  Amours  me  samble  débonnaire 

«  A  sez  sougîs. 
—  «  Belle,  ti  très-loiaus  amis. 
«  A  trop  de  mal,  ce  m'est  avi«„ 

«  Et  de  doulour  : 
«  Désirriers  l'oeist  et  poour,  ^ 

»  Et  mau parlant  qui  nuit  et  jour 

«  Li  font  damage. 

•  Désir  n  met  u  cuer  la  rage 

•  Dont  il  quiert  souvent  son  dommage^ 

«  Sa  ver  comment,' 
«  Car  li  feus  alume  en  souflant, 

•  Si  fait  l'Amour  en  regardant; 

«  Il  fait  ainsi , 
«  Et  Désir  fait  aler  l'amE 
«  Yéoir  la  belle  cuer  joli , 

«  Vaille  que  vaille, 
«  Et  en  l'ostel  aura  merdaille 
«  Qui  lost  diront  :  Cilz  se  travaille,, 

«  Que  vient-il  querre? 
«  Vient-il  por  madame  requerre? 

«  Par  saint  Germain  t 
«  Je  r  dirai  anuit  ou  demain. 
«  Nous  sommes  du  vin  et  du  paiiv 

«  A  monseignour, 
«  Et  cil  li  requiert  déshonneur:. 
«  Nous  seriens  si  traiteur, 

«  Certainement. 

•  Je  pri  à  Dieu  qu'il  les  ament,^ 


i86  LA  LANDE  DORÉE 

«  Car  trop  font  de  mal  à  l'amant 

«  Et  à  l'amie. 
«  Ci  la  resveillent  jalousie, 
«  Qui  dira  en  chière  marrie 

«  Au  fin  ami  : 
«  Yassaus,  mon  hostel  vous  desdi  j 
«  Et  s'i  venez,  je  vous  deffi , 

«  Car  je  n'ai  cure 
«  D'omme  à  si  cointe  vesture. 
«  Lors  aura  cil  duel  et  rancure, 

•  Painne  et  paour; 
«  Paour  de  perdre  le  retour, 
«  Paour  de  faillir  à  l'amour 

«  Que  tant  désirre. 
«  Belle!  onques  Dieus  ne  fist  martire 
«  Qui  onques  éust  torment  pire 

«  D'un  fin  ami 
«  Quant  il  ne  puet  trouver  merci j 
«i  Neis  mesdisant  l'ont  assailli , 

«  Qui  Dieus  doint  honte! 

«  Belle,  or  avez  ouï  mon  conte.  * 
Et  elle  me  respont  :  «  Viconte, 

«  Bon  gré  vous  sai 
«  De  ce  qu'oy  dire  vous  ai  5 
«  Car  je  croi  moult  bien  qu'à  l'essai 

«  Avez  esté. 
—  «Dame,  ce  fui  mon  un  esté; 
«  Mais  Diex  m'a  icelui  oslé 

«  Que  tant  amoie, 
«  IN'onques  mes  riens  amé  n'avoiej 
«  Et  certes  en  talent  avoie 


QUE  LE  VICOMTE  D'AUNOY  FIST.       187 

«  Que  jà  n'amasse  j 

•  Mais  \o  gent  cors,  vo  douce  face, 
«  Le  cuer  me  lie  et  me  lace 

«  Tant  doucement  5 
€  Car  à  vous  me  donne  et  me  renl 
«  De  cuer,  de  cors  entièrement, 

«  Et  si  vous  pri 
«  Que  vous  me  prenez  à  amîj 
«  Que  se  n'avez  de  moi  merci,. 

«  Sachiez  de  voir, 

•  Nulle  autre  ne  l'en  puet  avoir,. 
«  Car  j'ai  tout  mis  sans  et  pooir^ 

•  Cuer  et  désir, 

•  A  vous  amer  sans  repantir. 

«  Je  vous  pri  que  par  vo  plaisir 
«  Soie  en  vo  grâce. 

•  Gente  de  cors,  belle  de  face, 

«  A  vous  me  doins  en  ceste  place 

«  Sans  jà  mouvoir. 
«  Vostre  sui,  ne  m'en  dois  doloir; 
«  Or  en  faites  vostre  vouloir 

«  Tout  à  délivre, 
«  Car  par  vous  puis  morfr  ou  vivre.  »• 
Elle  respont  :  «  Estes-vous  ivre, 

Qu'ensi  parlés? 
«  Conques  mes  véue  ne  m'avez , 
«  Et  dites  que  si  fort  m'amés; 

«  Conment  puet  c'estre? 
—  «  Dame,  por  Dieu  le  roy  céleslre,. 
«  Qui  me  fist  vivre  et  me  fist  nestre,. 

«  Je  vous  créant 
«  Que  onques  mes  n'amé  riens  taBt^ 


iS8  LA  LANDE  DORÉE 

«  Ne  de  cuer  si  parfaitemeftt^ 

«  Par  cel  Seignour 
«  Que  l'en  apelle  créatour. 
—  «  Sire,  c'est  fort  chose  d'amour,. 

«  Ce  m'est  avis. 
«  Je  n'otroi  ne  je  n'escondis, 
«  Ainçois  relien  avoir  avis 

«  Sur  vo  prière;. 
«  Mes  por  ce  qu'en  mainte  manière 
«  M'avez  Amors  fait  vil  et  chière, 

«  Et  maie  et  bonne, 
«  Et  sachiez  que  pas  ne  me  donner 
«  Mais  de  bon  cuer  vous  abandonne 

«  Un  tel  olroy 
K  Auquel  ne  vueil  soient  que  troi. 

«  C'est  le  marquis^  et  vous  et  moi> 

A  li  irés, 
»  Ou  se  non  i  envoierés, 
«  Et  vous  pri  que  li  demandez 

«  Que  plus  trouve, 
«  Que  lonc  temp  Amour  esprouve,. 
«  De  poour  ou  de  séurté, 

«  Biens  au  douleurs, 
«  Ou  d'amerté  ou  de  douçours, 
«  Ou  de  plaissirs  ou  de  poours, 

«  Que  il  vous  die? 
«  Et  s'il  trueve  plus  grant  partie 
«  De  joie  et  de  douce  vie 

«  En  bien  amer 
»  Que  de  maus,  je  vueil  acordcr 
«  A  ce  que  je  vous  oi  rover,. 


QUE  LE  VICOMTE  D'AUNOY  FIST.       Î89 

*  Et  vous  araerai  sans  fausser 

«  Parfaitement; 
«  Mais  s'on  plus  de  mal  i  alenl 
«  Que  de  bien ,  sachiez  nullement 

«  Ne  m'i  metroie. 
«  Por  ce  vous  commant  et  vous  proi«, 
«  D'ui  en  un  an  droit  voslre  voie 

«  Desous  ce  pin 

*  Tenez;  s'i  soiez  bien  matin. 

*  Adonques  si  orrés  la  fin 

«  De  vo  requeste.  » 
Un  chapian  me  mist  sor  ma  leste; 
A  dont  alai  après  ma  beste. 


Explicit  le  dit  de  la  Lande  dorée  que  le  viconte 
d'Aunoy  fis  t. 


Ms.  198  N.-D, 


Il  est  aucuns  folz  qui  se  plaint 

Par  maint  grief  plaint, 

En  mostrant  plain , 
Qu'Amours  en  li  servant  l'amort 
Si  tost  qu'en  son  service  maint. 

J'en  connois  maint 

Qui  se  remaint 
D'amer  en  désirant  la  mort; 
Mais  le  cuer  qui  à  ce  s'amort, 
Amours  connoist  bien  s'il  se  faint, 

Car  en  déport, 

Sanz  nul  desport, 
Vit  li  cuer  qui  Amours  acliaint. 

Je  le  connois  évidanment  : 

Par  un  lieu  gent, 

Noble,  excellent, 
Là  ù  je  choisi  un  papegaut 
Qui  prioit  amoreusemenl 

Et  doucement, 

De  sentement. 
Une  mauvis  par  douz  asaul; 

'  Cette  pièce  est  coupée  en  strophes  de  treize  vers.  C'est  par  erreur  que 
la  strophe  14  et  la  16"  n'ont  pas  été  séparées  par  un  blanc  comme  les  autres. 


UN  LAY  D'AMOURS  iOii^ 

De  cuer  gay,  amoreiis  et  baul, 
Li  disoit  :  Li  miens  cuers  se  rent 

Sanz  nul  défaut, 

Ne  point  ne  faut 
De  faire  vo  commandement; 

Quar  par  vous  sui  pris  et  espris, 

Et  entrepris 

Par  si  douz  pris, 
Que  se  plus  que  souhait  avoie 
De  touz  biens  d'umain  paradis, 

Se  m'est-il  vis,  "WÊ^ 

Par  vo  douz  vis,  ^^ 

Que  mielz  souhaidier  ne  porroie. 
Tant  ai  dedenz  mon  cuer  de  joie 
Et  est  d'amours  mes  cuers  saisis, 

Qui  si  s'esjoie 

Où  que  je  soie 
Qu'il  est  touz  en  déduit  ravis. 

Et  en  ce  point  adez  serai 

Tant  com  vivrai; 

Car  sanz  esmai 
Ai  demouré  toute  ma  vie, 
Depuis  que  premiers  vous  amay  ; 
È^    Si  serviray 

De  vrai  cuer  gay 
A  vous,  de  qui  j'espoir  l'aiie; 
Car  j'ai  espérance  jolie, 
A  qui  du  tout  m'apoy  et  tray, 

Dont  sanz  folie 

Serez  servie 


il 


192  LE  LAY 

Por  la  grant  valor  qu'en  vous  say. 


Premiers  pris  fui  par  regarder 

Et  aviser 

Et  par  penser 
A  lavostre  plaisant  figure. 
Oui  le  cuer  me  vint  embraser 

Et  aluraer 

Sanz  entamer 
De  si  amoreuse  pointure 
Que  je  le  senz  outre  mesure 


Par  dedenz  mon  cuer  figuiN3r^ 

Ge  ra'aseuure 

De  la  seuufe 
Voie  de  liece  trouver. 


Car  voslre  douz  regarz  joies 

M'est  déliteux 

Et  savoureux, 
Si  que  là  preng  douce  substance, 
Et  ce  me  fait  vivre  amoureux 

Et  désireux 

D'estre  songneux 
De  manoir  adès  en  plaisance, 
€ar  très-amoureuse  espérance 
M'i  fait  vivre  comme  euureux, 

Et  sanz  grevance 

Le  mien  cuer  lance 
Por  vostre  amor,  cors  gracieux. 

Et  si  ai  amoureux  désir 
Por  moi  nourrir 


4^ 


D'AMOURS.  i93 

Sanz  jà  partir 
Du  douz,  noble  amoreus  repaire 
Là  ù  je  pris  le  douz  souvenir 

Qu'en  son  venir 

Par  conjoïr 
Me  fist  à  vous  amer  atraire. 
Ne  jà  je  ne  m'en  quier  retraire, 
Quant  plaisance  ai  en  vos  véir; 

Quar  moi  refaire 

Par  douz  afaire 
Poez  par  vo  simple  plésir; 

Car  Amours  a  en  vous  planté 

Humilité 

Aveuc  biauté  ; 
Ce  me  fait  vous  amer  sanz  faindre, 
Car  garnie  estes  de  bonté 

Et  d'onnesté, 

Déshonnesté 
Ne  puet  dedenz  mon  cuer  remaindre. 
Et  por  ce  ne  me  doi  refraindre 
De  vous  servir  en  loiauté, 

Et  joie  graindre 

M'en  vient  achaindre, 
Car  biens  sanz  nombre  i  ai  trové. 

Donc  je  doi  Amour  gracier, 

Qui  moi  lier 

Sanz  deslier 
Me  vaut  de  si  noble  bien , 
Que  j'ai  amoureux  désirier 

Sanz  empirier, 

II.  13 


# 


i9Â  UN  LAY 

Nejàchangier 
Ne  porroie  à  si  hautain  bien  ; 
Li  miens  cuers  le  sent  et  set  bien 
Que  plus  ne  me  puis  avancier; 

Si  n'ai  mais  rien 

Cuer  qui  soit  mien, 
€ar  tout  l'avez  à  justicier. 

Par  vo  douz  amoureux  semblant 

Sui  menez  tant 

Que  cuer  d'amant 
Covient  frans  cuers  loiaus  que  j'aie; 
Car  en  vostre  grâce  espérant  -^* 

Et  en  amant 

A  vous  penssant 
We  quier  jà  que  je  m'en  retraie, 
Ainz  vous  servirai  d'amour  vraie, 
De  loial  cuer  en  désirant  : 

Si  ne  m'esmaie 

Que  grâce  n'aie 
:Se  bien  connoissiez  vo  servant  ; 

€ar  en  vous  maint  senz  et  raison  , 

Discrécion 

Et  nftotion 
De  connoistre  un  vrai  cuer  loial  i^^. 

Qui  met  en  vo  provision 

S'entention , 

Sanz  traïson 
Penser,  com  à  la  flor  roial 
Et  sur  toutes  espécial, 
Si  que  là  preng  réfeccion 


D'AMOURS.  195 

Si  général 
Qu'esquiex  de  mal 
En  sui  et  osté  de  friçon. 

Ainsi  en  joie  et  en  déduit 

Prent  son  refuit 

Et  son  conduit 
Mon  cuer,  qu'Amors  arguë  et  point, 
Et  en  plaisance  se  déduit  ; 

Rienz  ne  le  nuit 

Ne  nedestruit, 
Tant  l'a  Amours  à  li  ajoint 
De  si  très-amoureux  ajoint 
Que  de  tout  meschief  se  sent  voint; 

Si  ne  faut  point 
De  gaieté  et  jor  et  nuit. 

Car  vo  douz  regarz  atraians, 

Qui  est  rians 

Et  desduisans, 
Me  mist  en  l'amoureuse  sente 
Par  quoi  je  fui  déduit  senz  tens. 

Si  sui  manans 

Et  deraorans; 
Si  est  raison  que  mon  cuer  sente 
En  l'estolz  de  l'amoureuse  ente 
Par  qui  je  suis  gais  et  chantans, 

Et  en  l'atente 

De  la  présente 
Joie  dont  amis  est  joians, 
Je  ne  me  plaint  que  du  trop  tart, 

Qu'Amour  son  dart 


106  UN  LAY 

Par  vo  regart 
Par  dedenz  mon  cuer  tresperçaj 
Car  si  parfetement  s'e&part , 

Tout  sans  escart 

Mon  cuer  et  part, 
Autre  que  vous,  bêle,  n'i  a, 
Ne  jamés  ne  s'en  partira; 
Si  supli  Amour  qui  le  gart , 

Car  il  sent  jà 

Comment  il  va 
Des  nobles  biens  qu'Amours  départ. 

Ainsi  mon  cuer  joie  demaine 

En  vo  demaine, 

Dame  hautaine, 
Et  est  eschievez  de  tristour 
Qui  moi  soloit  estre  prochaine, 

Or  m'est  lointaine. 

Très-souveraine 
D'onneur  et  très-parfaite  flor 
Qui  j'aime,  criem,  croy,  l'aour, 
Et  ferai  par  amor  certaine; 

Meillor  labor 

Ne  puet  nul  jour 
Faire  cuerz  qui  joie  a  por  paine. 
Car  par  un  gratieux  espoir 

Par  qui  j'espoir 

La  grâce  avoir 
Que  vrais  cuers  d'ami  doit  atendre> 
Liesce  me  fait  esmovoir 

Sanz  moi  mouvoir 

Ne  main  ne  soir 


D'AMOURS.  f9T 

De  ce  qu'Amors  m'a  fait  emprendre, 
Car  puis  qu'Amors  m'a  fait  esprendre 
Et  mis  en  son  noble  manoir, 

Je  doy  entendre 

De  vray  cuer  tendre 
A  vostre  grâce  recevoir. 

Si  vous  suppli,  dame  loée, 

Très-bien  amée 

Et  désirrée, 
Que  vous  soiez  vers  moi  piteuse» 
Car  ma  plaisance  est  ordenée 

Et  ma  pensée 

Que  jà  muée 
Ne  soit  de  vous,  très-gracieuse  ; 
Car  j'ai  par  vous  vie  joieuse 
Qui  m'est  en  aimant  présentée, 

Si  déliteuse 

Qu'adès  songneuse 
Ert  de  vous  amer,  bêle  née. 

Douce  mauvis,  soiez  esprise 

Et  d'amour  prise 

Par  telle  guise 
Qu'en  toz  estaz  me  retenez; 
Car  Amour  m'embrase  et  atise 

Par  sa  franchise 

Que  sanz  devise 
Est  tous  mes  cuers  à  vous  donnez, 
Et  si  est  si  encorporez  • 

Dedenz  l'amoureuse  porprise 

Que  jà  osiez 


498  UN  LAY  D'AMOURS. 

Ne  desevrez 
N'en,  puisque  m'enlente  i  ert  mise; 

Car  Amour  d'espoir  me  porvoit. 

Qui  assez  voit 

Se  j'ai  bon  droit 
Et  bone  cause  d'eslre  amans; 
Car  en  ce  lay  chascun  perçoit 

Que  sanz  destroit 

Mes  cuers  reçoit 
Tout  le  contraire  des  dolans  j 
Car  je  sui  en  joie  manans^ 
Ne  nus  grief  ne  m'en  osteroit 

Tant  soit  grevans, 

Qu'adès  joianz 
Ne  soit  mes  cuers,  quel  lieu  qu'il  soit. 

Dame,  car  souvenirs  eslaint 

Touz  maus,  et  taint 

De  si  gent  taint 
Que  H  miens  cuers  prenl  son  resort 
En  celle  vertu  qui  tout  vaint 

Mal  et  restraint, 

Non  pas  estraint , 
Mes  les  loiaus  tient  en  confort , 
Et  osle  de  touz  desconfort 
Qui  ainsi  qui  doit  s'i  enpaint; 

Si  qu'en  descort 

Et  sanz  acort 
Est  à  moi  qui  se  plaint  et  faint. 


Du  rof  2lrtl)us  d  ht  Ôaint  £o^d\ 

Ms.  1132,  supplément  français,  Bibliothèque  Royale. 


La  \irge  doit  estre  honnourée 
De  tous  et  en  toute  contrée, 
De  roys,  princes,  contes  et  dus  j 
Mult  l'onnoura  li  rois  Arthus  % 
Aussi  le  fist  li  rois  Lois, 
Si  com  dirai  se  sui  oïs. 

Nous  lisons  que  Arthus,  roys  jadis 
De  Brelaigne,  vigreus  et  hardis, 
Contre  mult  de  gent  guerre  avoit, 
Mes  grant  révérence  porloit 
A  la  dame  pucele  Marie  : 
Mult  se  fioil  en  son  aïe... 


>  Bien  que  les  vers  qui  suivent  ne  soient  ni  un  conte  ni  un  dit,  }'ai  cru- 
pouvoir  les  donner  ici,  parce  qu'ils  nous  intéressent  au  point  de  vue  des 
traditions  en  ce  qui  concerne  Arthur,  et  an  point  de  vue  de  notre  histoire 
nationale  en  ce  qui  est  relatif  à  Saint-Louis. 

3  Le  roi  Arthur,  de  fabuleuse  mémoire,  dont  les  Bretons  attendirent  si 
longtemps  la  venue  (voyez,  dans  Rulebeuf,  le  Dit  de  Brichemcr),  est 
nommé  à  chaque  instant  par  les  trouvères.  André  de  Coutances  fait  de  ce 
prince  un  grand  éloge,  p.  3^ du  présent  volume. 


200  DU  ROY  ARTHUS 

Or  retournons  au  roy  Arthus, 

En  cui  fu  prouesse  et  vertus, 

Amiables  et  gracieus. 

Si  fait  furent  mult  raerveilleus  :; 

11  estoit  bon  bataillereus, 

En  bataille  victoriens; 

Saxons,  Poitevins  et  Escos 

Dedens  un  bois  retint  enclos; 

Les  quiex  si  forment  prist  la  fain 

Qu'il  se  rendirent  en  sa  main. 

Après  froissièrent  leur  promesse  : 

Arthus  son  ost  contre  eus  adresse 

Et  d'eulz  ocist  vint  et  trois  vins, 

Saxons,  qu'Escos  que  Poitevins, 

De  Galiburne  son  espée, 

Et  Ren  sa  lance  estoit  nommée. 

Un  dragon  sus  hyame  en  sa  teste,. 

Mult  estoit  espouentable  beste  ; 

En  son  escu  avoit  l'yraage 

De  la  puissant  et  de  la  sage, 

C'est  de  la  pucele  Marie, 

Pour  ce  que  li  fust  en  aïe, 

Et  si  fu-ele  la  piteuse  : 

Mult  eut  victoire  merveilleuse. 

Li  fait  Arthus  sont  merveiables 

Si  qu'aucun  les  tiennent  à  fables; 

Mes  Diex  et  sa  mère  Marie 

Font  mult  de  fais  quant  on  les  prie. 

De  Saint  Loys  dire  vous  vueil, 
Duquel  n'eut  boben  ne  orgueil 


ET  DE  SAINT  LOYS.  201 

Ne  vanité  de  chançonnetes  ', 
Si  com  est  en  nos  pucelettes 
Et  en  nos  jolis  damoysiaus 
Qui  miex  sont  nommé  Davoudiaus. 
Leur  chançons  sont  hoqueteries  : 
Trop  miex  resamblent  moqueries. 
Quant  Saint  Lois  chanter  vouloit, 
De  Dieu  ou  de  sa  mère  chantoitj 
Ne  fust  chançon  nule  chantée 
Du  siècle;  mes  de  Notre-Dame 
Povoit  chanter  et  homme  et  famé, 
Dont  un  escuier  il  avoit 
Qui  du  siècle  trop  bien  chantoit. 
Il  li  deffent  que  plus  n'en  die, 
Et  qu'il  chante  de  dame  Marie. 
Li  fîst  aprendre  de  la  bêle 
Plurieurs  antienes  et  icele 
Hymne  Ave  Maris  Stella; 
Tant  l'a  rioté  qu'apris  l'a. 
A  l'escuier  mult  grief  estoit , 
Mes  obéir  li  convenoit, 
Dont  il  et  li  gracieus  roys 
Souvent  chantoient  à  haute  vois 
Ce  que  savoient  de  la  Royne 
Dame  Marie  sus  toutes  dignes  : 
Ainsi  sa  vie  le  devise,  etc. 

'  Voyez,  à  ce  sujet,  une  noie,  p.  413  et  414  de  mon  édition  des  OEit- 
vres  de  Rutebeuf ,  t.  I. 


Ms.  1132,  supplément  français,  Bibliothèciue  Royale. 


Par  mainte  foiz  oï  avez 
De  CCS  examples  recorder. 
De  Saint-Michel  un  en  orrez, 
Se  il  vous  plaist  à  escouler. 
Onques  de  tel  n'oy  parler 

Nus  qui  soit  visj 
El  n'est  mie  du  temps  jadis. 
Mes  il  avint  ou  temps  d'avril. 
Douce  gent,  c'est  bien  vérité, 
Qui  au  mont  Saint-Michel  ira, 
S'il  muert  en  l'an  ,  miex  l'an  sera. 

A  Avrenches  dessus  le  pont 
Une  riche  famé  out  meignant 
Qui  espousa  un  riches  hons 
De  mult  grant  atenement  j 
Il  estoit  plaideour  mult  grant , 

Sage  et  gaillart  : 
On  l'apeloit  Martin  Uapartj 
U  hapoit  de  chascunc  part. 


MARTIN  HAPART.  203 

Martin  hapoit  quant  estoit  vif, 
Et  si  hapa  quant  il  fa  mort. 
Mult  de  gent  metoit  à  essil 
Et  leur  faisoit  de  leur  droit  tort. 
Miex  amoit  à  boire  bon  vin 
Qu'eslre  ou  moustier. 
S'entente  estoit  à  soutillier 
Comme  il  péust  gent  essillier. 

Martin  Hapart  haioit  moustier 
Sur  toute  rien  et  le  sermon , 
Les  mesiaus  et  les  potenciers. 
Et  les  gens  de  religion. 
L'anemi  l'avoit  par  réson 

Mis  en  escrit  : 
En  enfer  estoit  fait  son  lit. 
Mes  sa  famé  le  garanti. 

Sa  famé  à  Saint-Michiel  ala 
Par  mainte  fois  et  l'aoura. 
Son  mari  pria  que  il  i  alast. 
Mes  il  dist  que  rien  n'en  fera. 
Un  jour  par  matin  se  leva 

Si  pria  moult 
Son  mari  qu'il  alast  au  Mont  : 
Martin  dist  que  foie  gent  sont, 

D'aler  Saint-Michiel  aourer, 

Quar  i  n'i  a  de  li  noient. 

11  n'i  a  riens  que  un  moustier 

Et  un  granlymagc  d'argent. 

Saint-Michiel  n'est  c'un  pou  de  vent  : 


204  MARTIN  HAI>AHT. 

Dieu  le  créa  ; 
Ne  char  ne  sanc  ne  li  donna 
Fors  les  eles  dont  il  vola. 

Tant  comme  il  est  en  Poitou 

Ou  à  Paris  ou  à  Orliens, 

Puet  l'anemi  faire  un  trou 

En  son  moustier  qui  n'en  set  riens, 

Que  fust  l'or  et  l'argent  céens 

En  bons  deniers 
Et  le  moustier  fust  trébuchiez 
Et  les  moingnes  tretous  noiez  l 

«  Tu  es  fol,  sa  famé  li  dist; 
Diex  le  commanda  de  son  ciel 
Que  l'en  un  moustier  féist 
U  non  de  l'angre  saint  Michiel. 
As  âmes  est  plus  dous  que  miel , 

Et  qui  ira 
Bien  repentant  de  tout  mesfait, 
En  paradis  son  lit  est  fait. 

—  En  quel  paradis?  dist  Martin; 
11  n'est  paradis  fors  deniers 
Et  mengier  et  boire  bon  vin 
Et  gésir  sus  draps  déliez. 
Il  n'i  a  riens  de  Saint-Michiel 

Fors  les  parois 
El  l'ymage  que  le  biau  rois 
Fist  parer  de  ses  viex  orfrois. 

Par  mon  chief,  dist-il,  g'en  irai  j 


MARTIN  HAPART.  205 

Mes  à  povre  gent  rien  ne  donray, 
Ne  n'amenderont  jà  du  mien. 
Une  maille  li  porteray 


Qu'ey  espargnie. 
Ele  est  esbréchie  le  tiers  : 
Je  li  offerray  volen tiers.  » 

Sele  maaille  li  monstra; 
Sa  famé  mult  bien  la  quenut. 
Martin  à  Saint-Michiel  ala , 
Onques  n'i  menga  ne  ne  but, 
Ne  onques  tant  povre  ne  li  sut 

Demander  li 
Qu'il  donnast  vaillant  un  espi. 
L'anemi  n'en  fu  pas  marri. 

Quant  à  l'oslel  s'en  retourna, 
La  mort  le  prist;  si  vint  son  jour. 
Ne  cuidoit  pas  qu'entrast  la  mour 
En  tel  chastel  n'en  si  fort  tour. 
Des  biens  estoit  à  grant  honnour, 

Quar  faucement 
Bien  doit  amer  celui  l'argent 
Qui  le  gaaigne  loiaument. 

Or  oez  par  quoy  il  hapa. 
Quant  il  fu  en  son  sarqueu  mis, 
Cest  miracle  si  ne  fust  jà 
Scéu  par  homme  qui  soit  vis. 
Mes  le  fessier  si  avoit  mis 
En  son  braeul 


206  MARTIN  IIAPART. 

Cent  et  deux  soiilz,  quar  il  avoit 
Receu  d'un  buef  qui  cras  esloit. 

Le  fossier  ses  pans  rebraça 
A  sa  ceinture  hautement; 
Sa  bourse  aval  li  balocha  : 
Le  sarqueu  prist  li  et  l'argent^ 
Quant  vint  à  son  dévalement 

ïl  s'entrouvri. 
La  bourse  du  braeul  rompi  : 
Martin  liapa  tout  devers  li. 

Il  senti  bien  rompre  le  lasj 
Mes  il  ne  sot  pas  que  ce  fu: 
A  son  hostel  se  clama  las 
Quant  il  s'en  fu  apercéu. 
Au  prestre  s'en  est  revenu  , 

Si  se  clama 
De  Martin  Haparl  qui  hapa 
Sa  bourse  quant  il  l'enterra. 

Celé  journée  proprement 
Refu  le  sarqueu  deffouy; 
Le  fossier  trouva  son  argent 
Qui  en  la  fosse  li  chéy 
Et  la  maaiile  qu'il  offri 

On  l'enporla. 
Au  vesque  la  nouvele  ala 
Dont  par  mainte  fois  se  seigna. 

Le  grameire,  se  dient ,  lut 
Li  clerc  qui  sot  mult  de  latin. 


MARTIN  HAPART.  207 

L'anemi  tantost  s'aparut  : 

f  Ai  moy  !  fait-il  j  où  est  Martin? 

—  Tu  en  orras,  fait-il ,  la  fin. 

Le  «ors  tenon  ; 
En  enfer  nous  entrebaton 
Pour  l'âme  que  perdue  a  von. 

Son  lit  estoit  fait  en  méson , 
Mes  Michiel  le  nous  a  tolu. 
Une  maaille  l'en  a  trait 
La  ballance  devant  Jhésu 
Des  grans  biens  qu'il  avoit  eu 

Par  faus  recors. 
Saint  Michiel  nous  en  a  fel  tort  ; 
Il  estoit  noslre  après  la  mort.  » 

L'anemi  à  tant  s'entourna, 
Et  l'évesque  est  demouré. 
Qui  au  mont  Saint-Michiel  ira, 
H  li  sera  guerredonné. 
Prions  saint  Michiel  l'onnouré 

De  toute  gent 
Qu'il  nous  conduie  à  sauvement 
Devant  Dieu  pardurablement. 

Amen. 


iFatrastes'* 


-a 


Ms.  B.  L.  F.  n"  60,  Bibliothèque  de  l'Ari^enai. 


Jaler  sans  froidure 

Prestoit  à  usure 

Auques  por  noient; 

Nule  créature 

Metoit  empresure 

Safirs  d'Orient. 
Bîau  tans  de  pluie  et  de  vent 
Et  cler  jor  par  nuit  oscure 
Firent  un  tornoyement; 
Sor  plain  poing  de  neste  ordure 
Fondoient  coyvre  à  Dinant. 

Fourmage  de  laine 
Porte  une  semaine 
A  la  Saint-Remi, 
Et  une  quintaine 
Couroit  parmi  Saine 


1  Voir  Jongleurs  et  Trouvères,  p.  34 ,  où  j'ai  donné,  sous  le  titre  de 
Rêveries,  une  pièce  du  même  genre,  mais  d'un  rhylhme  différent.  M.  Cha- 
baille  se  propose  d'en  publier  quelques  autres  dans  l'ouvrage  qu'il  prépare 
sur  les  trouvères. 


II. 


FATRASIES.  209 

Sor  pet  et  demi  ; 
Li  siècles  parti  parmi 
Uns  siurons  sainiez  de  vaine 
Leur  dit  :  Par  l'âme  de  mi, 
J'ai  repost  un  mui  d'avaine 
Dedenz  le  cul  d'un  frémi. 

Uns  giex  de  Nipole 

Chante  une  jaiole 

De  loial  amour, 

Uns  chastiaus  qui  voie 

D'une  poire  mole 

Recousoit  un  jour; 
Jà  chéissent  de  lor  tour 
Nefust  une  paie -vole 
Qui  s'arma  devant  le  jour 
Por  le  gieu  de  la  grimole 
Qui  rainoit  la  maistre  tour. 

Andoille  de  voirre 

Aprestoit  son  ayre 

Por  aler  nuleu, 

Uns  Flamens  d'Aucuerre 

Vessoit  pour  miex  poirre 

De  latin  en  grieu, 
Et  uns  pez  fait  en  ébrieu 
1  faisoit  hanas  de  Juerre, 
Moult  en  faisoit  grant  aleu 
Quant  uns  petis  faiz  de  fuefre 
Commença  un  noviau  geu. 

Dui  rat  userier 

14 


m 


310  FATRASIES. 

Voloient  songier 
Por  faire  un  descort, 
Troi  faucons  lanier 
Ont  fait  plain  panier 
Des  Vers  de  la  Mort. 
Uns  muiaus  dit  qu'il  ont  tort, 
Por  l'ombre  d'un  viez  cuvier 
Qui  por  miex  \illier  s'endort, 
Oui  cria  :  Alez  lacier 
Por  tornoier  sans  acort. 


Formaige  de  grue 
Par  nuit  eslernue 
Sorl'abaied'un  chien; 
Uns  coutiaus  maçue 
Saut,  et  si  le  hue, 
Si  ne  H  dit  rien. 
Uns  escharbos  li  dit  bien , 
Quant  li  dos  d'une  sansue 
Qui  confessoit  un  mairien. 
Là  chie  tant  l'ont  batue, 
Dientcil  fusicien. 


En  l'angle  d'un  c. 
Là  \i  un  taisson 
Qui  tissoit  orfrois, 
Et  un  chapperon 
Parmi  Monloon 
Menoit  Yermendois; 
Je  lor  dis  en  escoçois  : 

Desc d'un  papillon 

Porroit-on  faire  craz  pois? 


FATRÂSIES.  2*1 


El  dou  V..  d'un  limeçon 
Faire  chastiax  et  béfrois? 

Uns  mortiers  de  plume 
But  toute  l'escume 
Qui  estoit  ^n  mer, 
Ne  mais  une  enclume 
Qui  moult  iert  enfrume 
Si  l'en  va  blâmer; 
Uns  chas  em  prist  à  plorer 
Si  que  la  mer  en  alume 
Un  juedi  après  souper^ 
Là  convint-il  une  plume 
Quatre  truies  espouser. 

Je  vi  une  tour 
Qui  à  un  seul  tour 
Vola  duqu'à  nues. 
Si  vi  demi-jour 
Entrer  en  un  jour 
Après  quatre  grues; 
Se  ne  fussent  deus  maçues 
Qui  d'une  arbaleste  à  tour 

Orent  deus  nonnains  f 

Mortes  fussent  sanz  retour 
Quatre  cotes  descousues. 

Je  vi  une  crois 
Chevauchier  Artois 
Sor  une  chaudière, 
Et  une  viez  sois 
Menoit  Vermendois 


242  FATRASIES. 


Parmi  une  pierre; 
Se  ne  fust  une  verrière, 
Deus  lymeçons,  voire  trois, 
De  Paris  duqu'en  Bavière 
Eussent  fait  dix  Anglois 
Huchier  harpe  et  godière. 

le  vi  Saint-Quenlin 
Qui  de  Saint-Aubin 
Feri  Saint-Omer, 
Arras  et  Blangi 
Derierre  Chauni 
Lor  trosiax  porter  : 

Uns  surons  les  voust  rober; 

Se  ne  fussent  deus  poucins 

C'uns  Anglois  devoit  couver, 

Trais  fust  Salahadins 

A  l'entrée  de  la  mer. 

Chates  escorchies 
Erent  enragies 
Por  peler  blans  aus, 
Deus  truies  noies 
S'en  sont  couroucies. 
S'ont  pris  deus  pestaus;. 
Se  ne  fust  uns  gris  veaus, 
Deus  suris  fors  paisies 
Qui  venoient  de  Cytiax 
Estoient  jà  conseillies 
De  porter  Paris  à  Miax. 

Uns  viellars  mors  nezi 


FATRASIES.  213 


Qui  avoit  court  nez 
Portoit  un  molin, 
Uns  chas  bestornés 
C'est  bien  atornés 
De  deus  dras  de  lin  j 
Plain  possonnet  de  saïn 
Les  éust  touz  estonnés 
A  l'entrée  d'un  jardin, 
Quant  uns  ras  i  a  menez 
Les  pez  d'un  viez  Tartarin, 

Aillie  d'estrain, 

Formage  de  pain 

El  fèves  de  pois, 

Et  kailleus  de  grain 

Et  pierres  de  fain 

Et  escot  François. 
Uns  chas  qui  parloit  griois 
Emportoit  seignor  Alain, 
Dont  ce  fu  trop  grans  anois. 
Quant  deus  singe  chastelain 
Chevauchoient  Vermendois. 

Uns  cendaus  de  laine 
Estoit  en  grant  paine 
De  corber  un  pois, 
For  sainier  de  vaine 
Venoit  Babiloine 
A  penre  François, 
Encontre  vint  Vermendois 
Qui  hanissoit  sans  alaine, 
Sor  un  grant  cheval  d'orfrois. 


314  FATRAS!  ES. 

Par  un  jour  hors  de  semaine 
S'enfuient  quatorze  mois. 

Mouslarde  d'anete 
Portoit  Damiele 
Derier  Occident, 
Uns  vis  de  cherete 
Baloit  l'enlrepete 
Plain  panier  de  vent; 
Uns  chas  qui  la  lune  vent 
Saut  avant,  et  si  culele 
Dix:  frémis  en  un  couvent, 
Si  que  Paris  en  voleté 
D'Acre  duqu'en  Occident. 

Li  sons  d'un  cornet 
Mengoit  à  l'égret 
Le  cuer  d'un  tonnoire, 
Quant  uns  mors  béquet 
Prist  au  trébuchet 
Le  cours  d'une  esloilej 
En  l'air  ot  un  grain  de  soile. 
Quant  li  abais  d'un  brochet 
Et  li  tronçons  d'une  toile 

Ont  trové  f un  pet, 

Si  li  ont  coupé  l'oreille. 

Crasses  pierres  moles 
Tenoient  escoles 
Por  pés  endormir, 
Deus  vielles  cytolcs 
Vuidoient  fioles 


FATRASIES.  245 

Por  mouches  vessir. 
J'ai  bien  ce  que  je  désir,     . 
Or  commencent  les  quaroles, 
(Si)  avoient  bon  loisir 

Laus  kyrioles 
Qui  venoient  de  pestrir. 

Dragons  de  geline 

Devenoit  ferine 

Por  avoir  argent, 

Uns  hérens  se  pingne 

Por  avoir  liai  ne 

De  dyversses  gent; 
Moult  se  vivoit  bel  et  gent 
Cil  qui  savoit  lor  covine, 
Uns  mosliers  i  vint  nagant 
Qui  avoit  moustré  s'orine 
D'Acre  duqu'en  Occident. 

Anguiles  de  terre 

Fesoient  grant  guerre 

D'eles  comfesser, 

Ne  mais  Engleterre 

Mengoit  Engleterre 

Por  s'âme  sauver, 
Uns  mors  hom  s'i  fist  porter, 
Et  uns  huis  qui  se  desserre 
Voloit  aler  outre  mer 
A  tout  un  chapelet  d'ierre 
Le  juedi  après  souper '. 

Cette  stance  est  répétée  à  la  fin  de  la  pièce  dans  le  manuscrit. 


346  FATRASIES. 

Une  pale-vole 

Tornoit  une  mole 

De  marbre  porfire, 

Et  une  brifole 

Venoil  de  l'escole 

D'un  paragelire; 
Uns  chapiaus  de  chaz  en  mire, 
Noviax  revenus  d'escole, 
Li  prist  vilonie  à  dire  ; 
La  nuit  jut  avec  s'aiole, 
S'engenra  un  voust  de  cire. 
Moult  en  tinrent  grant  consile 
Tuit  li  Gieu  de  la  griraole; 
Se  no  réson  ne  parole 
Tult  li  cors  d'un  cimetire 
Se  pristrent  à  la  karole, 
Chascun  set  chanter  et  lire 
Et  harper  à  la  viole. 

Uns  kailleus  veluz 
Devenoit  rendus 
Ses  péchiez  plourant , 
Et  uns  viens  baûs 
Ocist  quatre  dus 
Son  cors  desfendant; 
Mais  mal  lor  fust  convenant 
Se  ne  fust  uns  éternus 
Qu'il  trois  firent  en  dormant 
Qui  dit  que  li  rois  Artus 
Estoit  gros  de  vif  enfam'.  , 

Li  pez  d'un  suiroa 


FAÏRASIES.  217 

En  son  chapperon 

Voloit  porter  Rome, 

Uns  oès  de  coton 

Prist  par  le  menton 

Le  cri  d'un  preudorame; 
Jà  le  ferist  en  la  somme 
La  pensée  d'un  larron 
Quant  li  pépins  d'une  pomme 
C'est  escriez  à  haut  ion  : 
Dont  viens,  où  tu  vas?  huillecomme  '  I 

Li  ombres  d'un  oef 

Portoit  l'an  renuef 

Sus  le  fonz  d'un  pot, 

Deus  viez  pingne  nuef 

Firent  un  estuef 

Pour  courre  le  trot  ; 
Quant  vint  au  paier  l'escot, 
Je,  qui  omques  ne  me  muef , 
M'escriai,  si  ne  dis  mot  : 
Prenez  la  plume  d'un  buef , 
S'en  vestez  un  sage  sot , 
Dorenlot,  va  dorenlot  : 
Tex  est  couz  qui  n'en  set  mot. 

Une  viex  paele 
Touz  cex  de  Broucele 
Voloit  compissier, 
Et  une  viele 
Chantoit  em  fessele 
Dou  danay  Ogier; 
<  Huillecomme,  wilkcome,  formule  de  salut. 


2i8  FATRASIES. 

Sor  le  comble  d'un  moustier 
Vi  un  tonncl  qui  rapele 
Les  montes  d'un  userier, 
Quant  Aucuerres  et  Rochele 
L'empristrent  à  esmaier. 

Eslranges  privez 
Esloit  porpensez 
De  grant  courtoisie, 
En  deus  saz  troez 
Âvoit  aportez 
Touz  ceis  de  Percie } 
A  Paris  en  Sac-à-Lie, 
Là  les  éust  délivrez 
Em  plain  hanap  de  boulie, 
Qant  uns  lymeçons  armez 
Hautement  Monjoie  escrie. 

Li  piez  d'une  sele 
Chevauche  Rochele 
De  Hui  à  Dynant, 
Et  une  paele 
Tondoit  sa  cotele 
De  Bruges  à  Gantj 
Uns  molins  i  vint  volant 
Qui  ot  pris  une  arondele, 
Uns  caillex  i  vint  plorant 
Et  une  putain  pucele 
Délivrée  d'un  tyrant. 

Uns  chevax  de  cendre 
Crioit  pois  à  vendre 


FATRASIES.  219 

D'un  pet  de  suiron. 

Uns  pez  ce  fist  pendre 

Pour  li  miex  deffendre 

Derier  un  luilon; 
Là  s'en  esmervilla-on , 
Que  tanlost  vint  l'âme  prendre 
La  teste  d'un  porion, 
Pour  ce  qu'il  voloit  aprendre 
De  Gerart  de  Rossillon. 

Uns  pez  à  deux  eus 

S'estoit  revestus 

Por  lirre  grammaire. 

Et  un  chas  cornus 

Devenoit  reclus, 

Si  vesti  la  haire; 
Li  pans  d'une  manclie  vaire 
Lor  a  disl  :  Traies  en  sus, 
En  chantant  les  faisoit  taire. 
Quant  li  ombres  d'un  séus 
1  corut  ses  braies  traire. 

Uns  arbres  reons 

Par-desus  Soissons 

Traïnoil  la  mer, 

Uns  esmérillons 

De  ces  ailerons 

L'aloit  esventer; 
Là  féist  tout  craventer 
Se  ne  fust  uns  limeçons 
Qui  la  terre  ot  à  garder, 
Qui  commanda  deus  oisons 


220  FATRASIES. 

Quatre  larrons  traîner. 

Demi-mui  d'avaine 
Ce  sainoit  de  vaine 
Pour  aqueillir  los, 
Une  quarantaine 
Grantjoie  demaine 
Par-derier  son  dos  ; 
Se  ne  fust  H  ris  d'un  coc 
Qu'entre  Pentecouste  et  Braine 
Dont  la  char  ronga  les  os, 
Pendus  fust  en  la  semaine 
Te  rogamus,  audi  nos. 

Quatre  rat  à  moise 
Faisoient  rnonnoie 
D'un  viez  corbilion, 
Uns  moines  de  croie 
Faisoit  moult  grant  joie 

De  f un  bacon. 

Entendez  à  ma  raison  : 
Se  ne  fust  la  Pommeroie 
Qui  chevauchoit  un  goion, 
Penduz  fust  par  la  courroie 
Karesmes  par  un  c....... 

Vache  de  pourcel, 
Aingnel  de  veel 
Brebis -de  malart, 
Dui  lait  home  bel  • 

Et  dui  sain  raesel, 
Dui  saiges  sotart, 


FATRASIES.  221 

Dui  enfant  nez  d'un  torel 
Qui  chantoient  de  Renart 
Seur  la  pointe  d'un  coutel 
Portoient  Chastel-Gaillart. 

Uns  biaus  hom  sans  leste 

Menoit  moult  grant  feste 

Por  mengier  cailliaus, 

Moult  est  fière  beste 

Cil  qui  l'en  arreste 

Un  juedy  à  Miaus, 
Et  trois  asnesses  sanz  piax 
Démenoient  moult  grant  feste 
Por  aus  tolir  lor  drapiaus; 
lllueques  chantoit  de  geste 
Une  cuve  en  deus  tonniaus. 

Rose  de  vendoise 

Sor  la  rivière  d'Oise 

Chevauchoit  une  ais, 

Moult  menoit  grant  noise 

Uns  faisiaus  d'adoise 

Par  mi  un  tarquais  ; 
Tuit  li  hérenc  de  Qualais 
Burent  plain  pot  de  cervoise 
Chiez  l'évesque  de  Biauvais, 
Qui  confessoit  une  aisele 
Des  péchiez  qu'ele  avoit  fais. 


A  champ  et  à  vile 

Sa  quenoille  file 

Sans  piez  et  sans  mains. 


222  FATRASIES. 

Moult  savoit  de  guile 
Cil  qui  d'Abevile 
Chevauchoit  à  Rains. 
Uns  grans  homs  qui  estoit  nains 
Qui  amenoit  bien  dis  mile 
De  singes  touz  chapelains, 
Davines  ou  croiz  ou  pile  : 
Li  premiers  fu  deesrains. 

Uns  chiens  escorchiez 
Estoit  escourciez 
Por  mostiers  semer, 
Et  uns  pygnes  viez 
S'en  est  courouciez, 
C'est  saillis  en  mer; 
Tant  empristrent  à  parler 
Gelines  à  quatre  piez 
Qu'elles  pristrent  un  cengler, 
Firent  de  plain  pot  de  miés 
Illueques  l'asne  \oler. 

Estrons  sans  ordure, 
La  mer  amesure 
Com  longue  ele  estoit, 
Et  uns  oés  de  bure 
Li  dit:  Hure,  hure! 
Quant  il  l'aperçoit. 
Uns  mors  homs  qui  bien  véoit 
Dit  :  Violas  bure  bure! 
Uns  chas  qui  Paris  portoit 
I  coroit  grant  aléure 
Por  ce  que  nus  piez  n'avoit. 


FATRASIES.  223 

Grant  noise  faisoient 

Dui  pet  qui  metoient 

Une  suris  en  sel, 

Dui  four  en  tomboient, 

Dui  truies  cliantoient 

Parmi  un  tynel; 
Moult  parloient  d'un  et  d'el 
Dui  suris  qui  emportoient 
Rains  et  Paris  sor  un  pel, 
Si  que  forment  em  plouroient 
Pasques  derierre  Noël. 

Tripe  de  mouslarde 

Se  faisoit  musarde 

Dou  poistron  s'antain, 

Et  uns  oés  ce  farde 

Pour  ce  que  il  n'arde 

D'un  pet  de  putain, 
C'est  de  la  chanson  d'Audain, 
Lors  i  vint  une  bystarde 
Qui  fu  commère  Bertain, 
Et  une  truie  gaillarde 
Un  mostier  dedenz  son  sain. 

Sayn  de  marmothe 

Ghantoit  une  note 

De  Mante  à  Paris; 

Une  saige  sote 

D'une  chappe  cote 

Li  a  fait  un  ris  ; 
Bien  fust  chascuns  d'aus  garnis 
Ne  fust  uns  estivaus  bole 


aS^  FATRASIES. 

Qui  portoit  en  deus  baris 
Un  chastel  sor  une  mote, 
Si  les  a  touz  esmaris. 

Uns  biaus  hora  sans  teste 
Menoit  moult  grant  feslo 
Por  un  c.  velut, 
El  une  fenestre 
A  mis  hors  sa  teste, 
Si  vit  le  fendu; 
Jà  fust  grant  max  avenu 
Quant  li  songes  d'une  beste 
S'escria  :  Hareu  !  le  fu  ! 
Trestout  voloit  ardoir  l'aitre 
Por  ce  c'om  i  ot  f 

Uns  cors  sains  de  Cille 
Fistd'un  cuir  d'anguille 
La  lune  lever, 
Et  une  morille 
Avoit  une  fdle 
Qui  portoit  la  mer; 
Mort  fussent  à  l'ariver 
Se  ne  fust  une  faucille 
Qui  les  ala  délivrer 
Por  un  byreli  quoquille 
Le  juedi  au  soupper. 

Bacin,  chandelier 
Furent  sommelier 
Au  roi  Dagombert, 
Bien  savoit  villier 


FAT  R  A  SI  ES.  225 

Li  poilrons  Aubert, 

Et  lui  travillier, 
Et  li  pez  sire  Gombert 
Les  ala  louz  esviilier. 
Dex  vous  saut,  sir€  Robert, 
Quatre  sous  en  un  denier 
Chanta  de  saint  Filebert. 

Hasart  de  neuf  poinz 

Estraint  si  ses  poini  'tei  ioO 

C'uns  bues  en  sailli, 

Moult  fu  or  prez  poinz 

Uns  viviers  pourpoinz 

Quant  il  li  failli, 
Uns  escharbos  l'asailli 
Qui  avoit  ces  sollers  oinz; 
Tost  i  fussent  malbailli 
Se  ne  fust  uns  grans  besoinz 
Qui  venoit  devers  Mai^li. 

Une  truie  enceinte 

Parmi  une  aceinte 

Compissoit  un  lièvre^^i-tf»  / 

Une  lamppe  estainte 

Faisoit  sa  complainte 

Sor  plain  pot  de  fièvre, 
Une  aloete  covière 
Avoit  une  esfille  atainte 
Sor  la  keue  d'une  chièvre, 
Si  l'a  si  dou  cul  empainte 
Que  li  mas  de  Paris  criève. 

11.  15 


2ti6  FATRASIES. 

La  keue  d'un  pel 
Parmi  un  corbet 
Démenoit  grant  joie, 
Si  \i  Mahomnyet 
Sor  on  tonnelet 
Faire  une  viez  voie, 
Saint-Quentin,  Péronne,  Roie 
Mussoient  en  un  cornet 
Parmi  l'ueil  d'une  lamproie 
Qui  lor  jooit  par  abbet 
D'un  oef  abouté  en  corroie. 

Anglois  de  Hollande 
Embloient  lllande 
Por  mengier  as  aus. 
Uns  lymeçons  mande 
Gent  de  huppelande 
Sor  deus  syminiaus; 
Uns  paniers  ce  fist  chevaus 
Quant  une  mouche  truande 
Qui  list  parler  deus  muiaus. 
Avoit  jà  tolu  l'offrande 
A  deus  abbés  de  Cytiaus. 

Chançons  emporée 

Orent  à  covée 

Une  viez  cité 

Une  demeurée 

Embla  la  mourée 

Par  humilité 
Quivéist  fragilité, 
Qui  ol  sa  tonne  afforée 


FATRASIES.  227 

Enz  ou  cul  de  venile; 

Cil  qui  font  blanc  por  mourée 

C'en  sont  moult  bien  aquité. 

Uns  saiges  sans  sens, 

Sans  bouche,  sans  dans, 

Le  siècle  menga, 

Et  uns  sors  hérens 

Manda  les  Flamens 

Qui  les  vengera  ; 
Mais  tout  ce  ne  lor  vaura 
La  plume  de  deus  mellens 
Qui  quatre  nés  affondra, 
Mais  je  ne  sai  que  je  pens, 
De  murdre  les  apela. 

Flaons  de  noient 

Celui  apartient 

Qui  portoit  Champaigne, 

Moult  bien  li  avient; 

Mais  ne  li  sovient 

D'aler  en  Bretaigne; 
Uns  chaperons  li  enseigne 
Et  uns  tacons  le  délient 
Qui  emportoit  Alemaigne, 
Mais  ne  sai  quoi  qu'il  devient 
Cil  à  la  chière  grifaigne. 

Uns  nis  de  croyère 
Ce  devant  derierre 
Contoit  sa  raison, 
Une  fort  janglière 


228  FÀTRASIES. 

Estoit  coustumière 
De  monstrer  son  c; 
Uns  formai ges  de  mouton 
Aporloit  en  sa  loière 
Le  jour  de  i'Asencion, 
Qui  avoit  en  s'aumôniére 
Quarante  jours  de  pardon. 

Blanche  robe  et  noire 
D'un  sens  sans  mimoyre 
Faisoit  un  lorain, 
Li  flairs  d'une  poire 
D'un  pet  de  provoire 
Lor  chantoit  d'Audain. 
Ce  fu  es  prez  Saint- Germain 
C'uns  kaillex  qui  ot  la  foire 
Ce  faisoit  cousins  Gruain; 
Ez  vos  sus  une  papoire 
Criant  un  cortois  vilain. 

Uns  ours  emplumés 
Fist  semer  uns  blés 
De  Douvre  à  Wissent , 
Uns  oingnons  pelez 
Estoit  aprestés 
De  chanter  devant, 
Quant  sor  un  rouge  olifant 
Vint  uns  limeçons  armés 
Qui  lor  aloit  escriant  : 
Fila  putain,  sa  venez! 
Je  versefie  en  dormant. 


'ti^ 


Bu  3eu  h  'Bn  \ 

Ms.  1132,  supplément  français,  Bibliothèque  Royale. 


Vous  qui  bien  et  honneur  et  les  biaus  dis  amez, 
Entendez  un  petit  cens  qui  les  biens  ont  niez  : 
Je  truis  souvent  de  cens  où  li  biens  est  remez, 
Et  si  ont  affoison  terres  et  fiez  et  mez. 

Li  roiaumes  abesse  et  devient  de  l'empire; 
Li  siècles  croît  à  force  et  tout  adès  empire  : 
Nus  ne  va  droite  voie,  ains  tient  toujours  la  pire, 
Dont  li  cuers  de  mon  ventre  par  mainte  fois  souspire. 

Or  ai  mise  m'entente  en  matère  diverse, 
Du  décomment  fu  fait  qui  maint  preudommeenversse. 
Tel  si  dit  biau  compains,  joue  au  dez,  boi  et  verse, 
Miex  venist  qu'il  béust  à  Noion  à  la  verse. 

Bien  avez  oï  dire  et  recorder  souvent 

Que  li  dez  à  maint  homme  fait  ennui  et  tourment; 


»  Voir  le  Dit  du  Gieu  des  Dez  dans  les  Poestesd'Euslache  Deschamps>. 
p.  171. 


230  DU  JEU 

Mes  vous  ne  savez  mie  de  son  commencement, 
Pourquoy  le  dé  fu  fait  et  vint  premièrement. 

Se  le  dé  fait  maint  mal,  il  i  a  bien  raison, 
Quar  il  fu  premier  fait  par  maie  entencion, 
Du  conseil  l'anemi  qui  ne  fait  se  mal  non 
Et  à  tous  crestiens  qui  est  leur  destruction. 

Il  ot  jadis  à  Romme  un  mauves  sénateur 
Qui  onques  n'ol  en  lui  charité  ne  amour; 
Au  mauves  se  rendi,  dont  il  fist  grant  folour; 
Quar  puis  li  tourna-il  à  painne  et  à  douleur. 

Cilz  qui  avoit  le  cuer  orgueiileus  et  mastin 
Estoit  un  jour  entrez  touz  seul  en  un  jardin; 
Li  mauves  s'aparut  à  li  dessous  un  pin, 
Com  cil  qui  pourchassoit  bien  sa  mauvèse  fin. 

«Amis,  dit  li  mauves,  je  vueil  à  toy  parler  ; 
Tu  t'ies  rendus  à  moy,  si  me  dois  mult  amer.  » 
Et  cil  li  respondi  :  «  Bien  povez  commander; 
Je  feré  vo  vouloir,  qui  qu'en  doie  peser. 

—  Frère,  dit  li  mauves,  je  me  sui  porpensez  : 
Tu  feras  une  chose  qui  son  non  sera  dez; 
Maint  homme  en  iert  encore  honnis  et  vergondez; 
Li  un  en  iert  pendu  et  li  autre  tuez. 

Tu  feras  celé  chose  de  six  coslés  quarrée, 
Vourras  d'or  ou  d'argent,  ainsi  com  il  t'agrée; 
Mainte  ûme  en  est  encore  dedenz  enfer  portée,   , 
Et  la  figure  Dieu  mainte  fois  parjurée. 


DE  DEZ  231 

Amis,  dit  le  mauves,  qui  le  semont  et  point , 
En  la  première  coste  tu  feras  un  seul  point;         , .  jj 
C'est  en  despit  de  Dieu,  qui  ne  nous  aime  point  : 
Ainsi  le  feras-tu  ;  si  vendras  bien  à  point. 

Or  enten  bien  à  moy  de  ce  que  je  te  prie  : 
Après  en  feras  deus,  de  ce  ne  te  faing  mie; 
C'est  ou  despit  de  Dieu  et  de  sainte  Marie  : 
Ainsi  le  feras-tu  et  par  tele  mestrie. 

Après  en  feras  trois  en  un  autre  costé; 

Ce  sera  ou  despit  ce  sainte  Trinité, 

Trois  personnes  un  Dieu  qui  nous  a  pris  en  hè; 

Ainsi  le  feras-tu ,  et  s'ierl  en  leur  vilté. 

En  un  autre  costé  aussi  quatre  en  feras 
Tout  en  despit  des  quatre  que  tu  nommer  m'orras: 
Des  quatre  évangélisles,  ne  le  tien  pas  à  gas. 
Qui  soustiennent  le  throsne,  de  ce  ne  sont  pas  las. 

Ainsi  le  feras-tu,  n'iert  pas  outre  mon  pois. 
Après  en  feras  cinq  ,  ne  le  tien  à  gabois, 
En  despit  des  cinq  plaies  que  Diex  ot  en  la  crois; 
S'en  seront  parjurées  encores  maintes  fois.  ^^ 

Ses  plaies  en  seront  maintes  fois  parjurées; 
Mainte  laide  paroles  villainnement  parlées, 
Maint  homme  en  seront  mal  de  coutiausetd'espées} 
Quar  je  serai  entre  eulz ,  si  ferai  les  merlées. 

Après  feras  le  six  pour  le  dé  miex  fournir  ; 
En  despit  des  six  jors,  ne  te  doit  alentir, 


232  DU  JEU 

Que  Diex  fist  toutes  choses,  s'aras  fait  mon  plésir^J^ 
H  créa  eiel  et  terre,  tout  ce  veut  acoinplir. 

•  >  ■■ 
Or  sera  li  dez  fais  et  bien  point  de  tous  lez ,  îîA 

Et  quant  il  sera  fés  fai  des  autres  assez, 
Si  que  le  gieu  soit  tost  partout  manifestés.  » 
Et  cil  li  respondi  ;  «  De  ce  pas  ne  douiez; 

'}uar  du  premier  de  faire  forment  me  hasteray, 
Et  quant  il  sera  fet ,  tant  des  autres  feray 
Que  partout  le  pais  assez  en  liverray  :  [^ 

Puis  que  tant  puis  mal  l'ère,  jà  ne  m'en  fainderai.  »^ 

îT 

Donc  se  départ  de  lui  sans  plus  d'arrestement; 
Si  se  pensa  du  dé  faire  hastivement, 
Quar  il  vout  au  mauvez  tenir  son  convenant  : 
Si  list  faire  des  dez  assez  et  largement. 

Adonc  furent  forment  espandus  à  jouer 

Et  les  fois  à  mentir,  les  sains  à  parjurer, 

Et  li  faus  tort  à  faire,  li  homme  à  despérer; 

Li  uns  s'en  faisoit  pendre  et  li  autre  tuer.  \f 

Le  ségnateur  méismes  jouoit  mult  souvent 

Et  si  metoit  du  sien  assez  et  largement; 

Mes  il  en  ot  mult  tost  un  mauves  paiement  : 

Cors  et  âme  en  perdra,  et  si  orrez  comment.  *i«iKW 

•  ^  •'.  l\f 

Du  conseil  l'anemi,  qui  mult  près  li  estoit, 

En  la  cité  de  Romme  un  grant  riche  home  avoil; 

Au  sénateur  méismes  le  plus  des  jours  jouoit , 

Et  li  uns  et  li  autres  forment  si  eschauffoil. 


DE  DEZ.  233 

El  tant  que  une  chance  fu  un  jour  débatue  ; 
Le  ségnateur  li  dist  que  cil  l'avoit  perdue, 
El  cil  li  respondi  :  «  C'esl  bien  chose  scéue; 
Par  force  m'en  avez  ainsi  maintes  tolue! 

James  jour  de  ma  vie  vous  ne  m'en  lodrés  plus; 
Pour  nul  homme  qui  vive,  ce  ne  me  diroit  nus. 
Que  m'en  lollissiez  mes  qui  vausisl  deus  festus> 
Pour  eslre  délrenchiez ,  ocis  et  confondus.  » 

Li  dé  furent  d'ivoire,  de  marbre  li  bellens; 
Le  ségnateur  s'eschaufe,  qui  fu  fel  et  pullens  : 
Du  poing  qu'il  ot  massis  féri  celui  es  dens 
Que  le  sanc  en  sailH  voianl  toutes  les  gens. 

Quant  cilz  se  sent  férus,  ne  li  fu  mie  bel, 
Quar  il  ot  recéu  grant  coup  sus  son  musel; 
11  mist  main  à  son  sain,  si  en  Irait  un  coulel  : 
Au  ségnateur  s'avance,  si  li  donne  un  merel. 

Parmi  le  gros  du  cuer  du  coulel  le  féri; 
Le  ségnateur  chiet  mors  et  li  cors  s'estendi  ; 
Li  mauves  en  prist  l'âme  qui  piéçà  l'atendi  : 
Or  ot-il  son  louier  de  ce  qu'il  ot  servi. 

Ainsi  scet  li  mauves  les  soudées  donner, 
Et  cil  fu  tantost  pris,  qui  ne  pot  eschaper  ; 
H  fu  le  jour  pendus  après  le  traîner  : 
Ainsi  vient-il  des  maus  qui  ne  s'en  scet  garder. 

Mauves  fait  la  folie  longuement  maintenir; 
Sachiez  qu'en  la  parfin  n'en  puel  nul  bien  venir; 


234  DU  JEU  DE  DEZ. 

Mes  en  sa  plainne  vie  se  doit-on  repentir, 
Quar  i  nous  convendra  tous  et  toutes  mourir. 

Ce  scet  chascun  de  voir,  n'i  a  point  de  doutance  : 
Seigneurs,  après  la  mort  n'a  nule  repentance; 
Pour  ce  doit-on  au  siècle  faire  sa  pourvéance 
Par  quoy  l'âme  avec  Dieu  ait  honneur  et  souslance. 

Cy  fineray  du  dé  :  mau  fust-il  onques  faisl 
Or  prions  celui  Dieu  qui  punist  les  mauvais, 
Qui  pour  nous  en  la  crois  porta  si  cruel  fais 
Que  par  sa  sainte  grâce  nous  pardoint  nos  meffais. 


Amen. 


4oS 


Ms.7218,  Bibliothèque  Royale. 


Bêle,  salus  vous  mande,  mes  ne  dirai  pas  qui; 
Ne  le  nommerai  pas,  qu'il  le  me  desfendi; 
Mes  je  sui  son  message,  si  vous  di  de  par  li , 
Et  au  commencement  si  vous  requier  et  pri  : 
«Bêle,  de  fin  cuer  amée,  merci  '.  » 

Si  me  semont  souvent  vostre  amor,  damoisele, 
Quar  je  vous  voi  tant  sage  et  avenant  et  bêle, 
Li  maus  d'amer  mon  cuer  moult  sovenl  renovele, 
Sovent  plor,  sovent  dueil,  sovent  huche  et  apele  : 

«Ci  me  point  une  estincele 

Au  cuer  desouz  la  mamele.  » 

Aiez  merci  de  moi,  bêle  très-douce  amie; 
Ne  resamblez  pas  celé  qui  par  sa  félonie 
Envoia  son  ami  outre  mer  à  navie. 
Car  tant  com  la  proia  ne  le  vout  oïr  mie. 
Cil  ala  outre  mer  avoec  la  croiserie. 
Et  tant  i  demora  qu'il  i  perdi  la  vie; 
Et  quant  ele  ot  de  lui  vraie  novele  oïe, 

•  chaque  slrophc,  comme  celle-ci,  Gntt  par  un  refrain  de  chanson. 


236  SALUS  D'AMORS. 

Adonc  dist  en  chantant,  dolent,  et  esbahie  : 
«  Ahi!  terre  d'outremer,  vous  m'avez  trahie!  » 

Bêle  très-douce  amie,  petit  li  a  valu 
Li  orgueus  de  son  cuer,  dont  ele  a  tant  eu; 
Mes  quant  ele  en  plorant  âémentée  se  fu , 
Dont  déust  avoir  dit  :  Diex,  que  m'est  avenu! 

«Onques  n'amai  tant  comme  je  fu  amée; 

Par  mon  orgueil  ai  mon  ami  perdu.  » 

Ausi  fu  une  dame  qui  par  araors  ama, 
Et  tant  qu'il  avint  chose,  son  ami  la  manda 
Que  ele  alast  à  lui,  là  où  il  l'atendra; 
Ele  i  ala  moult  tost,  onques  n'i  demora; 
Uns  hom  li  vint  devant  qui  moult  bien  la  gaba  : 
«Qui  va  la  quoquillete,  il  va,  il  va.» 

Icil  qui  la  gaba  dut  bien  avoir  vergoigne; 
Se  il  fust  fins  amanz,  ne  1'  féist  por  Couloingne; 
Car  celui  ne  doit  l'en  destorber  sa  besoigne 
Nient  plus  que  celi  fist  qui  cest  refrait  tesmoingne 
«Lai  aler  le  moine,  bêle,  lai  aler  le  moine.» 

Bêle  très-douce  amie,  bien  m'auriez  trahi 
Se  je  à  voslre  amor  avoie  ainsi  failli. 
Et  compaing  m'auriez  fet  et  pare  il  à  celi 
Qui  ce  dit  en  chantant,  ne  sai  s'il  la  haï, 
Ou  ce  fu  par  ramposnc  ou  ce  fu  par  chasti  : 
«Toute  i  morrez ,  Halle ,  jà  n'aurez  ami.  » 

Bêle,  à  vostre  acoinlancc  fui  à  un  tel  escot, 
Là  où  je  ne  perdi  ne  cote  ne  sorcot , 


SA  LUS  D'AMORS.  285Ï 

Mes  le  cuer  de  mon  ventre  et  le  cors  à  un  mot. 
Se  vostre  amor  avoie  j'auroie  grant  confort; 
Jà  puis  ne  la  perdroie,  ainz  soufferroie  mort; 
Si  comme  Robins  fist,  dont  je  le  lieng  por  sot , 
Ne  fust  la  pastorele  qui  s'escria  moult  fort  : 
«Hé!  resveille-toi,  Robin,  quar  l'en  enmaine  Marot., 

Moult  est  amors  poisanz  qui  deus  ensamble  aune; 
Je  ne  sui  c'uns  sens  hom  et  vous  n'estes  que  une, 
Mes  se  tant  volez  fère  que  nostre  amor  soit  une, 
Por  mal  que  m'aiez  fet  n'auroie  à  vous  rancune: 
«Ge  n'i  voi  qui  je  doie,  amer  fors  une.  » 

Moult  puet  Amors  grever  là  où  ele  se  prent , 
Je  le  doi  bien  savoir,  quar  près  du  cuer  la  sent; 
Quantplussoventm'eschaufe,plustrambleduremen 
Si  ne  m'i  sai  garder  ne  m'assaille  forment  : 
«Vilaines  genz,  vous  ne  les  sentez  mie 
Les  dous  maus  que  je  sent.  » 

Toz  les  maus  que  je  sent  m'ont  porchacié  mi  œil  ; 
Toz  jors  monte  ma  paine  trop  plus  que  je  ne  sueil  : 
Certes,  se  saviez  com  je  por  vous  me  dueil, 
Bien  sai  que  n'auriez  pas  envers  moi  tel  orgueil; 

«Tant  vous  aim  que  partout  m'en  dueil: 

Se  je  muir  ce  m'ont  fet  mi  oeil.  » 

Bêle  très-douce  amie,  moult  sui  en  grant  esmai , 
Por  vostre  amor  avoir,  ne  sai  je  l'aurai; 
Vostre  amor  passe  rose  quant  on  la  queut  en  may; 
Bêle,  donez-la-moi ,  de  joie  chanterai  : 
*La  rose  m'est  donée,  jà  ne  la  perdrai.» 


238  SALUS  D'AMORS. 

Bêle,  se  je  en  chant,  c'est  bien  résons  et  drois; 
Se  j'avoie  l'amor  que  j'ai  pris  à  mon  chois, 
Je  seroie  plus  sires  qu'à  estre  quens  de  Blois, 
Et  si  en  chanteroie,  que  ce  seroit  bien  drois  : 
«  Par  ci  va  la  mignotise  par  ci  où  je  vois.  » 

Bêle  très-douce  amie,  un  geu  vous  vueil  partir, 

Et  de  la  partéure  vous  lérai-je  à  choisir  : 

Ou  l'amor  me  donez  dont  je  sui  en  désir. 

Ou  les  raaus  soufierrez  dont  me  convient  languir,  ir- 

«Amoretes  m'ont  navré; 

Qui  porroit  ces  maus  souffrir?  » 

Bêle  très-douce  amie,  por  Dieu  et  por  son  non , 
Des  maus  que  por  vous  sent  me  donez  garison, 
Quar  mon  cuer  et  ma  vie  vous  met  tout  abandon  jo 
Ainz  mes  plus  doucement  ne  fu  navrez  nus  hom.  > 
«Dame,  bien  sai  ne  sai  quoi  me  tormente, 
Dirai-le-vous  por  avoir  garison.  » 

Bêle,  ce  me  deslruit  qu'à  vous  ne  puis  parier 
Tant  que  je  vous  péusse  mon  corage  monstrer, 
Por  ce  que  je  ne  vous  os  de  nule  riens  irer. 
Ne  vous  os  par  message  nule  chose  mander  : 

«Qui  léaument  sert  s'amie. 

Bien  li  doit  sa  joie  doubler.  » 

Amie,  à  vous  servir  de  tout  en  tout  me  met, 
Quaf  de  toz  vilains  visces  avez  cuer  pur  et  net, 
Por  ce  que  ne  sui  blons  com  cil  autre  vallet, 
N'est  droizqu'à  amors  faille  puisque  m'en  entremet. 


SALLS  D'AMORS.  239 

Prenez  garde  à  celui  qui  chanta  cest  motet  : 
«Se  j'avoie  à  fère  ami , 
Je  le  feroie  brunet.  » 

Amie,  ainz  m'i  leroie  traîner  à  chevaus 
Que  je  fusse  vers  vous  ne  trahitres  ne  faus; 
S'amer  me  voliez,  plus  ne  me  vendroit  maus  : 
James  ne  douteroie  ne  paine  ne  travaus: 

«Qui  tel  vie  ne  veut  mener, 

Si  se  voist  rendre  à  Clervaus.» 

Ha  las!  com  m'ont  destruit  et  mort  et  mal  bailli 

Li  félon  mesdisant,  qui  soient  maléi! 

Qui  si  me  vont  guétant  que  n'os  parler  à  li; 

Quar  m'i  alez,  complainte,  por  Dieu,  je  vous  en  pri  : 
«Vous  qui  là  irez,  pour  Dieu,  dites  li, 
S'ele  onques  ama,  de  moi  ait  merci.» 

Bêle,  pour  la  dolour  que  je  por  vous  soufroie. 
Et  pour  ce  que  pitié  point  en  vous  ne  trovoie. 
Me  tenoit  sovent  quoi,  que  devant  vous  n'aloie; 
Aiez  de  moi  merci ,  par  si  que  vostre  soie  : 

«Je  cuidoie  amors  oublier, 

Mes  je  ne  porroie.  »>  Wi 

Bêle  très-douce  amie,  or  soit  à  vo  plésir;      w  .  ,., 
Je  sui  mis  à  la  mort  et  bien  près  de  morir;  <^t  ??/*! 
Reprové  vous  seroit  se  m'i  lessiez  languir 
Quant  vous  par  un  otroi  m'i  poez  garantir, 
Et  tant  com  je  vivrai  vous  en  voudrai  servir: 

«Se  n'ai  vostre  amor, 

La  mort  m'ert  donée, 


SALUS  D'AWORS 
Je  n'i  puis  faillir.» 


Bêle,  j'auroie  amie  tout  à  ma  volenlé 

Se  je  en  vous  trovoie  un  peu  d'urailité, 

Que  de  moi  eussiez  et  manaide  et  pité,  nA 

Adonc  diroie-je,  ce  sachiez  par  verlé  : 

«  Bêle,  car  m'amez  et  je  vous  ameré  ,j>; 

Par  amours,  s'il  vous  vient  en  gré.  »  ■ 

Bêle,  à  vous  servir  m'abandon  et  otroi! 

Toutes  voz  volenlez  poez  faire  de  moi  ; 

Por  vous  sui  si  sorpris,  bêle,  quant  je  vous  voi^îll 

Que  de  quanques  je  di  ne  sai  prendre  conroi  :      '  î 

«Je  ne  puis  sans  vous  durer, 

Comment  durez-vous  sanz  moi?  »  lO 

Bêle,  comment  porrai  toz  les  maus  endurer 
Que  vous  soufrir  me  fêtes?  Bien  poez  esgarder  : 
Des  deus  maus  le  pior  dévoriez  dessevrer;  oH 

Se  vostre  cuer  ne  puis  amolir  por  amer, 
Adonc  porrai-je  bien  ceste  chançon  chanter  : 
«Eu!  eu!  Diex!  or  en  criem  morir  d'amer!  » 

Bêle  très-douce  amie,  il  m'avient  bien  sovent 
Quant  je  gis  en  mon  lit,  endroit  l'ajornement. 
Et  j'oi  ces  oiseillons  chanter  si  doucement, 
Por  lor  douz  chans  oïr  me  liève  isnelement       f*'^ 
Et  di  par  remembrance  d'amor  qui  me  sorprent  : 
«Hé  !  oiseillon  du  bois,  léens, 
Pour  Dieu,  resveille-moi  souvent.» 

Amie,  à  vous  servir  me  sui  abandonez; 


SALUS  D'AMORS.  241 

De  moi  come  del  vosire  fêtes  voz  volentez, 
Et  se  prochainement  de  moi  merci  n'avez, 
Je  sui  în  cest  païs  à  mal  port  arivez. 

«Bêle  qui  mon  cuer  avez  , 

Rendez-le-moi  se  vous  volez.  » 

Bêle,  s'emprisonez  estoie  en  quatre  tours,  ^ 
Et  déusse  estre  un  an  et  soufrir  granz  dolors, 
Et  vous  m'envoissiez  un  salu  par  amours, 
Si  le  tendroie-je  à  moult  très-granz  douçors 
Et  chanteroie  un  mot  que  j'ai  chanté  toz  jors  : 
«  J'ai  amé  et  aime  encore  et  ai  amours.  » 

Ne  doit  celé  souffrir  ne  endurer  torment 
A  son  ami  qui  l'aime  de  cuer  entirement, 
Ainz  doivent  estre  endui  d'un  cuer  et  d'un  talent; 
Si  le  devroit  l'en  fère,  ce  sachiez  vraiement, 
Com  celé  qui  chanta  cest  motet  en  présent  : 

«  Qui  me  rendroit  mon  aignel 

Et  mon  domage,  à  li  me  rent.  » 

Bêle  très-douce  amie,  tel  vie  raenrons-nous  ; 
Se  vous  estiiez  moie  et  je  estoie  à  vous 
Et  félon  mesdisant  mesdisoient  de  nous, 
Je  diroie  en  chantant  de  fin  cuer  amorous  : 

«A  qoi  fère  en  parlez  vous? 

L'en  n'en  feroil  rien  por  vous.» 

Explicit  salut  d'Amors. 


16 


Ms.7218,  Bibliothèque  Royale. 


Diex!  où  porrai-je  conseil  prendre 
Por  fère  mes  griez  maus  entendre 
A  ma  dame,  por  qui  loz  jors 
Languis?  Ne  d'autre  que  d'araors 
Ne  doi  por  rien  qui  soit  en  terre 
Aide  ne  conseil  requerre, 
Moustrer  le  puis  par  deux  résons  : 
La  première  est  ses  liges  bons 
Sui  et  serai  tout  mon  éage, 
Et  plévi  quant  li  fis  hommage 
Que  je  toz  ses  commandemenz 
Garderai  devant  toutes  genz , 
Et  quant  à  Tamant  sont  esprès 
Qu'il  ne  doit  jà,  ne  loing  ne  près, 
Por  rien  descouvrir  sa  couvine 
Despuis  qu'il  sert  à  amor  fine. 
Trop  mal  m'iroie  donc  faussant 
S'aloie  aillors  conseil  querant  : 
C'est  ore  la  réson  première 
Que  garder  vueil  ma  foi  entière. 


LA  COMPLÂITNTE  DOUTEUSE.  243 

L'autre  si  est  que  ne  sent  rien , 
Araors,  que  vous  ne  sachiez  bien; 
Et  quant  nus  autres  mon  martire 
Ne  set  que  vous,  se  aillors  mire 
Queroie  du  mal  qu'est  enars 
En  moi ,  bien  serroie  musars  ; 
Poï  ce  me  covendra  languir 
Tant  que  me  daignerez  garir, 
Quar  autres  ne  sai  ce  que  j'ai  : 
Comment  sanz  vous  dont  garirai  ? 
Nus  autres  ne  1'  set  vraiement , 
<}uar  quant  (istes  premièrement 
Que  je  son  viaire  traitis 
Esgardai ,  tant  fui  esbahis 
Que  je  ne  sai  qu'adonc  fesoie, 
Quar  com  pris  et  loiez  estoie, 
Ne  parti  fusse  de  la  place 
S'envers  vous  n'eusse  eu  tel  grâce 
Que  me  daignastes  conforter 
Par  bon  espoir  et  déporter, 
Quar  par  li  ai  sens  et  mémoire, 
Me  fistes  recouvrer  en  oire, 
Puis  commandastes  sanz  faintise 
Que  j'atendisse  à  son  servise. 
Toz  jors  l'ai  fet  très-humblement; 
Et  quant  gart  vo  commandement , 
Ne  vous  en  devez  coroucier 
S'a  jointes  mains  vous  vieng  proier 
Qu'à  moi,  vostre  lige  servant, 
Doingniez  un  conseil  avenant; 
Comment  porrai  et  en  quel  guise 
A  ma  dame,  c'on  loe  et  prise, 


2iA  LA  COMPLAINTE 

De  biauté  et  de  granl  savoir, 
Que  du  monde  vaut  tout  l'avoir, 
Fèrc  li  savoir  ma  grevance; 
Et  quant  n'ai  pooir  ne  poissanec 
De  mot  soner  ne  tant  ne  quant 
Très-dont  que  li  sui  au  devant, 
Madame,  Amors,  se  vous  agrée, 
Iceste  chançon  coronée 
Face  à  ma  dame  le  message 
En  requérant  que  m'assouage 
Mon  mal,  quar  par  le  ver  premier 
Puis  démonstrer  mon  desirrier; 
Si  chanterai  : 

Paine  d'amors  et  li  maus  que  j'en  trai 
Font  que  je  chant  amoreus  et  jolis, 
Et  en  chantant  rover,  ce  qu'ainz  n'osai. 
Celé  qui  j'aim,  que  ne  fusse  escondis 
De  tel  don  com  de  joie, 
Mes  ce  n'ert  jà  que  doie 
Avoir  tel  bien  de  li, 
Se  par  pitié  bone  Amor,  qui  j'en  pri , 
Ne  fet  qu'ausi  com  je  sui  siens,  soit  moie. 

En  chantant  ai  ore  requis 
Ce  c'onques  mes  avant  hardis 
Ne  fui  de  nul  j or  à  requerre  ; 
Mes  ne  me  puis  ore  plus  tère, 
Por  le  mal  qui  si  me  destraint. 
Qui  de  moi  grever  ne  se  faint  ; 
Et  por  ce  que  nul  jor  n'estanche, 
En  pert-je  sens  et  contenance  j 


DOUTEUSE.     .  245 

Ainsi  que  irestout  me  desvoie 

A  tenir  celé  droite  voie 

Que  m'aprist  Amors  à  tenir 

Quant  je  me  mis  à  11  servir, 

Ce  me  porroit  tost  empirier, 

Por  ce  vieng-je  merci  crier, 

ïrès-bone  Amor,  en  qui  mesure 

Point  ne  truis,  quar  à  desmesure 

Me  travaille,  et  pité  li  praingne 

De  moi,  qu'en  mon  vis  pert  l'ensaingne 

Du  mal  dont  sui  au  cuer  férus  ; 

Et  por  ce  que  mes  droiz  refus 

Est  en  Amor,  si  comme  j'ose. 

Du  mal  qui  nul  jor  ne  repose 

D'assaillir  ne  nule  eure  cesse,  ^ 

Mon  cuer  par  tant  sovent  me  blece, 

Déproi  sa  douce  seignorie 

Du  douz  mal  que  me  face  aie 

Si  com  li  siet  et  com  li  plest, 

Quar  trop  me  met  en  divers  plet , 

Et  que  puissiez,  bone  Amor  chière. 

Entendre  miex  à  ma  proière, 

S'il  vous  plest ,  deviser  vous  vueil 

Mon  mal  et  comment  je  m'en  dueil; 

Le  mal  donques  deviserai 

Premiers,  au  miex  que  je  porrai, 

Quar  il  est  réson  que  premier 

Je  vous  devise  et  grant  mestier 

Ai  que  le  vous  devise  à  droit, 

Quar  autrement  tost  me  porroit 

Torner  à  si  très-grief  contraire. 

Par  qoi  bien  en  porroie  trére 


U6  LA  COMPLAINTE 

Travail ,  paine  au  cuer  ensementy 
Plus  cruel  et  plus  longuement. 
Amors,  ore  sachiez  de  fi 
Que  li  maus  dont  conseil  vous  pri 
Est  ainsi  coin  vous  dirai  fais  : 
Un  jor  avint  que  je  fui  trais 
D'un  dart  amorex  enz  el  cors, 
Ou  cuer  se  tient ,  mes  par  defors 
Ne  puis  nule  plaie  trover, 
Dont  forment  fet  à  redouter  ; 
Si  très-grief  mal  ice  me  samble 
Et  la  très-grant  dolor  ensamble 
Qu'il  me  covient  adès  sentir 
Par  un  fm  amoreus  désir 
Qu'est  ain§^  com  du  dart  la  flèche, 
Tant  est  roide  que  point  ne  flèche 
Li  fers,  qui  ne  puet  remuer, 
Et  si  com  de  léal  pensser  ; 
Li  penon  sont  des  douz  regars 
De  ma  dame,  par  qui  li  dars 
Envers  mon  cuer  prist  droite  sente; 
Mes  jà  por  grief  mal  que  j'en  sente, 
Que  je  li  die  mon  torment 
Itant  en  moi  de  hardement 
Trover  ne  sai. 

Loiaus  Amors,  de  vo  mal  que  ferai  ? 
Conseilliez-moi ,  trop  sui  de  vous  sorpris. 
Célerai-je  ma  dame  ou  li  dirai 
Que  por  li  sui  en  paine  et  mi  amis; 

Li  célers  me  guerroie, 

Se  li  di  ou  li  noie 


DOUTEUSE.  24' 

Tost  dira  :  Fui  de  ci , 
Et  il  n'est  riens  que  je  resoingne  ausi; 
Si  me  térai ,  face  sens  ou  folie. 

Vo  conseil  pri ,  quar  devisé 
Vous  ai  le  mal,  et  avisé 
Me  sui  que  quant  il  me  sorprent 
Trop  le  fet  angoisseusement. 
Par  tout  mi  pert,  et  en  ma  face 
Trestoute  ma  color  desface, 
Et  de  si  très-grant  fès  me  carclie 
Que  toute  l'eschine  m'en  arche; 
Si  fetement  me  maine  et  ploie 
Li  douz  maus  et  destraint  et  loic; 
Jà  deschargiez  ne  desloiez , , 
Se  ne  sui  par  vous  avoiez , 
Ne  serai  de  ma  grant  dolor; 
Quar  à  ma  dame  qui  j'aor 
Comment  porroie-je  moustrer 
Mon  mal  quant  pooir  de  parler 
Me  faut  si  tost  com  je  la  voi? 
Certes,  en  tel  guise  par  moi 
Ne  porra  mes  griez  maus  savoir, 
N'en  moi  ne  croi  tant  sens  por  voir 
Que  je  séusse  mon  malage 
A  dame,  qui  tant  par  est  sage, 
Monstrer  issi  fetièrement 
Comme  à  si  sage  dame  apent. 
D'autre  part ,  se  je  li  disoie. 
Espoir  que  tost  aprocheroie 
Mon  domage  d'assez  plus  près 
Que  je  ne  cuit ,  quar  s'ele  aprè& 


248  LA  COMPLAINTE 

Ce  que  l'eusse  recordé 

Mon  mal,  el  comment  acorilc 

Me  sui  du  tout  à  H  servir. 

Dont  n'eust  cure  à  moi  détenir, 

Ne  sauroie  qu'en  puisse  fère, 

Quar  si  malement  mon  afère 

M'en  iroit,  n'en  sui  pas  doutanz, 

Qu'il  n'est  mires,  tant  soit  sachanz,' 

Qui  du  mal  garir  me  péust, 

Non ,  se  de  l'art  plus  en  séust 

Que  ne  fet  le  meillor  du  monde, 

Tant  soit  or  granz  à  la  roonde  ; 

Ainz  perderoit  toute  sa  cure, 

Quant  ne  troveroit  ouverture 

De  tele  plaie  apparissant; 

Et  se  la  trovast,  por  néant 

I  metroit  emplastre  ou  mécine, 

Quar  jà  ne  porroit  la  racine 

Du  douz  mal  por  rien  esrachier 

Que  ne  li  covenist  sachier 

Le  cuer  avoec  sanz  nule  faille. 

Por  ce  n'est  mires  qui  m'i  vaille, 

Nus  ne  m'i  porroit  riens  valoir 

Que  fine  Amors,  qui  par  espoir 

Me  fist  jadis  une  promesse 

De  merci  :  por  ce  sa  hautece 

Vieng  requerre  très-simplement 

Qu'à  ma  dame  si  doucement 

Mes  très-griez  maus  demouslrer  vueille 

Tant  que  par  cortoisie  acueille 

La  déprière  et  bien  l'entende, 

Si  qu'assouagement  me  rende; 


DOUTEUSE.  249 

Quar  c'est  la  force  de  mon  dit  : 
Tant  fort  redoute  l'escondit 
De  ma  dame,  que  bouche  à  bouche 
L'angoisseus  mal  qu'au  cuer  me  touche 
Ne  li  dirai 

Fors  qu'en  chantant,  ainsi  me  déduirai 
En  désirrant  ce  qu'Amors  m'a  promis 
Merci  avoir,  que  ne  déservirai 
A  mon  vivant,  ne  meillor  qui  l'ont  quis. 

Et  se  j'en  requeroie 

Ma  dame  et  g'i  failloie 

Aussi  qu'autre  ont  failli, 
James  déduis  en  espoir  si  joli 
N'auroit  en  moi  :  s'aim  miex  que  ainsi  soie. 

En  chantant  ainsi  me  déduis, 
Ne  pas  por  chose  que  je  truis 
En  moi  point  de  solaz  ne  joie, 
Fors  tant  que  bone  Amors  m'envoie, 
Par  la  seue  très-grant  vaillance, 
Un  douz  désir  d'une  espérance, 
C'est  ore  à  savoir  de  merci, 
Dont  si  très-forment  l'en  merci 
Com  j'onques  puis  et  que  je  doi  ; 
Bien  i  ai  grant  réson  por  qoi , 
Quar  cis  douz  espoirs  seulement 
Me  soustient  ainsi  bonement 
En  celé  grandesime  emprise 
Que  fet  ai,  c'est  com  du  servisc 
Que  j'ai  empris  à  maintenir 
A  douce  merci  déservir, 


250  LA  COMPLAINTE 

Qu'aussi  com  trop  mains  me  griève 
Li  granz  travaus  et  point  ne  griève 
Quant  du  douz  espoir  me  sovient, 
Quar  tantost  un  confort  m'en  vient 
Qui  me  rent  et  pooir  et  force, 
Par  qoi  j'ai  voloir  qui  m'esforce 
A  si  très-haut  service  entendre  ; 
Et  se  ne  fust  que  por  aprendre 
L'afetement  et  les  granz  sens 
Que  g'i  voi ,  mes  entendemenz 

I  metroie  por  amender; 
Quar  or  vous  vueil-je  deviser 
Les  vertuz  qu'en  ma  dame  sont. 

II  n'est  orendroites  ou  mont 

Nus  hom ,  que  por  voir  le  sachiez. 
Tant  vilains  ne  mal  entechiez, 
Qui  bien  ne  se  porroit  danter 
Por  tant  que  bien  sovent  hanter 
Vousist  la  seue  noble  cort, 
Quar  vraiement  tant  i  acort 
Honor,  valor  et  gentillece 
Qu'el  siècle  n'est  hom  de  perecc 
Si  plains  ne  si  mal  atornez 
Que  tantost  n'en  soit  destornez , 
Ne  jà  d'autre  tèche  soilliez 
Que  tout  maintenant  despoilliez 
N'en  soit  quant  il  en  la  cort  entre; 
Quar  léenz  covient  à  toz  entre 
Fine  netée  demorer 
Et  toz  vices  ensus  geter. 
Nés  donques  par  defors  la  porte, 
La  grant  douçor  qu'en  ist  enorte 


DOUTEUSE.  251 

La  gent  qui  par  le  chemin  vont 
A  bien  fère,  si  qui  qu'il  sont 
De  vilaine  tèche  encombré 
Tantost  par  li  désaombré 
Sont  tuit,  et  cler  et  net  et  pur"; 
Et  puisque  par  defors  le  mur 
Sont  li  très-bien  net  alegié 
Et  li  autre  s'en  vont  purgié, 
11  m'est  bien  par  réson  avis 
Que  qui  porroit  le  très-douz  vis, 
Dont  si  granz  biens  vient,  esgarder 
Sovent  miex  se  devroit  garder 
A  toutes  choses  de  mesprendre; 
Bien  i  saurai  grant  réson  rendre. 
Mes  aus  demandes  en  travers. 
Premiers,  si  com  dira  cis  vers, 
Responderai  : 

Aucune  gent  m'ont  demandé  que  j'ai , 
Qui  si  porte  pesme  color  el  vis, 
Et  je  lor  ai  respondu  :  Je  ne  sai; 
Si  ai  menti  :  c'est  d'estre  fins  amis  : 

Ainsi  mes  cuers  lor  noie  ; 

Et  por  qoi  lor  diroie 

Quant  ma  dame  ne  1'  di 
Qui  m'a  navré,  mes  tost  m'auroit  guéri 
Se  le  savoit  et  dont  en  fust  en  voie? 

Se  li  maus  que  je  sent  m'empire, 
Por  ce  ne  l'ai-je  pas  à  dire 
A  toz  cels  qui  m'en  font  parole; 
Trop  auroie  pensée  foie 


252  LA  COMPLAINTE 

Se  tel  chose  fère  penssaissc, 

Par  quoi  vers  bonc  Amor  faussaissc 

Le  seremcnt  que  li  ai  fet, 

Quar  à  nul  jor  si  grant  mesfet 

Por  rien  ne  porroie  adrecier  ; 

Et  comment  porroie  drecier 

Mon  viaire  envers  léaulé 

Se  j'avoiela  féauté 

Qu'ai  fet  à  bone  Amor  enfrainte? 

Mes  jà,  se  Dieu  plest,  à  tel  frainte 

Ne  sorvendront  cil  enquérant, 

Ne  li  très-félon  mesdisant, 

Que  par  engien  ne  par  nule  oevre 

Qu'il  sachent  fère  lor  descuevre 

La  chose  que  je  doi  celer. 

De  folie  les  voi  niesler 

Quant  savoir  cuidcnt  et  sentir 

Le  mal  que  n'ose  descouvrir 

A  li,  qui  tost  gari  m'auroit 

Se  le  séust  et  dont  voloit. 

Or  soit  du  tout  sa  volentcz, 

Quar  bien  doi  estre  entalentez 

A  soustenir  en  gré  le  fais 

Quant  dedenz  le  mur  du  palais 

M'a  bone  Amors  la  douce  entrée 

Par  sa  franchise  abandonnée, 

Por  miex  esprendre  en  la  lumière 

Qui  vient  du  vis  que  çà  en  arrière 

Vous  ai  dit  ;  quar  ele  conduit 

Les  granz  vertuz  par  qui  sont  duit 

Tuit  cil  qui  sont  en  cortoisie; 

N'en  oubli  ne  metrai-jc  mie 


DOUTEUSE.  253 

A  dire  la  réson  comment 
Cil  par  dedenz  plus  hautement 
En  sont  garni,  et  chascuns  plus  baus. 
Ma  dame  est  si  com  li  solaus 
Qui  partout  espant  sa  luor 
Et  au  prochain  plus  rent  chalor. 
Tant  à  droit  m'i  sui  essaiez 
Que  je  doi  bien  eslre  apaiez 
En  tant,  à  ce  que  me  nétoie 
Servir,  puis  qu'Araors  m'i  emploie. 
Moult  haute  chose  fist  nature 
Quant  forma  si  noble  figure. 
En  qui  si  grant  biautez  resplcnt; 
Quar  li  pereceus  et  li  lent 
En  devienent  prest  et  légicr  ; 
A  deviser  n'est  pas  légier, 
Ce  m'est  avis,  sanz  mesprison 
La  seue  très-gente  façon  : 
Cheveus  a  ne  sont  blont  ne  sor. 
Mes  si  comme  miex  à  fin  or 
Par  coleur  puéent  resambler; 
Se  j'en  devisant  assambler 
Les  biautez  de  son  douz  viaire 
Vousisse,  trop  auroie  à  faire, 
Quar  il  est  si  formez  et  fais 
Conques  ne  fu  nus  si  portraisj 
Ausi  sont  tuit  li  autre  membre; 
Quant  de  lor  grant  biauté  me  membre 
Grant  joie  en  ai. 

Très-dont  que  vi  ma  dame,  m'i  donai  ; 
Ainz  puis  ne  fui  de  H  amer  fainlis, 


254  LA  COMPLAINTE 

Ne  jà  ne  vueille  Amors  qu'en  nul  délai 
Mete  le  douz  pensser  qu'en  li  ai  pris. 

Miex  pensser  ne  porroie, 

Ne  jamès  ne  vodroie 

Nul  jor  pensser  qu'à  li-, 
S'aim  miex  ainsi  en  espoir  de  merci 
Vivre  et  manoir,  por  rien  ne  requerroie. 

A  li  me  sui  por  voir  donez 
Et  à  tel  pensser  adonez , 
Si  com  dit  ii  vers  au  darrain , 
Qu'à  toz  jors  mes,  et  soir  et  main, 
D'assez  miex  aim  vivre  et  manoir, 
D'avoir  merci  en  bon  espoir, 
Que  de  fère  tel  hardiece 
Par  quoi  demorer  en  tristece 
Porroie  bien  légièrement  ; 
Tant  le  redoute  qu'autrement 
Ne  li  requerrai. 

Au  pui  d'amor  convenance  tendrai. 
Ne  jamès  jor  ne  m'en  départirai. 
Soie  amez  ou  haïs. 

Trés-bone  Amor  qu'en  moi  s'est  herbregie. 
Ce  qu'ainz  n'osai  me  fet  ore  esmouvoir, 
C'est  en  chantant  que  je  requier  et  prie 
Douce  merci  qu'atent  en  bon  espoir; 
Mes  ce  n'ert  jà  que  je  la  doie  avoir, 
Ne  jamès  nus  bons  ne  m'en  verra  hoir, 
Se  par  pité  vers  moi  ne  s'umelie 


DOUTEUSE.  255 

Ma  douce  dame  qu'ai  de  cuer  servie 

Et  servirai  toz  tens  saiiz  décevoir, 

Ne  jà  por  mal  qui  me  destraingne  ou  lie 

Ne  partirai  d'atendre  son  voloir, 

Et  bien  et  mal  prest  sui  de  recevoir 

A  son  plésir,  or  me  face  doloir  : 

Ce  qu'à  li  plest  refuser  ne  doi  mie. 

Et  s'ainsi  me  sent  de  nule  partie, 
C'est  de  languir  et  au  main  et  au  soir; 
Mes  s'a  li  plest  qu'ainsi  use  ma  vie, 
Ne  sai  c'onques  ne  li  fis  asavoir, 
Quar  tant  redoul  son  escondit  avoir 
D'alègement,  qu'en  moi  ne  truis  por  voir 
Le  hardement  que  mes  griez  maus  li  die 

Fors  qu'en  chantant,  déproi  la  seignorie, 
Très-bone  Amor,  en  qui  sont  mi  espoir. 
Que  s'il  li  plest  me  daingne  estre  en  aïe 
Vers  celé  par  qui  je  entent  valoir. 
Qu'à  demander  merci  n'ose  mouvoir, 
Et  quant  la  voi  de  parler  n'ai  pooir  : 
Li  cuer  me  faut,  ma  langue  est  endormie; 

Et  d'autre  part  se  double  ma  haschie. 
Ce  m'est  avis,  quant  ne  la  puis  véoir; 
Tant  est  plésanz  et  sage  et  enseignie 
Qu'au  droit  jugier  fontaine  est  de  savoir  : 
S'aim  miex  ainsi  en  tel  travail  manoir 
Que  par  requerre  en  puisse  percevoir 
Que  plus  m'en  soit  merci  douce  esloignie. 


256  LA  COMPLAINTE  DOUTEUSE. 

Chançon,  di  bien  ma  dame  l'afétie 
Que  jà  par  moi  n'crt  s'onor  amenrie  : 
A  l'cssaucier  plus  l'aim  que  nul  avoir. 


Explicit  la  Complainte  douteuse. 


Salut  Ir'^lmars. 

Ms.  7218,  Bibliothèque  Royale- 


Li  dous  pensser  où  je  si  sovenl  sui 
Vient  de  ma  dame  et  li  très-bon  espoir 
De  la  grant  joie  que  je  aient  de  lui  ; 
Or  pri-je  à  Dieu  qu'ele  en  ait  le  voloir; 

Car  contre  Amor  n'a  pooir, 
Force  ne  mestrie, 

Ainçois  covient  que  l'en  prie. 

Très-douce  dame  de  qui  j'atenl  merci, 
Hastivement  le  rai  fêtes  avoir, 
Ou  autrement  onques  jor  mar  connui 
La  grant  biauté  qui  si  me  fet  doloir, 

Ne  autrement  n'ai  pooir 

Que  je  ne  perde  la  vie 

Se  n'ai  prochaine  aïe. 

Douce  dame  au  gent  cors  seignori , 
Vo  grant  biauté  se  fet  bien  apparoir, 
Car  à  mon  gré  ai-je  en  vous  choisi 
La  plus  très-bele  et  la  meillor,  por  voir, 
Qu'ainques  péust  avoir    ^ 

11.  17 


258  SALUT  D'AMORS. 

Rois  ne  conte  en  sa  baillie; 
Très-bone  Amor  en  mercie. 

Si  durement  m'ont  Amors  près  siui, 
Car  je  sui  leur  sanz  jamès  remouvoir, 
Si  que  li  maus  que  j'en  Irai  m'embelist, 
De  la  grant  joie  que  j'atent  à  avoir 

Yers  ma  dame  tel  pooir 

C'une  seule  foiz  li  die  : 
Un  douz  regarl  me  donez,  douce  amie. 

Bone  aventure  aviegne  Amor 
Qui  me  donc  sens  et  vigor 
De  regarder  la  grant  douçor, 
La  biauté  et  la  grant  valor 

Qui  est  en  celé 
Que  l'en  doit  clamer  bone  el  bêle, 
C'est  du  monde  la  non  pareille, 
Quar  tout  ausi  comme  l'estele 

Dont  par  la  mer 
Se  conduient  li  marinier, 
Se  puet  l'en  conduire  et  mener 
En  ses  deus  iex  qui  tant  sont  cler, 

Qui  sont  assis 
En  son  front  qui  tant  est  ounis 
Plus  c'uns  biaus  yvuires  polis, 
Et  si  par  sont  ses  deus  sorcis 

Tant  biaus, 
Trétiz  et  genz  fez  à  compas, 
Plus  droit  que  n'est  pas  un  juiaus, 
Il  sont  miex  assis  c'uns  chastiaus 

En  sa  bouchete, 


SALUT  D'AMORS.  259 

Qui  lant  est  douce  et  petitele, 
Dont  les  lèvres  sont  vermeillele 
Plus  que  cerise  novelete; 

Menton  vouliz, 
Uondct  comme  est  uns  parisis, 
Entailliez  et  fez  par  devis; 
Du  regarder  est  granz  délis 

Son  nez  li  gent 
Qui  est  fez  si  nalurelment , 
Tuil  li  painlre  qui  sont  vivant. 

Tant  soient  sage, 
Ne  portréroient  un  visage 
Si  biau  ,  si  douz  ,  car  nule  yninge 
Ne  list  tant  rendre  le  musago 

Com  fetli  sien. 
Sa  color  deviseroit  bien  : 
Rose  ne  lis  n'i  feroit  rien  , 
Ne  nule  flor  dont  l'en  fet  pain 

Tant  ne  blanchoie. 
Si  est  si  simple  toute  voie 
Que  sa  color  point  ne  desvoie 

Tant  est  plésant, 
Et  s'a  un  chief  tant  reluisant, 
Son  nez  qui  tant  est  bien  séant, 
Quar  il  est  plus  resplendissant 

Que  or  limé, 
Et  s'a  un  col  si  acesmé 
Qui  est  de  gorge  si  formé 
Plus  blanc  qu'argent  seurestamé, 

Gras  et  rondet, 
Droite  gorge  de  barbelet; 
Il  est  si  biaus,  il  est  si  net, 


260  SALUT  D'âMORS. 

Il  boçoic  sus  le  colel. 

Mes  trop  sont  bêles 
Ses  deus  jolives  oreillettes, 
Petites  comme  deus  feuilletés, 
Joingnant  au  chief  corn  deus  jumelas. 

Diex!  quel  solas 
A  cui  ele  voudroit  fère  laz 
De  racoler  de  ses  deus  bras! 
Qui  tant  sont  gent  endeus  gresliaus; 

Ses  bêles  mains, 
Certes,  ne  sont  mie  du  mains 
Plus  blanches  que  celle  de  Rains,  ■ 
Les  doiz  longues,  massis  et  plains, 

Et  espauletes 
Si  proprement  les  a  Diex  fêtes, 
En  seurquetout  ses  mameletes 
Sont  plus  dures  que  deus  pommetcs 

IN'apèrent  point; 
Ele  a  le  cors  si  fet  à  point, 
Il  est  si  droit,  il  est  si  joint 

Que  par  là  où  ele  se  çaint 

Ele  est  si  gente, 
Si  com  nature  a  mis  s'enlente 
A  former  si  bêle  jovente, 

C'est  uns  droiz  angles; 
Ele  a  biaus  rains  et  basses  hanches, 
Et  petiz  piez  et  basses  jambes 
Qui  sont  si  bêles  et  si  blanches  ; 

Je  qu'en  diroic? 
Ele  est  tant  simple,  ele  est  tant  coie, 
Ele  est  tant  bone,  ele  est  tant  vraie, 
Et  plus  assez  que  ne  porroie 


SALUT  D'AMORS.  261 

A  raconter; 
Se  toutes  les  goûtes  de  mer 
Estoient  langues  por  parler 
Ne  porroit-il  pas  raconter 

Ne  dire 
La  grant  biauté  que  Nostre  Sire 
A  mis  en  ii ,  si  que  redire 
N'en  set  nus,  s'il  ne  veut  mesdire, 
Si  gentement  se  sel  conduire 

Et  si  très-bel , 
Simple  comme  est  un  coulombel , 
Et  débonère  comme  aingnel  ; 
El  monde  n'a  pas  sa  pareil. 

Se  Jhésu-Crist 
L'avoit  à  fère  comme  il  (îst, 
Certes,  je  ne  croi  pas  ne  cuit 
Que  jamès  réfère  poïst 

Tel  créature, 
De  sens,  de  biauté,  de  mesure. 
Moult  auroit  cil  bone  aventure 
En  qui  el  voudroit  melre  cure 

De  lui  amer; 
Quar  deçà  mer  ne  de  là  mer 
N'a  roi,  tant  ait  terre  à  garder, 
Qui  fusl  dignes  de  li  amer, 

Se  il  n'esloit 
Si  bons,  si  biaus  et  si  parfel  ; 
Quar  certes  grant  dolor  seroit 
Se  tele  dame  ami  avoit 

Qui  ne  fust  bons; 
Quar  aussi  comme  en  esté  tans 
Est  li  solaus  biaus  el  luisanz , 


282  SALUT  D'AMORS. 

Sont  ses  biaiUez  resplendissanz 

Là  où  el  vient. 
Je  pri  Dieu  que  joie  li  doinst; 
Quar  si  m'a  s'amor  au  cucr  point 
Qui  nuit  el  jor  si  me  deslraint, 

N'onc  à  ma  vie 
Ne  li  géiii  ma  maladie, 
Ne  dire  ne  li  osai  mie 
Por  paor  qu'el  ne  m'escondie; 

Miex  aim  morir. 
Or  me  doinst  Diex  si  acomplir 

Aucun  bien  fet 
Que  savoir  puist,  comment  que  soit, 
La  grant  paine  où  ele  me  met  : 
Aucune  pitié  l'en  prendroit. 

Si  corn  je  cuil. 
Hé!  douce  dame,  qu'ai-je  dit? 
Bien  sai  qu'auriiez  en  despit 
Que  je  jà  en  eusse  déduit , 

Moull  m'en  merveil. 
Hé  laz  !  bien  doit  haïr  mi  œil 
Qui  si  haut  ont  pris  leur  acueil , 

Dont  jà  n'auré 
Merci ,  certes  ainsi  morré. 
El  m'a  si  doucement  navré 
Quar  la  mort  penrai  à  bon  gré; 

Plus  la  désir 
Que  vivre  por  toz  jors  languir, 
Quar  tout  adès  plaing  et  souspir, 

Si  fort  m'assaut 
Li  maus  d'amors  qui  ne  me  faut. 
Je  sui  du  mont  loul  en  leur  baul; 


SALUT  D'AMORS.  263 

Une  eure  ai  froit  et  puis  ai  chanl , 

Et  puis  repensse, 
Et  m'est  avis  que  sa  samblance, 
Son  gent  cors  et  sa  contenance 
Est  devant  moi ,  et  n'ai  poissance 

De  moi  aidier  ; 
Et  quant  ce  vient  que  puis  parler, 
Si  di  :  Hé  las!  or  puis  pensser, 
Quar  ne  voi  pas  ce  que  je  quier; 

Riens  ne  m'i  vaut, 
Je  sui  cil  dont  il  ne  li  chaut. 
Hé  las!  por  qoi  fui-je  si  baut 
Que  je  onques  penssai  si  haut! 

Ha!  douce  dame, 
Sage,  cortoise  et  bêle  et  bone, 
Jà  avez-vous  mon  cuer  et  m'âme, 
Se  pitié  vostre  cuer  n'entame. 

Bien  m'ont  trahi 
Li  oeil  dont  je  premiers  vous  vi- 
Si  vous  pri  com  léal  ami 
Que  vous  aiez  de  moi  merci. 


Eœj)licit  le  salut  d'Amots. 


Bu  Benicr  i^t  it  ia  &vibx9, 

Ms.  7218,  Bibliothèque  Royale. 


La  bouche  me  covient  ouvrir 
Por  mon  corage  descouvrir, 
Quar  bouche  si  est  cheminée  : 
Jà  la  parole  ne  fust  née 
Se  bouche  fust  close  toz  jors, 
Ce  set  l'en  bien  en  toutes  cors. 
Quant  li  cors  veut  rien  demander, 
Par  la  bouche  l'esluet  mander, 
Et  quant  l'en  ot  la  bouche  dire, 
Lors  set  l'en  que  li  cuers  désire, 
Quar  li  cuers  par  la  bouche  envoie  : 
Je  n'i  puis  trover  autre  voie. 
S'entre  vous  me  volez  entendre, 
De  dire  ne  puis  plus  alendre 
Un  dit  que  je  ï'autr'ier  trova^ 
En  un  livre  que  j'aprovai 
Si  com  j'esroie  mon  chemin; 
D'enque  estoit  et  de  parchemin , 
De  tout  le  livre  m'entremis, 
Lors  si  i  mis,  à  mon  avis. 
Par  quoi  li  un  sont  de  haut  pris 


DU  DENIER  ET  DE  LA  BREBIS.  205 

Et  ii  autre  sont  fol  chélis  : 

Ce  font  Brebis  et  dant  Denier, 

Par  qoi  cist  mons  est  tant  plenier 

Qui  en  sa  baiilie  a  ces  deus, 

Plus  fiers  est  et  plus  orguillex. 

Brebis  et  Denier  estrivoient  : 

Brebis  dist  que  pas  ne  dévoient 

Dès  ore  mes  aler  ensamble, 

«  Quar  il  m'est  vis,  si  com  moi  samble, 

Que  je  vail  miex  que  lu  ne  fais; 

Quar  je  porte  du  mont  le  fais. 

Si  ne  vueil  pas  ta  compaigne  estre.» 

Denier  respont  :  «  Ce  ne  puet  estre, 

Que  nule  riens  qui  soit  vivant 

Puist  estre  de  moi  plus  vaillant. 

Deseur  toz  faz-je  mon  plésir, 

Si  ai  ou  mont  quanques  désir  : 

Aus  hommes  et  aus  mues  besles     • 

Faz-je  sovent  coper  les  testes. 

Je  vent  ton  lingnage  au  bouchier. 

Par  moi  le  fet-on  escorchier. 

Que  fet  l'en  de  toi?  di-le-moi. 

—  Que  l'en  en  fet?  frommage  en  moi, 

Respont  Brebis,  tele  evre  s'est, 

El  bon  burre,  qui  plésanz  est 

Et  aus  Escos  et  aus  Bretons, 

Qui  miex  aiment  lait  et  matons 

Que  il  ne  font  aulres  daintiez.» 

Dont  s'est  dant  Denier  corouciez  ; 

Treslout  maintenant  ii  respont  : 

«  Par  moi  fet  l'on  chaucie  et  pont 

De  fust ,  de  pierres  et  de  grés  ; 


266  DU  DENIER 

Et  de  ces  fols  hommes  engrès 
Faz-je  souez  et  dcbonère 
El  tels  com  je  vueil  à  moi  plcre  5 
Et  noires  et  blanches  nonnains 
Faz-je  saillir  de  mains  pelains; 
Et  moines  blans  et  moines  ners 
Faz-je  sovent  batre  mal  tcrs, 
Qui  me  doncnt  à  granz  poingnies 
Dont  il  ont  de  bêles  brachies, 
De  dames  et  de  damoiseles 
Qui  sovent  s'en  montent  sor  eles, 
Por  l'amor  de  moi  :  qui  me  donc, 
Son  voloir  à  ce  est  la  somme. 
Nus  hom  n'amasse  ' 
Que  il  ne  soit  tenuz  à  sage.  » 
Brebis  respondi  comme  isnele  : 
«  Tout  ce  ne  pris  une  cenele. 
ïoz  li  'mons  ne  gouste  de  toi 
Ne  que  del  fiens  de  beste  en  moi; 
Mes  toz  li  mons  me  doit  amer, 
Quar  je  faz  ces  pos  escumer 
Et  la  porée  crasse  et  blanche; 
Maint  homme  menjue  ma  hanche, 
Mainte  saveurs  en  est  batue 
Et  mainte  foiz,  feu  abatue, 
D'ommes,  de  famés,  de  vallés. 
Li  mien  mes  ne  sont  mie  lés, 
Ainçois  sont  mis  sus  bêle  table  ; 
Mes  tu  es  toz  jors  en  eslable. 
J'ai  non  Brebis,  j'ai  non  oeille. 

«  Le  Ms.  esl  gratté  en  cet  endroit;  je  proposerais  de  lire  :  une  somme. 


ET  DE  LA  BREBIS.  267 

Tu  fez  au  povre  sorde  oreille, 

Si  ai  non  liauwis  sanz  noise, 

Si  ne  sui  pas  tant  à  malaise 

Comme  cil  roi  et  cil  abé; 

Povre  gent  sont  par  loi  gabé.  » 

Denier  dist  :  «  Trop  m'as  ramposné. 

Quant  ton  aignel  naist  en  esté, 

Tu  le  lesses  en  un  fossé, 

Par  toi  n'ert-il  jà  remué. 

Comme  foie  et  comme  esbahiç, 

Sanz  nule  garde  et  sanz  aïe; 

lluec  le  vait  li  chiens  mengier, 

Li  bergiers  ne  li  veut  aidier 

Por  seulement  un  angevin 

Que  l'en  li  toli  por  son  vin  ; 

Se  son  denier  li  fust  renduz, 

Ton  aignel  ne  fust  pas  perduz; 

Et  por  ce  te  lieng  por  musarde 

Que  tu  ne  en  pris  meillor  garde; 

Mes  s'on  ne  me  porloit  en  place, 

]N'i  a  nul  qui  paumée  fiicc 

Ne  de  brebis  ne  de  cheval , 

D'escarlate  ne  de  cendal.  • 

L'en  ne  puet  vendre  n'achater 

Que  toz  jors  ne  soie  au  conter; 

Ne  nus  clers  ne  puet  riens  aprendre 

Se  je  ne  sui  toz  jors  au  prendre. 

Je  Aiz  Avenir  le  val  au  mont. 

Covoitiez  sui  par  tout  le  mont, 

ÎNéis  des  chardonaus  de  Romme; 

Il  n'a  el  monde  si  haut  homme, 

Se  je  li  fail ,  ne  soit  hontex 


268  DU  DENIER 

Et  si  ne  sui  pas  trop  coustex  : 
Je  ne  menju  fain  ne  avaine 
Comme  lu  fez;  mal  ait  ta  laine, 
Qui  ne  lesses  herbe  en  buisson, 
Ne  foin  ne  bien  en  ta  méson. 
A  mengier  mes  tout  ton  délit, 
Et  si  cunchies  tout  ton  lit  : 
Chascun  jor  t'estuet  nétoier 
Et  par  l'aide  du  denier.  » 
Brebis  dist  à  moult  grant  alaine  : 
«  Miex  valent  vint  piaus  de  ma  laine 
Que  soisante  de  tes  cousins, 
Que  je  revest  toz  mes  voisins  : 
Tels  est  de  moi  moult  bien  vesluz 
Qui  ne  te  prise  deus  fesluz. 
Denier,  tu  sez  sens  de  retaille 
Tu  ne  vaudroies  que  maaille, 
Se  la  croiz  pers,  tu  pers  ton  pris. 
Dont  ne  seras-tu  por  riens  mis, 
ISe  por  fuisel  ne  por  cuillier, 
Non  mie  por  un  aguillier. 
Denier,  enlen ,  si  te  remembres 
*     Que  ne  perdes  un  de  tes  membres  : 
Ta  verluz  seroit  refusée, 
Ne  vaudroies  mie  testée 
De  pain  d'orge  ou  de  pain  d'estoupes^ 
Tu  n'as  de  qoi  couvrir  tes  coûtes 
Fors  un  poi  de  sac  ou  de  cuir; 
Uuec  porroies-tu  porrir 
S'en  n'avoit  à  fère  de  toi. 
Fui  de  ci!  si  te  tien  tout  qoi. 
Cuidcs-tu  donc  (pie  je  ne  voie 


ET  DE  LA  BREBIS.  209 

Keues  traîner  par  la  voie 
Aus  dames  et  vair  et  brunele, 
Encor  ne  soit  ma  keue  nele, 
Si  fu-ele  pris  tout  enlor. 
Dames  qui  sont  de  grant  valor 
N'osent  pas  a  1er  à  la  feste 
S'eles  n'ont  du  poil  de  ma  teste 
Ou  de  celi  delez  m'eschine; 
Si  ne  het  l'en  pas  ma  poitrine, 
L'en  en  fait  mainte  charbonée. 
Mes  se  la  croiz  est  jus  posée, 
L'en  te  feroit  cuire  et  refondre. 
Denier,  me  cuides-lu  confondre? 
—  Certes,  dist  li  Denier,  oïl. 
Jà  ta  laine  ne  feroit  fd 
Ne  drap  teint  en  vert  ne  en  pers, 
Ne  veslir  moines  ne  convers. 
Se  l'aide  de  moi  n'estoit, 
Que  ne  faz  rien  que  bien  et  droit. 
Quant  l'en  te  trueve  morte  el  tai , 
En  j  ver  ou  cl  mois  de  may, 
Ton  seignor  le  gete  ou  fossé, 
De  toi  garder  est  lost  lassé  : 
Lors  te  menjuent  li  mastin 
Et  li  oisel  et  li  vermin  ; 
Nus  ne  vient  vers  toi  ne  aprouche 
N'estoupe  son  nez  et  sa  bouche; 
Mes  se  j'estoie  en  un  fumier, 
Icil  qui  me  verroit  premier, 
Fust  à  pié  ou  fust  à  cheval, 
Descendroit  certes  jus  aval 
Pôr  mètre  moi  en  s'aumosnière. 


270  DU  DENIER 

Brebis,  je  porte  la  banière 
Que  loz  li  inons  à  moi  s'alie. 
Marchiez  ne  vaudroil  une  ailh'e 
Se  denier  ne  1'  fet  assambler; 
Denier  fet  à  maint  liomme  embler, 
Denier  relie  madelins, 
Denier  confont  les  Sarrasins; 
Sanz  moi  ne  puet  nus  passer  mer. 
Je  faz  boivre,  je  faz  humer, 
Je  faz  doner,  je  faz  tolir, 
Je  faz  chevaus  corre  et  saillir, 
Haubers  rompre,  percier  escuz  ; 
Champions  sont  par  njoi  vaincuz. 
Je  faz  soier,  je  faz  sarcler, 
Je  faz  tant  boivre  de  vin  cler 
Ans  dames  qu'eles  s'abandonent 
A  cels  qui  moult  petit  lor  douent.  » 
Brebis  respont  :  «  Tout  vaut  noaus; 
Tout  ce  ne  pris-je  pas  deus  ans, 
Quar  tu  es  plains  de  trahison  : 
Tu  fez  d'un  hermite  larron  , 
Tu  tols  à  droit,  dones  à  tort. 
D'un  mauves  homme,  boçu,  tort, 
Fez-tu  tant  que  plus  est  amez 
C'uns  sages  hom  plains  de  bontez. 
Tu  n'as  solaz,  déduit  ne  joie; 
Il  ne  te  chaut  qui  te  manoie  : 
Tu  chiez  sovent  en  ordes  mains. 
Denier,  encore  est-ce  du  mains  : 
Tu  dis  que  je  menju  sovent, 
Je  ne  boi  mie  de  l'or  vent 
Que  tu,  Denier,  qui  es  d'argent, 


.     ET  DE  LA  BREBIS.  271 

Qui  fez  sovent  vessir  la  gent 

En  foule,  en  presse  ou  en  deslor. 

Foi  que  je  doi  mon  créalor, 

Moult  le  déisse  vilonie, 

Mes  je  vueil  que  losl  soit  fenie 

La  lençon  qu'est  entre  nous  deus  : 

J'aim  miex  vint  joies  que  trois  deuls. 

11  pert  moult  bien  en  ma  boiele 

Que  chante  cler  en  la  viele 

Qui  confortent  ces  damoiseles 

Et  ces  genliz  ciers,  lor  cerveles  : 

Maint  homme  en  esbanoie  es  sales; 

Mes  tu  es  toz  jors  ors  cl  saies. 

Or  le  dirai  toute  t'onor  : 

C'est  quant  on  l'offre  à  un  bon  jor 

Sus  l'autel,  mes  pas  n'i  demeures; 

Mes  g'i  remaing,  quar  j'ai  les  eures; 

En  ma  pel  sont  les  croisons 

Et  loutcs  les  bénéicons 

Dont  sainle  yglise  en  est  servie.  » 

Denier  li  respont  sanz  envie  : 

«Brebis,  que  vas-tu  eslrivant? 

Certes,  toz  jors  serai  avant 

Tant  com  siècles  porra  durer. 

L'en  se  puet  moult  bien  consirrer 

De  toi  et  de  ta  compaignie. 

Brebis,  entent  sanz  vilonie  : 

En  est  beUn,  chièvre,  chievriaus, 

Conins,  lièvres  et  de  chas  piaus; 

L'en  escrit  bien  en  véelin , 

Certes  miex  vaut  son  parchemin 

Que  le  lien,  ce  set  toz  li  mons. 


272         DU  DENlEll  ET  DE  LA  BREBIS. 

Brebis,  por  ce  siii-je  roons 
Que  je  corrai  nus  sanz  chemise 
Tanl  com  durra  marchéandise; 
Se  failloie,  marchiez  faudroil  : 
Que  sauroil  chascuns  qu'il  vendroit? 
L'en  donroit  brebis  por  cheval, 
El  grosse  toile  por  cendal, 
Buef  por  asne,  fuerre  por  fain. 
Trestoz  li  mons  morroit  de  fain 
S'on  donoit  blanc  pain  por  charbons 
Et  les  jagleus  por  les  poissons. 
Veus-lu  c'en  doinst  poivre  por  pois 
El  grosses  pierres  por  cras  pois, 
Lus  por  harens,  prunes  por  pomme? 
11  n'est  el  monde  si  haut  homme 
Qui  sanz  moi  puist  monler  en  pris, 
Quar  je  sui  por  toute  rien  pris. 
Si  sui  cil  qui  tout  taut  et  donc; 
Si  orrai  par  tens  soner  none, 
Si  n'est  pas  tens  de  lencier  plus. 
Brebis,  je  ne  sui  pas  conclus; 
Mes  tu  ,  qui  ne  sez  que  respondre, 
Li  mal  leu  le  puissent  confondre 
Et  mengier  crue  et  dévorer. 
Si  m'as  hui  fet  mon  sens  troubler!  » 
A  tant  lessièrent  le  plédier  : 
Encor  fet  chascuns  son  mestier. 

Explicit  du  Denier  et  de  la  Brebis. 
Voyez,  sur  Denier  ou  Dan  Denier,  la  note  E,  à  la  fin  du  volume. 


Ce  9out  U  iDers  île  le  AXovU 


PAR  ADAM 


Ms.  2736,  Bibliothèque  Royale. 


Mors,  comment  que  je  me  déduise 

En  chanter  et  en  mainte  herluise, 

Je  voi  bien  et  sai  qui  je  sui , 

El  comment  me  vie  amenuise; 

Mais  qui  voit  le  péril  ains  qu'il  nuise, 

C'est  chiex  qui  miex  prent  garde  en  lui. 

Mors  à  le  roy  et  à  le  glui 

A  tant  pris  de  gent  c'aujourd'ui 

N'i  a  remès  fors  que  menuise. 

Chastions-nous  dont  par  autrui, 

C'on  doit  pour  fol  tenir  chelui 

Qui  tant  carche  se  nef  qu'il  puise.' 


«  Cette  pièce ,  pour  le  style  et  le  rhythme ,  est  une  imitation  des  Vers 
sur  la  Mort  publiés  par  Méon.  (Paris,  imprimerie  de  Crapelet,  1835, 
grand  in-  °,  2*  édition.) 

Voir,  sur  Adam  de  la  Halle,  auteur  des  Jeux  d'Adam  ou  de  la  Feuille'e, 
du  Pèlerin,  de  Robin  et  Marion,  de  Jeux  partis ,  etc.,  une  Notice  de 
M.  Paulin  Paris,  dans  \' Encyclopédie  catholique,  t.  Il,  p.  426,  et  une 
autre  dans  le  Théâtre  français  au  moyen  âge,  par  MM.  Monmerqué  et 
Francisque  Michel.  (Paris,  1839,  grand  in-8o,  p.  21  et  suiv.) 

II.  18 


274  LI  VERS  DE  LE  MORT. 

Mors  anieuse  et  félenesso, 
les  de  cheus  embler  larenessc 
Dont  il  cuide  que  plus  anuit; 
Si  qu'il  n'est  ne  rois  ne  contesse 
Qui  puis  truisl  oste  ni  olesse 
Oui  le  herbegast  une  nuit. 
Encontre  toi  n'a  nul  refuit; 
Or  n'i  a  dont  autre  réduit 
Fors  confesse,  sermon  et  messe; 
Car  tu  assiés  ains  c'en  ait  cuit 
Le  gent  d'un  morsel  mal  enduit , 
Tout  sans  prier  et  sans  promesse. 

Mors,  de  chascun  prendre  ies  astiex 
Devant  le  père  muert  le  fiex, 
Li  grains  pourist  ains  que  li  paille. 
Li  plus  Jones  est  li  plus  viex; 
De  jonesche  n'est  fors  brésiex, 
En  jone  cuir  pourrie  entraille 
A  tes  qui  se  viande  taille. 
On  ne  doit  pas  selonc  l'escaille 
Jugier  li  quels  noiaus  vaut  miex. 
On  cuide  que  fisique  i  vaille, 
Mais  c'est  tout  trufe  et  devinaille  : 
Nus  n'est  fisiciens  fors  Diex. 


Explicit  d'Adan. 


£a  Se neftana  ht  TJl   &  €, 

Ms.  7218 ,  Bibliothèque  Royale. 


Je  vous  di  bien  en  parchemin 
Que  tels  mains  hom  va  par  chemin 
Qui  droite  voie  ne  va  pas, 
Et  si  s'en  va  plus  que  le  pas 
Et  de  deus  voies  est  à  chois. 
Je  li  lo  miex  que  il  soit  cois 
Que  par  la  voie  ne  s'avaut , 
Quar  ne  puet  pas  monter  an  haut 
Ne  en  honor  ne  en  haut  pris 
Qui  en  mauves  usage  est  pris. 
Ne  vueil  pas  là  torner  mon  us, 
Que  jà  mes  sens  n'en  ert  menus. 
Mult  fet  que  sages  qui  s'en  oste, 
Quar  en  vil  us  a  mauves  oste. 
Mainte  chose  covient  retrère 
Por  le  siècle  c'on  voit  retrère 
Et  empirier  en  mult  de  leus. 
De  chiens  i  a  tant  et  de  leus, 
Tel  sont  H  vesque  et  li  abé, 
Que  il  guerpissent  por  A  B. 

Voyez  la  note  F,  à  la  fin  du  volume. 


«?■ 


27G  LA  SÉNEFIANCE 

Oiez  que  lesmoingne  H  .A.  ; 

Cil  le  set  bien  qui  mis  li  a  : 

.A.  veut  toz  tans  c'om  la  bouche  oevre, 

Tuil  prélat  béent  à  ceste  oevre  j 

De  ce  ne  sonl  mie  à  aprendre 

Que  tout  adès  béent  à  prendre. 

Icilqui  l'A  BC  para, 

Fist  le  commencement  par  .A. 

Ne  puis  sanz  .A.  nommer  avoir  j 

.A.  i  covient  toz  tans  avoir. 

Je  ne  puis  bien  nommer  sanz  .B., 
Quant  je  di  bien  mult  petit  bé. 
Par  .B.  commencent  li  bien  fet , 
Ne  jà  sanz  .B.  n'èrent  bien  fet; 
Por  ce  di-je  qu'en  droit  .B.  a 
Mains  de  covoitise  qu'en  .A. 

Après  le  .B.  vueil  .C.  descrire  : 
.C.  nous  geta  d'anui  et  d'ire. 
Toz  li  mons  doit  le  .C.  amer; 
Mes  mult  trova  le  .C.  amer 
Li  .D.  qui  de  desouz  fu  plains 
Et  qui  del  .M.  fu  mult  plains. 
Por  ce  que  .C.  iraveilliez  fu, 
.D.  geta  cels  del  aigre  fu 
Qui  toz  tans  fussent  en  Enfer. 
.D.  fu  en  fust,  .D.  fu  en  fer, 
.D.  ot  ou  .C.  angoisse  et  soi, 
.D.  fist  le  .C.  honor  de  soi, 
Et  par  le  .D.  doit-on  avoir 
Le  .C.  plus  chier  que  nul  avoir. 


DE  L'A  B  C.  277 


Dampné  fussons  se  .C.  ne  fust. 
Li  .C.  sénefie  le  fust 
De  la  croiz,  quar  le  .C.  le  forme, 
Et  .D.  retesmoingne  la  forme 
De  Dieu  qui  tout  le  mont  forma , 
Quar  por  chascun  qui  sa  forme  a 
Fu  mis  ou  fust  que  je  vous  nom, 
De  qoi  le  .C.  soustient  le  non  ; 
Mult  est  li  nons  petiz  et  rois  : 
Mêlez  un  .C,  si  aura  crois. 

Après  vous  conterai  de  l'.E.  ; 
N'a  de  lonc  guères  ne  de  lé  : 
Petit  et  corbé  le  véez  ; 
Ne  li  est  pas  uns  eus  véez. 
De  r.E.  vous  conterai  la  sève  : 
Jà  n'éussons  paine  se  Eve 
N'éust  ou  fust  devée  mors  : 
En  tel  morsel  gist  noslre  mors. 
Et  li  oeilles  qui  est  amont 
Note  la  vie  qui  ou  mont 
Par  le  mors  de  la  pomme  vint, 
Dont  granz  contrères  nous  avint. 
Mainte  dolor  commence  en  .E. 
Fols,  entendez  bien  que  sanz  .  E. 
Ne  puet  estre  nommée  Evain  , 
En  cest  mont  sommes  par  .E.  vain. 

•F.  nous  rendi  joie  ou  monde, 
Par  qoi  nous  fussiemes  tuit  mondfr 
Se  nostre  créance  fust  ferme 
Qui  chascun  jor  devient  enferme; 


%n  LA  SÉNEFIANCE 

Savez  que  tesmoingne  li  trais 
Qui  parmi  .F.  est  d'autre  trais  : 
Le  Saint-Espir  dont  fu  conciex 
Nostre  Sauveres,  noslre  Diex , 
Qui  de  rien  nule  ne  malmist 
Le  saint  vessel  où  il  se  mist. 

Plus  que  nule  lettre  que  j'oie 
Sénefie  li  .G.  la  joie 
Qui  par  famé  revint  ou  mont, 
Si  com  li  conte  conté  m'ont. 

Après  vous  conterai  de  l'Ache, 
p5     Qui  par  desouz  d'un  pié  se  lace. 
Li  uns  dist  ache,  l'aulres  ha  : 
Sanz  movoir  langue  dist-on  :  ha. 
.H.  est  uns  hus,  .H.  est  uns  criz; 
Par  .H.  ot  mult  mal  Jhésu-Criz. 
«  Ha!  ha!  »  fesoient  li  Gieu 
Quant  li  bon  l'apeloient  Dieu , 
«  Tu  n'es  mie  tels  com  tu  dis  : 
«  Nous  connoissons  trop  bien  tes  dis.  ♦ 
Et  Ache  miex  arme  resamble 
Que  nule  lettre,  ce  me  samble. 
A  glaive  morut  en  croiz  Diex , 
De  qoi  il  fu  et  joie  et  dels. 

Après  vous  conterai  de  l'.L  ; 
N'i  a  meillor  lettre  de  li  : 
Plus  est  ou  mont  li  déiis  cors 
Que  del  .1.  n'est  petiz  et  cors. 
11  se  met  por  .0.  quant  li  siet, 


DE  L'A  BC.  279 

Ou  leu  de  consonant  s'assiet. 
. J.  sénefie  joie  vaine, 
Tant  com  li  hom  a  cuer  et  vaine 
El  vie,  en  lui  ne  pert  sa  mort , 
Au  siècle  plus  et  plus  s'amort, 
Et  quant  il  est  el  raeilior  point, 
Dont  l'angoisse  Fanaort  et  point  ; 
Ne  seroit  pas  si  lost  desfez 
Li  .1.  comme  cil  est  desfez , 
Jus  craventez  el  trébuchiez  : 
Tost  est  ses  orgueus  despeciez. 
.J.  met  por  .G.  quant  bien  est  pris, 
Et  s'a  Dieu  perdu  et  son  pris, 
Il  aura  sept  et  deus  et  fer, 
Si  est  li  propres  nons  d'Enfer. 

Parler  vous  doit-on  bien  de  Ai. 
Icesle  lettre,  por  Dieu,  k'a 
Qui  crie  adés  quant  on  le  nomme? 
Maint  mal  a  mis  sovent  en  homme. 
Li  ventres  a  la  langue  maie, 
Toz  tans  veut  plaine  avoir  sa  maie. 
.K.  sénefie  les  prélas  : 
Nient  plus  c'on  voit  en  un  pré  las 
Le  poulain  saoulé  de  paislre, 
Ne  puéenl  estrc  nostre  pastre 
Estanchié  de  tendre  lor  mains  : 
Celui  qui  lor  aporte  mains 
Ne  puéenl  fére  bêle  chière 
Tant  par  ont  covoiteuse  chière, 
Et  tant  forment  lor  griève  et  poise, 
Si  qu'à  plusors  longuement  polsc 


280  LA  SÉNEFIAINCE 

Qu'il  n'ont  deus  ventres  en  mains  ieus, 
Comme  li  chas  qui  mult  est  Ieus. 
Nés  la  corneille  a  en  ses  cris 
Le  .K.  qui  est  en  lettre  mis, 
Qui  jà  par  bel  lens,  ne  par  gent. 
Ne  resléecera  la  gent» 
Ainz  crie  adès  encontre  oré, 
Si  l'en  a-on  maint  mal  oré. 

.L.  sénefie  la  loi, 

Et  par  fine  réson  n'a  loi 

A  celé  loi  qui  est  et  fu 

Devant  l'avènement  del  fu , 

Qui  est  encore  à  avenir. 

Que  plusor  verront  avenir. 

.L.  est  la  loi  que  Diex  dona , 

De  qoi  chascuns  mult  biau  don  a. 

.L.  remist  le  siècle  à  droit , 

Et  de  l'envers  nous  fist  endroit. 

Lettre,  langages,  loi  ensamble 

Sénefie  .L.,  ce  mesamble. 

.L.  est  mult  longue,  de  haut  pris; 

Par  .L.  est  toz  li  mons  apris. 

La  bone  lois  nous  vint  par  .M., 
Qui  des  lettres  est  dame  et  gesme. 
.M.  a  trois  piez  en  sa  figure, 
En  nul  leu  ne  se  desfigure 
Com  .M.  seroit  figurée 
Se  d' un  pié  ert  desfigurée  ; 
Mult  a  en  li  riche  persone, 
Qui  devient  un  et  trois  en  somme  : 


DE  L'A  B  C.  2»1* 


Le  Saint-Espir,  le  Fil,  le  Père  : 
N'est  rois  qui  sa  vertuz  n'apére. 
.M.  est  Marie  '  mère  douce  : 
En  ces  deuz  nons  li  .M.  atouche. 

Après  ce  .N.  vous  devis  ; 
Vous  savez  bien  que  granl  devis 
A  d'Emnae  à  .N.  par  un  trait; 
Fors  example  le  nous  retrait, 
Que  toutes  sont  nonpers  à  l'une, 
Si  com  l'estoile  est  à  la  lune 
Et  li  yvers  est  à  esté  ; 
Toz  ceus  qui  sont  et  ont  esté 
Et  qui  jamès  seront  en  vie, 
De  dire  avant  ai  grant  envie  : 


>  Nos  trouvères  se  livraient  quelquefois  à  de  singulières  puérilités  poéti- 
ques. Nous  voyons,  par  exemple,  Rutebeuf  jouer  à  chaque  instant  sur  son 
nom.  Voici  comment  l'auteur  du  Ms.  1132 ,  supplément  français,  joue  avec 
celui  de  la  Vierge  : 

A  ce  qu'e  soit  plus  honnourée 

Par  plusieurs  nohs  l'ay  apelée. 

Se  je  l'apele  Maria, 

C'est  pour  ce  que  tous  biens  y  a  ; 

Je  Tapele  aussi  Marion 

Pour  sa  bêle  conversacion. 

Se  je  l'apele  Mariete, 

C'est  pour  sa  conscience  nete  ; 

Je  l'apele  dame  Maroie  : 

Grain  n'eut  de  félenie  en  foie. 

Apeler  la  poons  Marote, 

Quar  en  lui  n'éust  onques  note  ;    • 

Marie  fii  à  bonne  escole, 

Onques  ne  dit  maie  parole  ; 

Ele  a  passé  dame  Nicole 

Qui  souvent  en  parler  est  foie. 

Je  l'apele  dame  Marée, 

Pour  ce  n'en  est  grain  mains  amée. 


i282  LA  SÉNEFIANCE. 

.0.  est  roons  comme  li  raons, 
Et  li  hom  est  brais  et  limons 
Por  qui  li  mons  establis  lu , 
Qui  doit  estre  péris  par  lu. 
.0.  est  limons  dont  li  hom  vint, 
Et  .0.  la  lettre  que  devint; 
De  terre  fu  premiers  hom  lez 
Et  en  terre  sera  desfez. 
Une  autre  chose  nous  glose  .0. 
Cosses  fet-il  à  chascun  .0. 
.0.  est  manière  d'arester, 
D'estanchier  et  de  qoi  ester, 
Et  de  mal  fère  cesser  ruevc  : 
Iceste  lettre  bien  se  prueve. 

.P.  sénefie  paradis 

Et  le  père  qui  paradis, 

Ciel  et  terre  et  la  nuit  obscure, 

Qui  l'anui  et  le  mal  tout  cure, 

Et  homme  qui  à  lui  s'apuie, 

En  haute  honor  mult  tost  s'apuie. 

P.  rescnefie  la  pomme 

Que  Dame-Diex  devéa  l'ome; 

Dedcnz  paradis  toz  li  fus, 

Mes  que  li  ardors  et  li  fus 

Et  li  talenz  de  la  moillier 

Fist  Adam  sa  face  moillier, 

Et  tressuer  après  le  fet 

Quant  il  reconnut  son  mesfet. 

En  itel  point  le  .P.  se  père  : 

Paradis  séneûe  et  père. 

Et  la  pomme  devint  la  paine; 


DE  L'A  B  C.  283 

Corloisement  li  .P.  se  paine. 

Lî  .Q.  est  lettre  beslornée, 
Ce  derrier  devant  est  tornée. 
Se  li  .Q.  ne  fust  bestornez, 
En  guise  de  .P.  fust  tornez; 
Si  com  li  .Q.  va  bestornant, 
Va  l'onor  Dieu  moult  bestornant. 
A  nommer  est  vilains  li  .Q. 
Et  cist  siècles  a  tant  vescu 
Qu'en  vilonie  a  fet  son  ni , 
Par  qoi  li  plusor  sont  boni  : 
Poi  est  qui  cortoisie  i  face; 
Honor  et  larguesce  i  esface, 
Mauvestiez  et  souduiemenz, 
Tricherie  et  cunchiemenz 
Portent  en  haute  cort  baniére  : 
Tels  est  au  siècle  la  manière, 
Por  ce  se  cuevrent  d'un  escu 
De  mauves  siècle  avoecle  .Q. 

.R.  est  une  lettre  qui  graingne, 
Toz  jors  sa  félonie  engraingne  ; 
Sanz  .R.  ne  puet-on  nommer 
Riche  mauves,  ne  renommer 
Les  mauvestiez  de  son  vil  los. 
Quant  li  gaignons  veut  rungier  l'os, 
S'uns  autres  chiens  li  veut  reprendre, 
Sanz  .R.  ne  li  veut  desfendre. 
Tout  autressi  com  li  chiens  reille 
Voit-on  le  mauves  riche  engresle  : 
Si  doivent  estre  compaignon 


284  LA  SÉNEFIANCE 

Li  mauves  riche  et  li  gaignon. 

Une  lettre  sainlisrne  est  .S.; 

Au  nommer  est  la  langue  espesse  : 

Sens  et  silence  sénefie. 

Si  vous  di  bien,  rault  nous  afie 

De  bien  se  nous  avons  celi 

Que  nus  ne  puet  nommer  sanz  li  : 

C'est  sapience  et  honesté. 

Cil  vesquirent  en  bon  aé 

Qui  par  .S.  sont  nomé  saint. 

S*est  bien  droiz  qu'ele  nous  ensaint 

Quel  seignorie  est  sapience, 

Et  honesté  et  pascience. 

.S.  sénefie  les  croces 

A  ceus  qui  douent  les  paroisces. 

Ce  sont  cvesques  et  persones 

Qui  par  droit  doivent  estre  bones; 

Simplece,  humilité,  savoir 

Et  honesté  doivent  avoir 

Et  charité  et  bone  vie, 

Sanz  mauvestié  et  sanz  envie; 

Garder  nous  doivent  et  aprendre 

Sanz  covoitise  et  sanz  sousprendre  ; 

Quar  ausi  com  H  .S.  aeure 

Et  encline  du  chief  deseure 

Les  lettres  qui  devant  li  sont, 

Doit-on  le  preudomme  en  cest  mont 

Aorer  quant  il  bien  se  prueve, 

Por  ce  que  l'en  petit  en  Irueve; 

Envers  els  doit-on  sousploier 

Si  comme  .S.  covient  ploier. 


DE  L'A  B  C.  285 

Par  .S.  nous  covient  servir 
Se  nous  volorames  déservir 
La  seignorie  au  Roi  hautisme 
Où  li  preudomme  sonl  sainlisme. 
Par  .S.  comnaencent  li  non 
Qui  es  ciex  sont  de  grant  renon  : 
M ult  a  lettre  grant  seignorie 
Qui  devant  Dieu  va  si  florie. 

Du  .T.  vous  dirai  la  manière  : 

En  cropant  porte  sa  banière, 

Une  lettre  est  corte  et  crampie, 

Si  resannble  trop  bien  espie  ; 

Corbés  est  et  de  lait  maintien. 

Sanz  .T.  ne  puet  l'en  dire  tien. 

Desor  la  keue  siet  le  maistre 

Si  com  le  chat  qui  crout  en  l'aistre  ; 

Deseure  samble  une  potente, 

Ne  n'a  aillors  mise  s'entenle 

Qu'à  dire  tien ,  mes  petit  done, 

Ne  guères  rien  ne  guerredone; 

Aus  honestes  ne  aus  senez 

Ne  dist  mie  li  .T.  tenez. 

.T.  done  aus  chiens,  .T.  done  aus  leus; 

.T.  done  à  celés  et  à  cens 

Qui  n'en  ont  mestier  ne  soufraite: 

Bien  doit  avoir  l'eschine  fraite. 

.T.  si  crampist  et  tient  ensamble, 

Une  maie  beste  resamble. 

.T.  sénefie  la  destrece 

Et  la  viuté  de  la  larguece, 

Dont  li  riches  vail  estampis 


^286  LA  SÉNEFIANCE 

Aiisi  com  li  .T.  va  crampis; 

Lor  tient  adès  es  mains  la  crampe 

Qui  jusqu'au  cuer  lor  monte  et  crampe 

Par  aus  décline  et  faut  li  mons  ; 

Larguece  font  Irère  es  limons, 

Et  avarisce  en  destre  mainent  : 

Ainsinc  li  riche  se  démainent. 

Par  ,T!  commence  trahisons, 

C'est  une  de  ses  oroisonsj 

Ne  nus  ne  porroit  Irahitor 

Sanz  .T.  nommer  ne  tricheor  ; 

Par  .T.  commence  tricherie, 

Et  Judas  par  sa  tricherie, 

Quant  Dame-Dieu  vit  apparu , 

Il  le  vendi  primes  par  .U. 

Sanz  .U.  ne  le  polJudas  vendre, 
Et  puis  l'estut  deslruire  et  pendre. 
Si  comme  fourche  est  li  .U.  fais, 
Oti  Judas  fu  mors  et  desfais  ; 
Là  s'estrangla  honteusement, 
Onques  n'en  quist  amendement; 
Se  Judas  Dieu  par  .U.  vendi, 
Par  .V.  s'estrangla  et  pendi. 

La  manière  dirai  del  .X.  : 
Geste  lettre  est  an  mains  bons  lieus; 
Renommée  est  de  grant  renon , 
Si  est  formée  en  un  haut  non. 
Quant  li  hom  est  crestienez, 
S'est-il  par  .X.  crestianez  '. 

>  Ce  mol  s'écrivait  xpianez,  comme  on  lit  au  manuscrit. 


DE  L'A  B  C.  287 


Si  trueve  l'en  en  loz  escris, 
Par  cele  lettre  est  nommez  Cris. 
Bien  devons  si  crestien  estre, 
L'enfès  ne  puet  crestiens  nestre, 
Mes  ausi  tost  comme  il  est  nez  , 
Est-il  par  .X.  crestienez, 
Levez  et  baptisiez  en  fons, 
Et  erapains  enz  desi  au  fons. 
.X.  a  deus  trais  petiz  et  cors, 
Iceste  lettre  a  quatre  cors. 
Toutes  les  parties  du  mont 
Sénefie  aval  et  amont; 
Cil  .X.  qui  ainsi  est  espars 
Nous  dit  que  trestoutes  les  pars 
De  cest  siècle  lient  Jhésu-Cris, 
Par  qoi  toz  li  biens  est  escris. 

La  manière  dirai  du  .Y. 
Deus  lettres  samble  au  non  .Y.  ; 
Ceste  lettre  ne  fet  que  une 
Et  si  est  de  toz  miex  jeune. 
Quant  li  Juys  orent  Dieu  pris, 
Qui  sovent  ert  par  aus  repris, 
Si  metoient  en  lor  ébrieu 
Lettres  de  Caldieu  et  de  Grieu, 
Et  cuidoient  que  Dame-Diex 
Ne  séust  ce  entendre  d'els, 
Tant  estoient  fol  et  estout; 
Mes  Dame-Diex  entendoit  tout. 
Iceste  lettre  est  si  parfeie. 
Qu'en  tout  l'A  B  C  n'a  si  fêle. 
Par  cesti  est  Jhésus  nommez , 


288  "  LÀ  SÉNEFIÂNCE 

Qui  tout  partout  est  renommez, 
Et  sachiez  bien  que  li  Juy 
Apeloienl  Jhésu  par  .Y. 
La  lettre  est  déliée  et  fix , 
Et  maintes  genz  l'apelent  fix; 
Mes  je  vous  di  que  c'est  faus  nons 
Et  que  de  .Y.  est  ses  renons  : 
Ainsi  l'apelent  li  Géu 
Et  li  Ebrieu  et  li  Caldieu. 

Li  .Z. ,  une  lettre  au  gieu , 
Si  com  nous  tesmoignent  li  Grieu, 
A  paines  ert  par  moi  descrite, 
Quar  en  pou  de  lieu  est  escrite, 
Et  si  vous  a  mult  grant  mestier. 
En  la  kyriele  au  moustier 
Crions-nous  par  .Z.  Dieu  merci, 
En  a  donques  riche  merci, 
Et  sage  lettre  et  riche  et  cointe 
Qui  de  merci  Dieu  nous  acointe; 
Quar  kyrieleyson  ici 
Vaut  autrestant  com  Dieu  merci. 

Après  vient  ET,  €e  m'est  avis, 
Tost  en  aurai  fet  le  devis; 
Geste  lettre  est  en  tel  point  fête, 
S'ele  estoit  ostée  et  desfetc 
l'A  B  G  petit  poi  vaudroit. 
Si  vous  di  que  il  n'i  faudroit , 
For  li  conlriclions  ne  moz  ; 
De  ce  mult  bien  enhardir  m'oz. 
Iceste  lettre  nous  démonstre 


DE  L'ABC.  289 

Que  luit  li  riche  homme  sont  monstre, 

En  qui  il  a  poi  de  valor. 

Mult  chiet  la  lettre  en  grant  dolor 

Qui  à  mauves  seignor  eschiet; 

Quar  tout  le  païs  en  meschiet, 

Qui  perderoit  ceste  ne  ois, 

Se  cist  estoit  mors  et  ocis  ; 

Jà  li  siècles  n'en  vaudroit  mains 

Se  il  n'avoit  ne  piez  ne  mains; 

Si  se  maintienent-il  com  sire. 

Mult  légièreraent  se  consire 

Toz  le  païs  après  sa  mort , 

Et  s'il  est  preudom  on  remort 

La  grant  bonté  de  sa  vaillance, 

Si  plaint-on  mult  sa  défaillance. 

Li  A  B  G  par  titre  fine, 
Si  ne  r'est  mie  lettre  fine; 
Sovent  est  mise  par  soufrete 
Là  où  autre  doit  estre  trete  : 
Si  com  l'en  met  por  .M.  title, 
Là  remet-on  en  maint  chapitle 
Par  soufrete  ou  par  défaute, 
Quant  il  i  rauert  persone  haute, 
Assez  pieur  ou  mult  plus  basse 
Par  qui  toz  li  chapitles  quasse. 
Icil  qui  l'A  B  C  afine 
En  itel  point  ces  lettres  fine. 

Cil  qui  a  non  Rois  de  Cambrai  ' 

*  L'aateur  de  celte  pièce.  —  J'ai  publié  une  satire  de  ce  trouvère  (  la 


II. 


19 


290  LA.  SÉNEFIANCE  DE  L'A  B  C. 

De  tel  sens  et  de  si  verai , 

Comme  il  puet  en  son  cuer  Irover, 

1  vaut  son  engien  esprover. 

Or  l'en  doinst  Diex  avoir  tel  pris 

Que  des  sages  ne  soit  repris; 

El  se  il  i  a  que  reprendre, 

Bien  en  veut  jor  ou  terme  prendre 

De  l'amender,  se  Dieu  est  bel; 

Mes  cil  sont  plus  Kaym  qu'Abel, 

Qui  ont  sus  les  biaus  diz  envie, 

Quar  il  sont  de  trop  maie  vie; 

Quar  quant  la  chose  est  bien  emprise 

Et  li  sages  la  loe  et  prise, 

Cil  qui  l'a  fête  l'a  plus  chière, 

Si  en  fet  assez  meillor  chière.  ' 

Explicit  la  Sénefiance  de  l'A  B  C. 


Descrissions  et  la  Plaisance  des  Religions }  dans  les  notes  et  éclaircis- 
sements aux  OEitvres  complètes  de  Rutebeiif,  t.  I,  p.  441 . 

>  On  peut  rapprocher  cette  pièce,  à  cause  de  l'analogie  que  présentent  les 
deux  sujets, du  fragment  suivant  en  prose,  tiré  du  manuscrit  lansdowien 
397,  appartenant  au  Musée  britannique  : 

«  De  vino.  Savez-vous  comment  homme  deit  le  vyn  prisir,  quant  homme 
le  trove  freit  et  de  bon  boysoun  ?  \x  lettres  y  ad,  bien  les  sai  ;  or  les  escotez 
etjeo  les  vous  nomerai:iij.  B,  iij.  C,  iij.  N,  iij.  S,  etviij.  F.  Les  iij.  Bdient 
q'il  est  bons ,  beus  et  bevale.  Les  iij.  C  dient  q'il  est  court ,  clers  et 
crcspe'.  Les  iij.  N ,  q'il  est  net,  neays  el  naturels.  Les  iij.  S  dient  q'il 
est  sek  ,  sayn  el  sade.  Les  viij.  F  dient  q'il  est  freit,  fresche,  fryant, 
fremissaunt ,  furmeniel,  feire,  fyne,  fraunceys,  etc. 

Un  autre  manuscrit  appartenant  au  même  dépôt ,  mais  faisant  partie  de 
la  bibliothèque  dite  du  Roi  (Ms.  12  D.  ïi\  présente  les  variantes  suivantes: 

t  Les  iij.  S  signifient  q'il  est  sein,  sad  et  saverouse.  Les  très  N  signi- 
fient q'il  est  net,  nais  et  natureus.  Les  uit  F  q'il  est  fin ,  fres ,  froit ,  fort , 
frick,  flurant,  freignant  et  furmente  fort,  come  muson  à  blaunk  moyn, 
raumpant  comme  osquirel,  descendaunlcum  foudre,  poignant  come  aloyne 
de  cordwaner,  il  saut,  il  trop,  il  vnit,  il  règne,  etc. 


Ms.  2718,  Bibliothèque  Royale. 


Dire  vous  vueil  d'un  homme  dur 
Qui  tant  avoit  corage  sur, 
Qu'il  n'avoit  de  povre  pitié, 
ISe  vers  Dieu  amor  ne  peur. 
Cil  hom  qui  tant  ot  cuer  séur, 
Qui  avarisce  avoit  lacié, 
Un  jor  dormi  et  ot  songié 
Qu'il  estoit  près  d'un  biau  vergié 
Tout  plain  de  fruit  bel  et  méur; 
Mes  il  n'i  pot  mètre  le  pié, 
Quar  il  trova  Fuis  véroillé, 
Et  moult  estoient  haut  li  mur. 

N'i  pot  entrer,  ainz  fameilla 
El  la  fain  moult  le  traveilla, 
Por  le  biau  fruit  plain  de  déduit. 
Tant  i  fu  et  tant  apela 
C'uns  hom  vint  qui  à  lui  parla  ; 
11  fu  moult  liez  quant  il  le  vit, 
Doucement  a  proie  et  dit  : 
«Amis,  donez-moi  un  petit 


292  LE  VERGIER 

De  cel  biau  fruit  que  je  voi  là , 
Quar  moult  grant  fain  m'a  desconfit.  » 
Et  cil ,  par  moult  bel  escondit , 
Gortoisement  respondu  a  : 

«Amis,  dist-il,  à  moi  entent  : 
11  me  covient  estroitement 
De  cest  vergier  garder  l'entrée. 
Moult  i  a  de  fruit  bel  et  genl , 
Mes  c'est  à  une  sage  gent 
Qui  est  en  celé  autre  contrée. 
Chascuns  a  ici  s'ente  entée 
Por  ce  que  la  truist  aprestée 
A  un  chier  tens  que  il  atent 
Que  viande  sera  gastée, 
Ne  ne  porra  estre  trovée 
Fors  en  cest  vergier  seulement. 

«Sanz  congié  de  seignor  ne  doit 
Li  serjanz  eslendre  le  doit 
A  ce  que  il  a  en  baillie. 
Amis,  tu  sez  bien  orendroit 
Que  ne  te  puis  doner  par  droit 
Ce  que  tu  quiers,  se  tu  partie 
N'as  en  ceste  parçonerie; 
Mes  bien  te  soit  apareillie 
Se  ente  i  as  qui  teue  soit. 
D'autrui  ente  ne  di-je  mie 
Que  par  toi  soit  pomme  cueillie.  » 
A  icest  mot  si  s'esveilloit. 

Moult  encuse  son  cuer  sauvage 


DE  PARADIS.  293 


Et  moult  blasme  son  fol  corage; 
Du  biau  vergier  moult  se  démente. 
«  Voirement,  dist-il,  a  cuer  sage 
Qui  bien  porvoit  son  avantage 
Au  chier  tens  qui  est  à  venir, 
Li  hom  qui  si  biau  vergier  ente; 
Ici  vueil  enter  la  moie  ente 
Por  partir  à  lor  laborage.    r  iQ^^i^i 
Bien  doi  à  ce  torner  m'entente 
Que  je  en  si  chier  tens  ne  sente 
De  si  grant  famine  la  rage.  » 

Toute  sa  cogitacion 
A  torné  en  sa  vision , 
Tout  son  cuer  li  a  esméu 
De  paor,  d'amiracion. 
Quant  est  en  recordacion 
Que  il  a  si  grant  fain  eu 
Por  le  gent  fruit  qu'il  a  véu; 
Or  a-il  bien  apercéu 
Par  ceste  démonstracion 
Qu'avarisce  l'a  décéu, 
Quar  il  n'avoit  onques  eu 
De  povre  miséracion. 

Moult  a  bien  cil  preudom  despons 
Du  jardinier  le  biau  respons, 
Lors  bat  sa  coupe  et  dist  :  «  Hélas  ! 
Moult  me  monstre  bêles  résons; 
Ma  grant  durté  est  achoisons 
Qu'ainz  ne  me  fist  del  fruit  solas. 
Droituriers  Diex ,  vers  toi  sui  ma§. 


294  LE  VERGIER 

Par  cest  signe  que  doné  m'as, 
Donez  me  soit  li  tiens  pardons. 
Or  sai-je  bien,  je  n'en  dout  pas, 
Que  tu  rendras  à  droit  compas 
De  toutes  oevres  guerredon.  » 

Or  est  de  la  voie  senestre 

Cil  preudom  venuz  à  la  destre. 

A  confesse  va  moult  haslis 

Cil  qui  onques  mes  n'ama  prestre, 

N'onques  mes  confès  ne  veut  estrej^ 

Puis  servi  Dieu  humbles  et  pis, 

Et  fu  au  bien  fère  ententis 

Et  aus  povres  fu  volentis 

Et  larges  de  tout  bien  terrestre. 

Bien  s'aperçut,  bien  fu  soutis, 

Que  tesmoingna  li  biaus  courtis, 

Qu'aumosne  est  de  gloire  fenestre. 

«Hé  Diex!  dist-il,  ne  te  descorde 
Du  grant  péchié  qui  me  descorde 
De  toi ,  qui  trop  m'a  asservi 
Avarisce,  qui  tant  est  orde  ; 
Volenté  ai  que  m'en  destorde. 
Diex,  je  t'ai  lonc  tens  messervi, 
Onques  en  bien  ne  me  porvi, 
Ainz  ai  lonc  tens  à  mal  servi  ; 
Se  tu  me  rens  à  droite  acorde, 
Selonc  ce  que  j'ai  déservi , 
J'atent,  et  bien  l'ai  déservi , 
Jugement  sanz  miséricorde.  ». 


DE  PARADIS.  2<>5 

Qui  done  aumosne  il  se  desdete, 
Quar  aumosne  est  et  dons  et  dele; 
Mes  Diex  n'en  reçut  onques  une-, 
Ne  ne  cuidiez  qu'il  en  promete 
Guerredon,  s'ele  de  main  nete 
Ne  vient  et  de  nete  pécune. 
Qui  envers  son  proisme  a  rancune, 
Diex  voit  sa  conscience  brune, 
Et  por  ce  s'aumosne  dègete; 
S'aumosne  ne  vaut  une  prune  : 
Miex  li  vient  que  jà  n'en  doinst  une, 
Mes  là  où  ele  est  la  remeie. 

Ce  est  résons  aperte  et  nue, 
11  n'est  pas  droiz  que  je  desnue 
Un  homme  por  autrui  vestir, 
Quant  de  la  rien  que  j'ai  tolue 
Au  laborer  qui  le  desnue, 
Dont  je  li  faz  la  fain  sentir, 
Yueil  au  povre  le  ventre  emplir, 
Ce  est  à  dire  sanz  mentir, 
Oiez  coin  dit  parole  crue: 
Diex  vous  devez  bien  assentir 
A  ma  raûne  et  consentir, 
Quar  vostre  povre  la  menjue. 

Et  cil  qui  riens  tolir  ne  pensse 
Et  por  Dieu  done  sa  despensse 
Et  riens  n'a  fors  de  labor  droit, 
Mes  d'aucun  crieme  est  en  offensse,, 
Cuide-il  que  vers  Dieu  le  tensse 
Li  dons  que  li  povres  feroitt 


296  LE  VERGIER  DE  PARADIS. 

Fols  est  qui  sor  tel  gage  acroit, 
Cil  qui  en  tel  aumosne  acroît, 
11  encuse  Dieu  du  consensse, 
Ne  aumosne  vers  Dieu,  tant  soit 
Homme,  tant  comme  en  crieme  soit. 
Dont  livre  Diex  péchiez  à  censse. 

Bien  se  gart  chascuns  que  il  face; 
Onques  Diex  ne  torna  sa  face 
A  aumosne  à  crieme  meslce. 
Yoiz  l'omme  qui  siut  double  trace , 
Qui  la  lavie  au  bien  entrace, 
Qui  fet  sa  vie  entremeslée 
De  bien  de  mal  avironée, 
Ce  samble  verge  entrepelée  : 
A  nient  soit  qui  ce  fet  et  sache; 
Aumosne  qui  est  présentée 
A  Dieu  de  main  ensanglentée 
Ne  désert  pas  de  par  Dieu  grâce. 

Explicit  le  Vergier  de  Paradis  '. 


'  On  peut  comparer  cette  pièce  à  la  Voie  de  paradis ,  par  Rutebeaf , 
p.  24  et  suiv.  du  2»  vol.  de  ses  œuvres  ;  à  une  autre  pièce  sous  le  même 
titre,  que  j'ai  citée  dans  les  notes  du  même  volume,  p.  227  et  suivantes  ; 
enfin  au  Songe  d'enfer,  p.  384  de  mon  2»  vol.  de  Mystères  inédits,  au 
Salut  d'enfer,  p.  43  de  mes  Jongleurs  et  Trouvères.  Toutes  ces  idées 
sur  le  ciel  et  l'enfer  sont  d'autant  plus  curieuses ,  qu'elles  roulent  dans  le, 
cercle  de  celle  qui  donna  naissance  à  la  divine  comédie.  Voir  aussi  de  la 
Peine  d'Enfer,  plus  bas,  p.  304. 


ittoralités  sur  ces  sis  Utrs  : 

C'est  la  jus  c'on  dit  es  prés, 
Jeu  et  bal  i  sont  criés  : 
Enmelos  I  veut  aler, 

A  sa  mère  en  AQUIERT  GRÈS  : 

—  Par  Dieu,  fille,  vous  n'irés  : 
Trop  y  a  de  bachelers  au  bal  '. 

Ms.  428,  supplément  français,  Bibliothèque  Royale. 


Cis  prés  dont  je  vous  vueil  conter 
Qui  maint  home  fait  enchanter, 
C'est  li  mondes  qui  tous  eny  vre 
Ceaus  qui  à  son  gré  vuelent  vivre. 
Qui  siet  ou  val  de  ténébrour. 
Ou  val  d'angoisse  et  de  dolour. 
Ou  val  d'angoisse  et  de  tristece. 
Où  nus  n'a  parfaite  léece. 
A  droit  est  cis  mons  comparez 
Au  pré  qui  de  flours  est  parez  ; 

•  Il  y  a  dans  l'original,  en  tête  de  cette  pièce,  une  miniature  représen- 
tant un  personnage  qui  joue  du  flageolet  avec  une  main,  et  frappe  de  l'autre 
sur  une  espèce  de  tambour  de  basque.  Autour  de  lui  sont  quelques  jeunes 
filles  et  quelques  jeunes  hommes,  entre  autres  Eramelos  que  sa  mère  veut 
emmener.  Les  vers  qui  servent  de  thème  sont  rubriques  en  rouge.  La 
même  pièce  se  retrouve  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  Ms.  175  B.  L.  F., 
fol.  284  ;  la  miniature  y  est  reproduite  dans  le  C  initiai. 


298  MORALITÉS 

Car  aussi  com  li  prés  flouris 
Est  de  ses  flours  tost  desflouris, 
Autressi  lost  vierient  et  vont 
Toutes  les  choses  de  ce  mont. 

L'une  des  flours  si  est  ricliece 

Qui  lost  défaut  et  tost  désèche  : 

Hui  iert  li  hom  en  richelé 

Et  demain  iert  em  povreté 

Por  la  muableté  dou  monde, 

En  cui  tous  maus  keurt  et  liabonde. 

Des  richeces  parla  Davis, 

Li  sages  en  dist  son  avis. 

Quant  li  riche  ont  dormi  lor  songe, 

Lor  richece  mult  lor  alonge; 

Car  quant  ce  vient  à  l'endemain, 

Si  ne  truevent  riens  en  lor  main, 

Ne  sevent  que  c'est  devenu  j 

Ainçois  se  truevent  povre  et  nu, 

C'est-à-dire  k'après  la  mort 

De  leur  avoir  n'ont  nul  confort 

Se  lor  bienfais  ne  les  recuevre, 

Pour  ce  est  sages  qui  bien  enoevre. 

Biautez  est  l'autre  de  ces  flours. 
Qui  est  de  diverses  colours. 
Mais  tost  désèche  et  tost  défaut  : 
Biautez  de  cors  moult  petit  vaut, 
Biautez  fienset  nois  nous  ressamble. 
Car  la  noiz  la  puour  nous  emble 
Dou  fiens  quant  a  esté  sus  mise  ; 
Mais  quant  li  solaus  l'a  remise 


SUR  SIX  VERS.  299 


Tost  est  (lescouverte  l'ordure; 
Celé  biauté  moult  petit  dure, 
Aussi  est  de  biauté  de  cors 
Qui  si  est  plaisans  par  defors; 
Mais  quant  vient  une  fièvre  aguë, 
Qui  si  le  destraint  et  arguë, 
Taindre  le  fait  et  empâlir, 
Non  par  viellece  défaillir. 
Cis  est  fouis  qui  por  sa  biauté 
Pémaine  orgueil  ne  cruauté. 

La  tierce  flour  est  seignorie 
Que  li  hom  a  pour  sa  lignie, 
Dont  est  servis  et  honnorés; 
Mais  quant  vient  uns  petis  orés 
De  mort  ou  d'aucune  aventure, 
La  flour  en  sa  biauté  poi  dure; 
Car  petis  vens  la  fueille  enporte 
Quant  ele  chiet  sor  la  flor  morte. 
De  ces  prés  sont  teles  les  flours, 
ïlncor  en  y  a  de  plusours 
Dont  je  n'ai  pas  de  parler  cure 
Pour  ce  que  lor  biauté  poi  dure. 

Jeu  et  bal  i  sont  criés. 

Li  geu ,  li  bal  qui  crié  sont, 
Ce  sont  les  vanitez  dou  mont, 
Li  vice  et  les  maies  pensées 
Autressi  com  par  ban  criées; 
Car  chascuns  au  mal  faire  court 
Pour  l'anemi  qui  le  tient  court. 


300  MORALITÉS 

Autressi  com  par  ban  le  roi  : 
Trop  a  el  siècle  de  desroi . 

EnMELOS  I  VEUT  ALER. 

Enmelos  c'est  la  chars  humaiDc 

De  cui  chascuns  servir  se  paiue, 

Qui  veut  suivre  les  vanitez 

Et  les  grans  superfluitez 

Del  mont ,  de  boire  et  de  mengier. 

Qui  de  Dieu  le  font  eslongier. 

A  SA  MÈRE  EN  AQLIERT  GRÉS, 

Congié  requiert  d'aler  au  bal 
Enmelos,  qui  sel  tout  le  mal  ; 
Mais  par  devant  li  est  sa  mère 
Qui  li  samble  estre  trop  amère  : 
C'est  l'âme,  qui  si  est  contraire 
A  la  char  qui  ses  bons  veut  faire. 

Par  Dieu,  fille,  vous  n'irés. 

Par  Dieu,  fille,  n'irez  mie; 
Ce  seroit  trop  grant  folie  : 
Des  bachelers  y  a  grant  masse, 
Tost  vous  feroient  clamer  lasse. 
Savez  qui  sont  li  bacheler? 
Je  ne  le  vous  quier  pas  celer. 

Orguex  i  est  et  sa  compaigne, 
Qui  tous  les  maus  vices  ensaigne; 


SUR  SIX  VERS.  301 


Primes  fist  les  angres  péchier 
Orguex  et  dou  ciel  trébuchier, 
Puis  a  e1  mont  semé  maint  mal; 
Les  plusours  met  du  mont  ou  Tal, 
Les  plusours  a  fait  trébuchier 
Et  as  espées  détrenchier. 
De  lui  est  mauvais  H  amors, 
Par  lui  a  esté  mains  hom  mors; 
Si  le  doit  bien  chascuns  despire. 
Car  il  est  des  mauvais  li  pire. 
Vaine  Gloire  si  vient  après  : 
Ceste  est  sa  parente  de  près  ; 
Car  qui  de  l'une  est  entrepris, 
11  est  de  l'autre  tost  sorpris. 

Après  ceste  vient  Gloutenie 
Qui  le  mont  a  en  sa  baillie  : 
Ceste  fist  premerain  jadis 
Geter  l'onme  de  paradis, 
Quant  il  menja  le  fruit  mortal 
Par  quoi  sot  le  bien  et  le  mal , 
El  si  chéirent  en  servage 
Cil  et  celés  de  son  lignage, 
Et  furent  tuit  déshérité. 
Quant  Jhésu-Cris  par  sa  bonté 
Prist  en  laVirge  char  humaine 
Pour  nous  geter  de  celé  paine. 

Luxure  ceste  vient  après, 
Ceste  est  sa  parente  de  près  ; 
Ceste  fait  moines  renoiier, 
Ceste  fait  nonnains  desvoiier. 


302  MORALITÉS 

Geste  l'ail  foloier  les  sages, 

Geste  fait  guerpir  hermitages, 

Foloier  fait  clers  et  prouvoires 

Et  moines  blans  et  nonnains  noires; 

Geste  list  jà  toiir  la  vie 

David  home  de  sa  lignie, 

Pour  ce  que  ne  fust  percé  us 

Ses  avoltires  et  séus. 

Après  cesle  vient  Gonvoitise, 

C'est  celé  qui  louz  maus  atise; 

Gonvoitise  fait  usurer, 

Et  fait  faussement  mesurer, 

Gonvoitier  fait  la  mort  don  père, 

Perdre  l'enfant  amour  de  mère^ 

Et  fait  faire  les  larrecins, 

Les  roberies  es  chemins 

A  ceux  qui  ont  deniers  en  maie  : 

Gonvoitise  fu  tousjours  maie. 

Après  ces  cinq  que  j'ai  nommées, 
Ire  et  Hayne  i  sont  mellées  : 
Gestes  font  faire  desraisons 
Sans  droiture  en  toutes  saisons; 
Gestes  font  omecides  faire, 
Murs  abatre,  chastiaus  desfaire. 
Qui  iert  pris  en  lor  compaignie, 
Jà  n'aura  pardurable  vie; 
Gar  chascune  est  assez  mauvaise. 
Pour  ce  est  raisons  que  me  taise 
Des  bachelers  qui  vont  au  bal 
Qui  Enmelot  enortent  mal 
Et  qui  sa  mère  ne  veut  croire. 


SIR  SIX  VERS.  303 


Li  bacheler  li  font  acroire 
Tel  chose  que  ne  puet  paier, 
Et  si  li  font  tost  engagier 
Li  méismes  à  la  parclose, 
Quant  del'  monde  sera  forclose; 
Mais  s'ele  fust  bien  conseillie 
N'alast  pas  en  lor  conpaignie, 
Ains  créist  le  conseil  sa  mère, 
El  jà  soit  ce  que  trop  amère 
Li  samblast  estre  sa  doctrine; 
Mais  jusqu'à  un  poi  de  termine 
Li  muast  sa  mère  en  douçour, 
Car  quant  venra  au  derrain  jour, 
Que  Oiex  venra  au  jugement , 
Mais  nous  ne  savons  pas  comment, 
Ains  venra  sans  noise  et  sans  bruit 
Aussi  com  li  lerres  par  nuit. 

Or  prions  Dieu  luit  de  bon  cuer 
Que  la  char  ne  face  à  nul  fuer 
Chose  par  quoi  soit  tormentée 
L'âme  quant  dou  cors  iert  sevrée, 
Et  k'Enmelos  puisse  si  vivre 
Que  sa  mère  face  délivre 
Dou  feu  d'enfer  qu'ele  n'i  soit. 
Dites  amen,  que  Diex  l'otroil. 


ÎPe  la  |)nne  îï^€nfcr  ', 

Arundel,Ms.  288. 


A  Rome  en  la  haute  cité, 

Eu  lensseint  Eggon  li  beignuré, 

Esteit  une  inorine  si  vengûs 

Ke  apartement  morirenl  plusurs  ; 

Les  scentes  virent  de  ciel  venir 

Et  plusurs  gent  à  mort  ferir. 

Un  chevaler  al  heure  esteit 

Ki  en  Rome  dunke  maneit, 

Féru  fu  et  malade  giseit, 

Mes  il  qant  morir  deveit 

Sun  espirit  fu  mené, 

Ceo  lui  semble  pur  vérité  j 

Le  corps  vist  mort  apartement, 

Ceo  fu  avis  à  tote  gent , 

Mes  en  un  poi  de  houre  vivifia 

>  Ce  fragment  sur  les  peines  de  l'enfer,  qui  m'a  paru  curieux  à  cause 
du  rapprochement  qu'on  en  peut  faire  avec  certaines  idées  du  Dante,  est 
tiré  du  Manuel  nu  Péché,  en  français,  par  Robert  Grosse-Tête,  évêque  de 
Lincoln  vers  la  fin  du  13e  siècle,  et  qui  mériterait  à  plus  d'un  titre  d'être 
imprimé.  Voir  llabbé  De  la  Rue,  Essais  historiques  sur  les  Bardes,  les 
Jongleurs  et  les  Trouvères  normands  et  anglo  -  normands ,  l.  III, 
p.  107-114. 


DE  LA  PEINE  D'ENFER.  305 

Et  ke  veu  ont  merveil  cunta  : 

«  Jeo  vi,  dist-il,  un  pount, 

Et  l'ewe  desuz  mervaille  perfunt, 

Hiduse  et  neire  et  respuaimt , 

Du  regarder  oy  hidur  grant. 

L'ewe  esteit  aval  curant , 

Horriblement  fu  tut  alant. 

Utre  le  punt  esteit  un  pays 

Très-délicius,  ceo  me  fu  avis  : 

Verte  esteit  la  praerie, 

La  beulé  descrivre  ne  sai  mie; 

Trop  esteit  biel  flurie, 

Kar  plein  esteit  de  espiecerie; 

Tant  esteit  de  duz  odur 

Et  de  très-délitable  savur 

Ke  bien  os  dire  sanz  pour 

Ke  de  la  beauté  et  la  duçur 

Poet  un  hom  vivre  tut  jqr. 

Très-bele  gent  i  habiteyent 

En  mansiuns  ke  il  aveient, 

Beus  esteient  lur  mesuns, 

De  grant  noblece  et  riche  aturs; 

Aucunes  esteient  si  très-beles 

Ke  recunter  sereit  merveilles, 

De  merveilluse  grandur 

Et  de  très-bele  richiatur 

De  or  fin  et  de  mere^ 

Furent  les  uns  tyulez  ; 

Mes  saver  ne  poey  de  véritez 

A  ki  eles  esteient  si  aturnez. 

Sur  la  rive  de  l'ewe  hiduse, 

Ke  neir  fu  mult  merveilluse, 

II.  iO 


306  DE  L4  PEINE  D'ENFER. 

Acune  mesun  vi  fundez; 
El  une  niule  del  ewe  est  levez 
Ke  aciins  des  mesuns  ateigneit, 
Mes  aciins  ateindre  ne  poeit. 
Le  punt  dunt  jeo  vus  cuntai 
De  tiel  esproef  fu  et  tiel 
Ke  si  home  le  vout  passer, 
Si  de  piéché  net  ne  fu  primer, 
En  l'ewe  dunt  vus  ai  cunté 
Cheueit  plein  de  horriblilé; 
Mes  dreitures  et  nette  gent 
Passer  le  poeient  seu rement, 
Et  entrer  en  le  païs  joïus 
Ki  si  beu  fust  et  délitus. 
Un  prcstre  vi  passer  légiément 
Ke  puis  homme  entrer. . . , 
Et  tant  passa  plus  légiément 
Ke  sa  vie  amena  netement. 
Un  home,  dist-il,  ke  jeo  cunus  très-bien 
Ki  ne  esteit  mie  bon  crestien  , 
Ki  Pères  out  nun,  et  grant  bailiie 
Aveit  tant  cum  il  fu  en  viej 
Pené  le  vi  là  très-malement , 
En  l'ewe  puaunte  de  neire  gent  : 
Là  lui  viz-jeo  porter 
Une  grante  pesantime  de  fer 
Ke  en  l'ewe  li  fundra. 
Allas!  la  peine  k'il  aveit  là 
•       Mult  durement  desirei 
Saver  la  vérité  pur  quei 
Il  esteit  si  fortement  pené, 
Et  meintenant  me  est  cunté 


DE  LA  PEINE  D'EiNFER.  307 

Ke  siusce  jeo-bien  pur  ceo 

Esleit-il  si  malement  treilé 

Ke  il  mist  plus  sa  cure, 

Kant  deveit  fère  dreture, 

A  crueleté  ke  à  juslise  : 

Ceo  deveit  fère  en  nul  guise  ^ 

Et  en  fesaunt  jugement, 

Cruelement  trecta  la  gent. 

Ore  est  per  ceo  en  torment  5  * 

Deu  de  lui  prent  vengement. 

Un  altre  home  il  i  vi 

De  cel  punt  aval  pendi , 

Ki  Estephene  fu  renomé , 

En  Rome  maneit  en  la  cité; 

Kar  qant  le  punt  vont  passer, 

Del  pé  comensa  escriler 

Et  ver  l'ewe  aval  chaï , 

Ne  per  qant  par  le  punt  pendi; 

Diables  neires  del  ewe  muntèrent 

Ki  aval  par  les  quises  le  traièrent^ 

Mes  gent  de  très-grant  beuté 

Ver  mun  par  lez  braz  l'unt  saké  : 

Aucunes  al  moynes  fet  aveit 

Dunt  Deu  de  ciel  se  paeit;  ' 

Per  ceo  par  le  braz  l'unt  traîné 

Les  seinz  angles  Dampne-Dé; 

Mes  lécherie  oui  purchacé, 

Per  ceo  les  diables  l'unt  saké 

Par  les  quisez  ver  tormenz 

Dunt  asés  parlâmes  einz. 

Tant  cum  il  fu  en  tiel  tripel, 

A  me  revint  le  chevaler. 


308  DE  LA  PEINE  D'ENFER. 

Si  Estephene  fu  perdu  ou  sauvé 
Ne  sout  mie  bien  de  vérité. 
Por  ceo  vos  ai  ceo  rechercé 
Ke  chescun  home  seit  chastié 
En  jugement  fere  crueleté , 
Kar  ceo  est  grant  iniquité. 


Bu  ïloj  hi  at)0tt  mt  2lntie. 

Bibl.  Cotton. ,  Ms.  Julius  AV. 


Uns  rois  jadis  estait  qe  avait  un  amye, 

La  queie  plus  ama  qe  ne  fist  sa  vie, 

Ceo  apparust  bien  quant  per  gelusye 

La  mort  en  prist  par  lye  à  seison  eslablye, 

E  quue  out  close  en  un  chaustel  fort , 

Où  ele  out  assetz  de  solace  e  de  comfort. 

Là  vint  un  traïtour,  et  par  un  acord 

Ove  ly  4'amena,  si  fist  al  roy  grant  tort. 

Ly  rois  qe  fust  geluse  de  sa  chier  amye, 

Sont  qe  par  descort  ust  fet  la  folye; 

De  ly  se  vout  venger,  qe  fist  la  gylerye, 

E  celé  remener  qe  estoit  de  ly  fuie. 

Par  power  de  son  host  ust  hu  sa  volunté, 

Saunz  venir  à  bataille  à  chivale  ou  à  pée; 

Mes  pur  attreer  le  quer  de  celé  alossé. 

Par  soi  vout  desrener  son  drait  en  ly  clamé. 

Tant  fu  de  pruesce  son  noun  renomé 

Qe  sa  chevalerie  de  tyrant  fut  doté, 

Dont  jà  ne  ust  en  chaumpe  al  rois  encontre. 

Si  le  roy  les  armes  en  bataille  ust  porté  ; 

Mes  cointement  le  fist  ly  vaillaunt  chevaler, 


310  DU  ROY 

Car  il  prist  les  armes  un  son  bacheler, 

Qe  Adam  ont  à  noum ,  si  les  fist  router 

E  par  un  damoisele  se  fist  de  ceaux  armer.. 

Si  entra  en  la  chaumbre  celé  damoisele 

Qe  de  totes  altres  estoit  la  plus  bêle; 

Yl  entra  si  suef ,  saunz  noise  e  favele, 

Qe  nul  home  le  sout  fors  qe  sout  celé. 

La  damoisele  l'arma  de  mult  estraunge  armure:. 

Pur  aketoun  li  bailla  blaunche  chare  e  pure, 

Pur  cadice  e  cotoun  samik  mist  en  cochure, 

Pour  quissocz  e  mustilers  ly  dona  la  furchure, 

Pour  chances  de  fere  de  nerfs  mist  la  jointuro, 

Ses  plates  furent  de  os  qe  sistèrent  à  mesure, 

La  gaumbeysoun  de  say  la  pel  per  desur  : 

De  tôt  partz  assist  les  veynes  pur  urlure, 

Pur  bacyn  à  la  test  li  planta  anapele, 

Pur  l'alour  de  bacin  deeinz  mist  la  cervele, 

La  ventaile  del  hauberk  esteit  la  face  bêle, 

Qe  privément  en  chaumbre  lascea  la  pucele. 

Quant  ly  rei  fust  armé,  de  chambre  s'en  issist  j 

De  combatre  al  tyrant  fraunchement  se  perfist. 

Le  tyrant  bien  l'avisa,  si  le  out  en  despist , 

E  par  grant  engrées  dever  ly  roy  se  mist. 

Maint  dure  assout  le  tyrant  dunt  ly  fist; 

Et  le  duz  chevaler  un  poy  de  temps  suffrit,. 

L'autre  fu  ègre  et  taunt  le  surquist 

Qe  homage  e  service  du  chevaler  enquist. 

«  Avay!  sir  Belial,  tu  quères  grant  utrage, 

Dist  le  chevaler,  qe  fust  de  fere  curage; 

Unqes  ne  fust  oye  qe  serfs  de  seignuragc 

Par  poer  demandast  servise  e  homage. 

—  Où  est  ta  seignorye?  dist  ly  féal  tyrant;. 


Kl  AVOIT  UNE  AMIE.  311 

Unqes  ne  vi  roi  aler  pain  querant; 
Mes  i  pert  qe  soitz  de  linage  graunt; 
Par  ma  curtoisie,  si  voir  frei  taunt  : 
Rendez-vus  ore  à  moy,  e  jeo  vus  seiseray 
De  leres  e  tenementz  q'en  ma  baillie  ay, 
E  mes  en  ceste  vie  ne  vus  greveray, 
Par  si  qe  vus  facez  ceo  qe  dist  vus  ay. 

—  Uncore  di  Belial ,  uncore  vus  di  fi; 
De  tere  ne  tenement  rien  ne  vus  pri  : 
Pur  ma  chier  amye  su-jeo  venu  ci , 
Qe  vus  m'alevasles,  dont  jeo  vus  défi. 

—  M'avez  ore  défié,  dist  sire  Déliai, 

De  ceo  jour  en  avant  vus  garderay  puer  maie; 

Asseetz  ore  un  jour  ou  pople  comunal , 

Poés  veer  la  bataille  en  monlaigneet  en  vale.  » 

Le  jour  fu  assis  par  un  venderti 

Et  leu  fu  pris  en  un  mount  auxi 

Où  le  chevaler  de  socn  enemy 

Dessevrer  dust  s'araie  cum  promis  oit  à  ly. 

Au  roi  fust  amené  un  cheval  sojorné, 

De  quatre  maner  de  pail  si  estoit  vené  : 

De  cypresce  fu  le  corps,  de  cèdre  le  pée; 

S'eschine  fu  de  olive,  de  palme  haut  cryné, 

E  ly  rois  mounla  tout  à  son  apu  de  gré. 

Pour  monstre  q'il  out  dreit  en  chose  chalengé. 

Sa  sele  fu  trop  dure,  et  moût  l'ad  anguisé; 

Mes  pour  l'amour  s'amye,  la  payne  a  ublyé. 

Ly  tyraunt  environne  le  roi  de  son  host , 

Li  roi  ben  apercent  lour  bobance  e  lour  bost, 

La  baner  de  ces  braz  encontre  eaux  desclost, 

E  boute  avant  l'escu  qe  a  haï  tôt  cel  host. 

Son  esku  fu  blaun^,  cstencellé  de  goules, 


^12  DU  ROY 

Au  chef  sa  coronne  de  verges  cspinouses, 
Blieue  la  bordure  ouf  quatre  signes  custuses, 
En  un  leu  la  fountayne  que  les  veines  eikoscs; 
Un  heaume  out  à  la  teste  de  chenus  rubrichez, 
Un  hauberk  endose  des  corgez  maellez , 
Un  espei  enpoigne  de  un  clok  de  fère  forgez  ; 
E  lalaunce  de  pacience  fort  ben  ferrez. 
Ly  tyrant  le  regard,  si  out  grant  dédeigne, 
E  le  roi  le  suffrist  travailler  en  vaine, 
Ne  n'  attendist  houre  de  lever  la  raayne , 
L'autre  le  surqueit  de  malencolye  pleine; 
Si  donc  au  roi  du  launce  e  perce  ses  escu  ; 
Le  coupe  fu  si  fort  dont  ad  le  roi  féru 
Qe  sine  lues  de  corps  saune  ad  espandu  : 
Lors  quide  l'autre  avoir  le  roi  vencu. 
Fort  fu  cel  estour  quant  si  assemblèrent , 
Qe  la  tere  trembla  e  peeiss  debrrèrent. 
La  gent  de  tôt  partz  le  roi  tant  surquèrent 
Ke  tôt  à  la  mort  en  chaumpe  le  lessèrent. 
Cy  poet  l'em  dire  où  estoit  son  host 
Qe  dust  au  roi  entendre  encontre  l'autre  host? 
La  vus  respondrai  bravement,  à  un  mol: 
Yl  out  si  ordené  qe  nul  luy  fust  decost , 
Car  soûl  volait  avoir  l'amur  de  s'amye, 
Qe  soûl  emprist  pour  ly  tel  mescheve  sans  aye; 
Si  altre  li  ust  aidé,  lors  fust  départye 
L'amour  entre  plusours  qe  soûl  ad  déservye. 
Par  tant  se  mist  soûl  li  rois  encontre  touz , 
Et  pour  ceo  qe  soûl  se  mist  encontre  multz, 
Le  tyrant  qiiide  veincre  le  chevaler  pruz; 
Mes  il  par  sa  prucsce  si  les  venquist  touz. 
11  lieva  sa  launce  qe  suffraunce  est  dist, 


KIAVOITUNEAMIE.  313: 

L'un  main  au  lyraunt  plainement  tollist, 
L'autre  mayn  par  vaidie  le  mist  en  respit 
Tant  q'il  ust  parfait  ceo  qe  il  establist. 
Par  tant  ne  lessa  mie  ly  très  malvais  leer  : 
Tôt  droit  par  la  cote  prist  le  chevaler, 
Trestot  l'a  desciré  devant  e  derère; 
Jà  pour  ceo  ly  rois  ne  chaunga  sa  cher. 
Quant  la  cote  estrange  du  roi  dégisé 
Par  la  main  au  tyrant  fu  ci  desciré,        .; 
Lors  estoitly  rois  desuz  bien  armé, 
Eu  jà  amour  demeyne  qe  ensi  est  devisé, 
De  joye  e  de  vie  tut  droit  quartilé. 
De  puissaunce  e  de  saver  e  de  draitur  frelté, 
En  le  chef  un  santour  de  haut  dignité, 
Une  bende  en  belif  de  immortalité. 
Quant  ly  tyrant  le  vist  qe  ceo  fu  ly  rois, 
Lors  out  le  corage  trop  à  maleois; 
11  le  out  vu  avant  en  son  grant  palais 
Et  conisçoit  son  power  e  les  droit  laïs. 
Luy  chaitif  s'en  fuist  à  grant  confusioun , 
E  ly  roi  descendist  en  un  bas  dongoun. 
Là  trouva  s'amie  en  grant  chaitivesoun, 
Qe  mercy  li  requist  de  sa  mesprisoun. 
«  Sire,  dist-ele,  mercy,  chevaler  allosé^ 
De  cest  lase  cheitif  prenge-toi  pilé, 
Yeo  ai  tant  mesfait  encountre  voslre  grée 
Ne  vus  ose  regarder  de  hounte  enfronlé; 
Vus  me  faistez  riche  là  où  povre  cstoi , 
De  robe  me  veslites  qe  valusl  qe  sai , 
La  curtoisi  fu  voslre,  la  vilanic  fu  moy 
Quant  ouf  le  tyrant  alai  de  vus  ma  vai , 
Sus  en  voslre  verger  où  jadis  manai. 


314  DU  ROY 

Par  un  faiise  clef  le  tyraunt  quist  sa  pray, 

Entra  en  parole,  e  tant  me  donay 

Qe  à  ly  m'asenty  par  promesse  de  nobleye: 

Ouf  ly  m'en  aloi  à  mal  houre  le  mien, 

Qe  si  tost  cum  enlroi  la  tere  qe  clayme  soen, 

En  prison  si  me  mist,  si  cora  vus  veez  bien  : 

Unqes  pus  ne  avoi  solace  ne  joye  de  nul  rien. 

Genlyl  quer  de  roi,  mcrcy  vus  requerj 

De  ma  foie  emprise  me  volez  pardoner.  » 

Doucement  respounl  ly  curloise  chevaler  : 

«  E  jeo  le  vus  pardonne  fraunchement  de  qoer, 

Vus  me  avez  costé  mut  chier  huy  cest  jour  : 

Turs  fitz  pour  peer  entra  teel  estour, 

Puis  qe  vus  ai  conquis  par  saune  e  suour, 

Ne  vus  pores  refuser  en  aieiez  de  moy  socour. 

Si  vus  avez  hount  de  auncien  folye, 

Ore  vus  afiez  en  ma  gelousie, 

Quant  pur  l'amour  de  vus  abaundon  ma  vie, 

Pur  vus  remener  qe  estaitz  de  moy  fuie. 

Regardez  ma  face  com  est  demagie, 

Regardez  mon  corps  cum  est  pour  vus  plaïe; 

Avisés  mon  escu  cum  est  deverdilé, 

E  ne  quidez  jà  qe  soiez  refusé. 

Jadis  vus  donay  fiance  en  privé, 

Seulement  ma  amye  fustes  dount  nomée; 

Mes  ore  ma  espouse  serrez  appelle; 

Detouz  qe  seventesaverontdelasollerapneté.  » 

Lors  prist  ly  roi  sa  espouse  de  prisoun , 

Si  Pameigne  ouf  ly  en  bon  salvacioun. 

«  Demorés,  dist-il,  cy  une  bref  seisoun, 

Tant  com  jeo  relhorne  pour  mener  vus  à  mesoun^ 

E  qe  soiez  plus  sure  encontre  li  adverser, 


Kl  AVOITUNEAMIK.  315 

Vers  vus  retenez  en  lu  de  baner 

Ma  chenns  de  Chartres,  ma  mort  amer, 

E  ceo  vus  sauvera  du  diable  emcombrer; 

A  l'entré  de  la  port  mon  destrcr  alouez , 

A  l'entré  de  la  chaumbre  mon  escu  pendez, 

Enprès  de  vostre  sit  ma  launce  fichez; 

Si  n'avérez  garde  de  ma  adversitez; 

E  si  vus  gardez  bien  ceo  qe  cy  vus  doun, 

E  me  volez  amer  si  cum  voet  résoun, 

Jeo  vus  fra  rayne  e  porterez  corun, 

En  ma  riche  tere  qe  tu  vus  abaundoun; 

E  quant  vostre  mené  ert  tôt  assemblé 

A  vus  revendroi  en  tens  bien  seisoné, 

Si  vus  amèneroy  à  ma  grant  cité, 

Où  vus  troverez  solace,  tôt  biens  à  plenté.  » 

Jeo  prie  Dieus  nostre  rois,  chevaler  alosée 

Qe  conquist  en  bataille  tôt  humayne  ligné,. 

Nos  garde  nuit  e  jour  du  tyraunt  maufée 

E  nos  meigne  en  joye  entre  sa  mesné. 


Amen. 


Bts  IpréloB  qui  sont  0r]ettîrroit  '♦ 

Ms.  de  la  Bibl.  harléienne  HOl. 


Voir  vous  dirai  des  prélas  d'ore 
Qui  les  mains  lor  argenté  et  dore. 
Provandes  à  doubles  et  trebles 
Qui  puet  doner,  inult  set  de  verbes; 
Bons  chantres  est,  bons  orguenislres, 
Bons  avocaz  et  bons  légistres. 
Et  toute  set  devine  page. 

»  Ce  fragment  est  tiré  d'un  gros  volume  de  vers  contenant  des  miracles  de 
Notre-Dame,  autres  que  ceux  de  Gauthier  de  Coinsy.  Je  lui  avais  déjà  em- 
prunté pour  mon  édition  de  Rutebeu  fia  légende  de  Théophile  qui  se  trouve 
àsonSlSeTeuillet,  après  des  chansons  en  l'honneur  de  la  Vierge. Cet  ouvrage 
est  postérieur  à  Gauthier  de  Coinsy,  qui  est  nommé  en  ces  termes  à  la  fin 
du  prologue  : 

Qui  près  de  moi  se  voudra  traire. 

Dès  ore  mais  m'orra  retralre 

Con  sont  gentil  et  biau  li  treit 

Que  la  soutil  mère  Dieu  tret . 

La  mère  Dieu  qui  est  la  lime 

Qui  tout  cscure  et  touteslime, 

Es  curer  doint  et  eslimcr 

Por  ses  miracles  biau  rimer 

La  langue  Gautier  de  Quensi 

Qui  por  s'amor  coumence  issi  : 
Aini  c''ouvrir  veille  le  grant  livre 
Qui  tant  me  donne  et  tant  me  livre,  etc. 


/ 


/ 


DES  PRÉLAZ.  3i7 

Avoirs  fait  de  mult  petit  page, 
D'une  froncine,  d'un  rabot 
Qui  graindres  n'est  d'un  cabot, 
Un  grant  seignor,  un  grant  déein  : 
Qui  ne  m'en  croit,  se'san  croie  en. 
Avoirs  fait  bien  ,  par  saint  Fiacre, 
Trésorier  ou  arcediacre 
D'un  crapodel,  d'un  limeçon 
Qui  ne  set  lire  une  leçon, 
Et  chanteor  de  haute  esglise 
Tiex  qui  n'a  pas  sa  gamme  aprise  ; 
Tiex  ne  set  mie  encor  a  bé 
Qu'à  nous  fera  encore  abé. 
Avoirs  fet  bien  tel  prevost  fère 
Et  tiex  prieus  qui  ançois  fère 
Fait  son  graïl  que  son  grael. 
Avoirs  ne  vous  en  feroit  el  ; 
Qui  a  argent  qui  a  avoir, 
Qant  qu'ircovoite  ampuet  avoir. 
Covoitiez  est  partout  argent , 
Et  loing  et  près,  partout  art  gent; 
Plus  donc  argenz,  plus  donc  avoirs 
Que  bone  mors  n'est  pas  savoirs. 
Avoirs  fet  mes  les  granz  prodomes; 
Es  granz  chaières,  es  hauz  trônes, 
Les  riches  boute  et  antronise; 
Avec  les  riches  autorise 
Et  fait  monter  en  ce  sol  fal 
Tiex  soufier  ne  set  soufal 
Gui  fait  monter  en  delà  sol 
Tiex  ne  conoist  le  la  dou  sol , 
Tex  ne  conoist  lou  fa  dou  mi 


318  DES  PRÉLAZ 

Qui  ne  set  pas  à  ré  bé  mi , 
Cui  avoirs  fait,  se  Diex  me  saut, 
Chanter  si  bel  et  si  bien  haut 
Deus  foiz  ou  trois  monte  sa  game 
Et  chante  outre  nomme  dame. 
Avoirs  set  plus  par  cuer  qu'an  livre. 
Si  sain  piz  a  et  si  délivre, 
Si  clère  voiz  et  si  l'a  saine 
Qu'il  chante  cler  come  seraine. 
Li  riches  chante  richement 
Et  li  povres  si  povrement 
Q'an  ne  puet  nés  oïr  sa  voiz  : 
Povre  fonteine  a  povre  doiz. 
Li  las  qui  proesce  ancors  bat 
Se  la  voiz  resamble  cor  bat , 
Ne  puet  chanter  qu'il  ne  descort 
Que  tuit  si  chant  sont  de  descort. 
Cler  son  ne  puet  randre  sa  corde 
Puis  que  richesce  s'an  descorde. 
Povre  homme  son  tuit  nesciant, 
Touz  tans  lor  voiz  vient  à  noiant. 
La  voiz  au  riche  touz  tans  monte, 
Si  montanz  est  que  lot  sormont« 
Et  trespasse  toute  musi  que  : 
Li  povres  a  le  piz  muisique 
Veoir  ne  puis  en  nul  endroit 
Cornant  il  puist  chanter  à  droit  ; 
Tant  a  la  voiz  pesanz  et  maie, 
Quant  cuide  monter,  si  avale  5 
De  haut  monter  assez  se  poine, 
Mais  il  n'i  set  mètre  tel  poine 
Qui  monte  en  jusc'an  ce  fauz  ; 


QUI  SONT  ORENDROIT.  319 

Toz  tans  revient  an  gamauz, 
Ne  puet  monter  nés  en  a  ré, 
Et  s'il  fet  tant  qu'il  mont  degré. 
Trante  anz  porroit-il  estre  là 
Ainçois  qu'il  mont  ou  sol  n'ou  la. 
N'est  nul  prélaz,  se  chanter  l'ot, 
Que  jà  son  chant  ne  sa  voiz  lot; 
Sa  voiz  lor  est  tornée  en  eigre  ; 
Se  riens  li  douent,  c'est  dou  meigre  : 
Lor  dons  ne  sont  graz  n'enburré, 
Car  il  sont  mais  tuit  anbarré 
Qui  d'avoir  n'a  chargie  et  cure. 
.  Des  povres  clers  prélaz  n'ont  cure 
Qui  ne  sevent  encor  qu'est  âme. 
Einsi  prélat,  par  Nostre-Dame, 
En  enfer  les  âmes  avalent. 
Cil  qui  plus  sevent  et  plus  valent , 
D'âmes  curer  ne  s'antremetent, 
Car  li  prélaz  arriers  les  metent, 
Et  Iret  sont  avant  et  sachié 
Cil  qui  l'avoir  ont  ansachié. 
Prélaz  voit  mes  toz  bestornez  : 
Puis  c'ai  vers  aus  mon  bec  torné, 
Si  durement  les  cuit  béchier 
Qu'il  n'auront  gaires  lor  bec  chier, 
Por  ce  qu'il  nos  vont  débéchant. 
Se  d'aus  néant  en  mon  bec  chant , 
Ce  sera  certes  par  bé  dur, 
Car  vers  aus  resgart  et  bé  dur. 
Ne  voi  évesques  n'abé  mol  : 
Chanter  n'en  doit  par  uns  bémol. 
A  promettre  ont  les  langues  moles, 


VIO  DES  PRÉLAZ 

Au  doner  plus  dures  que  moles; 
Aus  povres  clers  pou  s'amoloicnt , 
Mais  les  riches  dur  et  moloient. 
Nostre  prélat  aiment  miauz  tien 
Que  clergie  ne  biau  maintien  ; 
Tant  par  ont  foies  consciances, 
De  bones  muers  et  de  sciances 
Qu'il  ont  apris  se  par  clergie, 
Où  il  ont  mis  toute  lor  vie, 
Font  les  ultimes  questions. 
S'apelez  aus  élections 
Fust  li  douz  Rois  de  paradis, 
Einsi  corn  il  ière  jadis, 
A  eslire  les  preudesomes 
Corne  l'an  faisoit  les  personnes, 
Encor  fist-il,  n'en  doutez  pas. 
De  Martin  et  de  Nicholas, 
Des  confessors  et  des  sainz  homes; 
Mais  refuser  sovent  véomes 
Le  bon  por  lou  baretéor. 
C'est  par  Simon  l'anchantéor, 
Qui  touz  les  déçoit  et  anchante. 
Et  par  ce  nus  nul  bien  n'en  chante; 
Car  puisque  Diex  n'est  à  l'eslire 
N'en  puet  nul  bien  chanter  ne  lire. 
Diex  i  est  mais  boutez  arrière, 
Se  's  met  à  force  en  sa  chaière 
Li  fors  simoniaus  Simons; 
Et  puisque  Diex  n'i  est  semons 
Et  il  n'ordanent  lor  afère, 
Santir  ne  puéent  ne  bien  l'ère  : 
Quant  simonie  les  ordane. 


QUI  SONT  OREIN DROIT.  321 

Lor  vie  est  orde  corne  orde  ane. 

Ne  jà  encor  n'iert  ordonée 

Puis  que  la  croce  est  or  donée. 

Vis  est  lor  vie,  orde  et  reborse 

Quant  nés  à  Dieu  copent  sa  borsej 

Il  sont  larron ,  et  je  lor  pruis 

Par  l'Esvangile,  où  je  le  truis; 

€e  nos  dist  Diex  en  l'Esvangile 

Oue  lierres  est  et  plains  de  guile 

Et  d'oustraige,  si  fait  naerveille 

<)m  par  l'uis  n'entre  à  ses  oreille  (sic), 

Fet  mult  grant  tort  au  bon  Dé, 

Ouant  il  l'a  outre  abondé. 

Par  ces  n'est  pas  mes  mercenaires, 

Car  des  âmes  ne  lor  est  guaires, 

îVe  jà  n'amendera  le  leu 

Einz  s'an  fuit  lues  qu'il  voit  le  leu; 

En  nul  amor  bien  ne  fait  puis. 


En  chardonaus  douçor  n'a  point. 
Que  chardonaus  en  chardons  point. 
"Volantiers  pas  vers  chardon  n'ail , 
Non  fais-je  voir  vers  chardonaiL 
Cil  qui  me  donc  aus  chardonaux 
Poignant  trueve  comme  chardon  aux. 
Li  chardonal  tout  escliardeonent 
Les  eschars  qui  dons  eschars  donentj 
Maint  prodome  ont  enchardoné. 
Chardonal  sont  en  char  doné, 
Por  ce  poignent  corne  chardon 

IL  21 


322  DES  PRÉLAZ 

ToHZ  ces  qui  donenl  escliar  don. 

Qui  le)  chardon  \iant  ampoignier,  \ 

Si  li  amplise  lou  poignier, 

Hui  li  amplise  les  deus  poins. 

Des  chardonaus  n'est  mie  poinz 

Qni  sovent  donent  granz  poigniées.... 

Dont  afrontée  est  sainte  Esglise, 

Tant  par  sont  plain  de  covoilise 

Et  de  tout  panre  sont  si  aigre 

Que  le  gras  vuelent  et  le  meigre, 

Et  les  croûtes  et  la  miete; 

Bien  i  parut  à  Damiette  '  : 

Li  chardonaus,  li  ronge-Diex , 

La  nos  toli,  ce  fut  granz  diex. 

Trop  covoiteus  sont  li  Romain: 
Qui  sovant  lor  amplist  la  main , 
Qanqu'il  mant  fait,  bien  le  sachiez, 
L'apostoiles  est  mes  sachiez 
Cil  qui  plus  donc  et  qui  plus  sache  : 
Tout  en  englout  Rome  et  ansache. 
Rome  nous  ret  totes  les  mains, 
Rome  set  tout,  et  plus  et  meins; 

»  Allusion  à  la  reprise  de  Damiette.  Pour  plus  de  détails  sur  tout  ce  qui 
foncernc  les  expéditions  d'outre-mer  dont  parlent  les  trouvères,  on  peut 
consulter  mes  notes  sur  Rutebeuef  et  diverses  pièces  de  mon  Rapport  au 
ministre  (Paris,  1838,  in-8").  De  même,  pour  ce  qui  concerne  les  diffé- 
rents Dits  relatifs  aux  professions  du  moyen  Age,  on  peut  rapprocher 
également  de  ceux  qui  se  trouvent  dans  ces  deux  volumes,  le  Dit  des 
Feures ,  le  Dit  des  Boulengiers,  le  Dit  des  Tabureors  que  j'ai  donnés 
dans  mes  Jongleurs  et  Troutières, enfin  ceux  des  Changeors ,  des  Cordon- 
niers, des  Tisseranz,  des  Bouchiers,  des  Cordiers,  imprimés  à  la  suite 
de  ma  publication  intitulée  Lettre  au  Directeur  de  l'Artiste,  touchant  le 
S/s.  de  la  Bibliothèque  de  Berne  n"  354  (Paris,  1838,  brochure  in-8"). 


QUI  SONT  ORENDROIT.  323 

Rome  est  si  plaine  de  manjue 
Que  toz  ses  manibres  démanjue; 
Tout  le  monde  masche  et  deringe  : 
N'est  mervoille  se  sovent  pleittge 
Sainte  Esglise  tout  environ, 
Car  en  Rome  a  povre  aviron. 
Cil  l'angignent,  cil  la  fauvoient. 
Cil  la  plungent  et  cil  la  noient. 
L'apostoiles,  li  chardonal 
Et  li  prélat,  li  gov^rnal 
De  seinte  Esglise  doivent  estre; 
Mes  covoiteus  en  sont  chevestre. 


Le  patremoigne  au  Crucefis 
Vandent  mes  tuit ,  ce  est  grant  diex! 

A  ces  donent  doubles  provendes 
Qui  ne  sevent  ior  nés  mouchier. 

Je  voi  les  preus,  je  voi  les  sages, 
Qui  volantiers  déserviroient 
Les  provandes,  s'il  les  avoient. 
Et  si  n'em  pueent  mie  avoir; 
Einz  les  ont  cil,  par  leur  avoir. 
Qui  n'aiment  Dieu  ne  ne  le  servent^ 
Ne  Ior  provandes  ne  déservenl. 
Oui  provande  a  sanz  déservir, 
Il  ne  puct  Dieu  plus  aservir; 
Qui  sa  provande  bien  désert, 
Diex  est  à  lui  et  si  l'an  sert  : 
Diex  est  ses  clers  et  ses  vicaires. 
Se  Diex  m'aïst,  ne  voi  mais  guaires 


3^4  DES  PRÉLAZ 

Qui  les  (léscrvent  bien  à  droit; 
Il  sont  plus  joint,  il  sont  plus  droit, 
Plus  acesmé,  plus  alignié, 
Et  plus  poli  et  plus  peignié 
Que  robardel  et  damoiselles. 
Granz  destriers  à  dorées  selles 
Chevauchent  mes  li  damoisel 
Et  font  mes  tuit  queue  d'oisel , 
El  jeune  et  viel  tuit  font  par  ban 
La  paelele  et  lou  boban. 
Tant  par  sont  mais  de  fier  afaire 
Ne  daignent  lor  corones  faire; 
Ne  sont  mie  plain  de  savoir 
Que  honte  ont  grant  d'onor  avoir  : 
Par  les  corones  s'ont-il  famé. 
Tiex  est  issuz  et  nez  de  famé 
Qui  tant  est  fiers,  bien  le  puis  dire, 
Qu'il  ne  daigne  chanter  ne  lire. 
Je  conois  tel  qui  a  tel  cuer, 
Pus  chante  au  bois  ne  fet  au  cuer. 
Je  conois  tel  qui  pas  n'antonne 
Tant  au  mostier  com  an  la  tonne; 
De  Dieu  servir  tuit  se  recroient. 
"Si  sont  cointe  qu'il  ne  se  croient 
En  lor  esme,  par  saint  Richier, 
Sont  plus  cointe  que  chevalier. 
11  sont  mes  tuit  et  duc  et  conte; 
Il  ont  grant  damage  et  grant  honte 
Quan  qui  que  soit  clers  les  apele. 
N'entrent  en  moustier  n'en  chapele 
Por  oraison  ne  por  prière, 
Einz  vont  an  bois  et  an  rivière, 


QUI  SONT  ORENDROIT.  32îfe. 

Et  comportent  desor  lor  moufles 
Les  crietes  et  les  escoufles. 


11  ont  de  roi  les  palefrois 

Et  les  coupes  d'or  et  d'argent; 

Et  tu  avec  la  povre  gent 

Dou  pain  demandes  à  lor  porte  : 

ïu  méismes  à  aus  reportes; 

Mais  ne  te  vuelent  recevoir,  etc.  ' 


>  Les  reproches  que  fait  dans  cette  pièce  le  trouvère  aux  prélats  sont; 
eommuns  dans  les  poètes  du  moyen  âge.  Ces  trois  couplets  d'une  chansoD». 
tirée  du  Ms.  1162  nous  en  fournissent  un  nouvel  exemple  : 

Ma  douleur  veil  alégier  en  chantant  ; 
Or  me  doint  Diex  grâce  de  bien  chanter. 
Il  m'est  avis  que  un  chascuns  s'entent  : 
Hui  est  le  jour  de  chascun  enchanter  ; 
En  barétant,  décevant  et  mentant  , 
Vient  li  frères  le  frère  soiipplanter  : 
Vérités  faut,  que  nul  ne  la  soutient. 

Nostre  prélat  sont  bien  enparenté  ; 
Leur  cousine  est  chascime  qui  enfante, 
Tantost  leur  sont  li  enffant  présenté, 
Et  li  plus  près  si  prent  la  meilleur  rente. 
Ainsi  sont  hui  li  lignage  planté, 
Quar  en  ce  met  clergie  toute  s'ententc  ; 
De  tel  plante  avons  trop  grant  planté. 

Tuit  se  painnent  de  deniers  emmasser  : 
Clerc  et  lai  sont  de  ce  bâton  féru. 
L'un  pour  gaster,  l'autre  pour  entasser^ 
Ne  jà  n'en  n'iert  as  povres  secouru. 
Les  chevaliers  ne  veil  pas  trespasser  ; 
Bobans  a  si  tout  parmi  eus  couru. 
Que  tretuit  ont  plungié  en  ccstuiru. 


Bi  la  £t\mm  ti  ht  la  IJjr, 

Ms.  de  la  Bibliothèque  harléienne  2253. 


Femmes  à  la  pye 
Portent  compagnye 
En  mains  et  en  mpurs, 
Escotez  vous  dye 
En  quele  assoeye 
11  tenent  amours. 

La  pie  de  costume 
Porte  penne  e  plume 
De  divers  colours, 
E  femme  se  délite 
En  estrange  habite 
De  divers  atours. 

La  pie  ad  longe  colke 
Qui  pend  en  la  boue 
Pur  la  pesancie, 
E  femme  fet  la  folke 
Plus  long  que  nule  coup 
®e  poun  ou  de  pyc.. 


DE  LA.  FEMME  ET  DE  LA  PYE.  327 

La  pie  est  jangleresse 
E  nullement  cesse 
De  mostrer  où  ele  est, 
E  la  femme  par  son  us 
D'assez  jangle  plus  : 
Issi  nature  r'est. 

Par  jangle  de  la  pie 
Un  vient  à  tromperie 
De  gopyl  et  de  chat; 
Femme  par  parole 
Meynt  homme  afole 
E  ly  rend  tôt  mat. 

Vous  trouverez  la  pie^ 
Si  pleyne  de  boy  die 
Que  ele  se  garde  bien; 
Mes  la  femme  passe 
La  pie  en  celé  grâce, 
Quar  ele  ne  doute  rien^ 

La  pie  en  arbre  haut, 
En  freit  et  en  chaut, 
Prent  soun  repos, 
E  femme  velt  reposer 
En  hautesse  de  cuer 
Et  désyre  los. 

La  pie  quant  ele  grève 
Countre  son  mary  lève 
E  l'enchace  de  ly, 
E  femme  de  grant  cuec 


328  DE  LA  FEMME 

Son  baroun  por  tencep 
Ffet-ele  autresy. 

Pour  icele  guyse, 

Je  lou  que  un  se  avyse 

Avaunt  qu'il  soit  mary. 

E  nequedent  la  pye 
Soun  compaignoun  espye^ 
De  quel  part  s'en  va  ; 
Ç  la  femme  aussy 
Espie  son  mary 
Par  gelosie  qu'ele  a. 

La  pie  par  yre 
Les  gardins  empire 
Par  braunche  debraserj 
E  en  femme  corocée 
Rien  serra  celée 
Quant  ele  se  puet  venger. 

Hom  dit  que  la  pie 
En  sa  nature  crye  : 
Il  nous  viegnent  gestes; 
E  la  femme  puet  dire 
A  soun  mary  :  Syre, 
Par  moi  aurez  blestes. 

La  pie  suet  niusser 
Quanque  ele  puet  gayner 
En  un  privé  lu, 
E  la  femme  se  porvcit 


ET  DE  L4  PYE.  329 

Avant  qe  ele  vidue  seit 
Dount  ert  sustenu. 

Bien  déusl  la  pie, 
Que  qe  nus  en  die, 
A  feme  estre  chère. 
Puisque  leur  vie, 
Par  tiele  compaignie, 
Acordent  en  manère. 


Ms.  de  la  Bibl.  harléienne  2253, 


Quy  femme  prent  à  compagnie 
Yerez  si  il  fet  sens  u  folye; 
Qy  en  femme  despenl  sa  cure 
Orez  sa  mort  et  sa  dreilure; 
Quy  femme  eyme  e  femme  qiet, 
Sa  mort  brace,  sa  mort  beyt; 
Qy  coveyte  ou  femme  preyse 
Sa  mort  queit  e  nulle  eyse. 
Sauntz  pris  e  sauntz  loer  se  vend 
E  fet  la  lace  dount  se  pend  ; 
Cui  ces  vers  ad  en  remenbraunce, 
Yl  doute  femme  plus  qe  launce. 
,  Femme  est  racyne  de  tous  maus, 
I  Femme  engendre  ires  mortaus, 
;  Femme  déciet  bons  amys, 
'  De  deus  frères  fet  enemys  ; 
Femme  départe  le  filz  del  père,. 
A  force  le  toud  de  sa  mère. 
Femme  par  sa  fauce  parole 
Blaundist  le  lionmc  c  pois  le  afôlc; 
Femme  afole  les  plus  sachaunlz , 
Les  plus  riches  fet  payn  (fucraunlz 


DES  FEMMES.  331 

Femme  fet  bataille  e  guère, 
Occyre  genlz,  deslruire  terre, 
Ardre  cbastiels,  fondre  cités. 
Femme  débrise  fermetés. 
Femme  fet  prendre  les  tornois, 
E  fet  fere  tos  les  desrois; 
Femme  fet  fere  les  merleez, 
Treire  cotels  et  espeez  ; 
Femme  fet  cbastiels  graventer, 
Cbevalers  e  serjauntz  anuyer, 
Femme  fet  mune  de  ordre  issir 
E  le  service  Dieu  guerpyr  ; 
Femme  engendre  en  poi  de  boure 
Dount  tote  la  contrée  em  ploure; 
Femme  est  jolyf  per  ly  démostrer, 
F'emme  est  lyoun  pur  dévorer, 
Femme  est  gopil  per  gent  déceyvre, 
Femme  est  ourse  per  cous  receyvre, 
Femme  est  fotere  por  tous  prendre, 
Femme  est  ostour  per  preie  atteindre. 
Femme  est  esperver  per  baut  voler. 
Femme  est  bobel  per  baut  mounter, 
Femme  est  beyroun  de  suef  payl, 
Femme  est  plus  aspre  que  chamail , 
Feme  est  cbyval  de  grant  luxure, 
Femme  est  dragoun  de  grant  arsure,  ' 
Homme  langour  ne  conoistroit 
Se  femme  à  compaigne  ne  avoit. 
Femme  est  fontaigne  desouz  vayc 
Que  tôt  recet  e  tôt  abaye. 
Femme  est  taverne  que  ne  caul 
Qui  qe  vine  e  qy  qc  vaut; 


332  DESFEMMKS. 

Femme  est  enfern  qe  tôt  receit, 
Touz  jours  as  seif  e  tous  jours  beit. 
De  femme  ce  est  la  nature, 
Meynz  la  créez  corne  plus  jure; 
Femme  n'ert  jà  prise  provce 
Si  desouz  l'om  ne  soit  trovée; 
Femme  est  léger  come  le  vent, 
Cent  foiz  le  jour  chaunge  talent; 
Mes  quy  vodera  femme  joyr, 
Je  ly  dirai  sauntz  mentyr, 
Qu'il  ly  donast  poy  à  manger 
E  mal  à  veslir  e  à  chaucer, 
E  la  batist  menu  e  souvent, 
Donqe  fist-il  de  femme  son  talent. 
N'est  mie  sage  que  femme  quiet, 

I   Mère  ne  suere,  qui  qe  seit; 

'   Car  ly  sage  Salemoun ,   - 
Qi  de  sen  out  graunt  renoun , 
Qe  plus  sage  de  ly  ne  fu. 
Par  sa  femme  fust  esté  desçu  ; 
Ausi  fust  Sampson  forcyn. 
Car  femme  par  son  engyn 
Tôt  en  dormant  il  perdy 
Ce  dount  fust  si  enforci.    , 
En  femme  est  molt  mal  veysyn  , 
Car  l'empereour  Constantyn 
Out  par  sa  femme  tiele  liountage, 
Car  ele  cocha  par  folage 
Ou  le  naym  de  lède  liguurc. 
Si  come  lion  me  treove  en  escripture. 
E  ly  bon  myrc  Ypocras,  ^ 
Qui  tant  sa  voit  de  médicyne  artz, 


DES  FEMMES.  333 

Fust  par  sa  femme  desçu  ; 
Ceslc  chose  est  bien  aparéu. 
Por  ce  vos  dy  tari  e  matyn  : 
Gardez-vos  de  femel  engyn  ; 
Nul  homme  piiet  à  chief  trère 
Taunt  ad  en  femme  mal  affère. 
Plus  ne  vueil  de  femmes  parler  : 
Chescun  se  gard  de  eux  à  son  poer, 
E  je  vos  dy  lot  saunlz  fable  : 
Femme  scet  d'art  plus  que  le  deable  '. 

'  On  voit  par  les  nombreuses  satires  que  nous  avons  déjà  publiées  sur 
les  femmes  que  le  moyen  âge  n'épargnait  guère  le  beau  sexe.  En  voici  une 
très-courte,  en  latin,  insérée  par  M.  Halliwell  dans  ses  Reliquœ  an- 
tiquœ,  d'après  le  Ms.  Ee  .11.  de  la  Bib.  pub.  Cantab.  :  Quid  est  mulier? 
—  Amiciliœ  inimica;  ineffugabilis  pœna ;  necessarium  malitm.  Natti- 
ralis  temptatio;  desiderabile  calamitasj  domesticum  periculum;  de- 
lectabile  detrimentum  ;  mali  nota,  boni  colore  depicta;  janua  diaboli; 
via  iniquilatis ,■  scorpionis  perciissus  notitiumque  genus  femina.  Ex  eis 
ab  initio  aucupatum  est  peccaium. 

Quoique  nous  ne  craignions  point  d'être  accusé  de  partager  les  senti- 
ments exprimés  dans  les  deux  pièces  qui  précèdent,  nous  n'avons  pas 
moins  jugé  à  propos  de  les  faire  suivre  du  Dit  des  Femmes,  comme  juste 
correctif. 


£e  Bit  bes  iFcmmes. 

Ms.  de  la  Bibliotlièque  harléienne  2253. 


I     Seignoiirs  e  dames,  ore  escotez 

Ce  qe  vus  dirroi  l'enlendez  ; 

Quy  le  vodra  entendre, 

Grant  bien  il  purra  aprendre. 
S      A  comencement  de  ma  résoun , 

De  femmes  fray  mon  sermoun, 

Si  vus  dirra  en  escripture 

De  lor  bounté  e  de  lur  nature  : 

MoU  lur  avyent  bel  aventure 
-Puis  que  Dieu  les  fist  par  grant  eure, 

Le  no  un  de  femme  lur  dona   ^ 

Pur  sa  mère  qe  taunt  a  ma,    ^ 

E  pur  ceo  fist  bones  et  pleynes  de  bounté 

E  bêles  sauntz  iniquité  : 
r  Avenauntes  sunt  e  de  bêle  porture, 
y      !  Bien  afey  tés  e  de  grant  mesure  ; 
I  De  amer  gent  est  lur  nature, 
^De  fère  eux  joie  e  enveysure.    " 

Femme  est  la  plus  douce  rien 

Qe  unqe  fist  Dieu ,  ce  di-je  bien  j  - 

/fous  les  espieces  de  cest  mount  ^ 


LE  DIT  DES  FEMMES.  335 

Ne  siint  si  duces  corne  femes  snnl.  L 

Gyngyvrc,  suqe  ne  lycorys,    c 

Ne  tous  les  espieces  de  Paris, 
1-     Certes  galingal  ne  mas, 

N'est  vaillaunt  à  femme  un  pygas. 

De  fenie  plus  savoure  un  beiser  < 

Qe  plein  poyn  de  lorer, 
T  Eles  sunt  gentiles  à  démesure,  - 
'^^  ^     iGreeles,  bien  fêtes  par  la  seinture, 
^^  /  E  tous  jours  sunt  de  bêle  chère, 

Devaunt  la  gent  e  derère; 

En  eux  ne  trovera-um  taunt  ne  quant,- 

Fors  granl  joie  e  bel  semblaunt, 
T,        1  E  reheitent  grant  ou  bêle  enveysure, 

De  folie  fère  n'en  ount  cure. 

Jà  ne  verrez  femme  foleier; 

Ne  fust  de  homme  le  bel  parler, 

Jà  ne  freit-ele  folement , 
^'  Ne  fust  de  homme  l'enchantement; 

Mes  tous  jours  remeindrent  vergines. 

De  netteté  fuissent  totes  pleynes; 
^  !  Mes  um  les  bosoigne  tous  jours 
\  Per  aver  de  eux  lur  amours. 

E  eus  par  grant  preière 

Receyvent  sovent  encombière  '. 

•  LeMs.  1132,  Suppl.  franc.,  fol.  23  v,  attribue  aussi  les  fautes  dc9 
femmes  aux  maris  en  ces  termes  : 

Tant  de  diirtés  diverses  leur  monstrent  à  voir  dire 
Que  maintes  bonnes  famés  font  faillir  en  l'empire 
Et  emboiirser  telz  choses  et  mettre  en  lirenlirtr 
Qui  à  un  grans  besoing  pourroient  bien  soulïire. 
Quant  dame  Katerine  voit  la  preuve  dant  Joce 
Qui  pour  Tainour  sa  famo  ne  donne  une  beloce 


336  Lli  DIT 

Qui  à  eus  mesfet  ou  mesdit, 
Jà  ne  serrount  mie  ou  Die  eslit; 
Jà  Dieu  ne  eyme  qe  femme  het, 
Qi  nulle  enchesoun  trover  set; 
ÎN'est  clerc  taunt  aperceyvaunt 
Ne  nul  autre  taunt  vaillaunt, 
Qe  femmes  vueillent  blâmer. 
Ne  rien  countre  eux  desputer, 

^       S'il  ne  soit  de  vileyne  natioun; 
Per  ce  ne  dient  si  bien  noun. 
Grant  amour  à  ly  attret 
Cely  qe  honour  à  femme  fet; 
Ly  gentil  ne  les  despyt, 

(,o     Ne  vileynie  de  femme  dit. 

Dieu  ayme  femmes  bonement, 
Ataunt  corn  il  fet  la  gent , 
Pur  sa  douce  mère  Marie, 
Par  qy  recovré  est  la  vie; 
6S  \  Dounl  chescun  doit  honorer 
I  E  femmes  sur  tous  preyser. 
I  Dieu  les  fist  par  grant  leysij* 
(  Per  servyr  gentz  à  pleysyr ; 

Pur  ce  les  doit-um  loer 
^v  E  en  nul  point  despiser; 

Car  de  femmes  sunt  gent  eslret, 
E  suef  nory  de  lur  let  : 


Si  doute  que  le  sien  ne  li  face  autel  noce. 
Si  li  refait  souvent  d'autel  fust  tele  croce... 

. . .  Les  famés  sont  diverses  et  li  homme  félon  : 
Pour  ce  s'entr'aimcnt-il  des  amours  Guenelon 
Agnès  n'aime  Hubert ,  non  fait  Per  rot  Bclon  ; 
11  ont  non  fol-si-fie,  s'a  droit  les  apclon. 


DES  FEMMES.  337 

Roys,  countz  e  barouns, 

Evesqucs,  frères  qui  fount  sermouiiz  , 
ns     Prestres,  raoygnes  et  abbés,  -^ 

De  femmes  sunt  engendrez; 

Par  femme  est  le  siècle  sustenu , 

Molt  avauncé  e  molt  qrévju 

Si  femmes  ne  fuissent  verromenl, 
g^  Cest  siècle  ne  vaudra  nyent. 

Jà  ne  fust-il  lée  en  cuer 

Que  ne  sarroit  femme  amer. 

Qy  à  femme  fet  vyleynie, 

Dieu  ly  doynt  maie  vie. 
&r  4-^emme  est  la  plus  précieuse  chose 

Que  le  mound  ad  enclose. 
^^..^Je  aym  femme  sour  tote  rien , 

Car  yl  me  ount  fet  grant  bien; 

Je  ay  femme  ou  le  cors  gent , 
^^    De  mon  cuer  lui  faz  présent. 

De  femmes  vienent  les  pruesses, 

Les  honeurs  e  les  hautesses; 

Tote  bounté  e  duy  merye, 

Dount  m'est  avis  qu'il  fet  folye 
5Ç   Qe  de  eux  se  fet  bayer; 

Jà  ne  ly  verrez  bien  chever  : 

Ceux  qe  à  femmes  mesdirrount, 

Jà  bone  fvn  ne  averount. 

Nul  homme  deit  de  eux  menlyr, 
ifio  S'il  en  duissent  molt  soffryr. 

Certes,  pur  rien  qe  femme  fra , 

Peyne  deseur  ne  verra  , 

Quar  Dieu  lur  ad  doné  le  doun 

Qe  eles  ne  verront  si  bien  lioun. 

II.  2<2 


338  DES  FEMMES. 

'■^^      M'est  homme  qe  soit  de  femme  néez 
Qe  tous  siet  dire  lur  bountez  : 
Je  n'ai  mie  dit  la  centisme  part, 
Mes  molt  lolie  matin  e  lart. 
Ne  say  dyre  ne  penser 
La  grant  bounté  de  lur  cuer; 
Mes  à  Dieu  comaund  femmes  bêles, 
Ensement  lotcs  pucelcs, 
E  tôles  femmes  qe  sunt  nées 
A  Dieu  soient  comaundéez. 


mP 


Bu  bon  ÛJiUittm  £on^t$fct  \ 

Bibl.  Cotonn.,  Ms.  Jiilius  AV. 


Ce  fust  ascis  en  Babilone  à  la  quarame  pernant 
Ke  od  le  roi  Louys  alat  o  son  host  mut  graunt 
Q'un  chastel  de  Babilone,  Musoirc  est  nomée , 
Ke  louz  jours  en  peinime  sera  renomée 
Pur  le  rois  qe  fust  prins  en  celé  chevachce 
Et  les  alts  chivalers  ky  furent  de  sa  meignée, 
Et  ly  counle  de  Artoise,  sire  Robers  li  fers, 
Ceo  fu  par  son  orguile,  tant  fu  surquiders, 
Et  meinz  altres  esquiers  et  pruz  chivalers, 
I  perderunt  la  vie,  tant  urunt  desturbers. 
Et  moint  homo  vaHaui  i  avoit  dunqe  oscis, 
Et  ly  bon  Willam  Longespée  li  chivaler  liardiz. 
A  le  quarame  pernant  del  incarnacione 
Mil  et  deus  centz  qarant-noef  aunz  premme 
Quant  le  count  de  Artoise  dust  passer  le  flumc 
En  1ère  Egipte  et  Babiloine  et  od  ly  meint  home, 
E  ly  meistre  du  Temple  od  tôt  sun  graunt  pocrs, 
Le  vailant  count  Willam  et  ses  chivalers 

•  Guillaume,  comte  de  Salisbury,  petit-lils  de  la  belle  Rosemonde  et  sur- 
nommé ion^rue-^spee  à  cause  de  ses  exploits,  partitavecle  comte  de  Leicesler 
et  200  chevaliers  anglais  pour  partager  les  périls  de  Saint-Louis  en  Terre- 
Sainte.  Lors  de  la  bataille  de  Mansourah ,  n'ayant  pu  faire  entendre  les  con- 
seils de  la  prudence  au  frère  du  roi  Robert  d'Artois,  qui  allait  compromettre 
l'armée,  il  se  précipita  au  milieu  des  Sarrasins ,  cl  périt  à  la  tête  des  siens 
après  avoir  vaillamment  combattu.  (Histoire  des  Croisades.)  Cette  pièce, 
dans  le  manuscrit ,  n'a  pas  de  litre  ;  on  lit  seulement  en  tête  les  deux  vers 


suivants 


Ky  vodra  de  duel  et  de  pité  oier  très-grant 

De  bon  William  Longespée  ly  liardy  conibatant. 


340        DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE. 

Assaillerunl  les  herberges  à  Sarazins  malurcz 

Ki  dehors  la  Musorie  furent  herbergez. 

Meint  i  avoit  Sarazin  illoqe  dunqe  osciz, 

De  tut  pars  les  herbegez  furent  asailiz  ; 

Kar  les  krestiens  les  unt  ateinz  et  huniz 

E  de  lur  espées  trenchant  détranché  touz  vifs. 

De  treis  mil  Sarazins  et  cinque  centz  e  plus,  à  mun  quider, 

Ke  furent  illoqe  ateinz ,  ne  pout  nul  eschapper, 

Fust  monté  ou  à  pée,  ne  fust  si  fort  e  fer 

Ke  ne  perdist  la  teste  saunz  plus  losenger,  g 

Ffors  dedenz  la  Musoire  qe  dunqe  aveint  entré, 

Castel  fort  bien  warni  et  très  ben  estoré. 

Dedenz  fust  ly  soldan  qe  par  Mahun  out  juré 

Ke  gr^nt  desturber  freit  cel  joure  à  la  kristienté. 

L'ost  des  kristiens  ert  remès  arère, 

ijy  t«v.^„^  ^„  Temple,  chivalers  e  frère, 

E  ly  count  de  Artoise  desplcïe  sa  Dauei  e, 

Illoqe  vont  demoreren  mesme  la  rnanère, 

E  ly  count  Longespée,  hardy  et  pruz, 

E  ly  gens  de  provynce,  chivalery  n'estuz  , 

E  ly  count  de  Flaunders  à  pé  et  chival  muz, 

Sunt  illoque  demoré  à  reposere  touz; 

Délacèrent  lur  heumes,  pur  eaux  aventeir, 
Atirer  lur  armes,  leur  chivaux  provender, 
Deisunt  lur  mesmes,  mult  aveint  graunt  mesler 
Tant  aveint  combatu,  n'ont  talent  juer; 
Conseillunt  ensemble  cornent  vodreint  ovcrer  : 
S'il  deveint  alere  avant  ou  illoq  demorer. 
En  dementers  ceaux  qe  vodreunt  gagner 
Turnerunl  à  les  herberges  et  troverunt  graunt  aver, 
Mult  plus  qe  ma  lange  ne  sache  démustrer; 
De  or  et  de  argent  troverunt  grant  plenté, 


DU  BON  WILLIAM  LOISGESPÉE.        341 

Plus  qe  pourent  porter  qant  fust  assumé. 

Une  gent  conseilerunt  tôt  pleinerement 

Demorer  jesqes  à  tant  qe  q'il  avreint  plus  de  gent, 

K'il  puissent  aler  plus  assuraient 

Le  Musoire  prendre  et  aver  à  talent, 

Quar  mult  aveint  le  jour  ben  espleité, 

Sarasinz  oscis,  de  lur  herberges  chacé, 

Chevaux,  armes,  or,  argent  wainé. 

Et  Sarasinz  oscis,  décopé  et  détranché. 

Et  si  Dieu  plest  de  gloire,  le  mâtine  ont  pensé 

Le  Musorie  aler  plus  près  qant  lur  gent  unt  assemblé. 

Dist  H  count  de  Artoise  :  «  De  folie  parlez , 

Nus  ne  qreum  Sarazin  de  mère  soit  nez. 

Nous  prendoms  le  chastel  tôt  à  noz  voluntez, 

U  il  serunt  oscis  qe  leinz  serunt  trovez. 

En  cel  manère  le  porrums  tuz  avérez.  » 

Dist  li  meislre  du  Temple,  li  bon  chevaler: 

«  Mult  serreit  profitable  ici  demorer, 

Nos-mesmes  reposer,  noz  nafrés  médiciner. 

Et  noz  sire  le  roy  outre  congé  passer, 

Et  nos  entor  li  irestouz  herberger. 

Et  de  touz  partes  le  chastel  de  nos  ost  asséger. 

En  démontre  les  gines  le  roi  porum  adresser 

Pur  abatre  meisons  et  murs  aquasser, 

Et  li  soldan  prender  od  tod  sun  grant  poer  ; 

Jà  mur  ne  meison  ne  lur  avéra  mester 

Q'il  ne  soint  démangiez  od  espiez  de  asser  : 

En  cel  manère  les  porrums  touz  aver. 

Nos  avon  mester  de  repos,  nos  avoms  tra valiez; 

Per  Dieu  de  glorie,  bien  avoms  espleitez  ; 

Honuré  soit  le  roi  Jhésu  qi  si  bien  nos  ad  eadiez, 

Saunz  li  n'ussums  ren  conqis,  il  en  soit  honurez.  » 


342        DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE. 

Dist  count  de  Ârtoisc  :  «  Avoi  !  dan  Templer, 

ïotes  ures  pelé  de  los  volez  od  nos  porterj 

Yos  dussez  par  rcson  avant  touz  aler, 

Doner  altre  cnsample  de  bene  travailer.  » 

Li  meislre  du  Temple  respount  cortoisement  : 

«Pelé  delok  ne  portumsnent,  ceo  sevent  bone  gent  ; 

Jà  ne  serrez  si  prest,  ore  vus  alez  ent , 

No  seoms  le  priraers,  si  le  verrez  cornent.  » 

Dist  le  count  Longespée  :  «  Overoms  sagement. 

Sarazins  sunt  fel  e  lins  e  félouns  genlz; 

Li  meistre  dist  son  avis  et  mult  savement , 

Ke  mult  scet  de  guerre  et  bien  nos  aprent.  » 

Dist  li  count  de  Artoise,  qe  mult  fust  surquiders: 

«  S'en  poez  eslre,  Engleis,  icel  conseilers-, 

Ne  lerroms  jà  per  voz  ditez  ne  par  voz  deners, 

Qe  n'irroms  qère  Sarazins  par  tere  e  par  mers.  » 

Dist  le  count  Longespée,  qe  fu  touz  jours  légers, 

Qant  il  oïl  le  mot ,  tôt  li  changa  le  qoers  : 

«  Ore  vous  tirez  mainetenant,  qar  jeo  vois  monlcrs; 

Jà  ne  serrez  si  prest,  jeo  serra  li  primers 

De  launce  e  d'espée  encontre  les  ennemis  fors.  » 

Lacèrunt  lur  heaumes  e  lur  chapeaus  de  fer. 

La  Musoire  voleint  prendre  e  le  soldan  aver, 

Par  le  conseil  li  quens  de  Artoise  qe  fu  surquider. 

Le  meistre  du  Temple  broce  le  chivaux , 

Et  le  count  Longespée  dépli  les  sandaux; 

Il  sunt  les  primers,  il  erunt  mult  vaillauns, 

Et  enterunt  la  Musoire  com  lur  propre  estais; 

Qant  il  furent  dedenz  entré,  si  com  pocut, 

Les  Sarazins  les  portez  touz  les  gardèrunl, 

Et  touz  en  la  Muzoirc  estretemcnt  gaiièrunl. 

Pur  oscir  les  krisliens,  si  fùrc  le  poenl , 


DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE.        343 

Lessèrunt  chaier  les  portez,  qe  très-bien  fu  gardé; 

Si  unt  trestouz  les  kristiens  dedenz  les  murs  fermé; 

Devant  eaux  fu  le  flum  parfimde,  longe  e  lée, 

Derère  la  porte  colice,  qe  très-bien  fu  barré, 

D'ambe  pars  les  murs  de  haut  père  tailé. 

Sarazins  de  lotes  pars  les  unt  environé 

Des  arcs  trators  reddes,  des  dars  envenomé 

Et  d'espées  longes,  de  bone  ascer  furbé, 

Et  des  gros  pères  qe  urent  assez  plenté. 

Dunqe  les  Sarazins  à  noz  doneient  graunt  colé 

Et  les  vileins  par  jur  qe  ensemble  à  gros  pères  alèrenl, 

Et  des  marteaux  pesaunz  les  noz  esqassèrent; 

A  noz  firent  graunt  damage  e  ren  esparnièrent, 

Pur  les  asauz  des  kristiens  qe  les  asailèrent, 

Les  unt  dedenz  asailli  e  lur  graunt  poere, 

Si  Dieu  ne  prenge  cure,  ore  unt  graunt  mestere  : 

Trestouz  plenèrement  ne  porrunt  eschapere 

Saunz  eaïde  de  Dieu,  qe  tôt  poet  governere. 

En  mileu  de  Musorie  hy  ad  une  chimine  graunt, 

De  la  porte  jesqes  à  la  flume  tôt  avalant; 

Là  se  combatent  les  chivalers  vaillant  : 

Meint  teste  de  Sarazin  le  jour  i  funt  senglant. 

Li  count  de  Artoise  sor  son  graunt  destrer 

L'eschel  de  sa  launce  perça  le  primer; 

N'avoit  qore  ne  corage  plus  demorer. 

Tant  fu  fort  asailli  de  fer  e  d'asser. 

Le  primer  q'il  encontra  à  tere  fisl  tumber, 

Puis  s'en  torna  vers  le  flum,  si  s'en  voit  najer. 

De  ceo  qe  li  quens  fist  plus  ne  vos  soi  dire;         ^ 

Sa  aime  est  en  enfern  en  graunt  marti/o. 

Li  meistre  du  Temple  Willam  fust  nomé, 

De  Inunce  se  contint  noblement  e  ben  ferrist  d'épée; 


344        DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE. 

De  Turcois  e  des  anieircux  forment  fu  naufré. 

Per  ceo  entre  les  Sarazins  graunt  crei  est  levé, 

Bon  qidèrunt  les  Sarazins  aver  csbaï, 

Mes  mult  fu  pruz  e  vaillante  de  qore  hardi  ; 

Mist  la  maine  à  l'espée,  qe  très-bene  fu  furbi  : 

De  treis  Turcois  haute  gentz  abati  le  crie, 

Qe  entre  les  amireux  bien  furent  oï  : 

De  l'espée  trenchaunt  les  fendi  par  mi. 

Un  Sarazin  vint  curant ,  qo  léger  fu  à  pée  ; 

Porta  un  cutel  en  sa  maine  que  fu  envenimé, 

Hausa  la  coveter  de  son  chival  armé, 

Si  le  dona  graunt  coup  à  la  destre  coslé. 

Li  meistre  senty  mult  ben  qe  malcment  fu  naufré, 

Si  voleit  ferir  un  amirel  qe  mult  fu  renomé; 

Soen  chival  li  failli ,  qar  à  la  morte  est  liveré  : 

Le  chival  chet  à  tere,  li  meistre  remist  à  pée; 

Un  frère  vint  curant  qe  ben  fu  munté, 

Bailla  à  meistre  son  chival  qe  très-bien  fu  armé; 

Li  meistre  munta  vistement,  unqes  ne  fu  si  lée, 

Et  prist  sa  launce  en  sun  poin  d'asser  bien  ferré, 

Curt  à  un  ameirel  sur  un  féraunt  munté, 

Parmi  le  corps  li  feri ,  ne  pout  aver  duré  ; 

Le  corps  chet  à  tere,  sa  aime  prist  le  maufé  : 

De  Dieu  soit-il  beneit  qe  tiel  coup  ad  doné. 

Le  chival  recuili  par  la  reine,  le  frère  apela 

Qe  oreinz  qant  il  fu  à  pée  si  bien  li  munta. 

Le  frère  mist  pée  en  estru  e  munta  le  féraunt , 

Ceo  vit  un  pain  félun,  si  vint  traversaunt, 

Parmylecorps,  desuzlebras,  limcsirespéetrenchaunt, 

L'aime  enport  seinl  Michel  en  parays  chaunlant. 

Où  serra  en  glorie  od  Jhésu  tout  puissant. 

Ly  meistre  brocha  son  chival  qe  fort  est  e  léger, 


DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE.        345 

Curl  à  un  amirel  qe  mull  est  fel  e  fer; 

A  la  kristiene  gent  ont  feet  desturber 

Et  unqor  fra  si  y  poet,  mes  n'en  ara  jà  poer, 

Et  li  mestre  li  féri  de  sa  launce  reddenient, 

En  fausa  ses  armes  tôt  plenièrement, 

Encontre  le  piz  l'asena  tôt  dreitement  : 

Freit  morte  li  abati ,  ceo  virent  plus  de  cent. 

Un  Sarazin  vint  curant,  son  ami  très-cher, 

Un  amirel  félun  qe  out  à  noun  Beder; 

Od  launce  red  son  ami  voleit  venger, 

Si  voleit  le  meistre  parmi  le  corps  doner; 

Mes  le  Longespée  ne  vont  plus  demorer  : 

Ly  et  sun  grant  chival  fist  à  1ère  tumber. 

Curt  à  cel  amirel  un  chimin  tut  pleiner, 

Li  coup  la  teste  e  si  remen  le  destrer; 

De  li  fu  le  meistre  très-ben  aqité. 

Avant  curt  son  chival  joins  e  lée; 

Un  Sarazin  le  seui  od  un  dart  envenomé, 

Si  fist  le  meistre  un  plaie  qe  fu  large  e  lée. 

Le  meistre  senti  mult  bien  qe  à  la  morte  fu  naufré; 

Curt  à  les  herberges,  où  furent  herbergé, 

Confès  et  repentaunt  e  acumené 

Morut  tut  en  haste,  saunz  plus  demoré; 

Sa  aime  fu  richement  à  Dieu  présenté. 

En  celé  eschele  fu  oscis  sire  Roberd  de  Yer, 

Qe  mult  fu  pruz  e  hardi  e  vaillant  chivaler; 

Desuz  li  fu  osciz  sun  cheval  léger  : 

A  pée  reraist  à  tere  li  bon  chivaler. 

11  eslut  près  un  mur  e  combati  mult  forte, 

Diz-set  Sarazins  entre  ly  jurent  mort, 

Et  d'espée  les  oscist  qe  bon  fu  e  trenchant  : 

Ben  lur  mustre  le  jour  qe  pruz  fu  e  vaillant. 


346         DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE. 

Tant  ad  combatu  à  pée  qe  ne  pout  avant; 

Là  murra  son  corps,  sa  aime  à  Dieu  chantant. 

Ore  lerrouns  de  touz  ceaux,  si  diroms  avant 

De  li  hardi  chivaler  les  meiliir  combatant 

Qe  par  la  kristienté  puis  le  temps  Rolant 

Ne  combati  en  armes  chivaler  vaillant  : 

Ceo  fu  le  count  Longespéc,  qe  mult  fort  combati  j 

Avant  ceo  q'il  fu  mort  mult  cher  se  vendi  : 

Il  passa  une  altre  eschele  e  altre  sinqe  od  lui, 

Avant  qe  vint  le  vcspre  martire  se  rendi. 

linTempler  fu  le  primer,  sireWymound  fu  sun  noun , 

0  le  count  Richard  fu  qant  il  ferma  Scalon; 

Illoqe  fu  resceu  frèr,  de  ceo  avoit-il  le  noun  : 

Sa  pruesse  le  fist  nomer  sireWymound  deScaloun. 

E  sire  Roberd  de  Widele,  ke  mult  vaillaunt  fu , 

E  sire  Rauf  de  Henefeld  pcr  la  grâce  Dieu, 

Qe  maint  Sarazin  oscist  d'espée  moulu; 

N'i  oui  Sarazin,  ke  si  hardi  fu , 

Qe  en  champ  le  entendit  taunt  out  do  vertu  : 

Mi  sire  Alexander  Giffard  li  pruz  chivaler, 

Qe  touz  fu  en  armes  vistes  e  léger; 

Ceo  apparust  à  un  jour  qant  voleit  profiter, 

Prendre  congé  à  Sarazins  par  eaux  encumbrer. 

Sire  Johnc  de  Brelain,  sun  chivaler  nori, 

Qe  esleit  de  Rohan  e  vent  de  Normandi, 

Qant  sun  seingneur  dust  eaider  cum  seingneur  doui, 

En  le  flum  tanttost  se  mist,  ne  se  rendi, 

Avant  chivachèrunt  mult  très-durement; 

Avant  qe  furent  mors  oscierunt  plus  de  cent  : 

Des  Sarazins  firent  mult  martircmcnt. 

Chccun  curt  à  un  amirel  de  qor  hardiment, 

Mors  les  abatèreut,  ne  vaut  nul  garnement. 


DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE.        347 

Per  la  mort  amireaux,  grant  cri  est  levé, 

Les  Sarazins  solders,  la  gent  maluré, 

Manacent  férement,  par  Mahun  unt  juré 

James  n'aveerunt  repose  jesqes  soint  ben  vengé. 

Sarazins  y  furent  derer  e  devant, 

E  donèrent  grant  coleis  à  la  gent  vaillant, 

E  il  fererunt  arer  ne  mi  com  enfant, 

0  espées  de  asser,  qe  furent  mult  trenchanl, 

Qar  lur  launces  des  pessé  en  garant. 

Ferm  tendèrent  ensemble  li  bon  chivaler; 

Checun  près  altre  solom  lui  poer; 

Qantqe  poaint  atendre  firent  demorer 

Mort  ou  détrenché  saunz  nul  merci  aver. 

Les  kristiens  vount  les  Sarazins  chasaunt 

Com  leverers  freint  bestes  vers  le  boiz  fuant  ; 

Entour  ses  sinqe  chivalers  sunt  environez, 

Un  grant  ost  des  Sarazins,  de  gent  eschumengez. 

Des  chivaux  e  des  armes  ben  sunt  estorez; 

Qant  veint  les  chivalers,  mult  sunt  esmaez. 

Sire  Alexandre  Giffard  dit  à  son  seingneur  : 

«  Sire,  q'est  tun  conseil,  par  le  Dieu  amor, 

De  celé  ost  des  Sarazins  qe  nos  veint  entor  : 

Dewom  cy  demorer,  ou  fuer  de  poour?^» 

Ly  count  respoundi  dunqes  de  moult  hardi  qor  : 

«  Issi  deist  jescun  de  nos  sa  pruesse  mustrer; 

Jà  com  les  chênes  les  irrum  enconlrer. 

Pur  l'amor  Jhésu-Krist,  ci  volumes  dévier; 

Pur  l'amor  Jhésu-Krist  venims  en  cest  tere, 

Noslre  héritage  par  pruesse  conqere. 

Celé  joie  célesliene,  pur  nul  altre  affere 

Ci  ne  venims  détenir  ost  ne  nule  guère. 

Mes  sire  Alexandre  GifAird,  si  vos  poez  eschapcr, 


348         DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE. 

Vos  qe  gardez  mes  bienes  e  estes  m  un  chivaler, 

Entre  mes  gentz  si  départez  mun  aver, 

Qe  ma  aime  soit  resceu  en  joie.  Tôt  primer, 

Donez  à  povres  religions,  pur  moi  cliaunterunt, 

E  à  povres  Engleis  q'en  le  ost  corabaterunt, 

E  à  povres  malades,  qe  grant  mestier  en  unt, 

Eà  mésaluz  et  orphenyns  qe  per  ma  aime  prierunt: 

Donez  pur  ma  aime  mon  or  e  mun  argent; 

Mon  trésorer  e  mes  armes  donez  à  bon  gent, 

Et  trestut  mes  altres  bienes  donez  si  sagement 

Qe  od  moi  eiez  la  joie  od  Dieu  omnipotent.  » 

Un  chivaler  de  Normandie  qe  fu  en  la  meigné 

Li  bon  count  Willam  de  Longespée, 

E  à  qi  monseigneur  Willam  avoit  mult  fié, 

En  haut  cria,  si  dist  :  «  Sire,  par  charité, 

Sire,  ce  dist-il,  l'uiums  utre  ce  flum  si  lée  : 

Tant  y  vient  des  Sarazins,  ne  poroms  aver  duré. 

—  Ne  fuerois,  se  dist  le  count  Willam  Longespée; 
Jà  à  chivaler  engleis  ne  serra  reprové 

Qe  par  poour  me  fui  de  Sarazin  maluré. 
Jeo  vinge  cy  pour  Dieu  servire  si  ii  plest  à  gré  : 
Pur  ly  voil  mort  suffrir,  qe  pour  moi  fu  péné; 
Mes  avant  qe  soi  mort  me  vendrai  chère  marché. 
• —  Si  vos  ne  voilez  aler,  ce  dist  le  chivaler, 
Jeo  me  vois  en  haste;  ne  voile  plus  demorer. 

—  Va-t'en,  si  dist  le  count,  qe  avez  en  penser 
Vos-mesmes  metter  à  hunt,  n'i  ad  qe  sojorner.  » 
Heurt  à  son  bon  chival,  qe  très-bien  fu  armé, 

Si  se  mest  en  le  flum,  l'ewe  ad  emporté  : 
Li  e  sun  chival  néa  de  son  bon  gré; 
L'aime  fu  tantost  au  deable  comandé. 
Et  meint  altre  Fraunceis  se  néa  le  Jour; 


DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE.         349 

De  la  vie  perdre  tant  en  aveint  poour  : 

S'il  se  fussent  corabatu  pur  le  Dieu  amour, 

Lur  aimes  fussent  en  joie  od  lur  Creator. 

Le  count  manda  à  frèr  Richard  si  s'en  vout  aler 

Et  à  sire  Rauf  de  Flaundres,  qe  mult  l'ama  cher, 

Et  à  sire  Roberd  de  Widele  le  hardi  bacholer, 

Et  à  sire  Richard  de  Guise  qe  porta  son  baner  : 

«  Volé-vos  aler  ent  e  lesser  moi  demorer, 

Avant  qe  m'en  alase,  lerrai  la  teste  coper.  » 

Trestouz  respondèrent  en  ire  très-graunt 

Qe  se  ne  feissent  mi  pour  home  q'est  vivant  : 

«  Dieu  nos  seit  en  aïe  e  seint  Jorge  le  vaillant!  » 

Dist  chescun  pour  sei  :  «  A  Dieu  me  comand.  » 

Dist  le  count  dunqes  li  bon  Longespée  : 

«  Tenoms  ferm  ensemble,  si  averoms  tut  wainé, 

Tant  cora  pourroms  endurer,  ne  serroms  dampné; 

Si  nos  serroms  oscis,  nos  serroms  touz  savé.  » 

Les  Sarazins  unt  environé  les  chivalers  vaillant, 

Ben  armé  e  ben  monté,  od  les  espées  tranchant, 

A  pée  e  à  chival ,  derer  e  devant; 

Li  noumbre  ne  sarroit  dire  nul  home  vivant. 

Monseigneur  Richard  de  Guise,  qe  porta  le  baner, 

Et  le  bon  Longespée,  li  hardi  chivaler, 

Entre  le  graunt  prese  com  il  se  dust  torner, 

La  senestre  maine  lui  fu  copé,  dount  porta  le  baner  ; 

De  ces  moygnuns  le  rescust,  e  se  teint  le  baner 

Gum  hardi  e  vaillaunt  e  vigruz  bachiler; 

Et  sire  Rauf  de  Henfeld,  le  hardi  corabatant, 

Purl'amor  Jhcsu-Krist  mult  vendi  cher  sun  sanqe; 

Et  sire  Roberd  de  Wadele  le  prus  chivaler 

Qe  unqor  ala  en  ost  son  seingneur  eaider, 

Et  frèr  Richard  de  Ascalon  li  noble  guerrer, 


360        DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE. 

Mult  déservi  ben  ce  jour  la  joie  du  celé  aver. 

Lur  chivaux  furent  oscis,  si  esturent  à  pée, 

Rcddemenl  se  combatèrent  pour  l'amour  Dé. 

Sire  Alexander  Giffard  est  ben  eschapé, 

L'or  e  l'argent  qe  à  lui  fu  bailé 

Aqilli  ensemble  les  chivaux  e  les  ad  chargé; 

Si  reprent  le  chimin  vers  d'amont  la  cité; 

H  saut  en  le  flum  q'est  longe  e  lée; 

Arriver  vout  à  Diot  corn  est  encomencé 

A  son  scingneur  fier  le  bon  Longespée, 

Pur  départir  sun  aver  com  Tout  comandc. 

Si  tost  com  il  furent  en  le  flum  entré, 

Les  Sarazins  félons  les  unt  ben  esgardé; 

Le  fu  grégeis  qe  fust  chaut  sur  eaux  unt  gelé, 

Si  les  unt  ars  en  poudre,  ne  remist  un  pée. 

Mult  fortment  fust  le  count  des  Sarazins  mené; 

Oscir  ne  poant  son  chival  si  ben  fust  armé, 

Ne  à  tere  trer  le  poant  li  vaillant  duré; 

Mes  del  estru  senestre  fu  le  pée  copé  : 

Mult  graunt  doel  fu  de  ce  corps  qeissi  fu  manglé. 

Qant  senti  le  count  qe  sun  pée  fu  perdu, 

De  son  bon  chival  à  tere  est  descendu; 

Frcr  Richard  apel  de  Ascalons  :  «  Où  cst-tu? 

Aïez  ore,  frèr,  nos  avoras  ore  perdu.  » 

Le  frèr  fust  mult  vaillant,  ne  se  restraist  arère, 

Enconforta  le  count  ben  en  sa  manère  : 

«  Ne  vos  esmaiez,  sire.  Dieu  ora  ta  prière 

Et  sa  douce  mère  qe  li  ad  tant  chère.  » 

Frèr  Richard  de  Ascalon  son  chival  out  perdu  j 

Meint  pleie  en  le  noun  Dieu  avoit-il  resçu  ; 

Et  sir  Roberd  de  Wadele  se  combati  tant, 

Plus  ne  pout  endurer,  à  Dieu  s'en  va  ad  tant, 


DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE.        351 

Et  sir  Rauf  de  Henfeld  suii  compaingnon  vaillant  : 
Mult  belc  compaingne  teint  en  tut  son  vivant; 
A  Sarrazins  firent-il  maux  et  les  démanglèrent, 
Et  asez  se  vendirent  cher  eynz  qe  morèrent. 
Sur  les  cspaules  le  fer  s'aposa  le  Longespée, 
L'espée  tranchant  en  sa  main ,  ne  out  qe  un  pce; 
ïouz  ce  qeanqe  pout  ateindre  la  teste  ad  copé; 
Ne  esparnia  haut  ne  bas,  si  ben  fust  armé. 
Un  soldan  dit  à  cunt  :  «  Rendé-vos  hastinienl  ; 
Ne  poez  aver  duré  encontre  tant  de  genl; 
Rendé-vos  en  hast,  si  vos  dirra  coment 
Vostre  corps  saverai,  e  sanera  de  torment.  » 
A  ceo  respound  le  count  e  haut  voiz  escrie  : 
«  Jà  ne  place  Dieu  le  (ilz  sein  le  Marie, 
Qe  jammès  entre  crestiens  à  nul  jour  soit  oïe 
Qe  jeo  merenge  à  Sarazins  tan  qe  com  ai  la  vie. 
S'il  ne  soit  à  lur  testes  coper  od  ma  cspéc  forbic.  » 
Dunque  dist  le  soldan  ke  out  à  noun  Mescadel  : 
«  Si  ceo  ne  facez,  de  Sarazins  cuel 
Vos  frai  tôt  détrancher  com  char  pur  mettre  en  cel; 
Jà  ne  vos  saverei  lun  Seingneur  qu'est  si  lel.  » 
En  haut  cria  le  count  e  dist  hautement  : 
«  Ore  vos  savez  si  vos  poez  ,  vilen  pudicnt! 
James  à  vos  ne  altre,  pur  manace  ne  pur  turmenl,' 
Ne  refuserai  Jhésu-Krist  un  Dieu  omnipotent.  » 
Dunque  fust  le  count  mult  forment  asalli  ; 
S'il  refert  arer  od  espée  furbi , 
Délrenche  les  Sarazin  qe  sunt  entur  lui, 
Et  totes  ures  en  haut  voiz  pri  Dieu  merci. 
Dunque  dist  le  count  à  son  cher  compaingnon 
Qe  hardi  fust  e  vaillant ,  frér  Richard  d'Escalon  : 
«  Tenons  ferm  ensemble  tant  com  nos  vivom. 


352         DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE. 

Si  vendums  cher  nostre  vie  einz  qe  nos  murroum. 

— Yolunters,  dist  li  frèr,  par  Jhésu  le  filz  Marie, 

James  vos  défaudra  tan  qe  com  ai  la  vie.  » 

Amdeux  le  bones  vaillaiinz  ferm  ensemble  se  tindrent, 

Pur  bien  férir  lur  enemys  nule  re  ne  se  feindrent. 

Li  vaillant  count  de  Salesbruie  fust  dunque  irrez, 

Eaux  deux  furent  asailli  de  Sarazins  malurez  ; 

Trestouz  les  volient  trancher  de  lur  bones  espées, 

Mes  eaux  arer  feront  cum  vaillanz  esprovez. 

Li  vaillant  count  hardi  saut  à  un  amirel, 

Au  fd  de  roi  Egipte,  si  out  à  noun  Abrael; 

De  sun  espée  trenchant  li  donne  coupe  novel  : 

La  teste  li  fendi  en  deux,  le  corps  chct  en  le  gravel  ; 

Mult  très-ben  le  seingna,  sachez  saunz  faile, 

Ben  aparust  qe  sun  espée  fust  de  bon  taile  : 

La  teste  le  fist  trehaut  voler  demeintenant, 

Le  corps  chet  à  son  pée,  le  soldan  véant  : 

Sa  aime  en  porta  Ruffîni  en  enfern  chantant , 

Geo  vit  frèr  Richard  li  hardi  e  alosé, 

Qel  coup  le  count  donat  al  amirel  devé; 

Tantost  se  mist  avant  en  mesmes  le  chivaché. 

Et  sinqe  Sarazins  félouns  il  ad  à  mort  liveré. 

Un  Sarazin  félon  vint  sur  chival  curant, 

Un  espée  en  sa  maine,  red  fust  tranchant; 

A  vaillant  count  dona  un  coup  tro  pesant  : 

La  maine  destre  li  copa  dont  tinst  l'espée  avant. 

Donqe  fust  le  gentil  corps  férement  démembré; 

Le  pée  senestre  ei  fust  tolet  e  la  maine  destre  copé. 

Quant  avoit  la  maine  perdu,  dunqes  ce  treist  arer  : 

Jhésu-Grist  omnipotent  fist  une  tiel  prière, 

Qe  si  ceo  fust  à  soun  pleisir,  pur  l'amour  sa  mère, 

Vengement  li  donast  de  ceste  gentc  amère. 


DU  BON  WILLIAM  LONGESPÉE.        353 

Le  liai  d  corps  e  vaillaunl  sur  l'un  pée  saunl  avaunt, 

A  un  Turcois  féloun  qi  out  à  noun  Espiraunt 

En  la  maine  senestre  prist  l'espée  traunchaunt, 

E  le  vis  ou  le  menloun  li  mist  avalaunt; 

Un  altre  coup  li  dona  lut  en  qermisaunt,in'lp  mK^ 

La  main  senestre  dount  tint  l'espé  li  fist  voler  avant  : 

Dunqe  chet  à  tere  le  vaillaunt  Longespée, 

Que  ne  pout  esteer  plus  sur  l'un  pée. 

Sarazins  crierunt  inult  joiouse  et  lée; 

De  lour  espées  traunchaunz  li  ount  tut  raanglé. 

Frèr  Richard  de  Ascalon,  li  hardi  corabataunt, 

Sur  le  count  chet  naufré  e  senglant, 

Pur  tote  la  tere  de  Fraunce  n'eust  aie  avant  : 

Quant  vit  mort  le  count,  mort  se  rend  à  tant. 

Sire  Richard  de  Guise  porta  soun  baner, 

\itson  seigneur  morir,  le  bon  bacheler, 

A  plus  tost  qu'il  pout,  saunz  plus  sojorner,    ' 

Chet  sur  sun  seigneur,  si  li  lesce  détrencher. 

Li  count  et  li  banéour  et  ses  bachelers 

E  sire  Rauf  de  Aenfeld  hardi  e  feers,      ^  '**' 

'   'il 
E  sire  Robert  Widele  qi  li  ama  mult  chiers,*  ' 

Toutz  cinqe  sunt  occis  li  bons  chevalers,.'^  ^'^ ^ 

Toutz  cinqe  ensemble  furent  ensi  occis  :''  !^""' 

Jhésu  les  aimes  ad  en  Parais.  "  *"   '' 

'.9fnoo  of  ?Mqjh> 
o'fl  hfiijorfi  h(I 


iu  linlan  f»»f;jO  ri.'l 


'»  »b  «il  el  i: 


!•  23 


.lrHiGif');;>  ; 


Bes  grttuns  Satans  ht  primes  conqutstrent 
"■  Urdatgne, 


Bibl.  Cotton.  Cleopatra  D  IX. 


Ci  put  ho  m  sa  ver  cornent 

E  quant  e  de  quele  gent 

Les  grauntz  gestuz  primes  vindrent 

Qi  Englelere  primes  tindrent  '. 

Al  primes  fu  nomé  Albion  , 

E  qe  priniiis  i  mist  le  noun, 

Ore  escotez  paisiblement 

E  dunt  vus  dirra  brièvement 

Des  géanz  lole  la  soume 

Cum  jeo  l'oy  de  un  sage  home 

Qi  bien  saveit  les  escriptures 

Des  auncienes  aventures. 

Après  le  comensement 

Del  mound  treis  mil  nuef  cent 

E  sessante  e  diz  anz 

En  Grase  estoit  un  roy  pussanz , 

Qi  tant  fu  pruz  e  noble  e  lier 

>  Oe  vers  est  aussi  le  quatrième  du  roman  du  Rou  ;  on  le  trouve  répété 
à  la  fin  de  celte  pièce. 


DES  GRAUINZ  JAÏANZ.  355 

Qe  sur  touz  rey  aveit  poer;  ,,„  ^^.v, 

Reyne  a  voit  bele  e  gente 

En  qi  engendra  filez  trente,  : 

Forment  bêles  qe  tant  qrurent, .,,    ,,  ,.  .^, , 

E  norries  ensemble  furent.  .  mm  s^io/ij  il> 

Père  e  mère  furent  granz  ,         ..^^^  ^J|j  .j 

Ausi  devindrent  les  enfanz  ; 

Lur  nouns  ne  vus  say  cunter, 

Unkes  ne  les  oy  nomer,  ?  ,,- 

Fors  celé  qe  estoit  eynez, 

Qe  mult  fu  bele  et  haut  levez  ; 

Mult  estoit  bele  meschine, 

Ce  fu  nomez  Albine. 

E  quant  totes  furent  de  âge, 

A  grant  roys  de  haut  parage 

Totes  les  filiez  douèrent ,  ... 

tj  as  haut  roys  marièrent; 

Chescune  out  roy  e  fu  reyne, 

Mes  par  orgoil  de  lur  méyme      ,,,< 

E  par  fierté  e  grant  rage  .    j  ' 

Purpensèrent  grant  outrage,  ^ 

Par  unt  grant  damage  arroient  ;  ',^'^^, 

Mes  rien  adonkes  ne  cuidoient 

Qe  rien  lur  pout  à  mal  torner 

Ceo  q  il  avoient  en  penser; 

Mes  tost  après  se  asemblèrent ,     ^,^*'     ^'. 

E  coyment  se  conselèrent , 

E  si  unt  entre  eus  ordiné 

Qe  nule  ne  soit  si  assoté 

De  sufrir  en  nule  guise      '"^' ■',""'''' ' 

De  estre  en  autre  danger  mise  ,  "' 

Ne  de  seigneur  ne  de  veisin  .         '  '      y  ' 


3«é  DES  GRAUNZ  JAIANZ 

Ne  de  frère  ne  de  cosiiiV^  ';'\  >**''^  '"*  ^'^ 
Ne  nomément  de  siin  baruiv,  '^^^  od^^iH 
Mes  louz  jours  en  subjeclion  '«"^  M>  "^ 
.  Qe  li  tegnez  en  danger,  ^^^^^^  î"^"'*»^'^ 
Si  avérez  tut  voslre  voler.  '^««^  ami-toff  3 
Filez  èrent  au  roy  de  pris  '^'^  ^'«'''"  ^  ^'^'^'^ 
Qi  à  nuli  ne  fut  souzmis,  -loibinyab  .auA 
.  ^  Ne  ne  volient-eles  estre,  ^"  ^'"'''^"  y':^ 
Nule  ne  voleit  aver  mestre  (.<>  ^'^^  ^'»  «^'''"  j 
Ne  estre  souz  nuli  détrescej^^'^fP ''^'^^  ^^*^^^ 
Mes  tut  dis  estre  mestresce  '^'^     ^' 

De  sun  seigneur  et  quant  qu'il  out.'^'*  ^''''^ 
A  chescune  cel  conseil  plout,    '<"^'«  "'  '  ' 
De  lur  seignors  à  lur  voler  ^  '^^'^^  ^"'^''l>  ^' 
Ne  se  volèrent  abeser-;^f>^t;>'''«^^''S^ 
De  fèretote  lur  volume. 
De  quant  qu'il  unt  en  pensé 
Entre  eux  issinc  asseurèrent 
E  par  lur  feiz  affermèrent        ^^'^    ;    ■     ''^ 
Qe  chescune  tut  en  un  jour  '      '''  /*''*^ 
Occirreit  mesmes  sum  seigneur      "'^H^'-  ' 
Privément  entre  ces  braz*\^"'^;8i"^'''^=J 
Quant  meux  cuide  aver  solaz.    ^^  *' *'^.  ''•" 
Un  certein  jour  assignèrent    i 
A  faire  cum  purparlerent  ;  ' 

Totes  unt  ceo  en  voleratez       ^  J    ^^^  ^,,,  ,= 
Fors  qesoulement  le  puisnezl      .     -      V 
Celé  ne  voleit  mesprendre  rien 
Vers  sun  seigneur,  q'ele  eime  bien. 

Quant  lut  lur  conseil  unt  ime, 
En  lur  pays  sunt  retournez. 
Geste  chose  purparlcc  " 


Kl  CONQUlSTREiNT  BRETAIGNE.       357 

Rien  ne  plout  à  la  puisné,    ;^,  ^i  ,;•  ijua  h 
Qe  sun  seigneur  à  tant  eymc'  ''mai  ca  r'>  3 
Qui  ele  fet  sum  cors  demeinCy   j  jio8  slo'U 
Ele  ne  voleit  à  nul  feur  e*<i^  aeq  Bioaisb  o7. 
Damage  veer  de  sum  seigneur;,q  noa  8i97 
Mes  quant  furent  à  parlement,    znobdtTi/ 
Ne's  osa  contredire  nieni  ;         Tjna  JubT 
Kar  si  ele  ust  rien  contredist,    ;  jnua  JluM 
Murdré  la  usent  sanz  respit^i  maSu  JuJ  3 
Dieu  li  anvoit  qe  lors  se  tint:     >!|ji  gsa  9(1 
Si  tost  cura  pout,  al  hostel  vint  jm  /ot  il  3 
Quant  \'ist  sun  mari,  sun  doel  crusl<îOO  ad 
E  quant  sum  seigneur  le  aparçust    9  elsifl 
Q'ele  fesoit  mourne  semblant ,  ^  i^ili)  sa8 
Si  l'a  demandé  meintenant  ^  n^biv  il  b  aQ 
Pur  quei  ele  esloit  dolent;     <•  rnjl  Jneup  3 
E  la  dame,  qe  mull  ert  gent,     ,-,  ^\  yot  iJ 
A  piez  sum  seigneur  descendi ,.  nom  fil  od 
En  plorant  li  cria  merci ,       u  -juuDasrfo  oQ 
De  sun  trespaz  merci  cria  jifilcm  Jncig  ifi'l 
E  de  la  trayson  li  counta      onorbob  JneiO 
Cornent  ses  soers  à  mult  grant  lortribb  aoJ 
Li  fesoient  jurer  sa  mort ,    ,.-,  t;t;ie»  p  000  î>Q 
Là  où  de  ceo  n'avoit  talent. h  noa^^S'iJ  û  9(1 
E  sun  seigneur  hastivementriAp  05^  c[  jnufl 
La  prist  mult  tost  entre  ces  braz ,     do  ^^¥. 
La  beise  e  fist  greignour  solaz   ;iub  îu9/  o?> 
Qe  fait  li  avoit  unqes  mes.  >o  nyii  8i>M 

«  Dame,  fait-il,  tenez  en  pès,  a  voî  il  ici) 
E  lessez  passer  la  dolour.  »aa/  fte>l  s»oJ  al) 
L'endemain  à  point  de  jour>Dib;ffl  lul  ioo*l 
Se  apparila  pour  losl  aler  no  ip  ^oiàq  'iwJ 


358  DES  GPxAUISZ  JAïAiNZ 

A  Sun  père  ou  li  parler,    '■•  Hrofcj  an  noi>l 

E  à  sa  femme  dist  ensi  'ni'^iwBdiJ 

Q'ele  seil  preste  de  aler  ou  li.        ]  olo  iiii) 

Ne  demora  pas  grant  pèce,  '■ 

Vers  Sun  père  roy  de  Grèce 

Ambdeux  lur  voie  tindrenl;    ''*  "'^■'' 

Tant  errèrent  q'iL  vindrent. 

Mult  sunt  à  roy  très-bien  venuz, 

E  tut  sicum  fust  avenuz 

De  ses  filiez  li  unt  conté, 

E  li  roy  fust  lut  espounté  ^*oq  m. 

De  ceo  qe  sa  fdle  li  dist.     '  ""8  l>^-i/  ]iJt-;i<</ 

Brefs  e  lettres  escrivere  fist;     nw'  Jnn.- 

Sez  filiez  manda  erraument       ?'<  a  - 

Qe  à  li  viegnent  hastivement , 

E  quant  furent  touz  assemblé, 

Li  roy  les  ad  arésoné 

De  la  mort  e  la  trayson 

Qe  chescune  de  sun  barun , 

Par  grant  malice,  avoit  pourveu  , 

Grant  déshonour  lur  est  acréu. 

Les  dames  sunt  touz  espountez 

De  ceo  q'eles  sunt  acovrez 

De  la  trayson  dunt  sunt  reltez^'jo  ^ji»  ^i-  «ii 

Dunt  jà  ne  serrunt  aquitez  ;  '«  ni/?  d 

Mes  chescune  à  sun  poer  i^i'^q  'J  ' 

Se  veut  défendre  par  jurer;  ^-^i''^'  '  ■■ 

Mes  rien  ne  vaut  le  contredire, >*'i;  «i  ii 

Car  li  roy  out  si  grant  ke         »<•;'  ,oin«;<i 

Qe  touz  les  veut  mettre  à  moPt'^<;q  v-js*»)!  A 

Pour  lur  malice  e  pour  lur  iorti'i«"«''b!i  -  î 

Lur  père,  qi  out  ire  grant ,      i  i;ii  i«q«i' 


Kl  CONQLISTRENT  BRETAIGNE.        359 

Tant  les  ala  arésonant      mî  leq  ànibio  w  i 

E  tant  les  ad  examiné  fi^.hsi  soJoi  -u'-j 

Qe  rien  ne  poiit  eslre  celé  i;  g^oH 

De  ceo  qe  pourvéu  avoient   .  aiuoi  xooj  A 

Quant  à  lur  conseil  estoientîfl9fjf3nfjî  jgûD 

Par  lur  père  que  fu  coynte    ay^n'i  ji'>8  uO 

Fusl  chescune  là  ateinle)  ,jo1  yp  Jfeih  tnoH 

De  celé  malice  desraée  / 

Fors  soulement  la  puisnée,  uji  xoaoK: 

Qe  tut  counta  à  sum  seignour,        ',^q  ,49^1 

Qi  puis  la  tint  à  grant  honour.         ,.jj)  f)o 

Quant  chescune  fu  ateinte     \  gajoJ  dp  ëèU 

De  la  dolerouse  pleinte,  .\iiq  3 

Touz  furent  à  dolour  pris  .   rj<jo  ùQ 

Par  lur  père  e  lur  mariz  ;  ;,vo«  xafi<'^ 

En  forte  prison  furent  botez  j^mg  s'moWf 

Pour  lur  mauveise  iniquilez  ^y^'n  lun  eôM 

Grant  penance  là  suffrircnt  '    -q 

Ejuy se  attendirent  O 

Si  là  qe  par  commun  assent}  n\  «ism  el  n3 

Fust  ordiné  lur  jugement;  yjbnu  esJ 

Mes  les  juges,  qi  furent  sage,;-q  uun^  nH 

Pur  l'onur  de  lur  parage,       è^i  9  toi  ni  sO 

C'est  à  saver  de  lur  père,     .>iob  Jfung  n'a 

Ausi  de  lur  bone  mère,         ;  salizo  iniîoQ 

Qe  si  noble  gent  estoient,       t  in&iui  Umiï 

Qe  par  tut  l'empire  avoient,    <  i:  s  * 

E  pur  l'onur  de  lur  barons 

Qi  tindrent  riche  régions,?9/i/  110  \iofii  i8 

Unt  agardé  q'à  dreit  ne  à  tortaonîi.h  y.aiisO 

Ne  deivent  suffrir  vile  mort;    •      ■     •' 

Mes  par  commun  assentement 


360  DESGRAUNZ  JAUNZ 

Fu  ordinc  par  jugement     '>'''*  «Ifi  aâ>l  JucT 

Oe  tôles  scient  exilez  simfiz;j  \'>;  ^ol  iiicj  :j 

Hors  du  païs  où  furent  nez , 

A  louz  jours  sanz  repeirer.     'i  t  "    j  » 

Cest  jugement  estuet  suffrer,   "J^  -  ^'^('•uV 

Ou  seit  envys  ou  seit  à  gré  :  {<!'« 

Hom  dist  qe  force  pest  le  pré. 

A  grant  dolour  c  sanz  resort 

Menez  furent  à  un  port 

Ben  près  d'illock,  à  la  mer; 

Où  ceo  fu  ne  vos  sai  counlerj'^  f>i  «<"«.' 

Mes  qe  totes  furent  prises  Ji^*  ;i«0(binctj(,' 

E  puis  en  une  nef  mises  ^  ^  '  '    " 

Qe  estoit  forte  e  grande, 

Sanz  governail  e  sanz  viande.  lul  in'i 

Ylloqes  grant  docl  unt  démené,  'i  - 

Mes  nul  n'a  voit  de  eux  pité,  •    tuoH 

Pur  lur  grant  iniquité  •  'i;  " t^ 

Q'enlre  eux  fut  purparlé. 

En  la  mer  la  nef  botèrent,  «««o  jkiiî 

Les  undes  la  nef  chacèrenl      '  inii»» ^ 

En  grant  péril  sa  e  là;  '•?  -   ' 

De  la  tere  les  esloigna. 

En  grant  dolour  sunt  ore  mis 

Quant  exilez  sunt  de  lur  païs      .iJi  j'l,  i  ../ 

Dunt  furent  riche  reynez ,       ,  î>ldofl  i;-.  »<.■ 

Ore  sunt-il  povre  bégynes;  "•"  '  ""  •♦•i 

Ne  scevent  quele  part  devedrunl, 

Si  morz  ou  vives  eschaparunt. ..,  ,.imii  it- 

Gestes  dames  unt  grant  peine  ;  blnu'^r  Ja  l 

Aventure  la  nef  meine,  Uvyfhh  '>/. 

Les  grant  venz  par  mer  la  chaceut  jr.tj  ^^\f 


Kl  CONQUISTRENÏ  DRETAIGNE.       361 

E  les  undes  la  nianacent;  i  l'fn  o{«  ox)  vi'l 
Mes  rien  tant  de  mal  ne  liir  fel  ii\  JntwO 
Cum  la  famine  qe  lurcresl;  /.m  éldo  r,d 
Car  rien  n'avoicnt  à  manger;  '  ■  îftcb  aoJ 
Mes  pur  le  péril  de  la  mer  «^oJ  lui  ^1 

Pitousement  waymentérent  'jioj^JiiunO 
E  la  famine  ubliérenl.j»  y  lâJ  jh  <iéiq  ig  ai» 
De  lote  part  sunt  turmenté  :  A  i>l>  JeoJiiBr 
Morir  volrenl  de  bon  gré,  Icm-8*ji)  ÙO 
Chescune  granl  dolur  allenl;!'3oa  jho  aèM 
Car  en  la  mer  leva  un  vent  <  89]ol  inn/A 
Qe  la  fist  qeslre  e  lever,  luiq  Jn'i 

E  les  granz  undes  revirer,  ' 

E  tressailler  fist  la  nef  amount 

E  puis  flatir  à  plus  parfount,)q  firjij  gI  'M 

E  tant  là  tuna  envirun  !  go'iluc 

Qe  les  dames  en  paumeson:;;  ^ip  /Ion  i:-  i. 

Fesoit  chaier  et  giser  '     ^   l^-b  î)  iu*] 

Per  trois  jours  e  trois  nu^'lz  enteRio/c  li'Q 

Qe  de  rien  ne  se  movèrenl,       «j  ouuoaddiJ 

Mes  tut  diz  en  travers  gisèrenl,;!  iucig  loJ 

Endementes  les  enporte  ;-  iaiA  jyj  aQ 

La  tempeste  qe  fu  forte,  ^qjnoJ  d  lu'l 

E  les  chace  par  grant  travail         j/e  («(j-l 

Qe  près  sunt  venuz  à  un  rivailuvi i  bîJtJi/d 

Quant  fu  cessé  la  tempeste,     jèau  li',        ' 

Cum  nos  trovoms  en  la  geste,  ,g«  'I  o 

Le  tens  devint  cler  e  suef,  n  jm/jg  •!<. 

E  tant  par  west  chace  la  nef 

Qe  à  la  tere  est  hurlé 

Qe  Engletere  ert  ore  nomé; 

Mes  en  ceo  tens  sanz  noun  estoit,  )  ^naAt) 


362  DES  GRÂUNZ  JÂlANZ 

Pur  ceo  qe  nul  home  n'i  manoit.Miu  «*j|  A 

Quant  lamer  retrete  fust,  '  noii  ?6t' 

La  nef  à  sèche  tere  géust. 

Les  dames  tost  esveillèrent 

E  lur  lestes  sus  levèrent. 

Graunt  joie  treslotes  eurent         aiaeiioji  • 

Qe  si  près  de  tere  furent;  .."...i;  :>  ;!iut:i  ni   t 

Tantost  de  la  nef  issirent  .,    , 

Où  très-malveis  sojour  firent  j 

Mes  cele  soer  qe  fu  eyné 

Avant  totes  se  est  hasté;  -in  ;  h; 

Tut  primerine  en  saillant 

La  liere  prist  tut  en  estant  5 

Cele  qe  fu  nomée  Albine 

De  la  tiere  prist  seysine,  msj  h  iiJ».h  -rîiuq  .! 

E  les  autres  hors  saillèrent 

De  la  nef,  qc  fèbles  èrent 

Pur  la  dolour  e  le  juner 

Q'il  avoient  en  la  mer. 

Chescune  à  liere  se  assist,  >     v 

Lur  granl  famine  les  reprisl  ^'>^' 

Qe  lut  fust  ubliè  devant 

Pur  la  tempesle  qe  fu  grant. 

Feym  avoient  à  démesure, 

D'autre  rien  n'avoient  cure  >     -.  -. 

Mes  q'il  ussent  à  manger,  «♦!  ^nanU 

Mes  ne  1'  savoient  où  Irover, 

Mes  par  grant  nécesseté 

Les  herbes  crues  uni  mange  .  ".f  >  .. 

Dunl  granl  plenlc  i  Irovèrcnt,        <  f;?  ?'  '>v^ 

E  des  fruiz  qe  es  arbres  èrent, 

Glons,  chasteins  e  allies 


Kl  CONQUISTRENT  BRETÂIGNE.       363 

Suslindrent  bien  lur  vies, 

E  des  espiiies  les  pruneles, 

Botouns  de  haie  e  raeeles,fi  Jtjoniaidfijibn 

Peires,  pou  mes  q'eles  trovèrenl; 

Autre  viaunde  ne  mangèrent. 

Totes  sunt  en  grant  pensé, 

Ne  scèvent  où  sunt  aprimé 

Ne  coment  ad  noun  la  tiere, 

Ou  seit  de  pès  o  seil  de  guierej    ,i-  :    ...  . 

Là  lur  covent  sojour  fère,         o^  ttouï  b{>\ 

N'estuei  ailleurs  autre  qère.     ►  orioi  si  :jV 

Quant  revigurez  estoient 

De  la  dolur  q'il  avoient,  .;!>  .i) 

Amont  alèrent  en  la  tiere  ; '^   i 

Pur  espier  e  enquère 

Quele  gent  i  habitoient 

E  quele  vie  démenoient. 

En  la  tiere  tant  alèrent 

Qe  par  mi  tut  la  cerchèrent, 

Rien  ne  trovèrent  humeine  ma  ftsioT 

En  boscage  ne  en  pleine, 

Ne  en  valey  ne  sur  mont       !  >  -  . 

Qe  haut  e  bas  illoqes  sunt;    ïiiioa 

Home  ne  femme  ne  trovèrent,  anuJnol  eôW 

Dunt  grantment  s'esmerveillèrent,ii>i  oJao') 

Ne  nul  rien  unt  aparcéu  ■  j  iab  i  iJ83 

Qe  unqes  gent  i  fust  venu,    .  .  ti!  ul  o-j.  îfiL) 

Mes  bêle  forest  e  boscage    ^i'jq  oriol  cl  i»ui> 

E  meinte  beste  sauvage      «m  lI  oh  lia^i  1/ 

I  trovèrent  à  grant  fuysun  'm  lè 

E  grant  plenté  de  oyseloun,  ...--,  ,j,  iiaiH 

Sur  tiere  e  en  rivers ,         ni  oi  inmi'iHnoH 


364  DES  GRAUNZ  JAIANZ«30  IH 

Qe  de  pesson  sunt  picners,  linfiihailBUf'^ 
E  de  encosle  praieries  *^'>f  -ioniqao  et»b  d 
Délilableinent  flories,  il  sb  anuoJod 

E  les  oyseux  qi  sunt  sauvages  q  ,391  io*! 
Chauntèrent  haut  en  les  boscages^i'  9'ilijA 
Qe  les  ad  mis  en  grant  confort;  tu^.  8f>JoT 
Mes  quant  voient  qe  par  nul  sortiiovèoa  'jV. 
jNe  purrount  jà  aver  poercwi  bb  insunoo  0/. 
De  lur  pais  recoverer,  '  •  A)  fiv.  uO 

Mes  bien  scèvent  e  certeinz  sunt  od  iid  rJ 
Qe  la  terre  qe  trové  unt  :  aruollic  Jt*uJ8i>y 
Un(|es  ne  fu  en  habitée  »  x5»Tugi/î)T  JiiguO 
Par  nul  home  de  mère  née  ;.''{)  lufob  cl  o(l 
Ceo  unt-il  trové  tut  apert  a  yiifïn  JnoiriA 
Qe  tut  dis  ad  esté  désert  ;  ^^iqfe^  lu^l 

Adonk  disl  la  soer  eynnée  110^  olouQ 

Qe  estoit  Albine  nomée  ::,..:  ,l  'jW  olaup  TJ 
«  Trestotez  sûmes  exilez  1  -nci  omi  cl  n'A 
De  la  terre  où  sûmes  néez,  JhJ  ï«i  'wq  'j<J 
Totes  savez  la  desserte  înoià/oiJ  ao  «sc/l 
Par  unt  nos  avint  la  perte  '>n  t)j>cDf»od  n^l 
Qe  mes  n'en  ert  reslorrc  :  ji\  \(al(;v  no  o/i 
Tiele  est  noslre  destinée  ;  'îi  gnd  a  Jiicd  oQ 
Mes  fortune  nos  ad  grauntéciimyl  on  aiiioli 
Geste  terre  où  avovvé  a  jiijniJneag  Jnuil 
Estre  dei  e  cheveteine,  ic  In»  noii  km  0/ 
Car  jeo  fu  la  premereine  1  i  Jnog  aopn»  t)Q 
Que  la  terre  prist  seysine  ^oîoI  olod  aôM 
Al  issir  de  la  marine;  idod  oJniooi  a 

Si  nule  veut  contredire  .u  i<^  r.  Juotj/oiJ  I 
Rien  (je  touche  la  matire,  *;  iiolq  iiic'jy  y 
Meinienant  le  mostre  à  moi  •  aiaiJ  m)'-' 


Kl  CONQLISTRKNT  BRETÂIGNE.        365 

Pur  (juey  eslre  ne  le  dei.  >»       uiv  n 

Communément  li  iint  grauntée      ■ 

Q'ele  seit  lur  avowée. 

Dunqes  dit  la  dame  Albine  :    ?9  o  gsln  /o'j 

«  La  terre  avomes  encline,      wiamaJia'iJa^ 

Dunt  ne  savoms  le  noum  dire, 

Ne  si  unqes  avoit  sire; 

Pur  ceo  de  moi  qe  fu  fefTée 

Deit  la  terre  estre  nomée  ^riq  gioq  li  JnuO 

Âlbine  est  mon  propre  noum, 

Dunt  serra  nomé  Albion, 

Par  uni  de  nos  en  ceo  pais 

Remembraunce  serra  tut  dis,  gntioloayo'') 

Qi  nos  covent  tut  dis  maner,  jn^m  JncwO 

M'avoms  cure  ailleurs  aler;  ' 

La  terre  est  pleine  de  touz  biens. 

Mes  qe  viande  n'i  faut  riens.  » 

Mult  unt  désir  d'avoir  viande  ^i^\  gjijjp  nA 

Tel  cum  lur  quer  demaunde.      '  ?.^]  -nx^  [\ 

Restes  veient  à  grant  plenté  ;  ,  ;   ,-  ,  - 

E  oyseloun  dunt  sunt  temple; 

Volenters  les  mangereientf^iua'jl  Jlijm  mu(] 

Si  entre  meins  les  avereient.   lol  oh  r- 

Totes  furent  en  grant  pensé     çim  ajv  ,,  „  , 

Coment  pussent  à  volunté       ^ooio)  lul  oU 

Aver  beste  ou  oyseloun  'naïul  nml  11 

Dunt  il  avoit  grant  fuysoun.   ,->,  gp  (uni  dCI 

Assez  sa  voient  de  chacer  •- 

Quant  avoient  lige  poer,  _ 

E  de  boys  e  de  rivère  h  oioliiif  ^  oJ 

Bien  savoient  la  manère;  .|>  û  inuom 

Mes  lors  n'avoient  nule  rien^  ob  lig-jij  tl'1 


366  DES  GRAUNZ  JAIANZ 

Ark  ne  sele,  faucon  ne  chien 

Dunt  preissent  oysel  ne  besle 

Qe  manger  pussent  à  feste. 

Coyntes  e  engynouses  èrent,  ?'>pfni(l 

Eslreitenient  se  purpensèrent,  s  /cioj  r  i 

Dunt  par  grant  avisement  >n  Umil 

Engyns  fesoient  plus  de  cent.  :'  ^    '^'^ 

Des  verges  firent  hardilouns 

Dunt  il  puis  pristrent  les  oyselouns, 

Divers  engyns  sovent  firent, 

E  si  coyntement  tendirent 

Dunt  les  bestes  décevoient, 
C'oyselouns  assez  prenoient. 

Quant  urent  pris  à  volunté, 

La  veneisoun  unt  escorché; 

Des  caylious  unt  feu  alumé, 

Busche  avoient  à  plenté. 

En  quirs  les  bestes  quissirent  u  ilol/ 

E  par  les  brèses  rostirent  '  ■  î' 'I 

La  veneison  e  les  oyseux 

Qe  pris  avoient  bons  et  beaux, 

Dunt  mult  léement  se  péurent 

E  ewe  de  fontayne  beurenl  î     --      n\->  : 

Tiele  vie  tant  sustindrent       '-  îm:;''  .^oir/T 

Qe  lur  forces  tut  revindrent, 

E  bien  furent  reviguré         >  uo  «ji^fid  loy/ 

Du  mal  qe  avoient  enduré  :      'mn  li  jno'l 

Quant  char  e  sanc  reperneient     'v  i >  »  >  v 

Grosses  e  grasses  deveneient. 

La  chalure  de  nature 

Les  somount  à  desmesure,    in  layn.^.  j:  s 

Par  désir  de  lécherie,  .    '.        '     .»/ 


Kl  COjNQUISTRENT  BRETAIGNE.        3G7 

D'avoir  hunieinc  cumpainie  : 

De  ceo  sunl  mull  sovenl  lempté; 

Ceo  aparceiireni  H  mal  fée 

Qe  sunt  apellez  incubi, 

Ceo  sunt  espirilz ,  jeo  vous  di,  i  A 

Qe  tiel  poer  lors  avoient  iO 

Humeine  forme  pernoient; 

Queqes  ceo  la  nature, 

Ou  femmes  firent  mixture, 

Quant  en  délit  les  trovèrent, 

En  cel  point  les  pcrgisèrent. 

Sovent  enfanz  engendrèrent, 

E  lost  après  s'envanèrent. 

A  les  dames  avint  ensi, 

Quant  lur  délit  les  assailly, 

Mult  prest  esteient  li  malfée 

De  pa  remplir  lur  vol  un  té 

En  la  forme  avant  dite. 

Ne  fu  grande  ne  petite 

Qe  ne  fu  prise  de  un  malfée. 

E  là  furent  engendré 

Enfaunz  qi  géaunz  devindrent 

E  après  la  terre  tindrent. 

Tut  lur  délit  acumplirent, 

Mes  les  dames  rien  ne  virent 

Ceux  qi  pargiéu  les  avoient,  'il 

Mes  qe  soulement  sentoient 

Come  femme  deit  hom  fère  </i 

Quant  s'entremet  de  tiel  a  fère. 

E  quant  furent  de  meur  âge, 

Les  enfanz  par  grant  outrage 

En  lur  mères  engendrèrent 


I  t 


368  DES  GRAUNZ  JAIANZ 

Filz  e  (iiles  qe  graunz  èrent.  (nuii  ùmnil 

Les  socrs  de  frères  conceurent 

Filz  e  filles  qe  mult  crurent; 

Grauntz  gentz  de  cors  devenoienl 

E  graunt  force  en  eux  avoient,      lauz  o'il  \ 

Grauntz  èrent  à  desmesure 

E  de  cors  e  d'estature, 

Ceo  puet  home  mult  ben  sa  ver, 

Par  les  grauntz  os  qe  hom  puet  Irover 

En  mult  des  leus  de  la  terre 

Qe  vodra  cercher  e  enquere  : 

Appelaunde  en  cité 

Puet  hom  trover  à  grant  plenté 

Dentz,  jambes  e  costez, 

E  quissez  de  quatre  péez, 

Espaudles  ad  hom  bien  véu 

Ausi  large  cum  un  escu. 

Dunt  mult  de  gent  sunt  en  esmer 

Si  puet  estre  faus  ou  vier 

Si  unqes  furent  tieles  gentz 

Qi  portassent  tiel  ossemenlz. 

A  regarder  hidous  èrent,         ,  ip  soi; 

Car  malfez  les  engendrèrent; 

Des  deables  furent  engendrez , 

E  les  mères  dunt  furent  nez 

Furent  grandes  et  mult  corsues; 

De  forte  gent  furent  venues, 

Par  réson  si  doivent  estre 

Les  enfanz  qi  doivent  nestre 

De  liele  gent  cum  cil  èrent,  înr»np  ?I 

Qe  les  géaunz  engendrèrent  : 

Tôle  gent  de  faicrie,  :  tui  ni 


CONQUISTRENT  BRETAIGNE.  369 

Miill  granlment  se  multiplie^ 

Par  la  terre  se  partirent, 

Caves  en  terre  firent, 

Grant  murs  entour  funt  lever 

E  des  fossés  environner  ; 

Sur  montaines  herbergèrent 

Où  meux  estre  en  séur  quidèrent; 

En  mult  de  leus  unkore  i  pièrent 

Les  grant  murs  qe  cil  levèrent; 

Mes  mult  sunt  ore  abessé 

Par  tempeste  e  par  orrée. 

Celé  gent  la  terre  tindrent 

Ci  là  qe  les  Bretons  vindrent, 

Ceo  fu  avant  qe  Dieu  fu  née, 

Cum  par  acounte  ai  trovée, 

Mil  cent  aunz  e  trente-sis, 

De  ceo  soiez  certein  tut  dis, 

Del  tens  qe  les  dames  vindrent 

Qe  primes  la  terre  tindrent 

Deqes  au  tens  qe  Brutus  vint 

E  la  terre  à  force  tint, 

E  le  noum  Albion  osla 

E  pui  Breistyne  la  noma, 

Si  cum  la  cronike  counle, 

Deux  centz  et  sessaunte  amounte. 

Tant  de  tens ,  ceo  fet  à  crère, 

Les  géaunz  tindrent  la  terre; 

Mes  quant  celé  gent  desraée 

En  terre  fust  multipliée, 

Chescun  divers  pays  prist 

Où  sa  mannauntie  fist, 

E  là  vesquy  chescun  par  sel, 

H.  24 


370  DES  GRàNTS  JAÏANZ 

En  tiel  orgoil  et  tiel  desrai 
Qe  chescun  à  sun  poer 
Yoleit  autre  sourmounter; 
Car  chescun  tant  se  alfioit 
En  la  force  q'il  avoit 
Qe  nul  de  eux  autre  ne  dotea, 
Mes  chescun  autre  despisa, 
E  chescun  vencre  bien  quida, 
E  tost  à  ceo  s'aparailla 
Pur  conquère  par  mestrie 
La  terre  e  la  seignurie; 
Tantost  entre  eux  sourdi  contek, 
Chescun  à  autre  (ist  eschek; 
Sovent  se  entremedlèrent 
E  sovent  se  entre-tuèrent; 
Tant  sovent  se  cumbatoient 
Qe  de  touz  ne  remanoient 
Fors  soulement  vint  e  quatre 
Qe  vindrent  à  Brut  combatre, 
Quant  primes  la  terre  prist; 
Mes  Brut  trestouz  les  desconfil, 
Sauf  un  qe  fust  lur  avowée, 
Qi  Gog  Magog  fu  nomée, 
A  qi  la  vie  Brut  donaj 
Car  mult  de  li  s'enmerveilla 
E  de  la  grandour  q'il  avoit, 
Car  de  vint  péez  de  long  estoil, 
E  de  li  voleit  enquere 
Cornent  vindrent  en  la  terre, 
E  dunt  e  de  quele  lignage 
Pristrent  primes  parentagej 
E  il  trestut  à  Brut  counta 


Kl  CONQUISTRENT  BRETAIGJNE.        371 

De  lur  origne  cornent  ala, 

Cornent  en  la  terre  vindrent 

E  cornent  après  se  contindrenl, 

E  cumbien  de  tens  fu  passé 

Q'en  la  terre  pristrent  sée, 

E  cornent  furent  engendré 

De  chief  en  chief  H  ad  counté, 

Si  cum  il  einz  avoit  o_y 

De  ceux  qe  furent  avant  li  ; 

E  Brut  trestut  fist  remembrer 

Qe  autres  après  pussent  saver 

La  merveille  de  la  geste 

Pur  counter  à  haute  fesle, 

E  qe  hom  puet  aver  en  mémoire 

La  merveille  de  l'estoire. 

Oy  avez  la  vérité 

Come  la  geste  vous  ad  counté, 

Quant  e  coment  e  dunt  cil  vindrent 

Qi  Engleterre  primes  tindreni 

E  de  quel  noum  estoit  nomé 

E  de  par  qe  li  ert  doné, 

E  cum  bien  la  terre  tindrent 

Avant  ceo  qe  Bretons  vindrent, 

E  le  premer  noun  estèrent 

E  Bretaigne  la  nomérent. 

Tut  est  bon  à  remembrer. 

Rien  ne  grèvera  de  saver 

Les  diz  e  les  escriptures 

Des  auncienes  aventures. 

De  Dampne-Dieu  seit-il  benêt 

Qi  en  escripture  les  mettei. 

Amen. 


jPtdonsi  et  |)roi)frbf0. 

Ms.  Harl.  4677. 
Cl  CimiME.^CEXT  LES  ÎRE\TE-S1S  MESTRES  FOLIES  '. 


£  ki  beu  les  entent 
Trente-six  sens  apreiit. 


Ki  nul  bien  ne  scet  ne  nui  voitaprendre, 

Ki  mult  acreit  et  n'ad  dunt  rendre, 

Ki  tant  dune  ke  rien  ne  relent, 

Ki  tut  promet  et  puis  ne  dune  nient, 

Ki  tant  parole  ke  nule  ne  l'escute, 

Ki  tant  manace  ke  nul  ne  1'  dute, 

Ki  tant  jure  ke  nul  ne  li  crait, 

Ki  demande  quanque  il  n'ait , 

Ki  à  foie  enemi  sun  cunseil  cunte, 

Ki  por  autrui  amer  sei-meime«s  met  à  niunte, 

Ki  rien  ad  en  burs  et  tut  bargaine, 

>  M.  Halliwell ,  dans  ses  Reliquiœ  antiquœ,  qu'il  publie  de  concert  avec 
M.  Wright,  a  donné,  d'après  le  Ms.  Gg.  I.  1.  de  la  Bibliothèque  publique  de 
Cambrige,  du  temps  d' Edouard  1 1 ,  cette  pièce,  réduite  à  trente-deux  manières , 
de  folies.  Nous  l'imprimons  ici  d'après  le  manuscrit  du  Musée  Britannique, 
qui  est  plus  complet;  elle  n'est  pas  portée  dans  le  catalogue  au  nombre  des 
pièces  que  contient  ce  manuscrit.  Voir  ci-dessus,  p.  6,  une  pièce  analogue 
à  celle-ci ,  intitulée  Des  six  Manières  de  Fols. 


DiCTOrsS  ET  PROVERBES.  373 

Ki  à  scient  tut  pert  et  rien  ne  guaine, 

Ki  tuz  het  et  nul  guères  li  aime, 

Ki  plus  fet  en  un  jur  ke  plus  ne  poet  la  semayne , 

Ki  por  estrange  enchace  le  soen  privé  demaine, 

Ki  à  tuz  creit  e  nul  ne  le  poet  créer, 

Ki  trop  se  entremet  de  chose  dunt  il  n'a  kc  fère, 

Ki  en  tens  de  bone  peis  désire  la  guère, 

Ki  altres  blâme  dunt  il  meime  est  cupable, 

Ki  se  fi  en  chose  ke  n'est  pas  estable, 

Ki  faus  e  fel  e  fol  escute  et  trop  le  contoyc, 

Ki  à  sun  seignur  lige  trop  se  desroye, 

Ki  fous  est  et  plus  fol  se  fet , 

Ki  trop  s'en  joist  de  son  mesfet , 

Ki  n'ad  ki  li  sert  et  il  meimes  ne  volt , 

Ki  trop  se  esmaye  quant  fère  ne  le  estot , 

Ki  ben  poet  eslir  et  se  prent  al  pir, 

Ki  tuz  quide  veincre  par  estut  et  par  mesdir, 

Ki  pur  autre  son  bien  desaudre, 
Ki  tant  s'avaunt  ke  nul  ne  l'alue, 

Ki  bien  ne  volt  fère  ne  altre  le  lésez , 

Ki  quide  ke  ben  seît  quanquez  li  pleisez, 

Ki  mult  em prent  et  nent  ne  achève, 

Ki  saunz  drait  e  résun  sun  an)i  grève, 

Ki  trop  fet  de  mal  et  nent  se  repent, 

Ki  bien  ad  fait  e  puis  se  repent, 

Ki  cestes  folies  aprent,  trcnie-sis  sens  aprent. 

Ki  ben  les  tendreit  en  maint  lin  amé  serra, 

Par  coe  wus  pri  sur  tote  riens  : 

Lessez  les  mais,  fêtes  les  biens, 

Ne  sèez  pas  envions  ne  plains  de  ire. 
No  jamès  à  vostrc  voile 

Ne  wous  lessez  vaincre  orgoile; 


374  DICTONS  ET  PROVERBES. 

Fêtes  bien  pur  mielz  aver  ; 
Si  freez  sen  e  sa  ver. 


Ms.  Harl.  4043. 

Février  de  tous  les  mois 

Le  plus  court  et  moins  courtois. 

En  mars  me  lie,  en  mars  me  taille, 

Je  rends  prou  quant  on  m'y  travaille. 

Le  curé  disoit  :  «  Les  pasques  pluvieuses 

Sont  souvent  froumenteuses.  » 

Et  son  clerc  respondoit  : 

«  Et  souvent  fort  menteuses.  » 

Depuis  Pasques  au  jeu , 

Depuis  Noël  au  feu. 
En  may  rosée,  en  mars  grésil , 
Pluye  abondante  au  mois  d'avril, 
Le  laboureur  contentent  plus 
Que  ne  feroyenl  cinq  cens  escux. 
En  mars  quant  il  tonne 
Chascun  s'en  estonne; 
En  avril  s'il  tonne 
C'est  nouvelle  bonne. 
En  mois  d'aoust  et  de  juillet, 
Bouche  moite  et  l'engin  sec. 
Dès  le  Sainct-Marlin 
Boy  le  nouveau  vin. 
Qui  voit  à  Noël  les  mouschons 
A  Pasques  verra  les  glaçons. 
La  lune  est  périlleuse  au  cinq , 


DICTONS  Eï  PROVERBES.  375 

Au  quatre,  six  et  huict  et  vingt. 
Prens  du  temps  la  règle  commune 
En  premier  mardy  de  la  lune. 
Le  soleil  fait  par  excellence 
Au  samedy  la  révérence, 
Du  dimanche  au  matin  le  pluye 
Bien  souvent  la  semaine  ennuyé. 
Vendredy  de  la  semaine  est 
Le  plus  beau  jour  ou  le  plus  laid. 
Pauvre  laboureur,  tu  ne  vois 
Jamais  ton  bled  beau  l'an  deux  fois  ; 
Car  si  tu  le  vois  beau  en  herbe 
Tu  ne  l'y  verras  pas  en  gerbe. 

Janvier  le  frilleux , 

Février  grésilleux , 

Et  mars  le  poudreux, 

May  clair  et  venteux 

Font  l'an  et  l'om  heureux  '. 


•  Nous  avons  trouvé  encore  dans  le  Ms.  Arundel  220  les  proverbes  sui- 
vants. Ceux  qui  n'ont  aucun  signe  sont  inédits  ;  les  proverbes  précédés 
d'une  croix  (f)  ont  été  publiés  avec  des  variantes ,  et  ceux  précédés  d'une 
astérisque  (*)  sont  imprimés  textuellement  dans  les  Proverbes  et  Dictons 
populaires  aux  IS«  et  14c  siècles.  Paris,  Crapelet,  1835,  grand  in-8". 

Few  de  fere, 

Raspe  de  eawe, 

Gasteu  de  aveigne, 

EncljTi  de  moyne, 
f  Promesse  de  esquyer, 
•j-  Enbracie  de  cbivaler. 

Serment  de  ribaud , 

Lerme  de  noneyne, 

Mensonge  d''erbeyr*, 
-f  Rechynne  de  anne, 

*  Voir  le  Dil  de  VErberie,  dans  mon  édition  dcj  OExivres  complètes  de  Rate b eu/, 
l,  I ,  p.  fflO. 


376  DICTOINS  ET  PROVERBES. 

*  Abbay  de  chyn , 

Huy  de  willeyn , 
-|-  Maunger  de  norice, 

Acoyscement  de  enfant , 

*  Councile  de  apostoyle, 

*  Pleyt  de  mariage, 

*  Parlement  de  roy, 

f  Assemblé  de  borjois, 
•f  Turbe  de  willeyns, 
f  Foule  de  garsouns, 

*  Noise  de  fferae, 

*  Grete  de  gelyns, 

*  Marteleys  de  ffeverys, 
Buleyterie  de  bouleneers, 

*  ïrébucye  de  chareterys, 
Anée  raas, 

-\-  Elle  de  lous, 

-J-  Crucye  de  toneyr, 

*  Avarisse  de  proveyr, 

*  Coveytisse  de  moyns  blauns, 

*  Envye  de  noyrs, 

*  Mellé  de  ribaus, 

*  Descors  de  chapitels, 
Mensonge  de  pereceous, 

*  Desléutés  de  plédours, 

*  Orgoyl  de  templer, 

*  Bobbant  de  ospiteler, 

Touz  ceuz  ne  valent  un  dener. 


CHANSONS. 


£a  ©fnue  ht  Bitn  à  3lrras  '♦ 

Ms.  184,  suj^lémcnt  français,  Bibliothèque  Royale. 


1. 


Arras  est  escole  de  tous  biens  entendre  : 
Quant  on  veut  d'Arras  le  plus  caitif  prendre, 
En  autre  païs  se  puet  por  boin  vendre. 
On  voit  les  honors  d'Arras  si  estendre, 
Je  vi  l'autre  jor  le  ciel  là  sus  fendre  : 
Dex  voloit  d'Arras  les  niotés  aprendre'  : 

Et  pbr  li  doureles 

Vadou  vadu  vadourenne. 

Quant  Diex  fu  malades,  por  lui  rehaitiei 
A  l'ostel  le  prince  se  vint  acointier. 
Compaignons  manda  por  estudiier  : 
Pouchins  li  ainsnés  ki  bien  set  raisnier 

>  Dans  le  manuscrit ,  cette  chanson  est  précédée  d'oo  grand  nombre 
de  motels  notés  en  musique  et  sur  des  sujets  profanes. 

3  Cette  chanson  du  xm^  siècle  est  curieose  en  ce  qu'elle  roule  sur  un  su- 
jet analogue  à  celui  de  Déranger  : 

Un  jour  le  bon  Dieu  s'éTeillant,  etc. 


378  CHANSONS. 

De  compleusion  d'astrenomiier. 
Je  vi  k'il  fist  Diu  le  couleur  cangier, 
Car  encontre  lui  ne  se  seul  aidier, 
Et  per  li  doureles 
Vadou  vadu  vadourenne. 

Diex  a  fait  mander  Robert  de  le  Pierre, 
Car  dou  viel  Fromont  seut-il  la  manière 
Si  vint  Ghilebers,  Phelipos,  Verdière, 
Et  si  est  venus  Roussiaus  li  tailliére. 
Ghilebers  canta  de  se  dame  cière  : 
Diex  dist  k'il  siura  tous  tans  leur  banière. 
Et  per  li  doureles 
Vadou  vadu  vadourenne. 

Breliaus  s'est  vantés  k'à  Diu  s'en  ira, 
Plus  que  tout  li  autre  l'esbaniera. 
H  fist  le  paon,  se  braie  avala, 
Celui  de  Beugin  trestout  porkia. 
Diex  en  eust  tel  joie,  de  ris  s'escreva  : 
De  se  maladie  trestous  respassa, 
Et  per  li  doureles 
Vadou  vadu  vadourennes. 

Or  est  Diex  waris  de  se  maladie. 
Garés  vint  laiens,  ce  fu  vilenie. 
Et  Baudes  Becons,  ki  met  s'estudic 
En  trufe  et  en  vent  et  en  merderie. 
De  leur  mauvaisté  Diex  se  regramie, 
Quar  se  grans  quartainc  li  est  renforcic. 
Et  per  li  doureles 
Vadou  vadu  vadourennes. 


CHAiNSOlNS.  .  379 

Puis  fist  Diex  mander  un  grant  maistre  wike  : 
De  tous  boins  morsiaus  seut-il  le  fusike; 
Il  n'a  sen  parel  dusk'en  Salenike, 
Ne  milleur  de  lui  avoec  home  rike. 
Quant  voit  le  ronssole  durement  s'estrike, 

Et  per  li  doureles 

Vadou  vadu  vadourennes. 


II. 

De  canter  ne  me  puis  tenir; 

S'est  drois  ke  cançon  face. 
Or  m'en  doinst  Diex  à  cief  venir, 

K'as  courtois  mal  ne  face; 

Mais  por  rougir  le  face 
Doit-on  des  mauvais  recorder 
Pour  faire  leur  vie  amender. 

Li  hom  quant  au  couniencement 

Le  cose  loe  et  prise, 
Quant  il  vient  au  grant  sairement 

Çou  k'a  loé  desprise. 

Loiauté  n'a  point  mise 
En  sen  cuer,  mais  grant  fausseté; 
A  sen  oés  fait  trop  grant  viuté. 

Je  ne  vos  os  nomer  nului  : 

G'i  aroie  damage; 
On  voit  tout  cler  voir  aujourd'ui , 


380  CHANSONS. 

Par  faus  eskevinagc 

Va  no  cités  à  rage, 
De  coi  li  pais  est  destruis  : 
En  Arras,  voir,  assés  en  truis. 

Se  je  nome  les  Frekinois  ', 

Ce  seroit  vilenie; 
Ne  Cosselens,  ne  Poucinois, 

Ne  ex  ne  leur  maisnie. 

Je  ne  nomerai  mie 
Garel,  voir,  car  il  est  preudom  : 
D'infer  ara  le  grant  pardon. 

Certes,  çou  est  grans  estrelois 
Et  s'est  cose  grevaine, 

Vint  mile  livres  de  tornois 
Cousta  ceste  vintaine  : 
Li  cose  en  est  certaine. 

Teus  se  plainst,  je  sai  tout  de  voir, 

Que  ce  fu  por  le  brice  avoir. 

Je  me  Ip  moût  des  Poucinois 
Et  de  trestous  les  frères; 

Jakes  est  sages  et  courtois 
Et  Simons  est  souffrères; 
Cholars  n'est  pas  nientèrcs, 

Pakés  reset  toutes  les  lois, 

Ki  set  entendre  sen  tiois. 


>  J'ignore  complclemenl  le  sens  de  ces  expressions;  mais  il  est  évideii 
que  celle  chanson ,  comme  celle  (jui  suil,  esl  une  salire  conlre  Tadminis- 
tration  municipale  d'Arras. 


CHANSONS.  381 

N'os  nomer  Robert  Maraduit  ; 

Plains  est  de  courtesie. 
En  loiaulé  a  le  cuer  diiit, 

Ce  dist  bien  se  maisnie; 

11  het  trop  vilenie  : 
Ne  sai  niilleur  de  sen  jovenl  ; 
Jou  l'oï  dire  Floevent. 

On  me  tenroit  voir  à  musart 

Se  pareil  des  Cipauwés, 
Du  gentil  cuer  Henri  Nazart 

Et  de  ses  grans  lubauwés; 

N'a  pas  paroles  flaûwés, 
Ains  est  prendom;  se  je  ne  ment, 
H  set  bien  faire  un  testament. 

Je  n'ose  nomer  Audefroi, 

Trop  est  de  grant  lignage; 
11  fu  preudom ,  si  corn  je  croi  ; 

En  sen  eskevinage. 

Il  eut  bien  tesmoignage, 
Par  foi,  k'il  fist  le  taille  à  point, 
Mais  li  abés  après  l'en  point. 

Willaume  as  paus  ala  souflant 

Com  cil  ki  le  set  faire; 
Audefrois  en  ala  enflant, 

Je  sai  trestout  l'afaire; 

Taille  convint  refaire 
De  coi  li  abés  fu  déçus , 
Car  ses  contes  fu  tous  boçus. 


382  CHANSONS. 


III. 

Arras  ki  jà  fus 
Dame  sans  refus 

Del  pais, 
Tu  es  confondus 
Trais  et  vendus 

Et  haïs, 
N'en  toi  n'a  deffense 
Se  Cil  ne  te  tense 
Ki  en  crois  fu  mis  : 
Ti  vilain  ouvrage 
T'ont  mis  en  servage, 
Por  ce  en  dirai  gnif  ' . 

E  Arras  li  biaus! 
T'es  vile  roiaus 

Des  cités, 
Se  tes  apoiaus 
Fust  vrais  et  loiaus. 

Faussetés 
N'i  éust  poissancej 
11  n'a  vile  en  France 
De  ci  dusk'à  Miaus 
Qui  fust  plus  cortoise. 
Te  maie  despoise 
Me  fait  dire  :  gnauj. 


'  Cette  chanson ,  outre  son  ton  satirique,  est  encore  remarquable  par  la 
singulière  exclamation  qui  termine  chaque  couplet. 


CHANSOiNS.  ;}83 

Je  me  sui  perçus 
Frekins  as  sorcus 

Est  tous  mas. 
Ausi  m'ait  Diex, 
Texen  fjstses  jus 

Et  ses  gas 
Partie  vaut  la  face 
Li  parra  tel  trace 
Quant  poins  en  venra  5 
Qui  d'autrui  pesance 
Veut  faire  beubance 
On  en  dira  :  gnaf. 

Ore  est  aparans 

Li  maus  de  lonctans 

Porcaciés. 
Il  a  bien  trente  ans 
Que  li  premiers  pans 

Fu  tailliés 
De  le  trenquerie 
Dont  li  bourghesie 
Gist  ore  entre  pies. 
J'en  ai  grant  engaigne  : 
Leur  mauvaise  ouvraigne 
Me  fait  dire  :  gnief. 

Li  gros  grains  dékiet , 
Jedi,  qui  k'il  griet, 

Oïant  tous, 
Quant  al  un  meskiet , 
A  l'autre  bien  siet. 

Tous  jalons 


384  CHANSONS. 

Est  cascuns  d'esbatre 
Le  verghe  à  lui  batre  : 
Nus  n'est  paourous 
De  honte  entreprendre  : 
Je's  en  voel  reprendre 
Kt  s'en  dirai  :  gnouf. 

Certes,  je  mespris 
L'orne  qui  est  pris 

Par  mal  los, 
Quant  de  sen  pais 
Ne  veut  estre  oïs 
De  ses  tors. 
C'est  mult  laide  cose 
Quant  Voukier  ne  s'os( 
Dont  il  fu  nouris, 
Ne  droit  n'ose  atendre 
S'en  le  maine  pendre, 
Jou  en  dirai  :  gnif. 

C'est  grans  estrelois 
C'on  fausse  les  drois 

Vrais  escris-, 
Mesire  li  rois 
Doit  prendre  conrois 

De  teus  cris. 
Point  ne  m'esmervelle 
Se  li  quens  travelle 
Hardrés  n'Aloris. 
Qui  font  le  servage 
De  leur  grant  damage 
Doit-on  dire  :  qnif. 


CHANSONS.  US» 

Li  Rois  qui  ne  ment 
Prendra  vengement 

De  leur  cors  : 
En  mult  grief  tourment 
lèrent  longement, 

N'est  pas  tors. 
Langhe  aront  muiele; 
Passion  novele 
Par  devant  leur  mors 
Leur  sera  voisine, 
Goûte  palacine, 
Leur  fera  dire  :  gnqf. 

Ne  tieng  mie  à  fol 
Guion  de  Saint-Pol 

N'a  estout; 
Premiers  baissa  col 
<^uant  il  vit  sen  vol 

Por  le  tout. 
Lors  devint  peskières  : 
En  sèkes  gaskières 
U  eue  ne  court 
Prist  un  pisson  rike, 
Dusk'en  Salenike 
En  dist  cascuns  :  gnoiif. 

Cil  de  Guienci 
Sour  borgne  ronci 

Dur  trotant 
Les  rens  i  fendi  5 
Une  rois  tendi 

Maintenant , 


38C  CHANSONS. 

Ce  fu  voirs  sans  faille, 
C'ainques  n'i  prist  quaille 

N'aloé  cantant, 
Ains  prist  tel  verdière 
Aine  ne  vi  si  kière  : 
Por  ce  en  dirai  :  gnanf. 


FIN.- 


NOTES 

ET   ÉCLAIRCISSEMENTS, 


NOTE   A. 

(Voyez  p.  72.) 

Le  poëme  d'Amis  et  Amile,  dont  parle  la  pièce  intitulée  les 
sis  Manières  défais,  est  un  des  thèmes  favoris  adoptés  par  les 
poètes  du  moyen  âge.  Prose  latine  et  française ,  poésie ,  drame, 
rien  n'a  été  négligé  de  ce  qui  pouvait  donner  de  la  célébrité  à 
cette  vieille  et  intéressante  fable.  Il  y  aurait  certes  à  son  sujet 
un  travail  curieux  de  recherches  et  d'exhumation  à  entreprendre, 
mais  ce  n'est  pas  ici  la  place.  Nous  nous  bornerons  donc  à  l'exacte 
analyse  que  M.  Chabaille  a  bien  voulu  faire  et  nous  permettre 
de  placer  ici  du  poème-roman  d'Amile  et  Amis,  d'après  la  le- 
çon du  manuscrit  français  de  la  Bibliothèque  Royale,  n"  7227-5 
Colbert. 

Voici  d'abord  le  début  du  poëme  : 

Or  entendez,  seignor,  gentil  baron, 
Que  Deus  de  gloire  voz  face  vrai  pardon. 
De  tel  barnaige  doit-on  dire  chanson 
Que  ne  soit  mie  de  noient  la  raison. 
Ce  n'est  pas  fable  que  dire  vous  volons, 
Ansoiz  est  voirs  autressi  com  sermon , 
Car  plusors  gens  à  tesmoing  en  traionz, 
Clers  et  provoires,  gens  de  religion. 
Li  pèlerin  qui  à  Saint-Jaque  vont 
Le  sèvent  bien  se  ce  est  voirs  ou  non. 
Huimais  orrez  de  deus  bons  compaingnons  : 
Ce  est  d'Amile  et  d'Amis  le  baron. 
Engendré  furent  par  sainte  annuncion 
Et  en  an  jor  furent  né  li  baron. 


388  NOTES 

A  Mortiers  gisent,  que  de  fî  le  scit-on  : 
Huimais  orrez  de  ces  dciis  compaingnons 
Coin  il  servirent  à  Paris  à  Charlon 
Par  lor  grant  coinpaingnie. 

Après  cette  courte  introduction,  le  trouvère  nous  apprend  que 
les  deux  héros  de  son  ix>ëme  eurent  pour  parrain  Ysoré ,  évêque 
de  Rome,  qui  les  combla  de  bienfaits.  L'un  fut  élevé  en  Berri, 
l'autre  en  Auvergne,  et  jamais  on  ne  vit  chevaliers  plus  beaux 
ni  qui  se  ressemblassent  davantage.  Plus  tard  Amile  va  dans  le 
Milanais  et  Amis  en  Calabre,où  ils  font  mainte  conquête.  Ils  re- 
viennent ensuite  en  France ,  se  rencontrent  et  prennent  la  réso- 
lution d'aller  à  la  cour,  à  Paris,  et  d'offrir  leurs  services  au  roi. 

Le  trouvère  continue  ainsi  : 

A  icel  jor  qu'il  vinrent  à  Charlon 
Leva  li  cris  maintenant  des  Bretons  : 
La  proie  acoillent  qui  iert  devant  le  pont,  ' 
Lors  s'adouba  la  maisnie  Charlon. 
Vestent  haubers ,  lacent  elmes  reons, 
Ceingnent  espées  as  senestres  girons. 
Montent  es  selles  des  destriers  arragons  ; 
A  lor  cols  pendent  les  escus  as  lyons, 
Et  en  lor  poins  les  roiaus  confanons. 
Oevrent  les  portes,  les  pons  lièvent  amont , 
Si  s'en  issircnt  à  force  et  à  bandon. 

A  leur  apparition  sur  le  champ  de  bataille, 

Bien  i  ferirent  andui  li  compaingnon , 
Deus  contes  prinrent,  Berart  et  Ni^velon , 
Si  les  envoient  à  Paris  en  prison  ; 
Liés  en  fu  Karle  et  sa  fille  par  non  , 
C'est  Belissans  à  la  clère  fason. 
Huimais  orrez  de  Hardré  le  félon 
Qui  porchasa  la  mortel  Iraïson 
Por  les  contes  ocirre. 

Cet  Hardré  cherche  à  inspirer  de  la  défiance  au  roi  contre  les 
deux  amis;  mais,voyant  repousser  ses  malveillantes  insinuations, 
il  dit  à  Charlemagne  qu'il  ne  lui  a  tenti  ces  discours  que  pour  l'é- 
prouver, et  qu'il  lui  conseille  au  contraire  de  les  récompenser 
magnifiquement. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  389 

El  dist  li  rois  :  «  Or  oi  plait  qui  bien  «iel  ; 
Ce  me  resamble  raisons  et  amisliez.  > 

Le  traître  fait  l'empressé  auprès  d'Amile  et  Amis  : 

.  Seignor,  dist-il,  tenir  me  devez  chier; 
Envers  le  roi  vous  ai-je  bien  aidié. 
Tout  orendroit  le  ma-il  tiancié  : 
Chascun  donra  quatre  chasliax  en  fié 
Ou  tel  cité  qui  moult  fait  à  prisier.  » 
Dienl  li  conte  :  «  Est-ce  voirs,  par  vo  chief  ? 
Si  vous  ait  li  verais  Justiciers 
Comme  vers  noz  iestez  de  cuer  entiers, 
El  que  bien  le  savommez.  . 

Peu  satisfait  de  ses  tentatives  auprès  du  roi ,  Hardré  prend  se- 
crètement le  chemin  de  Nivelle  et  va  trouver  Gombaut  le  Lo- 
hainc,  à  qui  Charlemagne  se  prépare  à  faire  la  guerre. 

Gombaus  le  voit ,  si  li  a  prins  à  dire  : 
«  Sire  Hardré,  se  Dex  vous  bénéie. 
Par  oui  conduit  venez  en  ceste  ville?  » 
Dislli  traîtres  :  «  Par  le  vostre^  biax  sire. 
Forment  me  bel  li  rois  et  la  roïnne  ; 
Deus  soudoier  portent  à  moi  envie  : 
Ce  est  Amis  et  ses  compains  Amiles  ; 
Car  les  noz  faitez  détranchier  et  ocirre. 
Je  vous  donrai  de  mon  avoir  mil  livres.  » 

Ces  conditions  sont  acceptées,  et  Hardré  regagne  Paris  en 
toute  hâte.  Amis  et  Amile  le  rencontrent  à  la  sortie  de  l'église; 

Quant  il  le  voient,  si  l'ont  arraisonné  : 
t  Sire  Hardré,  oîi  fuslez-vous  alez? 
—  Par  Deu,  seignor,  jà  n'orrez  vérité. 
A  Saint. Lambert  alai  por  voz  orer, 
Por  vous  me  sui  traveilliez  et  penez.  » 
Dienl  li  conte  :  .  Nous  le  savons  assez.  » 

Un  messager  de  Gombaut  vient  avertir  Hardré  que  son  maître, 
à  la  tête  de  quatre  mille  hommes,  est  en  embuscade  non  loin  de 
Paris.  A  la  nouvelle  que  leur  en  donne  Hardré, 


390  NOTES 

Li  chevalier  sont  de  la  ville  issu , 
En  lor  dos  ont  les  blans  haubers  veslus 
Kt  en  lor  chiés  les  vers  elmes  aguz  : 
Jusqu'à  l'agait  n'i  sont  arrestéu. 
Hardrés  les  guie,  H  traîtres  parjurs  : 
Jhésus-Cris  le  maudie  ! 

Un  rude  combat  s'engage,  et,  comme  dans  le  premier,  Amis 
et  Amile  font  encore  deux  prisonniers  qu'ils  envoient  au  roi. 
Quant  à  Hardré,  apercevant,  étendus  sous  un  arbre,  deux  cheva- 
liers tués  dans  la  mêlée ,  il  leur  coupe  la  tète  ,  la  suspend  en  tro- 
phée à  l'arçon  de  sa  selle,  et  revenant  fièrement  près  du  roi, 

Si  s'escria  à  sa  vois  qu'il  ol  clère  : 
«  Que  ditez-vous ,  sire  drois  empereres  ? 
Vostre  anemi  ont  widié  la  contrée; 
Fuiant  s'en  vont,  Joinchières  ont  passée. 
Li  soudoier  mar  virent  la  meslée, 
(;;ar  mort  i  sont  cl  fons  d'une  valce.  » 
Li  rois  l'entent,  s'a  la  coulor  muée, 
Et  Bèlyssans  est  chéue  pasmée 
Quant  Hardré  entendirent. 

Revenue  de  son  évanouissement  et  après  avoir  exhalé  ses  re- 
grets sur  le  sort  d' Amile ,  Bellisent  accuse  Hardré  de  trahison. 
L'empereur  représente  à  sa  fdle  qu'elle  est  injuste 

.  Envers  Hardré  qui  est  bons  chevaliers  ; 
En  la  bataille  s'csl-ii  moult  bien  aidiez  ; 
Il  i  a  mors  deus  vaillans  chevaliers.  » 
Et  dist  Hardrés  :  «  Or  oi  plait  qui  bien  siet  ; 
Ce  me  resamble  aniors  et  aniistiez.  • 

Saisissant  l'occasion ,  Hardré  demande  et  obtient  même  de 
l'empereur  la  charge  de  gonfanonier  que  remplissait  le  comte 
Amile;  mais,  dit  le  trouvère, 

Porquoi  le  prinst  li  cuivers  losengiers  ? 
Puis  fu  un  jors  qu'il  en  perdi  le  chief  ; 
Car  li  dui  conte  repairlèrent  arrier, 
S'ont  amené  deux  bons  chevax  corsiers. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  391 

Et  deus  frans  contes  qu'il  ont  prins  et  loiez 
Par  lor  chevaleries. 

Ce  retour  inespéré  comble  de  joie  Bellissent  et  l'empereur. 
Amile  pousse  la  générosité  jusqu'à  prendre  la  défense  d'Hardré, 
que  Charlemagne  menace  d'un  terrible  châtiment,  et  celui-ci, 
éperdu, 

Isnellemcnt  se  Iraist  devers  les  contes  ; 
€  Seignor,  dist-il ,  c'or  celez  ma  grant  honte, 
Je  vous  donrai  de  mon  avoir  mite  onces, 
Et  Lubias  la  cortoise,  la  blonde  : 
L'un  de  vous  ferai  riche.  • 

Sur  le  refus  d' Amile,  Amis'  accepte  la  main  de  Lubias,  cette 
nièce  d'Hardré , 

Qui  plus  blanche  est  que  serainne  ne  fée.... 
Grans  noces  Grent,  jà  plus  grans  ne  verraz  ; 
Celle  l'ahiert  et  semont  et  abat, 
S'elle  onques  puet ,  elle  le  cunchiera  : 
Li  amistiés  d'Âmile  li  toldra; 
Mais  Dammel-Dex ,  seignor,  l'en  gardera , 
Car  moult  est  saiges  contes. 

Dès  la  première  nuit  de  ses  noces  ,  Lubias  cherche  à  exciter 
la  jalousie  de  son  mari  contre  Amile  ;  loin  de  prêter  l'oreille  à 
ses  calomnies.  Amis  lui  annonce  qu'il  va  partir  pour  rejoindre 
son  loyal  compagnon.  Après  avoir  passé  quelque  temps  ensemble, 
Amis ,  les  larmes  aux  yeux,  consulte  son  compagnon  sur  le  désir 
qu'il  éprouve  de  revoir  sa  femme  et  son  fils.  Amile  lui  répond  : 

.  11  est  bien  drois,  par  sainte  charité, 
Que's  aillissiez  veoir  et  esgarder. 
Car  sa  moillier  doit>on  bien  honorer  ; 
Mais  une  chose  vous  voil  dire  et  conter. 
Sire  compains,  que  vous  ne  m'oubliez.  » 
E  dist  li  cuens  :  «  Por  noient  en  parlez  : 
Je  vous  plevis  les  moies  loiautcz; 

mais,  à  votre  tour,  évitez  de  vous  lier  avec  Hardré  et  songez  que 

La  [ille  Karle  ne  vous  chaut  à  amer, 
Ne  cmbracier  ses  flans  ne  ses  costez  ; 


39Ï  NOTES 

Car  puisque  famé  fait  home  acuiverter 
Et  père  et  mère  H  fait  entr' oublier, 
Gouzins  et  frères  et  ses  amis  cbarnez , 
De  la  gourpille  vous  doit  bien  ramembrer 
Qui  siet  soz  l'aubre  et  vueult  amont  haper, 
Voit  les  cesses  et  le  fruit  méurer  : 
Elle  n'en  gouste,  qu'elle  n'i  puet  monter.  » 
Et  dist  li  cuens  :  «  Si  com  voz  commandez. 
Mais  encor  proi ,  por  Deu  de  majestez , 
Sire  compains,  que  voz  ne  m'oubliez.  » 

Malgré  les  sages  recommandations  d'Amis ,  Amile,  gagné  par 
ïes  prévenances  d'Hardré,  consent  à  en  faire  son  compagnon.  A 
cette  nouvelle, 

La  Olle  Karle,  Belyssant  au  vis  cler, 
Tout  en  plorant  vint  au  conte  parler  ; 

Bêlement  l'arraisonne  ; 
<  Biaus  sire  À  mile,  dist  la  franche  meschine. 
Je  vous  otfri  l'autre  jor  mon  service 
Dedens  ma  chambre  en  pure  ma  chemise  ; 
Bien  vous  séustez  de  m'amor  escondire  : 
Envers  Hardré  ne  1'  féistez-vous  raie, 
Qui  tant  est  fel  et  crueuls  et  traîtres...  » 
Ce  dist  li  cuens  :  t  Ne  vous  poist,  douce  amie  ; 
Si  m'ait  Dex ,  au  cuer  en  ai  grant  ire; 

Mais  je  n'en  puis  plus  faire.  > 

JLe  chevalier  répond  à  de  nouvelles  avances  de  Bellissent  avec 
ïin  sang-froid  vraiment  admirable  : 

....  Dame,  ci  a  grant  mesprison. 
Jà  vous  demande  li  fort  rois  d'Arragon , 
Et  d'Espolice  Girars  li  fiuls  Olhon, 
Qui  mainne  en  ost  plus  de  mil  compaingnwis  ^ 
Ne  les  panriez  por  tout  l'or  de  cest  mont. 
Et  moi  volez  qui  n'ai  un  esporon , 
Ne  bore  ne  ville,  ne  chaslel  ne  donjon  ; 
Onques  ne  vi  mon  feu  ne  ma  maison. 
Je  ne  1'  feroie  por  tout  l'or  de  cesl  mont; 
Mais  je  serai ,  ma  dame,  li  vostre  hom , 
Servirai  vous  à  force  et  à  bandon  ; 
Car  ce  doi-je  bien  faire. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  393 

Ces  refus  réitérés  ne  découragent  pas  la  princesse,  qu'une  ruse 
hardie  fait  parvenir  à  ses  fins.  Découverts  par  leur  ennemi ,  les 
amants 

Déproient  le  Irailor  Hardré  ; 

Hais  il  n'i  treuvent  ne  foi  ne  loiauté. 

Voit  le  li  cuens,  moult  s'en  est  aïrez; 

La  fille  Karle  l'en  prinst  à  apeller  : 

«  Sire,  fait-elle,  ne  soiez  effraez  ; 

Se  il  vous  vueult  de  noient  encuser. 

Prenez  bataille  vers  lui ,  vous  le  vaincrez , 
Qu'il  est  fel  et  traîtres.  » 

L'effet  suit  de  près  la  menace ,  et  sur  la  dénonciation  d'Hardré, 
Amile  est  mandé  par  l'empereur.  Pour  sa  défense,  le  comte  se 
borne  à  dire  : 

t  Cent  déhais  ait  en  viaire  et  el  nés 
Qui  m'en  encuse,  s'il  ne  le  vueult  monstrer  !  » 
Hardrez  l'entent ,  le  sens  cuida  desver  : 
«  Par  Deu!  Amiles,  bien  iestez  apansez; 
Jà  de  voir  dire  ne  serez  prins  prouvez. 
Drois  empereres,  mon  gaige  en  retenez. . .  » 
Et  dist  li  rois  :  <  Où  sont  dont  li  ostaige?  > 
A  icel  mot  plus  de  soisante  en  saillent. 

Moins  heureux ,  Amile,  ne  trouvant  personne  qui  veuille  lui 
servir  d'otage,  demande  ses  armes  et  son  cheval  pour  combattre 
à  l'instant  même  ; 

Et  dist  li  rois  :  t  Or  oi  plait  qui  mal  siet  ; 
S'estiiez  ores  armez  sor  vo  destrier. 
Qu'il  n'a  meillor  en  France  ne  soz  ciel , 
Bien  en  iriez  devant  mes  chevaliers  ! 
Jà  par  nul  d'euls  ne  sériiez  bailliez. 
Ne  de  ma  honte  ne  seroie  vengiez.  » 
S'espée  mande,  volt  lui  toillir  le  chief. 

Amile  n'échappe  au  ressentiment  de  Charles  que  par  l'inter- 
vention de  la  reine ,  qui  offre  son  fils ,  sa  fille  et  elle-même  pour 
otages  du  comte.  Le  roi  accepte ,  et  il  accorde  même  un  délai  de 
sept  mois  qu' Amile  demande  dans  le  dessein  d'aller  consulter 


394  NOTES 

Amis  à  Blaye  ;  mais  la  reine  ne  le  laisse  partir  qu'à  la  prière  de 
Bellisent,  et  après  en  avoir  reçu  le  serment  qu'il  reviendra  au 
jour  fixé  pour  le  combat.  En  quittant  Paris, 

Ainz  ne  tina,  si  vint  en  pré  flori  ; 

Quant  il  i  vint  si  gieta  un  sospir  : 

«  Beneois  soit  li  prés  que  je  voi  ci , 

Et  touz  li  lieus  et  li  biaus  édelis  ! 

Ci  fumez-noz  et  juré  et  plevi 

La  compaingnie  entre  moi  et  Ami  ; 

Il  l'a  gardée  com  chevaliers  de  pris 

Et  je  com  fel  et  com  Dcu  annemis, 

Tout  por  le  lieu  qui  est  biaus  et  floris 

Et  por  l'amor  au  baron  que  je  di , 

Cidormirai  orendroit  un  petit, 

Que  Dex  me  rande  mon  compaingnon  Ami...  » 

Son  vœu  est  exaucé.  Amis,  troublé  par  un  songe  pendant  le- 
quel il  se  croyait  aux  mains  avec  Hardré,  prend  le  chemin  de  la 
capitale,  bien  accompagné,  malgré  les  représentations  de  sa  femme. 
Arrivé  près  de  l'endroit  où  Amile  repose  tout  armé  de  peur  de 
surprise,  il  s'approche,  le  reconnaît,  et  bientôt  les  deux  amis  sont 
dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  Amiles  raconte  à  son  compagnon  la  fâ- 
cheuse aventure  qui  l'a  obligé  de  quitter  Paris ,  et  c'est  avec  une 
profonde  tristesse  qu'il  dit  en  parlant  de  Bellisent  et  de  sa  mère , 
ses  otages  : 

€  Je  ne  's  irai  resgarder  mais  des  mois  ; 
Hom  qui  tort  a ,  combatre  ne  se  doit. 
Par  péchié  les  ai  mortes... 

—  Sire  compains,  dist  Amis  à  Amile, 
Geste  bataille  ne  puet  rcmanoir  mie, 
Ainz  sera  faite,  par  Deu  le  fil  Marie, 

Et  la  fera,  sachiez,  mes  cors  méismes.  » 
Et  dist  Amiles  :  «  Vous  parlez  de  folie, 
Car  l'empereres  en  a  se  foi  plevie, 
Et  bien  juré  le  fil  Sainte  Marie, 
Que  d'un  autre  home  ne  la  panroil-il  mie, 
Tel  duel  a  de  sa  fille  ..  • 

—  Sire  compains,  ce  dist  Amis  li  bers. 
Si  m'ait  Diex  ,  voz  iesles  fox  prouvez  : 
Moi  et  vous  fumez  en  une  horc  engendré 


ET  ÉCLÂlRClSSEMEmS.  395 

Et  en  un  jor  et  en  une  nuit  né, 
Et  enz  un  fons  baptizié  et  levé  ; 
Et  nos  parrins,  qui  ot  non  Yzorez, 
Ses  parrinnaiges  fait  forment  à  loer. 
Or  et  argent  nous  donna  à  plenlé, 
Et  à  chascun  (ist  un  banap  donner. 
Nous  noz  sambions  de  venir  et  d'aler, 
Et  de  la  bouche  et  dou  vis  et  dou  nés. 
Dou  chevauchier  et  des  armes  porter. 
Dex  ne  tist  home  qui  de  mère  soit  nés  , 
Se  l'uns  de  nous  a  en  un  lieu  esté, 
Se  l'autre  i  vient,  que  jà  soit  avisez. 
Ostez  vos  dras  et  les  miens  vestirez  : 
Droit  à  Paris  m'en  irai  la  cité, 
Et  vous  irez...  à  Blaivies... 


Amis  termine  ses  instructions  sur  la  manière  dont  Amile  doit 
faire  les  honneurs  de  sa  maison  à  Blaye,  par  cette  recommanda- 
tion délicate  : 

«  Sire  conipains,  en  ma  chambre  entrerez 

Et  Lubias  si  fera  autre(el  ; 

Li  siens  services  vous  iert  abandonnez. 

Sire  compains,  et  vos  le  refusez  : 

Biaus  chevaliers  compains,  bonne  foi  me  portez , 

Et  vous  ramembre  de  la  grant  loiauté 

Que  li  uns  l'autre  se  doit  bien  foi  porter.  > 

Puis  il  prend  seul  le  chemin  de  Paris ,  et  son  compagnon  va 
rejoindre  son  escorte  avec  laquelle  il  se  dirige  vers  Blaye.  A  leur 
arrivée ,  trompée  par  la  ressemblance ,  Lubias 

Encontre  vint  desoz  l'ombre  d'un  pin , 
L'espée  Amile  vait-elle  recoillir; 
Li  ber  la  voit,  d'autre  part  se  guenchi , 
Voit  le  la  dame,  dou  sens  cuida  issir  ; 
c  Sire,  dist-elle,  moult  m'avez  en  porvil, 
Or  revenez  de  la  cort  de  Paris 

La  fille  Karle  baisier  et  conjoïr 

A  mal  putaige  soit  li  siens  cors  reprins  !  » 
Li  cuens  Pentent,  à  poi  n'enraige  vis  : 
liauce  la  paume,  enz  el  nés  la  féri 


396  NOTES 

Cotn  ses  coiiipains  li  ol  conlé  el  dit  ; 

Passa  avant,  as  poins  la  vait  saisir; 

Semblant  faisoit  que  la  volsist  laidir, 

Quant  si  home  li  toiUent. 

Après  un  souper  splendide  donné  à  tous  les  barons  d'Anriis, 
et  pendant  lequel  Lubias  était  placée  à  sa  droite, 

Li  cuens  Amiles  en  la  chambre  est  venus. 
En  lit  Ami  s'ala  coucher  touz  nus; 
Avec  lui  porte  son  branc  d'acier  molu  , 
Et  Lubias  a  les  siens  dras  tolus  ; 
Delez  le  conte  s'a  couchié  nu  à  nu. 
Qu'elle  le  cuide  acoler  com  son  dru  ; 
Delez  lui  sent  le  branc  d'acier  molu  : 
Grantpaor  ot,  si  s'en  est  traite  en  sus. 
Dex  !  com  est  elTraée  ! 

Elle  menace  son  prétendu  mari  de  se  plaindre  à  ses  parents, 
et  dit  qu'ils  obtiendront  facilement  de  l'évêque  un  acte  de  sépa- 
ration. Pendant  ce  temps,  le  comte,  sans  doute  pour  résister 
mieux  à  la  tentation ,  adresse  une  fervente  prière  à  Dieu  en  fa- 
veur d'Amis ,  et  il  la  termine  ainsi  : 

<  Garissez  hui  le  mien  chier  compaingnon 
Qui  est  en  France  à  Paris  à  Charlon 
An  la  bataille  de  Hardré  le  félon, 
Qu'encor  le  voie  en  sa  maistre  maison  ;  » 

Puis  il  allègue  une  ordonnance  de  médecin  qui  l'oblige  à  gar- 
der pendant  un  mois  la  plus  rigoureuse  continence; 

•  Se  nel'  fesoie,  je  sui  sans  garison. 
Mais  par  la  foi  que  devés  Deu  del  mont , 
For  quoi  haez  Amile  le  baron  ?  » 

A  cette  question  captieuse ,  Lubias  dit  que  son  ami  l'a  voulu 
iléshonorer,  et  ajoute  en  terminant  ; 

e  Por  ce  l'ai  en  hainne. 
—  Dex ,  dist  Amiles,  qui  haut  siés  et  loinz  vois, 
Esperitables  icstez ,  biax  sire  rois  ! 
Tant  par  est  fox  qui  mainte  famé  croit 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  397 

Et  qui  li  dist  noient  de  son  conseil. 
Or  sai-jc  bien  Saiemons  se  dist  voir  : 
En  sept  milliers  n'en  a  quatre,  non  trois. 
De  bien  parfailez,qui  croire  les  voldroit.  » 

Après  cet  aparté ,  il  assure  Lubias  qu'il  la  vengera  d'Amile 
en  coupant  la  tête  du  séducteur  avec  l'épée  qui  est  près  de  lui. 

Le  trouvère  nous  ramène  à  la  cour  et  nous  montre  l'empereur 
occupé  à  faire  dresser  le  bûcher  où  doivent  être  brûlés  sa  femme,  sa 
fille  et  son  fils  si  l'adversaire  d'Hardré  ne  se  présente  pas  ce 
jour-là  même  avant  midi.  La  famille  impériale  est  plongée  dans  la 
douleur,  etHardré  triomphant  vient  sommer  l'empereur  délivrer 
les  otages  aux  flammes.  Avant  de  marcher  au  supplice,  la  reine 
se  recommande  à  Dieu  ainsi  que  ses  enfants,  lorsqu'elle  aperçoit 
Amis  qui  vient  réclamer  le  combat.  La  scène  change  :  c'est  au  tour 
d'Hardré  à  trembler.  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  reproduire 
ici  les  détails  si  animés,  si  vrais,  si  dramatiques  des  formalités 
qui  précèdent,  accompagnent  et  suivent  le  combat  judiciaire 
entre  les  deux  champions.  La  lutte  se  prolonge  jusqu'à  la  nuit 
devant  l'empereur  et  toute  la  cour,  et  l'on  sépare  les  combattants. 
Ramené  au  palais  plus  maltraité  qu'Amis ,  Hardré  appelle  son 
filleul,  et  l'engage  à  imiter  sa  conduite  perverse  : 

I  Je  te  chastoi ,  biaus  filleus  Aulori , 
Que  n'aiez  cure  de  Damel-Deu  servir 
Ne  de  voir  dire,  se  ne  cuides  mentir; 
Se  vois  preudomme,  panse  de  l'escharnir  ; 
De  ta  parole,  se  tu  puez ,  le  honnis  ; 
Ardez  les  villes,  les  bors  et  les  maisnils; 
Mêlez  par  terre  autex  et  crucefiz  : 
Par  ce  serez  honorez  et  servis. 
—  Ne  t'esmaier,  parrins,  dist  Auloris; 
Bien  a  passé  trois  ans  touz  acomplis 
Que  de  bien  faire  ne  fui  volentéis  ; 
Mais  de  mal  querre  sui  touz  amanevis. 
Mors  est  Amiles  ,  ne  vous  esmaiez  si  ; 
Par  Deu ,  bien  le  me  samble. 

Le  lendemain  matin ,  Amis 

Vient  au  moustier,  s'a  faite  s'orisûn  , 


398  NOTES 

Un  anel  d'or  i  a  oflert  le  jor, 

Mais  Hardré 

Dist  cel  parole  qui  le  greva  le  jor  : 
.  1er  fiz  bataille  el  nom  dou  Criator, 
Hui  la  ferai  el  non  à  cel  seignor 
Qui  envers  Deu  n'en  ot  onques  amor  ; 
Ahi ,  Diables!  com  ancui  seraz  prouz!  • 

Après  cette  infernale  invocation  l'impie  Hardré  ne  craint  pas 
de  se  présenter  au  combat  ;  mais  Amis 

A  un  seul  coup  11  trancha  le  chief  tout  : 
Jus  à  la  terre  est  trébuchiez  li  glouz. 
I.i  rois  le  voit  et  li  autre  baron  : 
t  Vassax ,  dist-il,  sa  venez  jusqu'à  nous  : 
Si  vous  donrai  ma  fille.  • 

Cependant,  avant  de  songer  aux  fiançailles,  l'empereur  donne 
les  ordres  suivants  à  son  premier  écuyer  : 

€  La  char  Hardré  vous  convient  à  dcstrurc  : 
Traînez  soit  par  champ  et  par  couture 
Tant  qu'il  n'ait  mais  robe  ne  vesléure. 
Desor  un  pel  soit  sa  teste  férue  : 
Tant  li  laissiez  qu'escoufle  la  menjussent. 
Belissant ,  bêle,  Dex  vous  a  fait  aïue  : 
Servez  Amile  com  sa  famé  et  sa  drue; 
Riviers  11  doins,  s'il  devant  moi  vous  jure, 
Ma  grant  cité  dcsor  l'eue  de  Dunne, 
Dont  dis  mil  home  me  servent  à  droiture 
Quant  moi  vient  à  besoingne.  » 

Le  vainqueur  a  beau  s'en  défendre,  il  faut  qu'il  épouse;  ce 
n'est  pourtant  pas  sans  faire  tout  bas  ses  réserves  : 

€  Or  jurrerai  en  non  mon  campaignon  ; 
La  pénilance  en  ferai  jusqu'en  som  : 
■Ta  nel'  saura  ma  famé.  * 

Amis  se  présente  donc  à  l'autel  ;  mais  à  peine  a-t-il  fait  le 
serment  de  prendre  Bellissent  pour  femme,  qu'un  ange,  invisible 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  399 

pour  tous  les  autres,  murmure  à  son  oreille  ces  terribles  pa- 
roles : 

Di  va ,  ami,  com  te  voi  non  saichant  ! 

Tu  préiz  famé  au  los  de  tes  parans, 

Que  n'a  plus  bêle  chevaliers  ne  serjans  : 

Hui  jures  autre  ;  Deu  en  poise  forment  ; 

Moult  grans  martyres  de  ta  char  t'en  atcnt  : 

Tu  seras  ladres  et  méziaus  ausiment  ; 

Ne  te  parront  oil  ne  bouche  ne  dent  ; 

Jà  ni  auraz  aide  d'ami  ne  de  parent, 

Fors  d'Yzoré  et  d'Amile  le  gent. 

—  Je  n'en  puis  mais  bonne  chose  ;  va-t'ent , 
La  moie  char  quant  tu  vuculs  si  la  prent , 
Et  si  en  fai  del  tout  à  ton  commaut. 
Belissant  bêle,  jurez ,  je  vous  atanz. 

—  Sire,  dist-elle,  orendroit  maintenant 

Tout  à  vostre  devise.  » 

En  sortant  de  l'église,  Amis  veut  prendre  le  chemin  de  Blaye; 
mais,  retenu  jusqu'au  lendemain  matin  par  l'empereur, 

Va  s'en  Amis  li  gentis  et  li  bers. 
Si  enmainne  la  dame. 

Arrivés  sous  les  murs  de  Blaye, 

«Seignor  baron,  ce  dist  Amis  ii  ber. 
Nous  n'enterrons  hulmais  en  la  cité. 
Jusqu'à  demain  que  li  jors  parra  clers, 
Que  à  grant  joie  i  voldrommez  entrer.  » 

Ignorant  sur  le  sort  de  son  compagnon,  Amile  jette  les  yeux  sur 
la  campagne  et  aperçoit  la  nombreuse  suite  d'Amis,  qu'il  prend 
pour  une  armée  envoyée  contre  lui  par  l'empereur,  après  la 
mort  de  cet  ami  généreux.  Pour  s'en  assurer,  il  s'arme ,  et ,  à 
l'insu  de  tout  le  monde 

Parmi  la  porte  s'en  ist  touz  eslaissiez; 
Li  cuens  Amis  enmi  le  pré  se  siet  ; 
La  fille  Karle  le  tenoit  embracié. 
Il  ne  la  volt  acoler  ne  baisier  : 
Le  compaignoo  avoit-il  forment  chier. 


400  NOTES 

Bien  le  connut  sor  l'autlerrant  corsier. 
cVassax ,  dist-il  moult  par  icstez  or  fiers  ; 
Volez-nous  voz  la  ville  chalongier?  • 

Puis  il  se  précipite  à  bas  de  son  cheval , 

Trenche  les  las  de  son  elme  vergier, 

Le  blanc  haubert  lait  couler  à  ses  pies. 

Il  s'entre-corrent  acoler  et  baisier. 

€  En  non  Deu ,  sire,  ce  dist  H  cuens  Amis, 

Je  vous  ai  mort  Hardré  voslre  anemi  ; 

Si  voz  amaing  Bellissant  au  cler  vis  : 

Vous  la  panrez,  que  li  rois  le  m'a  dit...  • 

Amiles  l'oit,  moult  joians  en  devint... 

«  En  non  Deu,  sire,  li  cuens  Amiles  dist  : 

Le  mien  couvine  vous  r'arai-ge  tost  dist  : 

Lez  ta  moillier  me  couchai-je  dormir  ; 

Il  n'a  si  bêle  en  seissanle  pais  : 

Moult  m'esmerveil  com  en  poez  souffrir.  • 

Amis  l'entent,  s'en  a  gieté  un  ris. 

La  fille  Karle  en  giète  un  grant  souzpir  : 

«  Seignor,  dist-ele^  parles  sains  que  Dex  list. 

Si  vous  samblcz  d'aler  et  de  venir. 

Et  de  la  bouche  et  des  iex  et  dou  vis. 

Que  je  ne  sai  li  quex  est  mes  maris.  • 

Amis  l'entent,  s'en  a  gieté  un  ris; 

Enz  en  l'oreille  à  conseillier  li  prist  : 

«  En  non  Deu ,  dame,  mes  compains  qui  ci  vint , 

Se  Dex  m'ait,  cist  iert  vostre  maris; 

Ne  voz  ai  pas  erré  com  anemis. 

—  En  non  Deu,  sire,  mais  com  charnex  amis  : 

Par  voz  sui  honorée.  • 
La  nuit  le  laissent  dcsci  à  l'aube  clère 
Que  Belissant  ont  au  mostier  mené  ; 
Li  cuens  Amiles  l'a  iluec  espousée. 
El  palais  montent  sans  nulle  demorée 
Grans  noces  firent  li  fil  des  franches  mères. 

Com  li  cuens  prinst  la  dame. 

Le  lendemain  ils  entrent  dans  la  ville 

Et  Lubias  est  encontre  venue, 
Ou  voit  Ami ,  si  l'a  amenléus  : 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  401 

«  Qui  sont  ces  gens  qui  viennent  par  ces  rues  ?  » 

Disl  li  cuens  :  «  Dame,  ne  soiez  esperdue. 

C'est  la  gens  Karle  à  la  barbe  chenue  ; 

Ces  ameroiz ,  se  de  moi  avez  cure. 

—  Volentiers,  sire,  mais  que  séure  fuisse 

Qu'en  vostre  lit  anquenuit  me  géusse 

Que  n'i  fust  mise  la  vostre  espée  nue.  » 

Le  comte  accepte  ces  conditions  en  assurant  sa  femme  que  sa 
santé  est  parfaitement  rétablie.  Lubias  reçoit  d'abord  gracieu- 
sement les  arrivants ,  mais  elle  ne  tarde  pas  à  accuser  Amiles 
auprès  de  son  mari  d'avoir  tué  Hardré  en  trahison ,  et  elle  jure 
de  venger  la  mort  de  son  oncle.  Pour  prévenir  les  effets  de  la 
malveillance  de  sa  femme ,  Amis  va  trouver  son  compagnon  : 

«  Sire,  dist-il,  désormais  vous  levez; 
Faites  vos  homes  garnir  et  conraer  : 
Droit  vers  Riviers,  s'il  vous  plaisl,  en  irez 
Et  saisirez  toutes  vos  freraetez.  » 
Et  cil  respont  :  c  Si  com  vous  commandez.  • 

Il  se  lève,  donne  l'ordre  du  départ,  et  quitte  bientôt  la  ville; 

Ses  chevaliers  compains  le  convoia  assez , 
Deus  moult  grans  lieues,  puis  s'en  est  retornez; 
Mais  ainz  se  sont  baisié  et  acolé  : 
Plorant  se  départirent. 

Enfin,  après  un  long  voyage, 
Ez  Amile  en  sa  ville. 

De  retour  à  Blaye ,  Amis  ne  tarde  pas  à  ressentir  les  effets 
de  la  menace  de  l'ange  ; 

Moult  li  abaisse  et  angoisse  li  nés 
Et  li  retranche  durement  li  parlers. 

Le  voyant  dans  ce  triste  état,  la  méchante  Lubias  lui  propose 
une  séparation  : 

«  Dame,  dist-il,  bien  m'avez  agaitié. 
Et  sormonté  et  dei  tout  abaissié. 
La  loi  avez  à  l'oiscl  dou  rammier; 

II.  26 


402  NOTES 

Li  fox  l'agaitc  qui  dcsoz  l'aubre  siet, 
Que  V  cuidc  panre  sain  et  sauf  et  entier  : 
Miex  li  venist  qu'il  le  férist  el  chief , 
Si  le  plumast  et  éust  au  mengier  : 
Icelle  loi  avez-vos,  par  mon  chief. 
Je  vous  Guidai  servir  et  essaucier 
Comme  la  dame  oui  j'avoie  à  moillier  ; 
Or  vous  voi  si  del  tout  sauvaige  et  grief, 
:-   ,;  i,  -if.     A  Deu  m'en  claim  le  glorioz  dou  ciel 
Qu'il  m'en  face  venjance. 

Transportée  de  colère ,  elle  quitte  son  mari  et  se  rend  près  de 
révêque,  qu'elle  invite  à  prononcer  sa  séparation  d'avec  Amis. 
Le  digne  prélat  lui  adresse  de  paternelles  représentations,  aux- 
quelles la  mégère  fait  cette  insolente  réponse  :      ■~"~'-"""  • 

€  Moic  est  la  ville  et  l'annors  qui  apcnt , 
Geste  terre  est  à  mon  commandement; 
N'i  a  évesquc  ne  face  mon  talent , 
Nus  hom  n'i  a  par  maistrie  noient  : 
Laissiez  la  croce,  que  je  vous  la  deffenz  !  » 

L'évêque  résiste  à  cette  injonction  , 

Et  Lubias  si  s'est  tant  por  aléc, 
As  riches  homes  a  données  soudées, 
Et  as  borjois  piauls  de  martre  affublées  ; 
Icelle  gens  s'est  el  monstier  entrée. 
Et  tuit  ensamble  à  l'évesque  crièrent  : 
«  Por  qu'avez-vous  nostre  dame  avilliée 
Qu'à  un  mezel  l'avez  faite  privée?  » 

Le  prélat  répond  :  Est-ce  un  nouveau  seigneur  que  vous 
demandez  ?  En  ce  cas  prévenez  trois  autres  évèqucs,  et  nous 
nous  rendrons  près  du  comte  Amis  pour  constater  son  état  : 
celui-ci  ne  cherche  pas  à  cacher  qu'il  est  vraiment  attaqué  de  la 
lèpre  ;  il  se  borne  à  demander  que  Lubias  lui  fasse  préparer  une 
retraite  hors  des  murs  de  la  ville ,  et  qu'elle  le  nourrisse  des 
restes  de  sa  table. 

Li  haut  demainne  et  li  prince  mcillor 
Lubias  proient  tuit  ensamble  le  jor 
Que  la  vitaille  li  otroit  par  amors  ; 
Elle  si  list  maintenant  oiant  toz  : 


ET  ÉCLÂlRClSSEiMENTS.  403 

Dex  la  honnisse  li  pères  gloriouz , 

Que  le  couvent  li  failli-elle  tout 

Damel-Dei  la  maudie  ! 

Amis  fait  des  adieux  touchants  à  ses  chevaliers;  il  leur 
adresse  entre  autres  ces  paroles  : 

€  Li  rois  méismez  qui  France  a  à  baillier, 

M'i  ot  donné  Lubias  à  moillier, 

Geste  meschine  au  gent  cors  afaitié  ; 

Elle  est  moult  jone,  voldra  soi  envoisier  : 

S' elle  mesprent,  por  Deu,  la  chastoiez 

Un  fil  en  ai ,  celui  tenez-vous  chier  ; 

Ce  est  Girars  li  damoisiaus  légiers  :  î 

Par  lui  tenrez  vos  terres  et  vos  fiés...» 

A  ce  que  dist  li  vaillans  chevaliers, 

S'estoit  pasmée  sa  très-fausse  moilliers... 

Le  lépreux  quitte  Blaye  au  milieu  des  témoignages  sincères 
d'affliction  du  clergé  et  de  bon  nombre  des  chevaliers,  et  se  retire 
dans  une  vieille  masure  toute  délabrée;  là  Lubias  le  laisse  man- 
quer de  tout  et  pousse  l'inhumanité  au  point  d'accabler  son 
fils  de  mauvais  traitements ,  et  finit  par  le  faire  jeter  dans  un 
cachot,  parce  que  bravant  ses  ordres,  il  a  osé  porter  des  vivres 
à  son  père.  Elle  fait  ensuite  publier  un  ban 


Que  il  n'i  ait  chevalier  ne  borjois 

Qui  voist  Ami  resgarder  mais  des  mois. 

Ne  qui  li  doinst  de  quoi  il  vive  un  soir. 


Touchés  du  malheur  de  leur  bon  maître  ,  deux  jeunes  serfe , 
Garins  et  Haymes,  qu'il  avait  rachetés  et  nourris,  ne  craignent 
pas  d'adresser  cette  noble  requête  à  Lubias  : 

«  Gel  gentilhome  laissiez  de  fain  morir  ; 
Gar  nous  donnez  congié  de  lui  servir. 
Nous  l'enmenrons  en  estranges  pais. 
Là  li  querronz  et  dou  pain  et  dou  vin 
Et  de  la  char  por  Deu  qui  ne  menti.  • 

Lubias  y  consent  volontiers,  et  dans  sa  joie  elle  donne  à  ces 
jeunes  gens  son  mulet  et  trente  livres  parisis  pour  qu'ils  emmè- 
nent Amis  si  loin  qu'elle  n'en  entende  plus  parler.  Le  comte 


404  :?T7'nf    NOTES 

ne  veut  pas  s'éloigner   avant  d'avoir  dit  un  dernier  adieu  à 
son  fils.  Ramené  au  palais  par  ses  généreux  conducteurs, 

Ignellement  s'est  apuiez  au  dois  : 
li    •  €  Lubias  dame,  entendez  envers  moi  ; 

Mon  fil  Girart  me  monstrez  une  fois. 
Car  en  ma  vie  ne  le  quier  plus  véoir.  » 

A  la  touchante  prière  d'Amis,  Lubias  répond  par  cette  menace  : 

€  Se  ne  me  faitez  mon  palais  délivrer. 
Vilainement  vous  ferai  fors  bouter.  » 

Le  pauvre  père  s'éloigne,  accablé  de  douleur.  Voyant  l'intérêt 
que  lui  porte  la  population ,  Lubias  fait  de  nouveau  publier  son 
ban,  et  Amis,  sous  la  conduite  des  deux  jeunes  serfs,  prend  tris- 
tement le  chemin  de  Rome,  où  il  espère  retrouver  son  parrain, 
4e  pape  Ysoré.  Le  Saint-Père  en  effet  l'accueille  parfaitement , 
et  déjà  son  état  commençait  à  s'améliorer,  lorsqu'il  se  voit 
chasser  de  Rome  par  la  mort  de  son  parrain  et  par  la  famine. 
Amis  prend  alors  le  parti  de  se  rendre  auprès  de  sa  famille  à  Cler- 
mont  en  Auvergne.  Près  de  cette  ville  il  rencontre  ses  frères. 

Qui  s'esbanoient  as  tables  et  as  dés  ; 
Son  bras  gieta  desor  Hoedon  l'ainsné  : 
t  Frère,  dist-il ,  et  car  me  resgardez  ! 
Jà  fumez-noz  d'un  seul  père  engendré 
Et  d'une  mère  fumez-nous  tuit  trois  né, 
De  vos  avoirs  me  faitez  un  hostel  ; 
Mantel  ou  cote  ou  chape  me  donnez  ; 
Ne  me  laissiez  cest  yver  esjaler  : 
Voslre  en  sera  l'aumosne.  » 
Or  parla  Hoedes  :  hé  Dex  !  tant  mar  l'a  fait  ! 
«  Sire  malades,  car  vous  tenez  en  là. 
Maldéhais  ait  qui  vous  vit  onques  mais  ; 
Ne  jà  mes  frères  ne  serez,  se  Deu  plaist  !  » 

■,i  •:..[•  il  tiiun- 

Son  frère  puîné  renchérit  encore  sur  la  dureté  de  Eudes  ;  il 
saisit  le  mulet  d'Amis  par  le  frein,  le  fait  cabrer,  et  renverse  le 
pauvre  lépreux  si  lourdement. 

Que  par  la  char  1i  est  li  sans  saiHuz 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  m 

Et  par  la  bouche  et  par  le  nés  issuz. 
Li  serf  le  voient,  chascuns  fu  irascuz; 
Celle  part  corrent ,  chascuns  a  prins  un  fust , 
Jà  les  eussent  parmi  les  chiés  féruz. 
Quant  Amis  crie  :  •  Baron,  estez  en  suz,'^«»b  ao>' 
Laissiez  les  fols;  certez  ne  sevent  mieuz  :*  î»''?io«{'^ 
Damel-Dex  lor  pardoingne  !  .  ii»ii;>y  a?: 

Cependant  abattu  par  ce  dernier  trait  d'ingratitude  et  de 
cruauté,  Amis  prie  ses  fidèles  compagnons  de  l'abandonner  à  son 
malheureux  sort.  D'ailleurs,  ajoute-t-il ,  je  suis  hors  d'état  de 
me  tenir  plus  longtemps  sur  le  mulet; 

t  Toute  la  chars  m'est  des  cuisses  sevrée» '^^'*"*^ 
Desci  as  os  n'en  i  a  point  remese.  » 

Pourquoi  nous  l'avoir  caché?  répond  Haymes,  je  vous  aurais 
fait  un  brancard  sur  lequel  nous  vous  aurions  transporté  ;  ainsi 

Une  charrete  ont  li  serf  achatée  ;  i  ;    ' 

Trois  sols  en  donnent,  moult  l'ont  bien  atorné«^Jf|,^  i^viUu- 
Et  de  fresche  herbe  et  joinchie  et  comblée. 
Et  lor  seignor  dant  Arai  i  montèrent; 
A  la  charrete  le  murlet  atelèrent.  ' 

Toutes  les  gens  i  sont  de  maintenant  alées  : 
Jà  li  r'éusseni  bêle  chose  donnée ,       ♦?jJj  ,  >r^U  . 
D'or  et  d'argent  la  charrete  comblée        ''i     ''" 
Se  ne  fuissent  li  troi  desloial  frère 
Que  li  cors  Deu  raaudie  ! 

Dans  cet  équipage,  ils  atteignent  le  Berri  ;  mais  leurs  res- 
sources ne  tardent  pas  à  s'épuiser,  et  nos  voyageurs  se  voient 
réduits  à  la  dure  nécessité  de  vendre  leur  mulet  pour  gagner  la 
Bretagne,  où  ils  espèrent  trouver  facilement  le  moyen  de  vivre  : 

A  la  charrete  s'ont  prins  à  charroier  :  .^iis^  U 

L'uns  trait  devant ,  l'autres  boute  derrier.;  r  A  (hi 

Arrivés  sur  le  bord  de  la  mer.  Amis  demande  à  des  mariniers 
s  ils  veulent  l'embarquer;  ceux-ci  y  consentent,  à  condition  qu'il 
leur  vendra  un  de  ses  serfs. 

Glouton  !  dist-il ,  Dex  confonde  vos  chiés  !    :u  nn^  i>tt  à  ô 


406  NOTES 

Par  tout  le  mont  m'ont  cist  dui  charroié 
El  sans  euls  deus  n'auroie-je  mesticr. 
—  Sire,  dist  Haymes,  si  feroiz  par  mon  chief  ! 
Que  de  sa  chose  se  doit-on  bien  aidier, 
S'en  doit-on  bien  vendre  et  engaigier.  » 

Maugré  le  voil  Ami  et  s'amistié. 

Se  vendi  Ilaymes  as  félons  maronniers  : 

Cent  mars  d'argent  ses  en  prinst  volentiers 

Et  pain  et  vin  et  poissons  à  mengier. 

Et  si  les  doivent  oultre  la  mer  naigicr. 

On  s'embarque.  Les  matelots 

Tendent  les  cordes,  les  voiles  font  drescier; 
Li  vens  lor  vient  qui  par  vigor  i  fiert; 
Ainszi  les  maine  corne  l'aloé  esprevier.  » 

Mais  bientôt  la  discorde  éclate  parmi  l'équipage  à  cause  de 
Haymes,  que  chacun  veut  s'approprier.  Des  injures  les  marins 
passent  aux  coups -.deux  tombent  morts  dans  la  lutte,  et  les  trois 
autres  sont  jetés  à  la  mer, 

Si  qu'en  la  barge  remesl  Amis  à  pié, 
Il  et  si  home  li  dui  serf  droilurier  ; 

Il  ne  se  vent  que  faire. 
.  Dex ,  dist  Amis,  qui  onques  ne  mentiz , 
Ne  souffrez  mie  que  je  soie  périz 
S'aurai  véu  mon  compaingnon  gentil. 
—  Sire ,  dist  Haymes,  ne  vous  csmaiez  si  : 
Autre  foie  fumez  jà  malbailliz 
Dedens  la  mer  el  palagre  et  el  Ul  : 
Garins  ira  le  gouvernail  tenir     ^  ^^^^  lnvblftJ  w 
Et  je  irai  à  l'aviron  séir.^   ^j.  ,^.^g^.,^„  ,,,,4,  ^i  ,i  - . 

Après  avoir  vogué  au  hasard  pénïah'C  quinié  joùts,  ïï§  pren- 
nent enfin  terre  à  Riviers.  Arrêté  sans  le  savoir  à  la  porte  du 
comte  Amiles,  le  pauvre  lépreux 

Ses  tarterelles  commença  à  tentir  ; 
■  •nnmt  r  pjg^fgij  demande,  por  Dcu  qui  ne  menU,         ,  ,     , 

■    '■"•y:  y"'"  ["''  '  

Amiles  entend  ce  triste  appel,  et  il  charge  son  MM  àcpor- 
ter  du  pain  et  du  vin  au  malade  ;  l'officier  revient  auprès  de  son 


p  ^1  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  407 

maître  lui  apprendre  que  le  mendiant  possède  un  hanap  d'une 
grande  beauté  et  en  tout  semblable  au  sien.  Amiles  quitte  aussitôt 
la  table  et  se  met  à  la  recherche  du  lépreux ,  qui  parcourait  la 
ville  pour  recueillir  des  aumônes,  , 

Li  cuens  le  sieult  à  force  et  à  bandon. 
Voit  la  charrete,  li  serf  ierent  entor. 
Li  cuens  Âmiles  s'apuia  as  limons 
Et  li  demande  :  «  Sire,  dont  iestez-vouz?  »       i  -    * 
Et  dist  Amis  :  «  Ne  sai  qu'en  tient  à  vouz^b  ri'jid  ' 
Ne  veez-vous  que  je  sui  uns  liéprouz  ? 
Et  quier  A  mile  dont  je  sui  désirouz  ; 
Quant  je  ne  l'  truis,  moult  en  sui  corresouz  ; 
Or  voidroie  mors  icstre.  • 

Amiles  à  ces  mots  s'élance  dans  la  charrette,  presse  son  com- 
pagnon dans  ses  bras,  l'emmène  aussitôt  à  son  hôtel ,  où  Bellissent 
lui  fait  aussi  le  plus  aimable  accueil. 

<  Ahi  !  dist-clle,  gentiz  fiuls  à  baron , 
Com  vous  vi  jà  hardi  au  confanon , 
En  la  bataille  de  Ilardré  le  félon  ! 

Vous  et  mes  sires  estiiez  compaingnon.       .  .,  ;sq  umiib  / 
Ne  gerrez  mais  en  lit,  s'avec  nous  non ,    ^  y|  fjQn/j  «>K»v  '^ 
Que  de  mort  noz  garistez .  » 

Désormais  rien  ne  manque  plus  au  lépreux  que  la  santé. 
En  une  chambre  jut  la  nuit  pointe  à  flor, 

lorsqu'un  ange  lui  apparaît  et  lui  ordonne  de  déclarer  à  son 

ami 

«  Que  s'il  voloit  ses  anfans  déceler, 
Ses  deus  biaus  fiz  que  il  puet  tant  amer. 
Et  te  féist  dou  sanc  ton  cors  laver, 

Ainsiz  porroiez  garir  et  respasser,  ;,, 

Ne  autrement  tu  ne  puez  escbaper  .^i^ 

Que  tu  garisses  mie...  »  ■ 

Celle  nuit  jut  Amis  en  grant  frison 
Pour  la  nouvelle,  pour  l'amonestoison. 


Dès  le  matin,  Amiles  \ient  visiter  sou  hôte  ;  il  lui  renouvelle 
l'expression  de  sa  vive  reconnaissance. 


408  J/Uï/i.  NOTES ^JJa   14 

ytii;  -V         «  Or  croien  Deu  le  gloriouz  puissant ,  jiliftm 

lôiir;^'        Se  riens  Savoie  en  cest  siècle  vivant  î  .■,,     - 

li!  Ji«         Qui  vous  poïst  faire  assouaigement ,  Hrrt  98  * 

Se  g'en  dévoie  quanques  à  moi  apent 

Vendre,  engaigier  ou  livrer  à  torment. 

Nés  mes  deus  fiz  certez,  ou  Belissant, 

Si  le  feroi-je ,  ge  1'  vous  di  et  créant.  » 

Malgré  ou  peut-être  à  cause  de  ces  protestations ,  le  lépreux 
se  garde  bien  de  dire  à  quel  prix  la  santé  lui  est  promise.  Ce- 
pendant il  laisse  entrevoir  qu'il  y  aurait  quelque  chose  à  faire. 
Amiles  le  presse  : 

«  Compains,  dist-il,  ne  1'  me  celer  tu  mie, 

Isnellemcnt  soit  la  chose  jehie  : 

—  Non  ferai,  sire,  vous  ne  1'  feriiez  mie. 

Se  r  tenriiez  espoir  à  desverie 

Et  à  oullraige  et  à  moult  grant  folie: 

Ne  r  vous  diroie  por  tout  l'or  de  Roussie  ; 

Mieus  aimz-je  iestre  en  ceste  maladie. 

Et  à  languir  et  à  souffrir  haschic.  > 

Vaincu  par  les  instances  réitérées  de  son  compagnon,  Amis  lui 
révèle  enfin  le  fatal  secret  ; 

Li  cuens  l'entent ,  si  commence  à  plorer  : 

Ne  sot  que  faire,  ne  pot  un  mot  soner.  :        .  =,, 

Après  un  combat  déchirant  entre  l'amour  paternel  et  l'amitié, 
ce  dernier  sentiment  l'emporte  ;  Amiles  se  précipite  hors  de  la 
chambre  du  lépreux  et  court  au  Kt  où  reposent  ses  deux  jeunes 
fils  l'un  près  de  l'autre  ;  à  leur  vue ,  son  courage  et  ses  forces  l'a- 
bandonnent ,  l'épée  dont  il  s'est  armé  lui  échappe  des  mains ,  et 
il  tombe,  privé  de  sentiment.  Ayant  enfin  reprisses  sens,  il  s'ap- 
proche de  nouveau  du  lit;  immobile,  é>garé,  il  jette  un  regard  plein 
de  larmes  sur  ses  malheureux  enfants.  Pendant  cette  lutte  inté- 
rieure, l'ainé  s'éveille,  et  apprenant  ce  qui  amène  son  père,  nou-^ 
vel  Isaac,  il  l'exhorte  lui-même  à  accomplir  le  sacrifice,  à  verser 
le  sang  qui  lui  appartient ,  qui  est  son  propre  sang. 

Li  cuens  Amiles  vint  vers  le  lit  csrant, 
Haucc  l'cspée,  li  liuls  le  col  estent  ; 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  400 

Or  est  merveilles  se  li  cuers  ne  li  ment  ; 
La  teste  cope  li  pères  son  anfant , 
Le  sanc  reciut  el  cler  bacin  d'argent  : 
A  poi  ne  chiet  à  terre. 

Cependant  il  a  la  force  d'achever,  et,  muni  du  bassin,  il  court 
hors  de  lui  chez  son  compagnon. 

Amis  le  voit ,  moult  en  est  esperduz  ; 
Or  se  démente  et  dist  :  *  Las  !  tant  mar  fuz 
Que  tu  venis  en  terre  !  » 

Amiles  le  place  lui-même  dans  le  bain  sanglant ,  et  bientôt  la 
promesse  de  l'ange  se  réalise  :  le  lépreux  recouvre  sa  santé ,  sa 
vigueur,  sa  grâce  première.  Les  deux  amis,  vêtus  de  même,  se 
dirigent  vers  l'église  pour  rendre  leurs  actions  de  grâces  à  Dieu. 
Au  retour  ils  rencontrent  Bellissent,  qui  avait  passé  toute  la  ma- 
tinée à  l'office.  Revenue  de  l'évanouissement  que  lui  cause  la 
surprise  : 

e  Seignor,  dist-clle,  por  Deu  le  roi  amant. 

Je  sai  de  voir  et  croi  à  enciant 

L'uns  de  vous  deus  a  en  moi  part  moult  grant, 

Et  s'est  Âmiles  li  hardis  combatans  ; 

Mais  je  n'en  sai  faire  connoissement.  > 

Alors  Amiles  lui  présente  son  compagnon  rendu  à  la  santé. 

La  dame  l'oit ,  ses  mains  vers  Deu  en  tant  ; 
Là  s'agenoillent  plus  de  deus  mille  jant , 
Qui  luit  en  rendent  merci  au  Roi  puissant  ; 
Sonnent  cil  saint  et  cil  clerc  vont  chantant  ; 
Et  de  pitié  en  plorent  plus  de  cent. 
Ce  dist  Âmiles  :  «  Ne  faitez  joie  tant... 
Car  mi  til  sont  ocis  et  mort  sainglant... 
Venez-en  tuit,  bonne  gent  honorée, 
Serjant,  borjois,  chevalier,  gent  letrée. 
Là  sus  amont  en  la  sale  pavée 
Et  si  verroiz  tuit  la  fort  destinée  : 
Onques  si  dure  ne  fu  mais  esgardée.  » 

A  ces  mots  la  scène  change ,  la  foule  se  précipite  vers  le  palais. 

Por  les  anfans  fu  moult  grans  la  criée  ; 
Là  véissiez  mainte  crois  aporlée 


iio  NOTES  AJiaji  ra 

Mainl  cncensicr  dont  bonne  est  la  fumée  :  lO 

Tuil  cil  provoire  chanlenl  à  grant  criée  J 

Le  chant  des  mors  à  moult  grant  alenée. 

Et  Belissans  ne  fu  pas  arreslée  : 

C'est  la  première  qu'en  la  chambre  est  entrée 

Plorant,  criant,  trestoute  eschevelée. 

Mais  quel  n'est  pas  son  étonnement  et  sa  joie  en  retrouvant 
ses  deux  fils  jouant  gaîment  avec  une  pomme  d'or.  Elle  permet 
alors  à  la  foule  de  pénétrer  dans  cette  chambre  où  vient  de  s'o- 
pérer un  si  grand  miracle;  et,  lorsque  son  mari  peut  arriver  jusr- 
qu'à  elle, 

Dist  Belissans  :  t  Sire  Amile,  bons  ber, 
Se  je  cuidaisse  huimain  à  l'ajorner 
Que  volsissiez  mes  anfans  déceler, 
Remèse  fuisse,  ge  1'  vous  di  sans  fausser, 
Pour  recevoir  d'une  part  le  sanc  cler.  » 
Celle  parole  iist  mainte  gent  plorer 
Et  de  pitié  doucement  souzpirer. 
Grans  fu  la  joie,  ge  1'  vous  di  sans  fausser. 
Au  monsticr  vont  Damel-Deu  aourer. 
Les  anfans  mainnent ,  qu'il  porrent  tant  amer. 
Et  li  saint  sonnent  tout  par  euls  sans  tyrer. 
Et  li  clerc  chantent  luit  hautement  et  cler. 
Là  poissiez  trop  grant  feste  esgarder 
For  l'amor  des  miracles. 

Amiles  donne  un  banquet  en  réjouissance  à  la  ville  entière 
de  Riviers  : 

Onques  cel  jor  n'i  et  guichet  fremé. 
Qui  mengier  volt  ne  li  fu  devéé  ; 
Pain  ot  et  vin  et  piumenl  et  claré, 
Et  char  de  buef ,  venoison  et  sainglicr  : 
Qui  mengier  volt,  de  tout  ce  ot  plenlé!... 
Et  cuens  Amis,  dont  je  voz  ai  conté. 
Ses  deus  bons  sers  n'i  a  pas  oubliez, 
An  icel  jor  que  il  fu  respassez 
Les  fist  ansdeus  chevaliers  adoubez. 

A  peine  la  fùte  est  terminée, 

»  Biaus  sires  Arailcs,  dist  Amis  li  vaillans. 


ET  ÉCLÂIRCISSEMEÎNTS.  4M 

Sachiez  por  voir  que  moult  sui  désirrans 

Que  Lubias  qui  a  les  iex  dans 

Aille  véoir  et  Girart  mon  anfant. 

—  Non  ferez,  sire,  dist  ses  corapains  li  jans, 

Partirai  vous  parmi  mes  tenemans, 

Et  se  d'aler  i  avez  tel  talant, 

G' irai  o  vous,  n'i  serai  demorans.  »  .  ^ 

Les  deux  compagnons  s'arrêtent  à  ce  dernier  parti ,  et  Amiles 
prend  congé  de  sa  femme  et  de  ses  enfants,  qu'il  ne  doit  plus  re- 
voir. Arrivés  àBlaye ,  Amis  et  Amiles  descendent  chez  un  bour- 
geois nommé  Gautier.  Celui-ci ,  frappé  de  leur  exacte  ressem- 
blance ,  s'écrie  : 

€  Et  je  ne  sai  se  je  sui  enchantez , 

Que  toutes  voies  le  di  et  le  dire 

L'uns  de  vous  deus  est  Amis  lalosez...  > 

Amis  se  fait  connaître  ainsi  que  son  compagnon  ;  il  apprend  à 
Gautier  qu'après  avoir  recouvré  la  santé,  il  vient  incx)gnito  pour 
s'assurer  si  sa  femme  et  son  fils  se  conduisent  bien  ;  satisfait 
de  la  réponse  de  son  hôte,  Amis  fait  aussitôt  publier  la  nouvelle 
de  son  retour  à  Blaye.  Le  trouvère  peint  ainsi  l'empressement 
général  de  la  population  à  se  rendre  auprès  du  comte  : 

Qui  lors  véist  ces  barons  chevaliers... 
Parmi  ces  rues  prennent  à  eslaissier  ; 
Trestuit  i  vont,  serjant  etescuier, 
Clerc  et  provoire  et  li  autre  princier, 
Trestuit  en  vont  à  l'ostel  dant  Gautier. 

Un  écuyer  court  à  la  rencontre  du  jeune  Girard  qui  revenait 
de  la  chasse,  et  lui  annonce  le  retour  du  comte,  Girard 

De  tant  com  pot  et  corre  et  randonncr, 
Corrut  son  père  baisier  et  acoler, 
Et  Amis  lui,  ne  s'en  pot  saouler. 
Nus  ne  sauroit  la  joie  raconter 
Que  H  fiz  fait  au  père. 

Lubias  elle-même,  coquettement  parée ,  se  présente  à  sott 
mari  : 

t  Ami  biaus  frère,  le  mien  cors  vous  présant 

Comme  la  toie  por  faire  ton  talant. 

—  Fuicz  de  ci ,  dist  li  cucns  errammant.  ► 


Mi 


NOTES 


Et,  après  l'avoir  accablée  de  reproclies,  il  donne  à  ses  cheva- 
liers l'ordre  de  la  lier  étroitement,  de  la  renfermer  dans  la  ca- 
bane où  lui-môme  a  langui  si  longtemps,  et  de  ne  lui  donner  par 
jour  .1,  i    - 

Qu'un  quarteret  de  pain  et  ne  mie  trop  grant,;  yj 

Cependant ,  au  bout  de  huit  jours , 

Au  conte  Ami  moult  grans  pitiez  en  prant  ; 

Querre  l'anvoie,  rant  11  son  tenement.  "'* 

Li  cuens  Amis,  qui  moult  ol  le  cors  gent,  'i"  ' 

Son  fil  Girart  adoube  maintenant ,   .l'iiumtr  io'ii» 

Si  li  donna  trestout  son  tenement ,              :  ^^  ;  ■  '  ■ 

Et  à  ses  sers  donna  grant  chasement. 

■■■   *'*  . 

Ces  dispositions  faites,  les  deux  compagnons  prennent  la 

croix, 

La  mer  passèrent  au  vent  sans  aviron  ;  ... 

Jusqu'au  sépulcre  n'i  font  arreslison , 

La  sainte  crois  où  souffri  passion  64l<)G  up  TJiJifi.i  > 

Jhésus  11  sires  baisièrenl  à  bandon.  ■''■^  <■ 

■    (, 
Ensuite  ils  reprennent  le  chemin  de  la  France  ;  mais ,  par- 
venus en  Lombardie, 

Parmi  Mortiers  ont  lor  voie  tornée; 
Là  lor  prinst  maus  par  bonne  destinée  : 
lluec  transsirent,  c'est  véritez  prouvée  '  ; 
Li  pèlerin  qui  vont  parmi  l'estrée. 
Cil  se  vent  bien  ou  lor  tombe  est  posée. 

Ici  sera  la  chansons  definée 
Des  deus  barons  qui  a  esté  chantée  : 
Ce  est  d'Amile  à  la  chière  membrée, 
D'Ami  le  conte  qui  ot  tel  renommée,        f„g|  ^ 
Que  touz  jors  mais  nous  sera  ramembréft  ji^j^,^ 
Jusqu'à  la  tin  dou  monde.  :,.,  <  «^ 

Immédia' ement  après  la  chanson  d'Amis  et  Amiles,  le  ma- 
nuscrit contient  celle  de  Girard  de  Blaye,  fils  d'Amis,  un  peu 
plus  étendue ,  sur  le  môme  rhythme  et  également  anonyme. 

•  Un  autre  trouvère  fait  périr  Amis  et  Amiles  de  la  main  d'Ogier.  Voir 
La  Chevalerie  d'Ogier  de  Danemarchc ,  publié  par  M.  J.  Barrois,  in-'i» 
et  in-12.  Paris,  Tcchncr,  \Si2,  vers. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  4i3 

NOTE    B. 

(Voyez  p.  z,L-) 

Le  Ms.  1132,  supplément  français,  jadis  appartenant  à  la  bi- 
bliothèque des  frères  prêcheurs  de  Poissy,  est  in-i°  à  deux  co- 
lonnes. Il  est  écrit  d'un  seul  et  même  caractère  et  porte  au  dos, 
sur  sa  reliure,  qui  est  récente,  car  elle  est  marquée  des  initiales 
L.  P.  (Louis-Philippe),  surmontées  d'une  couronne ,  ce  titre  qui 
date  de  la  même  époque  :  Nouveaux  miracles  de  ta  Vierge. 
C'est  probablement  ce  qui  avait  empêché  ce  Ms.  d'être  examiné 
à  fond  jusqu'ici. 

Pour  mon  compte ,  je  ne  le  connaissais  pas  ;  mais  désirant 
mettre  à  fin  un  travail  commencé  depuis  longtemps  sur  Gauthier 
de  Coinsy,  je  dus  examiner  ce  Ms.  qui  porte  le  même  titre  que 
l'œuvre  principale  du  pieux  chantre  de  la  Vierge.  Qu'on  juge  de 
mon  étonnement  quand  le  nom  de  Rutebeuf  (  écrit  Rhutebuef ) 
placé  au  milieu  d'une  page  dans  le  courant  même  du  texte, 
vint  frapper  mes  regards...  Étaient-ce  de  nouvelles  pièces  du 
célèbre  trouvère  qui  allaient  m'être  révélées?  était-ce  une  ci- 
tation de  son  nom,  faite  par  un  poète  quasi  contemporain? 
Mais  d'abord  j'avais  cru  jusque  là  avoir  donné  ses  œuvres  com- 
plètes, et  ensuite  j'avais  avancé  dans  ma  préface  cette  opinion 
qu'aucun  écrivain  du  moyen  âge  n'avait  rappelé  dans  ses  vers 
le  devancier  de  Villon...  Si  la  première  de  ces  hypothèses  se 
trouva  inexacte ,  la  seconde  se  réalisa,  et  bien  qu'elle  démontrât 
que  j'avais  commis  ainsi  une  erreur  involontaire,  j'avoue  que 
ce  ne  fut  pas  sans  une  grande  satisfaction  que  je  vis ,  par  un 
examen  approfondi  du  manuscrit ,  se  restreindre  le  champ  des 
découvertes  que  j'aurais  pu  espérer. 

Toutefois,  comme  on  va  le  voir,  si  je  ne  trouvai  aucune  pièce 
nouvelle  de  Rutebeuf,  je  rencontrai  dans  notre  Ms  quelques 
variantes,  à  la  vérité  peu  importantes,  et  je  ne  tardai  pasàm'a- 
percevoir  que  ce  vaste  amas  de  vers  empruntés  à  tout  le  monde 


414  NOTES 

contenait  plusieurs  petits  poëmes  dignes  de  toute  mon  atten- 
tion. 

Le  Ms.  1132,  dont  l'écriture  dénote  la  première  moitié  du 
ik"  siècle ,  date  que  viennent  encore  confirmer  plusieurs  pas- 
sages de  son  texte,  n'est  autre  chose  qu'une  compilation  pieuse, 
faite  très  probablement  par  un  clerc,  en  l'honneur  de  la  Vierge. 
Cette  compilation  ne  contient  pas  seulement  des  miracles  em- 
pruntés à  la  vie  de  Marie  :  elle  offre ,  enchâssés  au  milieu  de 
moralités  auxquelles  tout  sert  successivement  de  prétexte  (  les 
fleurs,  les  animaux,  les  pierres,  etc.),  un  assez  grand  nombre 
de  contes,  de  dits,  de  chansons  pieuses,  de  disputoisons,  etc. 

Ce  Ms.  est  dans  l'état  le  plus  déplorable.  Beaucoup  de  feuil- 
lets en  ont  été  arrachés  ou  mutilés,  et  sur  les  251  qui  lui  res- 
tent ,  un  infiniment  petit  nombre  est  resté  intact.  Celui  qu'il 
faut  bien  aujourd'hui  compter  pour  le  premier  contient  un  Salve 
regina  en  vers  français ,  au  recto  ;  au  verso  un  conte  pieux  sur 
une  dame  de  Marseille  qui  professait  un  grand  respect  pour  la 
Vierge,  etc.,  etc. 

Le  folio  2,  v°,  nous  apprend  par  sa  rubrique  écrite  en  rouge 
et  numérotée  XXIIII ,  que  tous  les  chapitres  précédents  man- 
quent à  ce  premier  livre.  Ce  chapitre  24  contient  l'aventure 
d'un  moine  de  Citeaux ,  une  chanson  et  un  dit  de  Notre-Dame, 
qui  n'ont  rien  de  remarquable.  Le  chapitre  25  offre  une  pate- 
nostre  glosée  et  le  récit  de  la  conversion  d'un  écolier,  opérée  par 
la  Vierge.  Il  se  termine  par  une  pièce  adressée  à  Marie  pour 
qu'elle  nous  sauve.  En  voici  les  derniers  vers  qui  font  allusion 
au  roi  de  Navarre  : 

Ainsi  le  fist  jadis  Tiébaut, 
Qui  ainsi  chante  à  note  haut  : 

J'ay  un  cuer  mull  lent 

Qui  souvent  mesprcnt 

Poi  s'en  esmaie  ; 

Et  li  tens  s'en  vait, 

Et  je  n'ai  rien  fait 
;((!-'":"•,•    ':■•  Où  grant  tiance  aie. 

Assez  ai  mus6 

Et  mon  temps  usé 

Dont  grief  paie 

Se  par  sa  bonté 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  415 

La  fleor  de  pité 
Son  fil  ne 

Vient  alors  le  reste  de  la  chanson  ;  elle  est  du  roi  de  Navarre. 

Je  ne  suivrai  point  de  la  sorte  tous  les  chapitres  du  manu- 
scrit. On  me  permettra  de  parler  uniquement  de  ceux  qui  m'ont 
paru  contenir  quelque  chose  d'important. 

Le  chapitre  27  (folio  16,  r°),  dont  une  partie  manque,  nous 
offre  une  pièce  sur  les  tourments  de  l'enfer  ,  qui  est  de  Jehan 
de  Meun ,  ainsi  que  l'indique  l'annotation  suivante  :  Mag'ister 
Johannes  de  Meun ,  mise  en  marge  par  une  main  qui  semble 
être  du  16^  siècle,  et  qui  d'un  bout  à  l'autre  du  manuscrit  a  re- 
produit les  rubriques  de  tous  les  chapitres.  Le  folio  26,  v°,  con- 
tient le  commencement  d'une  histoire  dont  la  suite  se  trouve 
plus  loin  et  que  précèdent  ces  deux  vers  : 

Je  le  te  preuve  par  un  conte 
Que  Leoncius  nous  raconte. 

Comme,  dans  ce  conte ,  il  est  question  de  Jehan ,  qui  fut  un 
prélat  très  charitable ,  il  s'agit  non  pas  du  Leoncius ,  évêque  de 
Naples  vers  649,  d'après  Vllalia  sacra  de  Ferdinando  Ughello, 
mais  d'un  autre  Lcontius  de  Chypre ,  homme  très  instruit  qui 
vivait  à  peu  près  à  la  même  époque  ,  et  qui  est  l'auteur  d'une 
vie  de  saint  Jean  le  patriarche ,  qu'on  trouve  aux  manuscrits  du 
roi  sous  les  n°^  2318,  5296,  B.  5601,  5602,  5603,  5671.  On 
peut  consulter,  pour  ce  qui  concerne  ce  personnage ,  Trithême 
et  Bellarmin. 

Au  folio  27,  V",  on  trouve  sur  la  mort  une  longue  pièce  morale 
dont  voici  quelques  vers  remarquables  par  leur  énergie  et  par 
une  allusion  aux  testaments  que  le  clergé  exigeait  des  mourants 
en  faveur  de  l'église  : 

Nous  savons  tous  et  toutes  que  mort  n'a  point  d'ami. 

Combien  que  mi  parent  soient  tenu  à  mi 

Tost  m'aroient  oublié  ainçois  an  et  demi  : 

espoir  du  mien  mi  anemi. 

Hélas  1  hélas  !  sitost  com  mort  les  dens  nous  serre , 
La  lasse  âme  chélive  ne  scet  ostel  où  qucrre. 
Li  ver  ont  la  charoignc  et  li  parent  la  terre  : 


410  y.T/!ai/    NOTES 

Mauves  fait  pour  tiex  hoirs  mauvèsement  acquerre.     ] 

Or  me  puet  aucun  dire  :  Sire ,  se  Diex  m'ament , 
Je  n'ai  de  quoy  donner  ne  faire  testament , 
Quar  j'ai  toute  ma  vie  gaaignie  loiaument  : 
Quiconques  autre  chose  de  moy  vous  dira ,  ment. 
J'ai  mes  petis  enfans  à  cui  je  sui  tenus 
Plus  qu'as  povres  estranges ,  ne  qu'aus  frères  menus  : 
Je  les  ai  bel  et  bien  jusques  ci  maintenus  : 
Ne  je  ne  les  vueil  mie  lessier  povres  ne  nus. 

Au  folio  29  se  trouve  le  dit  des  Religieus;  le  folio  30  nous 
offre  celui  des  Prêtas;  le  folio  40  y°,  la  Contenance  des  Fem- 
mts,  etc. 

Le  chapitre  32  (fol.  51  r°)  contient  une  pièce  à  la  Vierge 
nommée  ABC,  par  Gautier  de  Rome.  Chaque  strophe  de 
cette  pièce  commence  par  une  des  25  lettres  de  l'alphabet ,  sa- 
voir :  la  première  par  A ,  la  seconde  par  B ,  etc.  Le  nom  de 
l'auteur  nous  est  ainsi  révélé  p.  52  : 

Et  pour  ce  que  plus  en  y  a 

En  escriplure  plus  qu'en  lettre , 

Gautier  de  Romme  réson  a 

Qu'en  son  A.B.  C.  le  vient  mettre,  etc. 

Le  chapitre  34  contient  les  vers  que  nous  avons  cités  sur  le 
roi  Arthur  et  saint  Louis  ;  puis  un  dit  que  la  rubrique  appelle  le 
DIT  de  l'instniction  du  roi  de  France.  Cette  pièce  est  exacte- 
ment la  même ,  et  sans  variantes  importantes ,  que  nous  avons 
donnée  dans  notre  premier  volume,  p.  342  et  suivantes,  d'après 
le  Ms  198  N.-D. ,  sous  le  titre  de  Un  dit  du  roy.  Seulement, 
dans  le  Ms.  1132  Suppl.  fr.,  fol.  55,  elle  est  précédée  des  vers 
suivants,  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  l'autre  leçon. 

Pour  ce  qu'avon  fait  mencion 
•  Des  roys ,  de  leur  dévocionj 

Qu'eurent  à  la  bêle  Marie 
Réson  requiert  que  des  rois  die 
Âucuuc  chose  véritable 
A  eus  et  à  nous  pourlitablc. 
Quar  qui  à  roy  ne  dit  vrilé. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  417 

Tiex  est  plains  de  malignité. 
Ne  roy  n'iert  jà  bien  conseilié. 
Se  vrité  est  mise  sous  pié. 
Vrilé  ne  quiert  point  les  angles  : 
Pour  ce  est  déceus  li  rois  Angles. 
Noctua  l'eust  mieux  conseilié 
Que  n'a  son  avugle  clergié , 
Ne  si  prince  ne  si  baron. 
Il  resamble  au  roi  Pharaon 
Qui  dist  :  €  Je  ne  sai  qui  est  Dieu.  » 
Tu  le  saras  en  autre  lieu. 
Roy  par  vrité  se  doit  mener... 
A  fleur  de  lis  doit  resamblcr,  etc. 
Un  dit  en  fu  fait  en  tel  guise 
De  Philippe  un  roy  de  France 
Qui  d'estre  roy  fu  en  balance. 
Li  règne  li  vint  de  costé  : 
Painne  mist  qu'en  féust  osté 
Li  roys  Anglois,  mes  ne  post  mie  ; 
Mainte  personne  en  fu  périe. 
Rois ,  tu  te  dois  mult  aviser  ; 
jN'est  si  puissant  que  tresbuchier 
Ne  puist  faire  Diex  quant  li  plest, 
E  spéciaument  quant  meffait 
Et  quant  son  déhu  pas  ne  fait 
De  governer  ;  mes  crie  et  brait 
Li  pueples  pour  le  desconfort 
Du  floivc  que  raengu  le  fort. 
Dont  pour  endoctriner  cest  roy 
Un  dit  fu  fait  de  tele  loy. 

Vient  ici  le  dit  du  Roy  de  notre  premier  volume.  Le  chapi- 
tre 35  est  intitulé  de  Nostre  Dame  qui  visita  frère  Pierre  à  sa 
mort;  item  un  ditié  de  la  vertu  et  puissance  de  la  mort;  mais 
cette  rubrique  n'est  pas  exacte ,  car  au  folio  58 ,  r",  à  propos  de 
l'histoire  d'un  moine  de  Provence,  qui  n'est  pas  mentionnée  non 
plus  dans  la  rubrique ,  on  trouve  ces  vers  : 

Li  inoignes  qui  à  guersay  boit 

Fort  est  que  en  paradis  voit 

Un  ditié  contre  les  gloutons  , 

En  nostre  livre  si  entons. 
Qui  le  dilic  fist ,  je  ne  scey  ; 

.  II.  *  27 

I 


us  NOTES    ^^^   Ï3 

Mes  mult  reprent  boire  au  guersay 
Que  de  trop  boire.  Enten  que  dist 
Ciz  qui  le  ditié  tel  en  fist. 

Vient  alors  le  dit  de  Guersmj,  que  nous  avons  imprimé  p.  435 
du  second  volume  de  Rutebeuf ,  dans  nos  additions  aux  œuvres 
de  ce  trouvère  ',  d'après  le  Ms.  du  roi  7218. 

Après  le  dit  de  Guersay  et  vers  la  fin  de  l'histoire  de  frère 
Pierre  qu'il  coupe  en  deux  parties,  on  trouve  entore  sur  la  mort 
les  vers  suivants  que  je  crois  devoir  citiîr, parce  qu'ils  contien- 
nent quelques  détails  curieux  : 

La  morl  tous  ravit  et  acroche  : 

Il  ni  a  nul  si  biau  pignié 

Que  la  mort  n'ait  tost  despignié. 

Âdont  la  bêle  Emmelot 

Desdolera  son  dorenlot, 

Et  tu  qui  portes  si  grant  hure 

N'iras  pas  à  la  hure  hure. 

Et  tu  à  ces  longues  manchctes 

Qui  par  sa,  par  là  les  dégèles 

Et  acréu  as  les  grans  deblcs, 

Or  vient  la  mort  qui  jus  les  mêles  : 

Chevauchié  as  les  grans  chevaus 

Et  dévouré  les  cras  morsiaus, 

Or  est  venu  le  temps  d'iver 

Que  ton  cors  rungeront  li  ver. 

Et  l'âme  que  deviendra  quoy? 

Chascun  respondera  pour  soy. 

Prisié  n'i  seront  avocat 

Ne  plus  que  la  queue  d'un  chat. 

I  On  ne  rencontre  pas  dans  la  leçon  du  Ms.  1132  de  variantes  impor- 
tantes; mais  nous  profilerons  de  l'occasion  pour  relever  (juclqucs  omissions 
causées  par  l'iniprimeur  dans  notre  première  édition  de  celte  pièce.  Ainsi, 
dans  la  première  strophe  (voyez  2e  vol.  de  Rulcbcuf,  p.  435),  il  faut  ajou- 
ter avant  le  dernier  vers  celui-ci  : 

Bien  se  gart  chescuns  endroit  soi. 
Idem,  p.  43(>,  dans  la  première  strophe ,  il  faut  ajouter  ce  vers  après  le 
(piatrième  : 

Et  puis  rêva  vèir  l'eslable. 

Id.,  p.  439,  strophe  première,  après  le  septième  vers,  il  faut  placer  celui-ci  : 
Les  malades  sont  respassez. 


ET  ÉCLAIKCISSEMENTS.  419 

Quant  au  Ditié  de  la  vertu  et  de  la  puissance  de  la  mort,  an- 
noncé par  la  rubrique,  ce  sont  les  vers  de  la  mort  imprimés  par 
M.  Crapelet  et  attribués  à  Tliibault  de  Mailli.  Ils  comptent  cin- 
quante strophes  dans  ce  manuscrit. 

Le  chapitre  36  nous  offre  dès  sa  seconde  page  un  exemple 
remarquable  des  jeux  de  mots  auxquels ,  par  une  malheureuse 
facilité ,  se  laissaient  souveht  aller  les  poètes  du  moyen  âge. 
Voir  ci-dessus,  page  281 ,  à  la  note. 

Le  reste  du  premier  livre  ne  contient  rien  qui  soit  digne  d'une 
mention.  Le  second,  qui  commence  au  folio 88 ,  v°,  nous  offre 
dans  son  premier  chapitre  (folio  90,  v'')  un  ditié  de  Notre-Dame, 
emprunté  à  Rutebeuf  (voyez  2^  vol.  de  ses  œuvres,  p.  9),  et 
que  précèdent  les  deux  vers  qui  suivent  : 

Un  clers  qui  plains  est  de  bon  vent 
Ainsi  la  saluoit  souvent. 

Le  chapitre  2,  folio  94,  r%  contient  le  DU  des  Paintres;  le 
chapitre  3,  une  histoire  où  sainte  Catherine  joue  un  rôle  assez 
peu  intéressant;  enfin,  au  folio  110,  v",  est  une  espèce  de  tenson 
sur  le  paradis ,  où  l'un  des  interlocuteurs  dit  à  l'autre  : 

Sire,  que  savés-vous  qu'en  fait  en  paradis  ? 
I  vestent  bêles  dames  ne  le  ver  ne  le  gris? 
Ceus  qui  volentiers  boivent  i  sont-il  bien  asis? 
Les  serl-oh  de  plouvicrs  et  de  chapons  roslis? 

Le  second  interlocuteur  répond  si  bien  à  son  compagnon  , 
qu'il  le  convertit. 

Au  chapitre  9 ,  folio  122,  v'* ,  se  trouve  un  dit  de  lx)n  ensei- 
gnement dont  voici  une  strophe  relative  à  la  coutume  d'admet- 
tre à  sa  table  tous  ceux  qui  arrivaient  : 

Sa  vostre  niengier  estes  d'aucune  gents  souspris , 
Qui  vignent  sans  mander  çà  uit ,  çà  nuef ,  çà  dis , 
Ne  devez  semblant  faire  que  soiez  esbahis, 
Mes  faites  bêle  obère,  joie,  soûlas  et  ris. 
Et  leur  proraelez  niiex  quant  vous  serez  garnis. 

Le  chapitre  10,  après  Un  dit  en  riionheat  de  Notre-Dame  ^ 
nous  offre,  sous  le  titre  de  un\Ditté  de  tous  les  deffaus  de  sainte 


À^o  NOTES    oà  rri 

Église  de  tous  les  estas,  la  pièce  de  Rutebcuf  que  nous  avons 
donnée  p.  245  du  premier  volume  des  œuvres  de  ce  trquvère, 
d'après  divers  manuscrits,  sous  le  titre  de  ta  Vie  du  monde  ou 
ta  Complainte  de  sainte  Église.  Cette  leçon  du  Ms.  1132  n'a 
point  l'introduction  qui  se  trouve  dans  notre  édition  de  Rute- 
beuf  : 

L'aulr'ier  par  un  matin  à  l'entrée  de  mai,  etc. 

Elle  n'a  que  26  strophes  au  lieu  de  45  qui  ont  été  données 
par  nous  ;  mais  dans  ces  26  strophes  en  voici  deux  qu'aucun  des 
manuscrits  dont  nous  nous  sommes  servi  pour  notre  édition  de 
Rutebeuf  ne  contient  : 

Or  povez  bien  véoir  pourquoy  se  aucuns  prie 
La  sainte  Trinité  ou  la  douce  Marie , 
Ce  que  nous  li  prions  il  ne  nous  donnent  mie, 
Quar  li  plusieurs  de  nous  sont  de  honteuse  vie. 

Se  juste  nous  estions,  de  sainte  affection 
Et  pardevant  le  monde  de  conversacion 
Ilonneste,  en  tout  fcissions  en  droite  entention, 
Diex  de  légier  orroit  nostre  péticion. 

Les  folios  175  et  suiv.  contiennent  Y  Ave  Maria  Rutebeuf  que 
nous  avons  donné  dans  notre  édition,  et  au  folio  178  commence, 
sans  variante  qui  mérite  d'être  relevée ,  le  Mariage  Rutebeuf. 
Voici  quelques  uns  des  vers  qui  le  précèdent  : 

Se  tu  vieus  qu'essample  le  doigne , 
Ruthebuef  trop  bien  le  tesmoigne 

Qui  une  fois  se  maria  ; 

Ne  sai  dist  Ave-Maria 

Ne  patenoslre  ne  prière  : 

Après  vousist  miex  eslre  en  bière; 

Il  de  soy-mesmes  ainsi  dist 

En  un  dite  que  il  en  fist,  etc. 

Le  chapitre  23  contient  un  dit  des  Curiosités  et  des  Conditions 
des  femmes,  qui  est  emprunté  au  Testament  de  Jean  de  Meung. 
C'est  à  cette  pièce  qu'appartiennent  (mais  nous  avons  oublié  de 
le  dire  plus  haut  )  les  vers  cités  p.  174  et  176,  en  note ,  sur  la  toi- 


ET  ÉCLAÏRCISSEMEINTS.  A2i 

lette  des  femmes.  Ils  sont  précédés  dans  le  manuscrit  de  ceux-ci  : 

Fui,  chier  ami,  regart  de  famé 
Se  tu  ne  vieus  ocire  t'âme... 
Aucunes  se  seulenl  farder... 
Leur  robes  sont  longues  et  lées, 
A  outrage  desmesurées. 
Eles  sont  com  nioustier  parées  : 
De  mantiaus  sont  emmantelées , 
Et  se  sont  les  pances  emflées , 
Por  ce  puéent  estre  miex  celées , 
Et  amusent  souvent  la  gent 
Par  leur  alour  qui  trop  est  gent. 

Le  chapitre  26,  après  nous  avoir  appris  pour  quel  cause 
on  dit  Salve  regina  après  compile  en  l'ordre  des  frères  prees- 
cheurs,  nous  offre  le  dit  de  Mellin  Mellot  ou  du  Villain  Asnier, 
qui  se  trouve  dans  notre  premier  volume.  Ce  dit  est  amené  de 
la  façon  suivante  : 

Pour  ce  que  j'ai  fait  de  fortune 
Mencion ,  vous  en  diray  une 
Narracion  qui  en  escrit 
Est,  mes  ne  say  qui  la  list, 
Ele  est  bonne  et  pourfitable 
A  oïr,  assez  délitable. 
Je  la  vous  conte,  si  l'oez  : 
Dieu  et  sa  mère  en  loez ,  etc. 

Au  folio  194  se  trouve  le  dit  de  Marguet  (voyez-en  le  texte 
dans  notre  premier  volume) ,  au  folio  201  celui  de  Vérité.  Ce 
dernier  est  précédé  d'un  assez  grand  nombre  de  vers  sur  la  pré- 
dication qui  conmiencent  ainsi  : 

J'oi  conter  mestre  Nichole 
Qui  longuement  fu  à  l'escole 
(De  Flavigni  avoit  surnom 
Arcevesque  de  Besençon  ), 
Que  uns  religieus  estoit. 
Qui  un  sermon  faire  devoit,  etc. 

Ces  vers  sont  remarquables  à  cause  du  nom  propre  qiii  s'y 


422  NOïflS  l\-r 

trouve.  Us  sont  suivis  de  ceux-ci ,  qui  montrent  bien  ce  qu'é- 
taient les  prêchetirs  du  moyen  âge  : 

Pour  ce  que  j'ai  fait  mencion 
De  preschicr,  prédicacion 
Tous  temps  doit  estre  véritable  : 
S'autrement  est,  elle  est  inusable, 
Et  le  prescheur  ferme  et  cstable 
Soit ,  non  cum  coc  à  vent  muable  ; 
A  désire  ne  cloche  ne  à  senestrc  : 
Prescheur  ne  doit  pas  clochant  estre... 
Roy,  duc,  prince,  baron  et  conte 
Quant  vérité  on  leur  raconte 
D'autre  part  les  oreilles  tournent 
Et  li  flateur  tiex  les  atournent 
Qu'à  leur  court  n'est  point  escoutéc. 
Vérité  mes  est  hors  boutée. 
De  quoy  s'en  sieut  que  mal  arrée 
Est  et  la  court  et  la  contrée. 
Tout  est  honni  par  le  païs 
Et  simple  gent  sont  esbahis... 
Vérité ,  qu'es-tu  devenue? 
Courir  souloics  par  la  rue. 
Or  ies  recluse  et  mise  en  mue  : 
Chascun  t'assomme  et  te  tue. 
Vous  que  voir  dire  ne  doutés 
De  vrité  un  dit  escoutez. 

Suit  le  dit  (/eFér/fé;,  après  lequel  viennent  ces  vers  pour  con- 
clusion : 

Diex  la  nous  doint  si  ensuir 
Que  la  puissons  aconsuir 
Lassus  ou  ciel  où  est  montée. 
Puis  que  du  monde  hors  boutée 
Fu ,  là  fait  et  fera  sa  demeure 
Aveques  la  douce  meure  (picrc)  « 
Jhésus  qui  est  vrité  et  voie. 
Là  verrons  la  bclc  Maroic 
Qui  gart  par  sa  bénignité 
Ccus  et  ccles  qui  aiment  vrité. 
Amen  dévotement  en  d|e 
Geste  présente  compaignie, 

1  Ce  mot  prouve  que  nos  aïeux  ne  se  ^(^naicnl  pas  pour  la  rime. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  423 

Le  chapitre  XXXI ,  malheureusement  très  mutilé ,  contient 
le  dit  des  Choses  qui  (aillent  en  ménage;  le  chapitre  XXXII  ce- 
liM  de  la  Chante 'P lettre,  que  nous  avons  publié  dans  nos  notes 
de  Rutebeuf  ;  le  chapitre  XLI  celui  de  la  Queue  de  J\egnart. 
Enfin,  au  folio  235  v°,  commence  le  dit  de  Chastie-Musart 
(voyez  nos  notes  de  Rutebeuf);  ce  dernier  est  suivi  des  vers 
que  voici  et  qui  rappellent  Molière  : 

Quant  famé  a  la  seigneurie 
Sur  homme,  trop  le  conlraric. 
Por  ce  doit  sages  homs  sa  famé 
Humilier,  qu'el  ne  soit  dame 
Mes  d'escueles  et  de  platiaus, 
De  fusées  et  de  fuisiaus. 
Dame  je  di  de  choses  grandes  : 
Bien  puet  appareillier  les  viandes 
Si  corn  en  Lombardie  font , 
Où  en  subjection  grant  sont , 
Gelines,  oées  mettre  couver. 
Les  drapiaus  as  enfans  laver  ; 
Hanas  essuier,  desvuidier, 
Enfans  bercier  et  alaiticr. 
Bien  apasteler,  le  bergier  : 
A  famé  appartient  ce  mestier; 
La  mesnie  ordener  et  duire. 
Faire  buée ,  faire  pain  cuire  ; 
CEvres  face  de  charité. 
Ainsi  entrer  en  la  cité 
Pourra  où  famés  enterront 
Qui  très  bien  se  gouverneront. 
Si  bien  gouverner  nous  doint  Diex 
Que  nous  puissons  monter  es  cielx. 

La  dernière  pièce  digne  d'être  mentionnée  ici ,  et  que  con- 
tienne notre  manuscrit,  est  le  dit  de  Martin  Hapart,  fol.  239  v°  ; 
c'est  une  satire  religieuse  dirigée  contre  les  avares  et  les  incré- 
dules. Voijez,  plus  haut ,  p.  202  de  ce  volume. 


4Ûâ  NOTËè 

NOTE    C. 

(  Voyez  page  9G ,  note  1 . } 

Lo  dit  (les  Pahitres  n'est  précédé  ni  suivi  dans  le  manuscrit 
par  rien  do  particulier;  il  est  mémo  assez  mal  amené.  Seule- 
ment ,  au  folio  97  r",  on  trouve  sur  l'origine  des  métiers  les 
vers  que  voici  et  qui  nous  ont  paru  dignes  d'être  cités  : 

Pour  ce  que  j'ay  fait  mencion 

De  ouvrer,  oés  l'invention 

Des  mcstiers  comment  trouvés  furent 

Et  qui  à  ouvrer  genl  esmurent. 

Cil  rimoiur  si  ont  trouvé 

D'aucuns  biaus  mos  et  biens  rimé 

De  plusieurs  manières  de  dis 

Et  de  vilains  et  de  gentis  ; 

Mes  encor  n'ont  de  rien  parlé 

De  ce  dont  me  sui  avisé , 

Quar  je  voudrai  dire  et  noncier 

Com  furent  trouvez  li  mcsticr. 

Aucuns  meslier  furent  trouvez 

Par  aucunes  subtilitez. 

Si  vous  voudrai  dire  comment 

Furent  trouvez  premièrement  : 

De  ce  ne  vous  mentirai  mie. 

Quant  il  virent  ouvrer  la  pie 

Qui  en  l'arbre  faisoit  son  ni , 

Si  firent  leur  maison  aussi. 

Si  cstoient  si  malostrus 

Qu'il  estoient  comme  tous  nus  ; 

Ne  faisoient  dras  ne  buriaux , 

Mes  se  vestoient  tous  de  piaus. 

Quant  virent  l'iraigne  liler 

Pour  ce  se  pristrcnt  à  lîrapcr. 

La  lalpe  qui  fouoit  as  chans 

Qui  fait  de  terre  monciaus  grans 

Si  les  aprist  à  labourer 

Et  à  fouir  et  à  semer. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  425 

Aussi  l'aronde ,  ce  vous  di , 

Qui  de  la  terre  fait  son  ni , 

Si  les  aprist  à  maçonner  ; 

Et  si  vous  sarai  bien  conter 

Qu'à  piez  de  moutons  et  de  buefs 

Si  trouvèrent  les  soulers  nuefs. 

Et  si  vous  di  que  la  limace 

Qui  va  dorant  tousjors  sa  trace 

Si  nous  trouva  l'enluminer  > 

Et  foies  famés  à  farder.      ■^'  " 

Par  iteles  subtilitez 

Furent  ainsi  mestiers  trouvez. 

Engien  humain  à  soutiver 

Se  prist  et  après  à  gainier. 


NOTE  D. 

(  Voyez  page  102 ,  note  1 .  ) 

Ce  qui  dans  le  Ms.  1132  amène  le  Dit  des  Momùers  par  une 
transition  assez  brusque  selon  la  manière  de  son  auteur  (voir  le 
premier  vers  de  cette  pièce),  est  l'histoire  d'un  juif  qui  blas- 
phéma Notre-Dame  et  qui  pour  ce  fait  fut  battu  par  un  grand 
seigneur  auquel,  en  récompense,  la  Vierge  rendit  la  vue.  Voici 
les  premiers  vers  de  cette  pièce  ;  ils  sont  caractéristiques  : 

II  eut  jadis  un  juif  en  France  ; 
Au  royavoit  grant  acointance, 
Quar  il  estoit  riche  et  puissant 
Et  entre  sa  gent  bien  vaillant  ; 
Et  tel  gent  aime-on  maintenant , 
Et  sont  avancié  grandement. 
Gilz  sont  acointes  des  roiaus 
Qui  leur  donnent  les  biaux  jouiaus , 
Et  cilz  qui  ne  donne  nient 
Devant  les  princes  point  ne  vient. 
On  ne  prise  pas  un  veron 

•  Cette  idée  est  passablement  grotesque. 


426  NOTES.        ^^  T^f 

Qui  n'a  hui  fourré  chaperon.  s\ 

Qui  la  paume  puel  faire  plaine 
Il  a  à  court  fain  et  avainne  ; 
A  povre  gent  la  porte  est  close  : 
Qui  rien  ne  porte,  entrer  n'i  ose,  etc. 


NOTE   E. 

(Voyez  page  172.) 

Comme  nous  l'avons  dit  page  165,  l'argent  a  été  souvent 
personnifié  au  moyen  âge,  et  sous  le  titre  de  Dan  Denier  (domi- 
nus  denarius),  qu'on  pourrait  traduire,  ainsi  que  l'a  écrit  spirituel- 
lement M.  Philarète  Ghasles  à  propos  de  Rutebeuf  [Journal  des 
Débats,  1841),  par  monseigneur  du  gros  sol,  tous  les  vices  qu'il 
fait  naître  lui  ont  été  vivement  reprochés.  Outre  la  pièce  qui  est 
l'occasion  de  cette  note ,  on  trouve  en  effet  plusieurs  exemples 
de  cette  personnification  chez  nos  anciens  poètes.  Rutebeuf  (voyez 
p.  222  du  l*^'  vol.  de  ses  œuvres),  l'auteur  inconnu  des  deiix 
Trouvères  ribauds  (voyez  p.  339,  aux  notes  et  éclaircissements  du 
l""'"  vol.  de  Rutebeuf)  ;  enfin  le  trouvère  auquel  on  doit  la  pièce 
intitulée  de  Dan  Denier  (voyez  p.  95  de  mes  Jongleurs  et  Trou- 
vères) ,  ont  employé  cette  locution.  Les  Anglais ,  sous  le  titre  de 
Peny  ou  Sir  Peni,  ont  plusieurs  petits  poëmes  sur  ce  sujet  (voyez 
la  2^  édition  de  Ritson ,  Antïent  popular  poetry).  Il  en  existe 
également  un  en  vieil  écossais  (voyez  p.  153  de  l'édition  des  an- 
ciens poëmes  écossais  publiés  en  17  70 ,  à  Edimbourg ,  par  lord 
Hailes);  enfin  M.  Thomas  AVright,  pages  223,  227  et  355  de 
son  Apocalypsis  Galiœ  episcopi,  attribuée  à  Gauthier  Mapes ,  et 
qu'il  a  donnée  pour  la  Cambden  society,  cite  trois  pièces  latines 
fort  anciennes,  tirées  des  manuscrits  du  Musée  britannique ,  et 
intitulées,  l'une  de  Cruce  denarii,  et  les  deux  autre^  de  Nummo. 
Voici  quelques  vers  de  chacune  d'elles  : 

De  Cruce  denarii. 

Crux  est  denarii  potens  in  smculo  ; 
T\ef?cm  et  principem  facît  de  servulo  ; 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  427 

Mendicum  servulum  facit  de  regulo  ; 
Rectorem,  praesulem  de  parvo  famulo. 
Virtutem  continet  nummus  mirabilem,  etc. 


De  Nummo. 


Manus  fe^ens  munera 
Pium  facit  impium  ; 
Nummus  jungit  fœdera, 
Nummus  dat  consilium  ; 
Nummus  sedat  prœlium  ; 
Nummus  in  prelatis 
Est  pro  jure  satis  ; 
Nummo  locum  datis , 

Vos,  qui  judicatis,  etc.  , 

"Il 

De  Nummo.  i 

In  terris  summus  rex  est  hoc  tempore  nummus  : 
Nummum  mirantur  reges  et  ei  famulantur; 
Nummo  venalis  favet  ordo  pontificalis  ; 
Nummus  in  abbatum  cameris  retinet  dominatum ,  etc. 

Enfin  le  Ms.  latin  5129  de  la  Bibliothèque  Royale  {Olim  co- 
dex Tellerianus  remensis  )  contient  une  pièce  intitulée  ;  Versus 
cynomomensis  episcopi  de  nummo.  En  voici  quelques  vers,  em- 
pruntés au  milieu  de  la  pièce  : 

Sic  virtus  abiit,  terras  astrea  reliquit, 

Tcrga  dcdit  pietas  dando  locum  sceleri  ; 

Jus ,  fas ,  majeslas  regni ,  curulc  tribunal , 

Nummo  cesserunt  omnia  ;  solus  erit 

Publica  spes,  nummus,  nunc  rege  potentior  omni. 


Olim  philosophi  fuerat  spernere  nummum , 
Nunc  nisi  nummatus  Plato  foret  fatuus. 

Voici  les  trois  derniers  :  <  '■ 

Fac  mediatorem  nummum  citus  alla  resolvet. 
Ipsa  faucc  reum  mox  necis  eripiens, 
Ipsum  se  pretor  falsum  dictasse  notabit. 


428  NOTES  ^^ 

NOTE   F. 

(  Voyez  page  275.  ) 

Un  poëte  du  12"  siècle  a  composé  des  vers  hexamètres  sur 
l'A  B  C  qui  se  trouvent  dans  le  Ms.  5001,  fonds  latin  de  la  Bi- 
bliothèque du  Roi ,  sous  le  titre  :  Versus  cujusdam  Scothi  de 
Abecedario.  La  pièce  contient  vingt  et  un  tercets,  qui  sont  pres- 
que autant  d'énigmes  ;  celui  qui  concerne  l'I  est  un  des  plus  in- 
telligibles ;  le  voici  : 

I.  Sum  numerus  primus,  juvenum  contentio  magna  ; 
vSpreta  figura  mihi  est  et  jam ,  sed  mira  potestas  ; 
Me  tamen  haud  Dominus  voluit  de  lege  perire. 

L'A  B  C  est  un  sujet  sur  lequel  les  trouvères  aimaient  aussi 
à  s'exercer;  le  seul  Ms.  7218  renferme  l'A  B  G  Nostre-Dame 
(fol.  170),  VA  B  C  Plente -Folie  (fol.  186)  et  la  Sénefiance 
de  l'A  B  C.  Une  copie  de  cette  pièce  que  nous  trouvons  dans  le 
Ms.  632^,  fol.  20  v°,  débute  par  ces  vers,  qui  manquent  dans 
le  texte  que  nous  avons  imprimé  : 

Se  li  Rois  de  Cambrai  envoie 
Son  sens  et  son  engin  en  voie 
Là  ù  tenable  n'est  la  sente, 
Drois  est  ke  mellours  lius  la  sente. 

Cette  leçon  offre  quelques  variantes;  nous  citerons  entre  au- 
tres ces  vers  sur  le  C ,  qui  remplacent  les  9  et  10*  de  la  p.  277 
ci -dessus  : 

En  itel  point  lîu  H  G  fais 

Que  de  deus  nons  soustient  le  fais  : 

Moût  est  li  nons  petit  de  crois, 

Ostés  le  C ,  si  ara  rois. 

Le  vers  21«  de  la  page  276  s'y  lit  ainsi  : 
Li  D  qui  de  douçour  fu  plains. 


ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  429 

Et  le  7«  de  la  page  279  : 

Dont  vient  la  mors  et  si  le  point. 

A  la  page  288 ,  après  l'avant-dernier  vers ,  ajouter  : 

Pour  chou  n'est  pas  (I'et)  ietre  nomé 
Qu'en  moult  de  lius  est  fais  por  É. 


>iiy 


yd  m 


TABLE  ANAIYTIQIE. 


ABC(la  SÉNEFiANCE  DE  L'),i)arRois  dfe  tattibrâljt.  11, 
p.  275 ;  vers  où  lauteur  se  nomrhe, 289,  428. 

Abrael,  fils  du  roi  d'Egypte,  tue  à  la  Massoute,  t.  11, 
p.  352. 

Adam  de  la  Halle,  Ses  vers  sur  la  Mort,  t.  H,  p.  273. 

Adultère.  L'adultère  forme  le  fond  du  dit  des  Anelés ,  t.  1 , 
p.  8  et  suiv.  Vengeance  qu'en  prend  un  chevalier,  p.  19  et  20. 

Albine  ,  fille  d'un  roi  de  Grèce ,  t.  II ,  p.  355.  Elle  et  ses 
sœurs  trament  la  mort  de  leurs  maris ,  356  ;  le  complot  est  dé- 
couvert, 358;  elles  sont  exilées,  360;  abordent  en  Angleterre, 
361  ;  xVlbine  en  prend  possession ,  362  ;  lui  donne  son  nom ,  365  ; 
peuple  rile  de  géants ,  367. 

Albion.  Premier  nom  de  l'Angleterre,  t.  Il,  p.  35i;  son 
étymologîe,  365. 

Alexandre.  Nommé,  t.  I,  p.  187;  il  n'y  a  plus  d'Alexan- 
dres,  p.  381  ;  nomme  t.  II ,  p.  55. 

Amis  et  Amiles.Lc  roman  de  ce  nom,  cité  t.  II,  p.  68,  au 
dernier  vers;  note  à  ce  sujet,  p.  72,  ib.',  analyse  du  poëme, 
387  et  suiv. 

André  de  Colt anges,  auteur  du  Romanz  des  Franceis^ 
t.  Il,  p.  1;  se  nomme  lui-môme,  p.  16;  ih.,  p.  171,  str.  1 
et  3. 

Anelés  (le  Dit  des  ),  1. 1,  p.  1  ;  pourquoi  ce  dit  est  ainsi  ap- 
pelé ,  ib.  —  Anelés  ,  petits  anneaux  retrouvés  dans  le  ventre 
d'un  poisson,  p.  26. 

Anges.  Apparition  des  anges,  t.  I,  p.  67. 

Anglais.  Pensent  à  recouvrer  la  Normandie  et  la  Gascogne!^ 
t.  I,  p.  74;  leur  haine  contre  les  Français,  p.  75;  veulent  s'en 
venger,  t.  II ,  p.  2. 


432  TABLE 

Angleterre.  Le  dit  de  la  Rébellion  d'Angleterre  et  de 
Flandres,  t.  I,  p.  173;  circonstances  qui  donnent  naissance  à 
cette  pièce,  ib.  ;  —  premier  nom  de  cette  contrée,  t.  II ,  354 , 
365  ;  dépourvue  d'iiabitants ,  361 ,  364-  ;  occupée  par  des  femmes , 
362  ;  peuplée  de  géants ,  367  ;  change  de  nom ,  369. 
Antiochus.  Son  exemple  cité,  t.  I,  p.  2. 
Apothicaires. Vers  contre  eux,  t.  I,  p.  191. 
Appelaunde.  Ville  où   l'on  retrouve  des  ossements  de 
géants,  t.  II,  p.  368. 

Aristote.  Nommé  t.  I ,  p.  187,  ih.,  p.  248. 
Arras  (la  venue  de  Dieu  a).  Chanson  satirique,  t.  II , 
p.  377;  trait  cx)ntre  l'échevinage  de  cette  ville,  380  et  suiv.  ; 
plaintes  sur  son  sort ,  382  ;  sa  bourgeoisie  est  opprimée,  383. 

Arthur.  Cité  comme  vainqueur  des  Français,  t.  II,  p.  3; 
du  roi  Artur,  p.  199;  sa  vaillance,  p.  200;  nommé  dans  un 
passage  grotesque,  p.  216. 

Artois  (sire  Rohert  de).  Cause  la  défaite  de  la  Mas- 
soure,  t.  II ,  p.  339  ;  conseil  imprudent  qu'il  fait  adopter,  p. 
342;  sa  mort,  p.  343;  son  âme  est  en  enfer,  p.  343. 
Auberée  de  Compiègne.  Titre  d'un  fabliau,  1. 1,  p.  199. 
AuDAiN  ou  Aude.  Allusion  à  cette  chanson  de  geste,  t.  II , 
p.  223,  ib. ,  p.  228. 

AuNOY.  Le  vicomte  d' Aunoy,  auteur  de  la  Lande  dorée,  t.  II , 
p.  178. 
Avarice.  Des  bacheliers  et  des  chevaliers,  t.  II,  p.  61. 
Avocats.  Critique  des  avocats,  t.  I ,  p.  190,  ib.,  p.  283;  ib. 
284;  éloge  des  bons  avocats,  p.  289. 

Babylone  d'ÉGYPTE.  Assaut  donné  à  l'un  de  ses  châteaux, 
t.  II ,  p.  339  et  suiv. 

Bachelier.  Le  Dit  du  Bachelier  d'Armes,  1. 1,  p.  327;  pa- 
resse des  bacheliers,  t.  II,  p.  61;  noblesse  des  bons  bacheliers, 
p.  62  ;  bacheliers  pris  dans  un  sens  allégorique ,  p.  297  ;  expli- 
cation, p.  300. 

Baron.  Saint  Jacques  appelé  baron  par  l'auteur  du  Dit  des 
Anelés,  t.  I,  p.  1 ,  ib.  p.  14;  ib,  p.  242;  conseils  donnés  aux 
barons,  t.  II,  p.  142. 
Barrois  (M.  J.).  Nommé  t.  II,  p.  412. 
Baudoier  (la  porte).  Nommée  1. 1 ,  p.  187. 


ANALYTIQUE.  433 

Beder.  Sarrasin  tué  à  la  Massoure,  t.  II,  p.  345. 

BÉGMNES.  Mentionnées  t.  1,  p.  25;  critique  des  Béguines, 
p.  185.  ifc.;  p.  243. 

Belial.  Son  combat  allégorique,  t.  II ,  p.  310  et  suiv. 

BÉRA>GER.  Analogie  d'une  de  ses  chansons  avec  celle  d'un 
trouvère  t.  II,  p.  377,  note  2. 

Beuf  (le  Dit  du),  t.  I,  p.  42. 

Bourgeoise.  Le  Dît  de  la  Bourgeoise  de  Narbonne,  t.  I, 
p.  33  ;  celui  de  la  Bourgeoise  de  Rome,  p.  79 ,  ib. 

Bretagne,  V.  Albion  ,  Angleterre. 

Brosse  (Pierre  de  la).  Allusion  à  la  chute  de  ce  favori, 
t.  I,p.  196;  z7».  197,  str.  1  et  4. 

Brut  ou  Brutus.  S'empare  de  l'île  d'Albion;  nom  qu'il  lui 
donne,  t.  II,  p.  369;  fait  écrire  le  récit  de  sa  conquête, 
p.  371. 

Cardinaux.  Critiques  des  cardinaux  et  jeux  de  mots  sur  leur 
nom,  t.  I,  p.  182;  reproches  à  eux  adressés,  p.  239. 

Cerf.  Le  dit  de  la  chasse  du  cerf,  1. 1 ,  p.  154  ;  détails  inté- 
ressants sur  ce  sujet,  p.  155  et  suiv. 

Chabaille  (  M.  ),  mentionné  t.  I ,  préface,  p.  vu  ;  t.  II,  id. 
à  la  préface ,  et  p.  208 ,  387  et  407. 

Chanoine.  Mauvaise  action  d'un  chanoine ,  t.  I ,  p.  177  ;  le 
Dit  des  trois  Chanoines,  p.  266  et  suiv. 

Chansons.  Refrains  de  chansons  terminant  chaque  strophe 
d'une  pièce,  t.  II,  p.  235  et  suiv.;  couplets  insérés  dans  une 
autre  pièce  244  et  suiv.  ;  contre  les  prélats,  325  ;  chansons  sati- 
riques ,  377  et  suiv. 

Charlemagne.  Nommé  t.  II ,  p.  21. 

Chasles  (M.  Philarète).  Son  article  sur  Rutebeuf,  cité 
t.  II ,  p.  425. 

Chevalerie.  Reproches  qui  lui  sont  adressés,  1. 1,  p.  188  ; 
è6,  p.  243;  la  chevalerie  a  plus  de  valeur  et  de  grandeur  que 
tout  autre  état,  t.  II ,  p.  141. 

Chevalier.  Le  Dit  du  Chevalier  et  de  l'Écuyer,  t.  I ,  p.  118, 
celui  du  povre  Chevalier,  p.  138;  celui  des  deux  Chevaliers, 
p.  145;  reproche  fait  aux  chevaliers,  p.  284;  ib.  p.  285;  éloge 
des  bons  chevaliers,  p.  290  ;  de  l'éducation  des  jeunes  chevaliers, 
p.  327  et  suiv. ;  du  chevalier  qui  devint  ermite,  p.  352;  criti- 
if.  '28 


434  TABLE 

que  des  chevaliers,  p.  364-  ;  leur  paresse,  t.  II ,  p.  61  ;  conseils 
donnés  aux  chevaliers ,  p.  141 . 

Chronique  des  Rois  de  France,  t.  II,  p.  18. 

Clercs  (Critiques  des),  t.  I,  p.  183;  ils  se  font  avocats, 
p.  184;  conseils  qui  leur  sont  donnés,  p.  364. 

Complainte  douteuse  (  la  ).  Pièce  sous  ce  titre,  t.  II, 
p.  242. 

CoRDELiERS.  Reproclies  à  eux  adressés ,  1. 1 ,  p.  237 ;  accusés 
d'orgueil  et  d'ignorance,  t.  II ,  p.  147;  deviennent,  pour  avoir 
leur  argent,  exécuteurs  testamentaires  des  usuriers,  p.  148. 

Cour.  Reproches  faits  à  la  vie  de  cour,  t.  II,  p.  121. 

Damiette.  Allusion  à  la  reprise  de  celte  ville,  t.  II, 
p.  322. 

Denier.  Dan  denier,  personnification  du  denier,  t.  II,  p. 
165. 

Denier  et  de  la  Brebis  (du),  fahle,  t.  II,  p.  264. 

Dez.  Pièce  sur  le  jeu  de  dés,  t.  II ,  p.  229. 

Diable  (le)  apparaît  à  un  jeune  homme,  t.  I,  p.  25;  con- 
seils qu'il  lui  donne,  p.  36;  apparition  du  diable  à  une  bour- 
geoise, p.  83;  ib.  à  un  écuyer,  p.  125;  ib.  à  un  chevalier, 
p.  139;  ib.  à  une  bourgeoise,  p.  225;  pièce  morale  intitulée  le 
Mariaçie  des  Filles  au  Diable,  \).  283;  apparaît  à  un  chevalier, 
p.  357. 

Dictons  et  Proverbes,  t.  II ,  p.  372. 

DisPUTOisoN.  Lu  Disputoison  du  Vin  et  del'Iaue,  t.  I,  p. 
293  et  suiv.  ib.  celle  de  Marguet  convertie ,  p.  315;  ih.  de  Re- 
nan et  de  son  Roncin,  t.  II,  p.  23;  î'6.  de  l'Uyver  et  de  l'Esté, 
t.  Il ,  p.  40  et  suiv. 

Doctrinal.  Le  Doctrinal,  par  Sauvage,  t.  II ,  p.  150;  celui 
d'Ébrard  de  Béthune,  mentionné,  ib.,  en  note. 

Droits.  Des  droiz  au  Clerc  de  Voiidai,  t.  II,  p.  132;  ce 
qu'enseigne  le  droit,  c'est-à-dire  la  droiture,  p.  135. 

Ébrard  de  Béthune,  cité,  t.  II,  p.  150. 

Edouard  Plantagenet.  Nommé  t.  I,  p.  74;  Edouard  IV, 
nommé,  t.  II,  p.  39. 

Église.  Plaintes  sur  l'état  de  l'Église,  t.  I,  p.  238. 

Enfer  (de  la  Peine  d'),  par  Robert  Grosse-Tète,  t.  II, 
p.  304. 


ANALYTIQUE.  435 

Emmelos.  Personnage  allégorique,  t.  II,  p.  207;  ce  que 
c'est,  p.  300;  cité,  p.  418. 

EspiRANT.  Tue  le  comte  Guillaume  Longuc-Epce ,  t.  II , 
p.  353. 

Fabliaux.  Leur  importance,  t.  I,  préface,  p.  m. 

Fatrasies.  Pièce  sous  ce  titre,  t.  II,  p.  208. 

Fauvel.  Personnage  qui  a  donné  son  nom  à  un  roman  sati- 
rique, t.  I,  p.  186;  nommé,  ib.  ;  id.,  t.  II,  p.  91. 

Femme  et  de  la  Pye  (de  la).  Satire,  t.  II,  p.  326. 

Femmes.  Critique  des  femmes,  t.  I,  p.  222;  id.,  p.  287;  on 
doit  honorer  les  femmes,  sans  les  pincer  ni  les  tàter,  t.  Il, 
p.  143  ;  on  ne  doit  pas,  quand  une  femme  est  mariée,  la  requérir 
d'amour,  ib.  ;  le  Dit  de  la  Contenance  des  Femmes,  p.  170;  por- 
trait des  femmes  et  leur  critique,  p.  171  ;  des  Femmes,  satire, 
t.  II,  p.  330  ;  autre  en  latin,  p.  333,  note  1  ;  le  Dit  des  Femmes, 
apologie,  t.  II,  p.  334;  Dit  des  Curiosités  et  Conditions  des 
Femmes,  p.  420;  vers  sur  leur  toilette,  p.  421. 

Filles-Dieu.  Critiques  des  Filles-Dieu,  1. 1,  p.  185. 

Flandre.  Les  guerres  de  Flandre  donnent  naissance  à  une 
pièce  de  vers,  t.  I,  p.  73;  allusion  à  la  révolte  des  Flamands, 
p.  77  ;  irf.,  p.  224.  ;.-,-- 

Flandre  (  le  comte  de  )  à  la  Massoure,  t.  II,  p.  340. 

Florence.  Le  Dit  de  Florence  de  Rome,  t.  I,  p.  88;  vœu 
de  virginité  fait  par  Florence ,  p.  89  ;  ses  aventures ,  p.  90  et 
suiv. 

Folies  (les  trente-six  mestres),  t.  II,  p.  372. 

Folle.  Pièce  de  la  Foie  et  de  la  Sage,  t.  II,  p.  73  ;  le  siijet 
de  cette  pièce  ressemble  à  celui  do  Gilote  et  Joliane,  p., 82.  l^Ç 

Fols.  Des  sis  Manières  de  Fols,  t.  II,  p.  65;  quelles  sont 
ces  manières,  ib. 

Fortune.  Dit  de  Moniot  sur  elle,  1. 1,  p.  195  et  suiv. 

Franceis  (le  Ro.maxz  des),  t.  II,  p.  1  ;  sujet  de  ce  ro- 
man ,  p.  2. 

Galiburne.  Nom  de  l'épée  d'Arthur,  t.  II,  p.  200. 

Galice.  Pèlerinage  à  Saint-Jacques  de  Galice,  t.  ï,  p.  5. 

Gauthier  de  Coinsy  ou  Quensi.  Son  poëme  des  Miracles 
de  Notre-Dame,  cité  t.  II,  p.  316;  vers  où  cepoëte  est  nommé, 
ib.  ;  cité,  p.  413. 


436  TABLE  ' 

Gautier  de  Rome.  Son  A  B  C,  cité  t.  II,  p.  416. 

Gauvain.  Nom  d'un  des  héros  des  Romans  de  la  Table- 
Ronde,  pris  comme  titre  de  dignité,  t.  I,  p,155;  nommé,  p.  423. 

GÉANTS  (des  grands)  qui  d'abord  conquirent  la  Grande-Bre- 
tagne, espèce  d'introduction  au  roman  de  Brut,  t.  II,  354. 

Gentillece.  Le  Dit  de  GenUllece,  t.  II,  p.  50,  gentillece 
vaut  mieux  que  noblesse,  p.  55,  note  1. 

GiEFFROY,  auteur  du  Dit  des  Mais.  Se  nomme  lui-même , 
t.  I,  p.  193;  auteur  du  DU  des  Patenostres;  se  nomme  égale- 
ment à  la  fin,  p.  249;  auteur  du  Martyre  de  saint  Bacckus;  se 
nomme  en  le  commençant,  p.  250;  id.,  à  la  fin,  p.  265. 

GiFFARD  (Alexandre)  à  la  Massoure,  t.  Il,  p.  340; 
mission  qu'il  reçoit ,  348  ;  est  tué ,  350. 

Girart  de  Rossillon.  Allusion  à  la  chanson  de  Girart  de 
Roussillon  ,  t.  II ,  p.  219. 

Guersay  (le  dit  de).  Corrigé  t.  II ,  p.  418. 

Halliwell  (M.),  auteur  des  Reliquiœ  antiquœ,  t.  II,  p. 
333;  cité,  p.  372. 

Hellekin.  La  mesnie  Hellekin ,  nommée  1. 1 ,  p.  284;  note 
à  son  sujet,  ib. 

Henry  III  (d'Angleterre).  Nommé  t.  I,  p.  74;  t.  II, 
p.  39. 

Horace.  Nommé  par  le  trouvère  Geiïroy,  t.  I,  p.  248. 

Hospitaliers.  Critiques  qui  leur  sont  faites,  t.  I,  p.  189; 
î6.,p.  242. 

Hyver.  De  niyver  et  de  l'Esté,  t.  II,  p.  40  et  suiv.  ;  le  Dé- 
bat de  l'Hyver  et  de  l'Esté,  mentionné  p.  49. 

Jacobins.  Reproches  à  eux  adressés,  t.  I,  p.  237  ;  leur  éloge, 
p.  248;  leur  orgueil  et  leur  ignorance,  t.  II,  p.  147;  ils  ont 
abaissé  la  droiture,  ib.  ;  deviennent  exécuteurs  testamentaires 
des  usuriers  pour  avoir  leur  argent,  p.  148. 

Jean  (le  patriarche).  Mss.  qui  contiennent  sa  vie,  t.  II ,  p. 
415. 

Jean  XXII.  Nommé  par  un  trouvère,  t.  I ,  p.  239. 

Jean  de  Saint-Quentin,  nom  de  l'auteur  du  Dit  du  Che- 
valier et  de  VÈcwjer,  t.  I,  p.  120. 

John  de  Bretain  ,  chevalier  normand ,  à  la  Massoure ,  t.  II , 
p.  346. 


ANALYTIQUE.  437 

Jlgement  de  Dieu.  Combat  pour  le  jugement  de  Dieu,  1. 1, 
p.  2. 

Juif.  Le  Dit  du  Petit  Juif,  t.  I ,  p.  231. 

Laboureurs.  Vers  sur  eux,  t.  I,  p.  192;  ib.,  p.  291. 

Laxcelot  du  Lac.  Nommé  t.  I ,  p.  323. 

Largesce.  Est  une  des  trois  vertus  nécessaires  pour  devenir 
vavasseur,  t.  I ,  p.  62. 

Lay.  Z7n  Laij  d'Amour,  t.  II,  p.  190. 

Leontius  de  Chypre.  Cité  t.  II ,  p.  415. 

Louis  IX ,  roi  de  France.  V.  Saint-Louis. 

Louis  VIII ,  nommé,  t.  II ,  p.  22. 

Nobles.  Reproches  à  eux  adressés  par  un  trouvère,  t.  I, 
p.  188. 

Marguet convertie.  Disputoison,  t.  I,  p.  317,  cité,  t.  II, 
p.  421. 

Marie  (la  Sainte -Vierge).  Jeux  de  mots  sur  son  nom,  t.  II, 
p.  281. 

Marie  Magdelaine.  Son  exemple  cité,  t.  I,  p.  16. 

Martin  Hapart.  Héros  de  la  pièce  qui  porte  son  nom, 
t.  II,  p.  202,  très  avare;  son  histoire,  p.  203  et  suiv. 

Massoure.  F.  Musoire. 

Médecins.  Vers  contre  les  médecins,  t.  I ,  p.  191. 

Mellin  Mellot  (ledit  de  ).  Rectification  à  son  sujet, 
1. 1,  p,.  VII,  préface;  nommé  Merlin  Mellot ,  p.  128  ;  n'est  autre 
que  l'enchanteur  Merlin,  p.  129;  son  apparition  à  un  bûche- 
ron ,  p.  130  ;  vers  qui  précèdent  ce  dit ,  t.  II ,  p.  421 . 

Ménage  (le  Dit  du).  Choses  nécessaires  en  ménage,  t. 
Il ,  p.  162. 

Mendiants.  Critique  des  ordres  mendiants,  t.  I,  p.  184; 
î/'.,p.  241;  i6.,-243. 

Ménestrels.  Vers  sur  eux ,  t.  I,  p.  192,  reproches  de  par- 
cimonie à  leur  égard ,  p.  381. 

Mescadel  (le  Soudan)  à  la  Massoure,  t.  II,  p.  351. 

Métiers.  Énumération  des  métiers,  t.  II,  p.  91,  et  repro- 
ches faits  à  ceux  qui  les  exercent,  ib.,  autre  énumération,  p.  99. 
Vers  sur  leur  origine,  p.  424. 

Meun  (Jean  de).  Cité  t.  II,  p.  415,  420. 


438  ^l^^TABLE 

Michel  (Saint).  Vœu  fait  à  ce  saint,  t.  I,  p.  4-;  emporte 
l'âme  d'un  templier  en  paradis ,  t.  II ,  p.  344. 

Miracle.  Miracle  opéré  par  l'intercession  de  la  Vierge,  t. 
I,  p.  41. 

Molière.  Rapprochement,  t.  II,  p.  423. 

Monde.  Les  Vers  du  Monde,  t.  II ,  p.  124;  les  promesses 
du  monde  sont  trompeuses,  p.  125;  reproches  que  lui  adresse 
un  trouvère,  p.  126  et  suiv. 

Moniot.  Auteur  du  Dit  de  Fortune;  se  nomme  lui-môme , 
t.  I,p.  198. 

Monmerqué  (  M.  ).  Cité  t.  II ,  p.  273. 

MoNNOiE  (la).  Altérée  par  Philippe-le-Bel ,  1. 1,  p.  245. 

Moralité  sur  six  vers,  t.  II ,  p.  297. 

Mort  (vers  sur  la),  t.  II,  p.  130;  îd.,  en  note,  ib.;  al- 
lusion aux  Vers  sur  la  Mort,  probablement  ceux  de  Thibaut  de 
Marly,  t.  II ,  p.  210,  419;  stances  sous  le  môme  titre,  par  Adam , 
p.  273.  L'auteur  se  nomme  à  L'explicit,  274.  Extrait,  p.  415, 
418. 

MousTiERS  (le  dit  des),  t.  II,  p.  102;  ils  sont  au  nombre 
de  88,  p.  112;  cité,  p.  425. 

MusoiRE.  Cause  de  sa  célébrité,  t.  II,  p.  339;  les  Croisés  y 
donnent  l'assaut,  342;  ils  entrent  dans  la  place,  ib.;  y  sont  dé- 
faits, p.  343  et  suiv. 

Mystères  inédits  du  15°  siècle.  Leur  importance  men- 
tionnée, t.  I,  préface,  p.  m. 

Narbonne  (le  Dit  de  la  Bourgeoise  de),  t.  I,  p.  33. 

Naymon  de  Bavière.  Conseiller  de  Charlemagne,  nommé, 
t.  I ,  p.  187. 

Ogier.  Allusion  à  la  Chanson  d'Ogier  le  Danois,  t.  II, 
p.  217.  Publié  par  M.  Barrois,  412. 

Paintres  (le  Dit  des),  t.  II,  p.  96;  tout  le  monde  ap- 
prend à  devenir  peintre,  p.  97;  époque  de  la  composition  de 
cette  pièce ,  ib.,  en  note  ;  les  peintres  sont  nécessaires  à  tout  le 
monde,  p.  99;  cité,  p.  419. 

Pape  (le).  Joue  un  rôle  dans  le  Dit  du  Beuf,  t.  I,  p.  50 
et  suiv.;  critiques  du  pape,  181  et  suiv.;  le  pape  Jean  XXII 
nommé  p.  239;  criticpic  des  papes,  ib. 

Paradis  (pièces  sur  le),  t.  II,  p.  291 ,  419» 


ANAr.YTIQUE.  439 

Paresse  (le  Dit  de),  t.  Il ,  p.  58,  paresse  des  chevaliers 
et  des  baclieliers pour  le  bien,  61  ;  empêche  de  devenir  vavas- 
seur,  62. 

Paris  (M.  Paulin).  Cité,  t.  II,  p.  273. 

Parlement.  Reproches  adressés  au  Parlement,  1. 1,  p.  189. 

Patenostres,  t.  I ,  p.  238  et  suiv. 

Pèlerins.  Leur  éloge,  t.  I,  p.  218. 

Philippe-Augiste.  Nommé,  t.  II ,  p.  22. 

Philippe-le-Bel.  Pièce  à  laquelle  ses  guerres  avec  les  Fla- 
mands et  avec  les  Anglais  donnent  naissance,  t.  I ,  p.  73. 

Philippe  de  Valois.  Nommé,  t.  I,  p.  73;  conseils  qui  lui 
sont  donnés  par  un  trouvère ,  ib.  et  suiv.  ;  nommé  p.  75  ;  il 
doit  agir  de  manière  à  ce  que  la  mer  sépare  l'Angleterre  de  la 
France,  p.  76;  pièce  qui  lui  est  adressée,  p.  342  et  suiv. 

Planètes  (le  Dit  des),  1. 1 ,  p.  272. 

Prêcheurs.  Qualités  qu'ils  doivent  avoir,  t.  II,  p.  422. 

Prélats.  Critique  des  Prélats,  t.  I,  p.  182  ici.,  p.  239;  irf., 
283  et  284;  éloge  des  bons  prélats,  p.  289;  Des  Prélaz  qui 
sont  orendroit,  satire,  t.  II ,  p.  316.  Chanson  contre  les  pré- 
lats, p.  325. 

Proverbe.  Un  proverbe  du  moyen-âge,  cité  t.  I,  p.  2,  vers 
4  et  5.  Pièce  composée  de  proverbes,  t.  II,  p  375. 

Ràlf  de  Henefeld  ou  de  Flandre.  A  la  Massoure,  t.  II, 
p.  346;  refuse  de  fuir,  p.  349  ;  est  tué,  p.  351. 

Reliqui^  antique.  Ouvrage  cité  t.  II,  p.  333. 

Ren.  Nom  de  la  lance  d'Arthur,  t.  II ,  p.  200. 

Renart.  Pièce  où  Renart  parait,  t.  II,  p.  23;  le  Dît  de  la 
Queue  du  Renart,  t.  II ,  p.  88,  composé  par  un  trouvère  pari- 
sien, t.  II ,  p.  88;  allusion  au  Roman  du  Renart,  p.  221. 

Richard.  Probablement  Richard  Cœur-de-Lion ,  nommé  t. 
I,p.74. 

Richard  (le  comte  ).  Cité  t.  II ,  346. 

Richard  de  Guise,  porte-étendard  à  la  Massoure,  t.  II, 
p.  349;  blessé ,  ib.;  tué ,  p.  353. 

Robert  Grosse-Tète,  évoque  de  Lincoln.  Fragment  de 
son  Manuel  du  Péché ,  t.  II ,  p.  304. 

Robin  et  Marion.  Vers  à  leur  sujet,  t.  I ,  p.  295,  320;  al- 
lusion à  la  pastorale  de  Robin  et  Marion ,  t.  II ,  p.  237. 


440  TABLE 

Rois.  Critique  des  rois ,  t.  I ,  p.  18G;  le  Dit  du  Roy,  p.  342 
et  suiv.;  les  qualités  qu'ils  doivent  avoir,  ib.;  conseils  qu'on  leur 
donne,  p.  364;  Chronique  des  rois  de  France,  t.  II,  p.  18  et 
suiv. 

Rois  de  Cambrai.  Pièce  de  ce  trouvère ,  t,  II ,  p.  275, 428. 

Roland.  Cité,  t.  II,  p.  346. 

RuFFiNE.  Emporte  l'âme  d'un  Sarrasin  en  enfer,  t.  II,  p.  352. 

RuTEBELF.  Pièce  qu'on  pourrait  lui  attribuer,  t.  II,  p.  83, 
cité  p.  413,  419,  420;  addition  au  Dit  de  la  Vie  du  Monde,  ib. 

Saint-Denis  (chroniques  de).  Mentionnées  t.  I,  p.  88. 

Saint-Louis.  Satire  contre  sa  politique,  t.  II,  p.  83;  allu- 
sion à  sa  piété,  p.  112,  en  note;  vers  sur  Saint-Louis,  p.  201; 
Saint-Louis  n'aimait  pas  les  chansons  profanes ,  ib.  ;  prisonnier 
à  la  Massoure,  p.  339  ;  cité  p.  416. 

Salesbrine,  Salisbury  (le  comte  de).  Surnommé  Lon- 
gue-Epée,  t.  II,  p.  339,  ses  exploits  à  la  Massoure ,  p.  352. 

Salut.  Pièce  intitulée  Salut  d'Amours,  t.  II,  p.  235,  257. 

Seigneurs.  Conseils  donnés  aux  seigneurs,  t.  II ,  p.  142. 

Tapisserie  de  Bayeux.  Mentionnée  1. 1 ,  p.  12. 

Templiers.  Allusion  à  leur  destruction,  t,  I,p.242;  le  grand- 
maître  William  à  la  Massoure,  t.  II ,  p.  339;  sage  conseil  qu'il 
donne,  341;  pénètre  dans  la  place,  342;  est  blessé,  344,  345; 
meurt ,  345. 

Thibaut,  roi  de  Navarre.  Vers  où  son  nom  est  cité,  t.  II, 
p.  414. 

Thibaut  de  Mailli  ,  auteur  des  Vers  sur  la  Mort ,  t.  II , 
p.  210,  419. 

Toilette.  Détails  de  la  toilette  des  honunes,  t.  I ,  p.  202; 
ib.,  des  femmes,  p.  287;  ib.,  p.  292,  t.  II,  p.  421. 

Trébutien.  a  publié  un  Dit  de  Ménage,  t.  II,  p.  162. 

Triacle.  Animal  allégorique,  t.  I ,  p.  360. 

Trouvères.  Vivent  des  bienfaits  des  gentilshommes,  t.  II , 
p.  52;  singuliers  jeux  de  mots  qu'ils  se  permettaient ,  t.  II ,  p. 
281  ;  cités  322,  428. 

Unicorne  et  du  Serpent  (de  l').  Pièce  morale  sous  ce 
titre,  t.  II ,  p.  113. 

Vav ASSORTE.  Il  y  a  trois  degrés  pour  y  parvenir,  et  quels  ils 
sont,  t.  II,  p.  62. 


ANALYTIQUE.  441 

Venin.  Allégorie  cachée  sous  ce  nom ,  t.  I ,  p.  300. 

Ver  (Robert  de),  chevalier  tué  à  la  Massoure  ,  t.  II, 
p.  345. 

Vergier  de  Paradis  (le).  Stances  allégoriques,  t.  II ,  p, 
291. 

Vérité.  Un  Dite  de  Vérité,  t.  II,  83;  contre  qui  est  dirigée 
cette  satire  politique,  ib. ,  en  note. 

Vierge  (la).  Invoquée,  t.  I,  p.  43;  son  apparition  à  un 
chevalier,  p.  149;  ib.,  à  un  chanoine,  p.  278. 

ViLLAiN.  Le  Dit  du  Villain  de  Bailleul,  t.  I,  p.  312. 

Villon.  Cité  t.  II ,  p.  413. 

Vins.  Vers  sur  différentes  espèces  de  vins,  t.  I,  p.  259  et 
260;  leur  personnification,  p.  293;  leurs  quaHtés,  p.  294  et 
suiv.  Comment  on  doit  priser  le  vin,  t.  II ,  p.  290. 

Virgile.  Nommé  par  le  trouvère  Gieffroy  avec  Aristote  et 
Horace,  t.  I ,  p.  248. 

VouDAi.  Pièce  intitulée  les  Drois  au  Clerc  de  Voudai,  t.  II, 
p.  132,  le  Clerc  de  Voudai,  auteur  de  plusieurs  fabliaux  et 
contes,  p.  133. 

WiDELE  (Robert  de),  à  la  Massoure,  t.  II,  p.  346;  re- 
fuse de  fuir,  349  ;  est  tué ,  350. 

William  Longespée  (de).  Récit  de  la  bataille  de  Mas- 
soure, t.  II,  p.  339.  William  bat  les  Sarrasins ,  339,  340;  pé- 
nètre dans  la  Massoure,  342;  tue  un  chef  Sarrasin ,  345;"com- 
bat  vaillamment,  346;  refuse  de  battre  en  retraite,  347,  348; 
dispose  de  ses  biens,  348  ;  encourage  ses  compagnons,  349  ;  est 
blessé,  350;  tué,  353. 

Wright  (M.  Thomas),  mentionné,  t.  I,  p.  iv,  préface;  ib., 
p.  17;  t.  II,  p.  372,425,426. 

Wymound  (Richard).  Templier,  à  la  Massoure.  Pourquoi 
surnommé  d'Ascalon ,  t.  II ,  p.  346  ;  refuse  de  fuir,  349  ;  est 
blessé,  350;  tue  cinq  Sarrasins,  352;  est  tué,  353. 


29 


••■ 


TABLE. 

Préface.                         *  '             y 

Le  Romanz  des  Franceis.  1 

Chronique  des  Rois  de  France.  18 
Du  plait  Renart  de  Dammattin  contre  Vairon  son  roncin.       fe 

r  Gilote  et  Johane.  28 

'(^Del'Yver  et  de  l'Esté.  40 

Le  dit  de  Gentillece .  50 

Le  dit  de  Perece.  58 

Des  sis  Manières  de  Fols.  65 

De  la  Foie  et  de  la  Sage.  73 

Un  dite  de  Vérité.  '  ttasfeij»!                        ^ 

Le  dit  de  la  Queue  de  Renart.  88 

Le  dit  des  Paintres.  96 

Le  dit  des  Moustiers.  102 

De  rUnicorne  et  du  Serpent.  113 

Les  Vers  du  monde.  124 

Des  Droiz  au  clerc  de  Voudai.  132 

Doctrinal  le  Sauvage.  150 
Le  dite  des  Choses  qui  faillent  en  ménage  et  en  mariage.     162 

La  Contenance  des  Famés.  170 

La  Lande  dorée  que  le  vicomte  d'Aunay  fist.  178 

Un  Lay  d'amours.  190 

Du  roi  Attl^  et  de  Saint-Loys.  199 

De  Martin  Ha^part.  202 

Fatrasies.         _,  ^             "*  208 

^  ^i)u  Jeu  de  dez.  229 

^^§alùs  d'amors.                            .  235 

La  Complainte  douteuse.  242 

Salut  d'amors.  257 


•  ■%.» 


■-%  *» 


Du  Denier  et  de  la  Brebis.                 ••^^     *"  * 

Ce  sont  li  Vers  de  le  mort.                       %  ê  .  %  "•    .\ 

204 
273 

La  Sénefîance  de  l'A  B  C.             ^  '  '^*     ^^  \ 

Le  Vergier  de  Paradis.                 •       *    ^         ^V^, 

275 
291 

Moralités  sur  six  vers.                        -                  • 

297 

De  la  Peine  d'Enfer. 

304 

Du  Roy  qui  avait  une  amie. 

309 

Des  Prélaz  qui  sont  orendroit. 

316 

■Jle  la  Femme  et  de  la  Pye.  ,  ^  *j» 
Pes  Femmes. 

326 

330 

_Le  dit  des  Femmes. 

334 

Du  bon  William  Longespée. 

339 

Des  grans  Jaianz  ki  primes  conquistrent  Bretaigne. 

354 

Dictons  et  Proverbes. 

372 

Chansons. 

377 

Notes  et  Éclaircissements. 

387 

:M!    fUWh  i'IsJ  «J 


IMPRIMERIES  DE  PKCQUEREAU  ET  C" 

1.8,   RUE  DE   1.1   HAIII'K. 


PQ 
1303 
J8 
t. 2 


Jubinal,  Achille 

Nouveau  recueil  de  contes 


c^\ 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


~^,  V7 


c 


/  V  "f 


i^^- 


h.^ 


^      ^ 


_^i  ^    "*î^i  ■ 


4 

^                                ,^, 

v*ûÉL    ^'      .u.**^..^ 

^r             -S"^^ 

w>. 


n^   •